Chapitre 23 : À la lisière

Kael se frayait un chemin vers la cour,

tenant tant bien que mal trois boissons dans ses mains.

Il grommelait entre ses dents,

pestant contre la foule dense et les costumes encombrants qui l'obligeaient à zigzaguer sans arrêt.

Ce genre de situation avait toujours eu le don de lui faire perdre patience.

Aujourd’hui, Ayra lui paraissait particulièrement jolie.

Son petit air sévère d’élève studieuse avait laissé place à un visage radieux,

Presque lumineux, enthousiaste à l’idée de ces festivités locales.

La petite tresse sur le côté lui donnait un air…

Il ne savait même pas quel mot poser là-dessus.

Il ne comprenait pas pourquoi —

Mais depuis qu’il l’avait rencontrée,

Il ressentait ce besoin constant de rester dans son sillage.

Au départ, c’était juste pour la titiller, la faire réagir.

Mais aujourd’hui…

C’était autre chose.

Quelque chose qu’il n’arrivait pas encore à nommer.

Il entendait, au loin, la voix forte d'un homme,

racontant la tragique histoire d'une sorcière promise au bûcher.

— Conneries..., marmonna Kael entre ses dents.

Il chercha les filles du regard,

scrutant chaque visage dans la foule en mouvement.

Autour de lui, les gens riaient, levaient leurs gobelets, les odeurs de cuir, de bière, et de sucre caramélisé se mêlaient dans l’air.

Des lanternes commençaient à s’allumer sur les murs du château, projetant des reflets dorés sur les pavés.

Il aurait pu s’attarder. Profiter du moment.

Mais une tension sourde ne le quittait pas.

Il balaya la foule du regard une nouvelle fois,

Cherchant ce manteau de laine brun,

Ce petit éclat familier au milieu du monde.

Enfin, il aperçut Dahlia,

tout sourire, totalement captivée par la scène devant elle.

Il se fraya un passage jusqu’à Dahlia,

Lui tendit l’une des boissons sans vraiment y prêter attention,

Puis balaya la foule du regard, les sourcils froncés.

— Où est Ayra ? demanda-t-il.

— Quoi ? fit Dahlia, visiblement absorbée par la scène et couverte par le brouhaha ambiant.

— Où est Ayra ? répéta-t-il, plus fort cette fois. Une sourde inquiétude montait en lui, sans qu’il puisse dire pourquoi.

Dahlia sembla enfin comprendre qu’Ayra n'était plus à ses côtés.

Elle regarda autour d’elle, hésitante, fronçant légèrement les sourcils.

— Je... je ne sais pas..., balbutia-t-elle.

— Elle me suivait pourtant... juste derrière moi...

Kael passa une main nerveuse dans ses cheveux.

Il ne savait pas pourquoi, mais l’absence d’Ayra l’inquiétait.

Quelque chose clochait.

Il en était certain.

Même s’il aurait été incapable de dire quoi.

C’est alors qu’il vit Eren et Élika approcher,

Riant ensemble, commentant les décors avec de grands gestes animés.

Ils semblaient totalement absorbés par la fête,

Inconscients de la tension qui grondait sourdement en lui.

Élika avait ralenti brusquement.

Kael plissa les yeux.

Il la vit tourner la tête dans tous les sens,

scrutant la moindre silhouette avec une tension visible jusque dans ses gestes.

Puis son regard s’arrêta net sur lui.

Il fixa Élika quelques secondes,

Sentant un pincement d’angoisse au creux de l’estomac.

— Elle va me tuer…, pensa-t-il, serrant la mâchoire.

Il vit le sourire d’Élika s’effacer, lentement,

A mesure qu’ils s’approchaient.

Son regard glissa de Kael à Dahlia,

Cherchant instinctivement le visage de sa sœur parmi la foule.

Élika approcha plus vivement,

le sourire désormais envolé de son visage.

Eren, lui, semblait ne pas comprendre la tension soudaine qui les entourait.

Fronçant les sourcils, Élika planta son regard clair et glacial dans celui de Kael.

Il frissonna.

Élika avait toujours eu le don de lui filer la frousse.

— Où est Ayra ? demanda-t-elle, la voix tranchante comme une lame.

Elle avait exactement la même intensité que lui,

Lorsqu’il avait posé la question à Dahlia, quelques minutes plus tôt.

Kael soutint son regard un bref instant.

Puis baissa légèrement les yeux, la mâchoire crispée.

— On ne sait pas… On vient juste de se rendre compte qu’elle n’était plus là.

Mais elle ne doit pas être bien loin…, répondit Dahlia avec prudence.

— Comment ça ? lança Élika d’un ton sec,

Lui jetant un regard si sévère que Kael fut presque soulagé que ce ne soit pas lui la cible.

— Je pensais qu’elle me suivait…, souffla Dahlia en baissant les yeux.

— Je vais aller vérifier les alentours, dit brusquement Élika en se mettant en marche.

— Je viens avec toi, répondit Eren, qui semblait comprendre son désarroi.

— Je vais de mon côté, ajouta Kael, déjà prêt à s’élancer ailleurs.

— Dahlia, toi, tu restes ici.

Si jamais elle revient, tu nous préviens, lança Élika sans ralentir.

Dahlia hocha la tête, le visage tendu.

 

 

 

 

Ayra suivait le sentier, parfois abrupt, manquant de glisser à plusieurs reprises.

Au loin, elle entendait les cris joyeux du village,

Sans doute captivé par le simulacre du brûlage de sorcière.

Elle s’arrêta un instant,

Se demandant pourquoi elle continuait à descendre ce chemin.

À mesure qu’elle approchait du bosquet,

L’odeur humide de mousse et de terre fraîche emplissait ses narines.

Elle voulait s’assurer que rien ne venait troubler la forêt.

Elle en était presque certaine : elle avait vu deux billes rouges luisantes.

Un craquement la fit sursauter.

— Mais qu’est-ce que je fiche ici…, murmura-t-elle à voix basse. — Je n’y vois rien en plus…

Le soleil déclinait lentement,

Laissant place à la pâle lumière d’une lune naissante.

— Roh, je suis ridicule… je vais remonter.

Dahlia doit commencer à s’inquiéter, pensa-t-elle en faisant demi-tour.

« Cette histoire de Varnak a fait un peu trop travailler mon imagination… »

Elle n’était pas loin du château ; Quelques mètres à peine, en hauteur, et elle retrouverait la foule.

— Et puis qu’est-ce que tu aurais fait face à un Varnak, hein… ?

Ajouta-t-elle en riant d’elle-même,

Amusée par son propre faux élan de courage.

Elle se stoppa net.

Derrière elle, un rugissement sourd déchira le silence.

Sa respiration se fit plus rapide.

Elle n’osait pas se retourner.

— Élika… au secours…, souffla-t-elle, la voix brisée par la panique.

Son corps commença à trembler nerveusement.

Elle jeta un regard en arrière.

Et ce qu’elle vit balaya le moindre doute.

Un énorme chien écailleux, vert profond et noir, la fixait,

Prêt à bondir au moindre geste.

ÉLIKA, pensa-t-elle si fort que son esprit sembla hurler vers sa sœur.

La bête se redressa lentement sur ses deux pattes arrière,

Dépassant largement les deux mètres de haut.

Sa lourde queue fouetta violemment le sol,

Soulevant un nuage de poussière qui vint l’aveugler un instant.

Une langue fourchue, rapide et luisante, glissa sur sa gueule proéminente.

Elle décida de courir droit devant elle.

Sa vitesse était son atout.

Mais dans la panique, son pied glissa sur une pierre humide,

Et elle s’écrasa violemment au sol.

Un étourdissement bref embrouilla ses pensées.

Dans un flou mouvementé,

Elle aperçut le monstre bondir —Trois mètres en avant —

Pour se jeter sur elle.

Elle eut juste le réflexe de se lancer à plat ventre,

Raclant ses mains contre les pierres boueuses du sentier.

Le Varnak parvint pourtant à l’attraper à la jambe,

Enfonçant ses griffes acérées dans sa chair.

Un hurlement déchira ses lèvres.

Elle tenta de se cramponner au sol,

Agrippant désespérément la terre glissante,

Ecorchant ses paumes sur les cailloux tranchants.

Dans un éclair de terreur,

Elle vit la gueule béante du monstre fondre sur elle,

Dévoilant des rangées de crocs gluants. Une odeur immonde, de chair en décomposition et de sang séché, la frappa de plein fouet, l’étourdissant autant que la peur.

Mais brusquement,

Le Varnak s’arrêta net.

Il siffla,

Laissant sa langue fourchue vibrer à l’air libre,

Puis recula en grognant,

Comme dominé par une force invisible.

D’un bond, il fit volte-face et disparut,

Ne laissant derrière lui que le frémissement des feuilles secouées.

 

 

 

Le hurlement qu’il entendit fit bondir tout son corps.

Ayra.

Il le savait. C’était elle.

Son cœur s’accéléra violemment,

Tandis qu’il s’activait sans hésiter,

Bousculant quelques personnes sur son passage,

Sourd aux protestations qui montaient autour de lui.

Son regard repéra un muret solide, accolé au château.

Au-delà, la cime des arbres se balançait sous la brise.

Sans réfléchir, il courut dans cette direction,

Les sens en alerte maximale.

Quelque chose se passait.

Quelque chose de grave.

Il enjamba le muret d’un bond et aperçut le sentier,

Qui dévalait abruptement vers le bois.

Il s’élança sans hésiter.

Ses yeux, habitués à l’obscurité,

Distinguaient chaque pierre, chaque aspérité du sol orange et poussiéreux.

Il courait à toute vitesse.

Au loin, il perçut du mouvement.

Ayra.

Elle était au sol, luttant faiblement contre une masse sombre.

— Le Varnak…, gronda-t-il en serrant les dents.

La créature, massive, sentit son approche.

Kael le vit s’immobiliser,

Le fixer d’un regard félin chargé d’instinct.

Le monstre, plus grand que ceux qu’il connaissait,

Sortit sa langue fourchue, goûtant l’air pour jauger son adversaire.

En un éclair, le Varnak fit volte-face,

Et s’enfuit entre les arbres,

Faisant bruisser le feuillage sur son passage.

 

Kael fonça sans ralentir vers Ayra.

Son regard capta immédiatement la tâche écarlate qui s’étendait sur sa jambe droite,

Là où les griffes avaient pénétré profondément sa chair.

Il s'accroupit précipitamment.

Sans réfléchir, il prit son visage entre ses mains.

Ses paupières étaient mi-closes,

ses traits marqués par des ecchymoses bleutées,

mêlées de traces de terre séchée.

— Ayra ! Ayra !

Il la secoua doucement, essayant de la maintenir éveillée.

— Je... le monstre..., murmura-t-elle faiblement en refermant les yeux.

— Non, tu dois rester éveillée !

Ayra, parle-moi !

Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu'il en avait mal.

Ses mains tremblaient,

mais il continuait de lui parler,

essayant désespérément de garder une voix calme,

alors que la panique lui broyait l'estomac.

Il déchira un pan de sa robe,

Et l’enroula autour de sa jambe blessée pour tenter d’arrêter le sang.

Puis il la souleva précautionneusement,

Et posa sa tête contre son épaule.

Il repartit aussitôt en direction du château.

Deux silhouettes déboulaient déjà en courant,

Dévalant la pente à toute vitesse.

Élika et Eren.

Élika, les yeux écarquillés par l’angoisse,

Se précipita vers eux, prête à tout bousculer sur son passage.

Elle se jeta pratiquement sur eux.

— AYRA !!! AYRA !!! Bon sang, qu’est-ce qu’il s’est passé !!!

— Un chien errant…, répondit Kael en jetant un regard lourd de sens à Eren.

Ce dernier comprit immédiatement.

— Il faut l’emmener chez ma tante, tout de suite ! lança Élika,

Déjà en train de faire demi-tour.

Kael ne protesta pas.

Serrant Ayra contre lui,

Il la suivit sans hésiter dans la nuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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