Chapitre 22 :Cornemuse et ombre

Le soleil tapait à travers la vitre.

Quel temps merveilleux pour le festival, ne pouvait s’empêcher de penser Ayra.

Elle était dans sa chambre. Quelques robes étaient éparpillées sur son lit ; elle ne savait pas laquelle choisir.

Un essuie était noué autour de son corps, ses cheveux enroulés dans une serviette.

Cela faisait déjà quarante-cinq minutes qu’elle était sortie de la douche… et elle était toujours aussi indécise sur sa tenue.

Elle souleva l’une des robes.

Manches longues, dans des tons orangés, parfaits pour la saison automnale.

Le tissu n’était ni trop léger, ni trop lourd, un juste milieu parfait pour ce temps doux et ensoleillé.

Et aussi pour l’idée qu’elle se faisait de la fête médiévale.

Dahlia entra dans la pièce dans un éclat de mouvement.

Ses deux tresses sombres balançaient sur ses épaules.

Elle portait une robe noire fluide, ornée de grandes fleurs rouges.

Totalement elle-même.

— Alors, tu as trouvé quoi te mettre ? lança Dahlia en s’avançant.

Ayra tenait toujours sa robe entre les mains.

— Je pense… oui, répondit-elle en hésitant.

— Ah parfait ! ricana Dahlia. Je commençais à penser que tu essayais de te faire belle pour plaire à… tu sais qui !

Son sourire malicieux en disait long.

Ayra rougit et balbutia :

— Heu… mais tu dis n’importe quoi ! En plus, il ne viendra pas !

Dahlia arqua un sourcil, un sourire en coin.

— C’est marrant, je n’ai même pas besoin de prononcer son nom.

Tu sais très bien de qui je parle.

Son regard inquisiteur transperçait Ayra, qui détourna légèrement les yeux.

— Sinon, il viendra, tu verras…

Mon intuition ne me trompe jamais, lança-t-elle en levant son petit doigt avec un air solennel.

Ayra préféra changer de sujet.

Il ne servait à rien de contredire son amie.

— Bon, je vais m’habiller, dit-elle en tournant les talons, une certaine chaleur montant à ses joues.

 

 

Ayra termina de se préparer tranquillement.

Elle avait opté pour la robe orangée, parfaitement adaptée à la douceur de l’automne.

Après avoir séché ses cheveux, elle avait pris le temps de tresser une fine mèche sur le côté,

laissant le reste de sa chevelure sombre tomber librement sur ses épaules.

Dahlia l'attendait toujours dans la chambre, adossée nonchalamment au mur.

Elle la dévisagea de haut en bas, un sourire satisfait aux lèvres.

— Parfait !

Georges, tapi dans l’encolure de la robe de Dahlia,

Descendit lentement le long de son bras,

Ses petites pattes glissant doucement jusqu’à son poignet.

Il tourna brièvement sa tête vers Ayra,

Comme pour approuver silencieusement son apparence.

Elles descendirent dans le salon.

Les autres étaient déjà là, absorbés par leurs occupations habituelles.

Un sifflement admiratif de Lucas à leur arrivée fit éclater un sourire sur leurs visages.

— Vous êtes sûrs de ne pas vouloir venir avec nous ? demanda Ayra en regardant tour à tour ses amis.

— Tu sais que je n’aime pas la foule, répondit Élenor en haussant doucement les épaules,

Tout en continuant à dessiner l’extérieur à travers la fenêtre.

— Je vais profiter de ce bon temps pour aller faire quelques glisses, ajouta Lucas avec un clin d’œil.

Riven, silencieux, se contenta d’un sourire discret.

Ayra savait qu’il se rangerait sans hésiter à l’avis d’Élenor.

Élika arriva à son tour dans la pièce.

Ses cheveux argentés étaient rassemblés en une haute queue de cheval,

Laissant ses boucles retomber en cascade derrière elle.

Ayra la trouva moins sévère que d’habitude.

Quelque chose dans son allure trahissait un léger relâchement,

Comme si, pour une fois, Élika avait accepté de déposer un peu de son exigence naturelle.

Pourtant, Ayra savait qu’Élika était inquiète.

La présence du Varnak, quelque part dans les environs, la maintenait en alerte constante.

Mais elle ne laissait rien transparaître.

Son maintien restait droit, calme, presque détendu — comme si rien ne pouvait troubler cette matinée de fête.

— Bon, je te rejoins après... J'ai une petite chose à régler au bureau.

Ayra sourit intérieurement.

Élika était loyale, consciencieuse, et prenait très au sérieux ses engagements auprès des Gardiens de la paix.

C’était pour cela que Mira lui avait suggéré d’y aller : elle avait vu en elle une alliée précieuse.

— Oui… t’inquiète, je ferai attention, répondit Ayra.

Élika lui adressa un simple signe de tête avant de tourner les talons.

C’est alors qu’on sonna à la porte.

Dahlia leva les yeux au ciel, un sourire en coin. — Je mettrais ma main à couper sur qui est derrière cette porte ! lança-t-elle d’un ton moqueur.

L’adrénaline, mêlée à une étrange excitation, monta brutalement en Ayra.

Ce n’était pas possible.

Dahlia devait se tromper.

Elle alla ouvrir la porte, fébrile.

Ses mains tremblaient légèrement.

Elle avait l’habitude de croiser Kael à l’université.

Il avait pourtant dit qu’il n’irait pas.

Si c’était lui derrière la porte…

Alors cela voulait dire qu’il avait changé d’avis.

Cette simple idée lui donnait une étrange sensation, quelque chose d’indéfinissable, entre la joie et la panique.

Elle se sentit soudain honteuse d’avoir éprouvé toutes ces émotions pour rien.

 

 

Derrière la porte, ce n’était pas Kael.

C’était Eren, un sourire tranquille sur les lèvres, qui venait probablement chercher Élika.

Cette dernière semblait tout aussi surprise.

— Je passais par là… je me suis dit, pourquoi pas aller ensemble au bureau, lança-t-il avec décontraction.

Ayra aperçut une brève lueur rosée gagner les joues de sa sœur.

Elle maîtrisait manifestement bien mieux ses émotions qu'elle-même.

— Mince, j'y étais presque, lâcha alors Dahlia en soupirant dramatiquement.

Élika, qui paraissait vouloir garder l'air le plus naturel possible, répondit en haussant les épaules :

— Oui, parfait, allons-y. Plus vite on aura fini, plus vite on sera tranquilles.

Élika attrapa son manteau à la hâte,

Adressa un bref signe de la main aux filles,

Puis disparut par la porte.

— Tu n’es pas trop déçue ? demanda Dahlia avec un sourire en coin.

— Pas le moins du monde, répliqua Ayra en levant les yeux au ciel,

Un peu vexée malgré elle.

— Bon allez, allons-y ! lança Ayra avec un regain d’énergie.

Elle ajusta son long manteau de laine brune sur ses épaules,

Puis quitta la maison, suivie de près par Dahlia.

Elles marchèrent dans les rues pavées, en direction du château.

On pouvait déjà entendre au loin les premiers airs d’une cornemuse, portés par la brise.

— J’ai hâte ! fit Dahlia en tapant dans ses mains, tout en sautillant d’enthousiasme.

— Oui… j’espère qu’on pourra entrer dans le château. C’est la parfaite occasion de…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase.

Un bras lourd se posa soudainement sur ses épaules.

Ayra sursauta, complètement prise de court.

— Vous ne pouviez pas m’attendre, non ?

Cette voix grave, soufflée tout près de son oreille, lui arracha un frisson involontaire.

Elle leva la tête, encore saisie.

La proximité soudaine du visage de Kael la fit rougir jusqu'aux oreilles.

Instinctivement, elle se dégagea de son étreinte, comme pour mettre de la distance entre lui... et le tumulte de ses propres émotions.

— On ne pouvait pas t’attendre ! lâcha-t-elle d’un ton un peu sec.

— On ne savait même pas que tu venais !

— J’étais sûre que tu viendrais, fit Dahlia avec un sourire sincère.

Elle avait dit cela d’un ton léger, comme une évidence, sans moquerie aucune.

Ayra sentit son cœur battre jusque dans ses tempes.

— M’ouais… j’ai décidé ça à la dernière minute, grommela Kael, les épaules nonchalamment levées.

— C’est cela, oui… répondit Dahlia avec un sourire en coin.

Ayra se sentit soudain oppressée entre eux deux.

La proximité de Kael la troublait.

Elle pouvait sentir son parfum, piquant et entêtant, l’envahir.

Instinctivement, elle serra son poing, tentant de se raccrocher à un peu de contrôle.

 

 

Plus ils approchaient du château, plus les rues devenaient animées et richement décorées.

De nombreuses échoppes avaient été installées à l’extérieur, débordant d’objets artisanaux, de vêtements colorés et de gourmandises parfumées.

Au-dessus des pavés, des guirlandes de drapeaux multicolores avaient été soigneusement tendues entre les maisons, dansant doucement au gré du vent.

Dahlia s’arrêtait à chaque stand de nourriture,

Humant avec envie les arômes alléchants qui flottaient dans l’air.

— Si tu t’arrêtes à chaque échoppe, ce n’est pas demain qu’on arrivera au château !

Lança Kael, d’un ton bourru.

— Oooh, mais ça me donne trop envie !

Ne me dites pas que ça ne vous fait rien ? s’exclama Dahlia, faussement choquée.

Ayra esquissa un sourire, mais son estomac était noué.

Elle n’avait pas vraiment l’appétit pour l’instant.

— Mouais… du cochon rôti… ça donne envie effectivement, concéda Kael d’un ton nonchalant.

La montée vers le château arriva enfin.

Ils traversèrent un vieux pont de pierre qui surplombait la rivière, dont les reflets dansaient sous le soleil.

La cornemuse, plus proche, emplissait maintenant l’air de ses notes entraînantes.

Tout autour d’eux, les rues vibraient de vie :

Des rires, des chants, des applaudissements fusaient,

Et beaucoup de gens s’étaient habillés pour l’occasion, portant capes, tuniques ou robes médiévales.

Ils croisèrent un échassier haut perché, déguisé en soldat fantasque,

Puis un jongleur agile, vêtu comme un bouffon, qui faisait tournoyer des anneaux colorés.

Des échoppes débordaient d’objets artisanaux :

Sculptures de bois, pendentifs de pierre brute, plumes tressées en parures légères.

Dahlia attrapa Ayra par le bras et l’entraîna avec enthousiasme vers un stand de tir à l’arc.

— Oh Ayra ! Viens, on essaye !!

— Huum… c’est pas vraiment mon fort, le tir à l’arc, protesta Ayra en souriant malgré elle.

Autour d’elles, les odeurs de cuir tanné et de bois ciré flottaient dans l’air.

Deux chevaux de trait passèrent non loin, tirant une lourde charrette,

Et laissant derrière eux une forte odeur de fumier mêlée à celle, plus discrète, de la terre humide.

— Quelle délicate odeur… commenta Kael d’un ton faussement appréciatif.

— Allez Ayra, viens, on essaie !

Regarde, en plus, on peut gagner ce magnifique collier en bois !

Dahlia agitait déjà la main vers le stand avec impatience.

— Bon, OK… allons-y, céda Ayra en soupirant.

Dahlia paya l'homme qui tenait le stand,

et il leur tendit un arc à chacune.

Ayra sentit ses mains trembler légèrement en attrapant le sien.

Le tir à l'arc, c'était le domaine d’Élika, pas le sien.

Elle allait forcément se ridiculiser, c'était écrit.

Dahlia, elle, n’avait pas l’air de s’en soucier.

Elle riait déjà en examinant son arc, insouciante, comme toujours.

Ayra prit l’arc avec précaution et le plaça contre son épaule,

Tentant tant bien que mal d’y ajuster une flèche.

Elle soupira, agacée.

Malgré la fraîcheur de l’air, des bouffées de chaleur montaient en elle.

Ses mains tremblaient légèrement.

Alors qu’elle bataillait avec la flèche récalcitrante,

Une main masculine vint se poser sur la sienne, ferme mais sans brutalité.

Un corps chaud se rapprocha derrière elle,

Et un bras sûr ajusta doucement la position de son arc contre son épaule.

— Tu n’allais pas aller bien loin comme ça,

Souffla la voix grave de Kael à son oreille.

— Reste dans l’alignement de ton regard… et de ton bras, ajouta-t-il calmement.

Ayra sentait ses joues s’embraser.

— Bien, tire maintenant !

Elle obéit mécaniquement.

La flèche partit droit…

Et alla se ficher en plein cœur de la cible.

Elle écarquilla les yeux, surprise de voir la flèche atteindre si facilement le cœur de la cible.

Elle resta ainsi, immobile, consciente tout à coup de la chaleur du corps de Kael contre elle.

Réalisant enfin la situation,

Elle se dégagea avec maladresse, passant sous son bras pour retrouver un peu d’air.

— Heu… tiens, tu sembles bien mieux maîtriser l’arc que moi, lança-t-elle en tentant de plaisanter.

Il regarda l’arc quelques secondes,

Le prit d’un geste sûr, sans ajouter un mot.

En un éclair, il décocha plusieurs flèches.

Chaque tir atteignit le cœur de la cible, sans effort apparent.

Ses gestes, précis, rapides, avaient une aisance brute,

Une maîtrise naturelle qui fascinait Ayra.

Elle resta là, immobile, subjuguée par l’élégance masculine de ses mouvements.

— En voilà un champion ! s’exclama le marchand, tout sourire, en tendant le collier en bois.

Kael le saisit et, sans un mot, le tendit à Dahlia,

Qui n’avait cessé de lorgner dessus un peu plus tôt.

— Oh merci, merci ! s’écria-t-elle en sautillant sur place,

Le collier serré fièrement contre elle.

Ayra ne put s’empêcher de sourire devant cette scène,

Réchauffée par la joie simple de son amie.

Ils continuèrent leur promenade entre les stands,

Admirant les objets artisanaux,

S’arrêtant devant les spectacles de rue,

Et observant quelques rapaces déployer leurs ailes dans des vols majestueux.

 

 

La journée s’écoulait à une vitesse folle,

Portée par les rires, les couleurs et la musique.

— Élika ne devrait pas tarder à nous rejoindre,

Dit Ayra en scrutant la foule autour d’elle.

Elle se hissa sur la pointe des pieds,

Tentant de repérer le visage familier au milieu du flot incessant de passants.

— Tu penses que gagner trois centimètres t’aidera à mieux repérer ta sœur ? lança Kael avec un sourire en coin.

— Rooh… toujours quelque chose à ajouter, répliqua Ayra en levant les yeux au ciel.

— Brûlage de sorcière dans la cour du château !

Brûlage de sorcière dans quinze minutes !

Un homme, déguisé en paysan, traversait la foule en agitant une lourde cloche,

criant son annonce à pleins poumons pour attirer les badauds.

Les gens commençaient à affluer vers la cour intérieure du château.

— Oooh, trop bien ! Je veux voir ça ! s’exclama Dahlia en sautillant presque.

— Pour ne pas changer…, marmonna Kael en lui emboîtant le pas.

Ils se dirigèrent à leur tour dans la même direction,

Portés par le mouvement de la foule.

— Je vais aller chercher des boissons, ajouta-t-il en s’écartant légèrement.

— Allez-y, je vous rejoins.

Ayra et Dahlia suivirent le flot de la foule,

Se faufilant entre les capes, les armures et les robes colorées.

L’air semblait plus lourd, plus dense à mesure qu’elles approchaient de la cour.

Ayra sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale.

Comme si un courant d’air froid s’était glissé entre les corps entassés…

Elle se frotta discrètement les bras, sans rien dire.

Sans doute la fraîcheur du soir, se dit-elle.

En passant à proximité du bois qui bordait la cour,

Son regard fut attiré par deux éclats rouges, vifs, qui brillaient entre les arbres.

Elle ouvrit la bouche pour appeler Dahlia,

Mais son amie s’était déjà éloignée, happée par la foule,

Toute à son enthousiasme pour le spectacle à venir.

Un frisson parcourut Ayra.

Son instinct grondait sourdement en elle,

L’attirant inexorablement vers le petit sentier qui descendait en pente douce vers la lisière de la forêt.

Elle savait que c’était insensé.

Personne de raisonnable ne quitterait la foule en pleine fête pour s’enfoncer seule vers la forêt.

Pourtant, quelque chose l’appelait, insistant, viscéral.

Plus fort que la peur, plus fort que la raison.

Elle se dirigea instinctivement vers le sentier.

Une petite voix, au fond d’elle, lui murmurait qu’elle faisait une erreur.

Mais l’appel était plus fort.

Irrésistible.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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