Chapitre 22 : Des tessons pour moi.
Quand j’ai su que Maeve était la copie conforme de la sœur d’Hermès, je me suis demandée s’il avait pu avancer malgré ça. Là, seule dans ce qui fut un jour la demeure de la famille Trivia, je me pose la même question. Solange, as-tu jamais fait ton deuil ?
« — Ta maman est la plus jolie femme du monde.
— Et moi, papa ?
L’air surpris, il quitte maman des yeux.
— Toi quoi, ma chérie ?
Irritée, je croise les bras sur ma poitrine, mais un rire cristallin s’élève.
— Toi, mon cœur, dit maman en s’approchant, tu es la plus jolie petite fille du monde.
Elle m’entoure de ses bras et dépose un baiser sur ma joue. Je caresse ses longs cheveux blonds parfaitement lisses.
— Tu m’habilles comme toi ?
Un nouveau rire embellit le silence, puis elle hoche la tête doucement. »
Je vais jusqu’au placard de maman. La coiffure signée Perdrix tient toujours malgré quelques mèches ayant décidé de retourner à l’état sauvage. Quand bien même, je n’avais plus eu l’air si estholaise depuis longtemps.
Amusant comme à Solavie, on m’a toujours considérée comme une estholaise.
Mais les deux à la fois, je ne suis peut-être ni l’un ni l’autre.
Je ressers les nœuds dans mes cheveux et je jette un œil à ses vêtements. Tout comme ses sœurs, ma mère ne portait que la plus haute qualité. Une Cassan, pas n’importe qui. Je trouve ce qu’il y a de plus confortable dans cette penderie. Pantalon de cuir souple, pull en cachemire léger. Je passe une ceinture à ma taille, m’assure que l’étui de mon arme y est correctement fixé.
Puis une fois prête, je retourne au salon. J’approche de la porte d’entrée.
Dans la maison voisine, tata Béa m’attend.
« — Qu’est-ce que tu fais là, Béa ?
Un sourire me monte aux lèvres. C’est tata Béa !
Je saute du canapé et accours pour rejoindre papa à la porte d’entrée.
— Je venais voir Léanna… Bonjour ma chérie !
— Léanna n’est pas là, grommelle papa. Et Solange et moi devons sortir.
Je serre tata Béa dans mes bras avant de me tourner vers papa.
— Ah bon ? On va où, papa ?
— Où est Léanna, d’ailleurs ? ajoute Béa. Elle ne m’a pas dit qu’elle ne serait pas là.
— A-t-elle besoin de te donner son emploi du temps à la minute près ?
Les mains de tata sont agitées d’une sorte de soubresaut, mais quand elle se tourne vers moi, elle sourit, puis me soulève du sol.
— Et toi, où vas-tu, Angelo ? Je peux vous accompagner ? Histoire de profiter un peu de ma nièce préférée ? Ça te dit, Solange ? »
Mes doigts glissent sur la poignée.
Mon bras retombe le long de mon corps.
Je n’ai pas envie d’y aller.
J’ai envie de rester ici, dans cette quiétude non troublée.
Est-ce la peur de me retrouver seule avec elle… ?
Je retourne dans ma chambre. Je me laisse tomber sur le lit. Je ferme les yeux, quelques minutes.
On a frappé à la porte. Je prétends l’ignorer.
On frappe plus fort. À regret, j’ouvre un œil et me roule hors des draps.
Le cachemire est fripé. Je le tire dessus, le passe dans le pantalon avec mauvaise humeur.
On frappe encore et je me dirige vers la porte, l’ouvre à la volée.
« Le téléphone vient de sonner pour la troisième fois. Personne ne bouge. La scène s’est comme figée. Seulement quand la sonnerie s’éteint, papa daigne soupirer.
— Pourquoi tu décroches pas ?
Maman échange un étrange regard avec papa.
— Eh bien… On est en pleine partie, non ? dit-elle finalement. Si on ne décroche pas, personne ne saura qu’on est là…
J’acquiesce et souris avant de lancer une nouvelle fois le dès.
— Double six !
Papa pose sa grosse main sur ma tête et me décoiffe.
— Elle va encore nous battre, Léanna. Quelle petite fille douée !
Je rougis de plaisir avant d’animer mon pion qui dépasse celui de papa et passe la ligne d’arrivée en premier. »
Faucon.
Il a un sourire amusé.
— Ta tante t’attend.
— Je sais.
— Elle a essayé de t’appeler.
— J’ai débranché le téléphone en rentrant hier soir.
— Pratique.
— Vital.
Son sourire s’étend.
— J’attendais, moi aussi. Je suis passée la voir ce matin, et comme elle a dit que tu allais arriver, je voulais en profiter pour te voir cinq minutes.
Je jette un œil à l’horloge du salon. Il a attendu longtemps.
— Eh bien c’était une jolie perte de temps. Tu voulais me parler de quelque chose en particulier ?
Il tourne la tête de droite à gauche, mais son regard se fait perçant.
— Est-ce que toi, tu veux me parler de quelque chose ?
Je grimace, puis attrape des bottes et mon blouson avant de sortir sur le perron.
— Tu es conscient que Béa voudra jamais de toi ?
— Tu t’es levée du mauvais pied, ma parole ?
Je hausse les épaules.
— J’y vais. À plus tard, Faucon.
***
Sur le clavier, les doigts de tata Béa volent. Ça ne l’empêche pas, de temps à autre, de me jeter un regard en coin. Elle espère sans doute que je vais faire la conversation. Je me contente de frissonner dans mon coin, dans sa maison mal chauffée.
— Tu ne veux pas regarder avec moi ? murmure-t-elle au bout d’un moment.
— C’est ce que je fais.
Elle lâche enfin le clavier et pivote sur sa chaise de bureau.
— Pourquoi es-tu si fâchée ? Ce n’est pas grave, que tu n’aies pas tout réussi. Tu as déjà désactivé le faux projet Éva de la Grande École, ma puce. C’est très bien.
— Ça s’appelle Avril Cassan, maintenant. C’est toi qui as mon bracelet-Maeve ? Faucon te l’a donné ?
Béa donne l’impression que je viens de la gifler.
— Maeve… grommelle-t-elle. Tu sais, à la base, je n’avais pas pensé ça comme ça. Ça devait être beaucoup plus impressionnant. Éva était une assistante de recher…
— Ouais ouais. Le projet Maeve était plutôt réussi, figure-toi.
Cette fois, elle se décompose, et je sens que je l’ai réellement blessée. Malgré moi, je serre les dents.
— Tu sais que c’est moi qui les ai créées, au départ… ? demande Béatrice d’un ton plaintif. N’est-ce pas ?
— Oui, tata.
Elle passe brièvement une main caleuse contre ma joue et retourne à son clavier.
— Veux-tu m’aider, alors ?
— Si tu me rends mon bracelet-M… Mon bracelet.
— D’accord, d’accord. Tiroir du bas.
Je recule pour mieux me pencher vers le tiroir et récupère mon bien. Là, je le fais glisser entre mes doigts, le plus reculée possible contre mon dossier, pour être certaine que Béatrice ne peut pas ne pas le voir. Puis je me racle la gorge :
— Tu l’as étudié ?
Elle ne daigne pas même détourner les yeux de son écran.
— Je t’attendais, en fait. Je voulais le voir dans son état primaire avant d’accéder au code source. Laisse-moi encore trente secondes.
— Sur quoi tu travailles ?
À l’écran, le langage défile. Mais c’est trop rapide pour moi, surtout qu’en deux ans, j’ai un peu perdu la main. Comme si elle le devinait, tata cesse brusquement de frapper. Ses doigts restent suspendus au-dessus du clavier, là, à quelques centimètres des touches.
« — Regarde… Je suis sûre… sûre que ça va t’intéresser…
Tata Béa fait rouler mon fauteuil jusqu’à son bureau.
— J’ai froid…
Elle se gratte le menton et cherche partout autour d’elle, mais il n’y a presque rien dans cette pièce sombre, seulement les multiples écrans sur son bureau.
— Attends, je reviens.
Elle sort et me laisse seule. Sur l’un des écrans, une séquence défile. Tata m’a montré ces signes avant déjà. J’essaye de me pencher, mais la cicatrice se tend et me fait mal. Puis elle me démange. Trop. Je gratte. C’est insupportable. Même les signes sur l’écran ne peuvent me faire oublier cette sensation.
Une main attrape mon poignet.
— Tu ne peux pas faire ça, ma chérie. Tu vas rouvrir ta cicatrice. Tiens…
Elle m’entoure d’une couette épaisse.
— Allez, regarde maintenant. Je vais te montrer comment ça fonctionne… »
— C’est une demande de Colombe.
— Quel genre ?
Tata Béa sourit sombrement. Elle tourne légèrement la tête sur le côté :
— Comment va Pavel… ? Quand je pense que tu t’es tenue si près de lui… Qu’en une seconde, tout aurait pu être terminé. Oh, je ne te reproche rien, tu suivais le plan, ma puce. Et ils t’auraient arrêtée. Mais si ça avait été moi, je n’aurais eu aucun regret à l’abattre.
— J’en doute pas.
Elle me jette un regard en coin, par-dessus ses lunettes. Ses doigts, toujours statiques au-dessus du clavier, tremblent un peu.
— Personne ne t’en veut, de ne pas t’en être pris à Mikhaïl. Au final, je ne suis pas certaine que c’était la solution.
Finalement, elle les laisse retomber sur le bord du bureau. J’évite soigneusement son regard, je laisse le silence s’installer. Elle finit par s’éclaircir la gorge :
— Allons-y. Prends le bracelet.
Elle se lève et me fait signe de la suivre.
On quitte son bureau, seule pièce où il y avait un peu de chauffage, pour rejoindre ce qui un jour a été une chambre. Je frissonne dans la pièce quasiment vide aujourd’hui. J’ai une étrange sensation quand j’aperçois les projecteurs tridimensionnels. À Avril Cassan, ils étaient dissimulés, ils se fondaient dans le paysage. Ici, ils sont grossièrement placés à chaque angle de la pièce.
— Je n’ai que ça, en objet connecté, lance tata Béa.
Elle coupe ma dubitative analyse en me tendant un stylo. Je le fais rouler entre mes doigts, perplexe.
— On a pas tous les moyens d’Avril Cassan, se justifie-t-elle immédiatement.
Je repose le stylo sur l’unique table de la pièce.
— Éva ne pourra pas sortir d’ici, assure Béatrice en tirant les rideaux d’un coup sec. J’ai un réseau spécial pour la maison. Si jamais ton programme a échoué ou a été annulé, rassure-toi, ils ne verront rien.
Il fait sombre, mais on y voit encore clairement. Tata Béa m’approche, avide.
— Allez, essaye.
Elle a les yeux rivés sur le bracelet entre mes doigts. Lentement, je le passe à mon poignet. Je ne sens pas la douce pulsation de Maeve, elle est profondément endormie. J’approche néanmoins le bracelet de mes lèvres.
— Solange Porteval.
Ma tante lève un sourcil interrogateur et je pose un doigt sur mes lèvres pour qu’elle se taise. D’un coup, le bracelet devient luisant, comme parcouru d’une centaine de vaisseaux lumineux. Je penche à nouveau la tête sur mon poignet.
— Éva.
Devant nous, Maeve se matérialise.
— Bonjour Solange, je suis Éva.
Tata Béa a un grand sourire.
— Elle connaît son nom ! s’extasie-t-elle. Magnifique. C’est ton programme, ma chérie ?
Je hoche la tête et elle sourit plus largement encore.
— Je suis fière de toi. Voyons… Testons-la.
Elle reprend le stylo et le pose sur le plat de sa main.
— Éva, prends le stylo.
Ma Maeve reste strictement immobile. Au bout de quelques secondes, les sourcils de Béatrice se fronce et elle tourne vers moi un regard interrogateur. Je hausse les épaules :
— Elle n’obéit qu’à moi.
— Elle devrait obéir à sa créatrice… grommelle tata Béa.
— Mais j’ai modifié son code, tata, te vexe pas. Éva ? Prends le stylo dans la main de Béatrice.
Maeve hoche la tête et me sourit avant de saisir l’objet. Tata Béa recule vivement la main, traversée par les dizaines de pulsations statiques qu’émet mon assistante.
— Superbe, souffle-t-elle pourtant. Tu sais, à l’époque quand j’ai écrit ce code-là, je n’étais pas encore certaine d’à quel point il serait facile à mettre en place. Mais ça me semblait important qu’Éva puisse interagir avec son environnement, et…
— La créatrice des Maeve l’a bien développé. À Avril Cassan, les Maeve font absolument partie du paysage. Elles font à manger, elles montent la garde, elles aident les élèves dans leurs devoirs, et elles sont aussi un support émotionnel pour beaucoup de…
— Quel beau gâchis, me coupe Béatrice, de nouveau contrariée. Je n’ai pas passé cinq ans de nuits blanches à coder pour que l’adolescent moyen se plaignent de ses peines de cœurs à une assistante qui doit en plus faire la bonniche !
Ma bouche se referme. Je pensais qu’elle apprécierait de savoir que son outil était tant apprécié à Avril Cassan… mais je ne suis pas sûre que tata Béa apprécie encore réellement quoi que ce soit. Est-ce qu’on peut seulement considérer que les Maeve sont « son » outil ?
« — Tu es sûre que tu as bien retenu ?
— Oui, tata.
— Je ne pourrais pas t’aider. Tu seras toute seule à la Grande École.
— J’ai bien retenu, tata.
Elle lève les doigts à sa bouche et se met à ronger l’ongle de son index d’un air absent.
— Et si jamais tu n’allais pas là-bas, Colibri est en charge de récupérer un modèle. Mais Colombe est prête à y laisser du temps. Même si c’est seulement à l’université, tu finiras par y aller. Tes capacités sont bien supérieures à celles des autres, tu intégreras sans mal le cursus. Rappelle-toi, il suffit d’utiliser les bons mots. Est-ce qu’il y a quelque chose que tu veux revoir ? Tu devras reprendre tout le code, Solange.
— Je sais, tata. Tout est clair. J’ai bien compris ce que je devais faire une fois que j’aurais mis la main sur une assistante Éva. »
— Il y a quelque chose que je voudrais te demander.
Tata Béa ne répond pas immédiatement. De retour dans son bureau, elle a retiré la puce du bracelet-Maeve et l’analyse pour le moment sous une loupe. Moi, je me suis entourée d’un plaid et je me contente de l’observer.
— Du travail bâclé, commente-t-elle avec mauvaise fois.
Si elle le pensait sincèrement, elle aurait précisé en quoi. Je pense que ça la contrarie simplement, que madame Mestre se soit montrée au moins aussi ingénieuse qu’elle. Plus, peut-être, puisqu’elle a achevé le prototype. Quelque chose que Béatrice n’admettra jamais…
— Tata ?
Ce mot la fait davantage réagir. Elle réajuste ses lunettes et m’interroge du regard.
— Pourquoi m’avoir envoyé un assassin au dortoir ?
Elle fronce les secondes une seconde, comme si elle n’avait pas la moindre idée de quoi je parlais. Puis son visage s’éclaire et elle sourit, comme s’il s’agissait d’une plaisanterie particulièrement cocasse.
— C’était une suggestion de Colibri, m’indique-t-elle.
— Pourquoi ?
— Pendant ces quelques mois que vous avez passé à Port-Céleste, il a espionné des parents d’élèves de ta classe et a appris que tu ne jouissais pas de la meilleure côte de popularité.
— Ça te surprend ?
— Non. Moi-même, je n’étais pas populaire à l’époque.
— Ah bon ?
Elle hausse les épaules, mais je suis plutôt surprise, en fait. Tous ceux qui m’ont parlé de tata Béa, à Solavie, ont dépeint une jeune étudiante brillante. Un génie avant-gardiste. Même Pavel, malgré tout.
Puisqu’elle n’a pas l’air de vouloir en dire davantage sur l’agression, je reprends :
— Et c’était quoi, l’idée ?
Elle cesse de détailler la puce-Maeve et l’enfonce dans un interstice de son unité centrale.
— De l’attaque ? Faire de toi la victime arbitraire de leur racisme. Tu te serais débarrassée de lui sans mal, rassure-toi. Mais bon, ça ne s’est pas passé comme prévu… Au lieu de ça, cet imbécile de solavien s’en est pris à une autre élève, n’est-ce pas ?
— Laurie. Une chouette fille.
La main de tata Béa se fige alors qu’elle allait rejoindre le clavier.
— Une amie à toi ?
— Ça aurait pu, si elle n’était pas restée des semaines dans le coma.
Elle a une grimace agacée.
— Ça va, elle s’en sortira. Je n’ai pas mis de dose mortelle, dans le cas improbable où le solavien aurait réussi à t’atteindre.
J’entrouvre la bouche, puis je choisir de me taire. Ce n’est pas possible de discuter avec ce genre de personne.
— Ça t’a permis de gagner leur confiance, Solange, insiste pourtant tata Béa.
Je roule des yeux.
— Ah oui ?
— Oui. Pavel Konstantin t’a fait entrer au Symbiose, après ça.
— Il m’a fait venir au Symbiose parce que j’ai sauvé Mikhaïl d’un attentat.
Elle se tourne de nouveau vers moi et plisse les yeux. Pendant quelques secondes, je peux entendre le sang battre dans mes tempes. L’ignorait-elle ?
Elle finit par retourner à son écran.
— Les deux ont sans doute joué.
Un rire sec m’échappe. Tout ce qui lui importe, c’est d’avoir raison en fait.
— Tu ressembles à Angelo, quand tu ris comme ça.
Je lui lance un regard noir.
— C’est marrant. À Port-Céleste, on m’a plutôt dit que c’était à toi, que je ressemblais.
Elle hausse les sourcils et pivote sur sa chaise pour me faire face. Elle me détaille. Puis un sourire triste fend ses lèvres.
— Heureusement pour toi, je ne crois pas que ça soit vrai, murmure-t-elle.
Puis elle retourne à son écran.
Et je ne sais pas quoi faire de cette réponse.
***
J’ai regardé tata Béa travailler pendant des heures. Cachée sous les plaids que j’ai empilés sur moi, les yeux rivés sur l’écran et l’esprit vide, j’aurais aussi bien pu ne pas être là. Elle part du principe que je comprends tout et n’explique presque rien. Pas si je ne pose pas les questions. Éliane Cassan dirait qu’il faut poser les bonnes questions, alors de temps à autre, je reviens à moi et les pose. Malgré ça, elle n’explique pas précisément ce qu’elle fait. Ça ressemble au programme que j’ai créé, mais en beaucoup plus complexe. Je suppose que si on donnait à tata l’accès à l’ordinateur du Symbiose, tout leur système s’écroulerait en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Mais tata n’a pas accès au Symbiose. Jamais elle ne l’aura. Si Pavel Konstantin ne doit en empêcher qu’une seule d’entrer, ce sera elle, et elle le sait pertinemment. Alors que fait-elle, au juste ?
La nuit est tombée depuis longtemps quand je frotte mes yeux usés. Mes doigts sont ankylosés par le froid ambiant.
— Tu as faim, tata ?
Elle jette un coup d’œil à l’horloge.
— Tu peux te préparer quelque chose, si tu veux. Mais j’ai encore pas mal de choses à faire.
Je me lève sans insister. Je ne m’attendais pas à autre chose.
Alors que j’entre dans la cuisine plus glaciale encore avec la nuit venue, j’ai une pensée pour la cheminée, chez les Mestre. Mon cœur se serre. Tata Béa, son programme… à quoi pourrait-il servir ? Elle ne pense tout de même pas qu’elle peut atteindre le Symbiose à distance ? Il y a d’excellents techniciens, là-bas. Molly Mestre, par exemple. Je me mords la lèvre et ouvre avec violence un premier placard sous le comptoir de la cuisine. Rien. Vide. J’ignore pourquoi, mais la pensée qu’Hermès n’a jamais vu un placard vide de sa vie me traverse l’esprit.
Doucement, je me laisse tomber à même le sol. Je serre mes genoux contre moi et me mets à trembler. C’est le froid. Il fait un froid glacial sur ce carrelage marbré, dans cette maison mal chauffée. Pourtant, je me souviens de la chaleur d’Esthola, dans un autre temps…
Ma tête glisse contre la porte de placard. J’essaye de mesurer ma respiration entrecoupée. Doucement. Inspirer. Expirer.
Ça ne sert à rien. J’ai fait un choix en revenant ici, il faut à présent l’assumer.
J’ouvre un second placard. J’y trouve des boîtes de conserves périmées. Mais que mange Béatrice, quand elle est seule ? Elle n’a plus l’aspect joufflu de quand elle était jeune, elle n’a plus les rondeurs qu’elle a un jour porté, mais elle est obligée de se nourrir un minimum…
Je finis par me redresser pour aller ouvrir le frigo.
Sous le néon grésillant, je trouve une réponse. Recouvert d’aluminium, il a un bol contenant un reste de riz et de jus de viande. Par-dessus, un post-it délavé que je ne peux plus lire. J’hésite à faire réchauffer le tout, mais je n’en ai pas le courage. Je divise la maigre pitance en deux bols puis je reprends le chemin du bureau.
Alors que j’appuie sur la poignée de porte avec mon coude, la sonnette retentit.
Béa me jette un regard interrogateur par l’interstice avant de se lever.
À pas de loup, elle se dirige vers l’entrée, active une caméra adossée au linteau… puis ouvre tout de suite.
— Qu’est-ce que tu fais là à cette heure-ci, Faucon ?
Devant son air surpris, il sourit.
— Bonjour, Béa. Ça va être l’heure d’y aller, j’ai emmené le petit-déjeuner.
Il lève un sachet en papier gras à hauteur de ses yeux et je dois me faire violence pour ne pas le lui arracher des mains. Voilà, comment Béa a survécu…
Alors qu’elle le récupère délicatement et fait signe à Faucon d’entrer, je jette un coup d’œil à la ligne d’horizon. Elle commence tout juste à se peindre d’un rose fuchsia.
— Solange ? m’interpelle Faucon sans parvenir à me faire tourner la tête.
Il y a un silence. Puis des pas.
Il pose une main sur mon épaule.
— Tu es conviée aussi, Phœnix, alors viens prendre ton petit-déjeuner.
« — Es-tu sûre de pouvoir assumer ta décision, Solange ? »
Je n'ai pas le temps de te le réécrire maintenant et la version suivante risque de ne pas être aussi détaillée. Plutôt des impressions générales que la correction de toutes les coquilles (je me souviens de certaines, mais pas toutes). D'ici deux heures, je devrais pouvoir te le remettre, mais je voulais t'écrire ceci, que tu saches que le commentaire ne sera pas moins détaillé par manque d'intérêt ou autre.
À tout à l'heure!
Ce chapitre est plein de passif-agressif et de nostalgie. Les flashbacks fonctionnent bien. Je pense que les motifs des oiseaux devraient être clarifiés. Ils ressemblent à une organisation rebelle secrète, mais ils fonctionnent avec l'appui de leur gouvernement.
Le personnage de Béa répond à une certaine logique dans son immaturité et son égocentrisme. Les individus souffrant du syndrome d'Asperger sont plus ou moins ouvertement égocentrés et souvent intellectuellement surdoués. Les surdoués intellectuels sont tous hypersensibles (Asperger ou pas). Et si Béa provient d'une famille qui était déjà très fortunée et influente, il y a de fortes chances que personne n'ait enrayé les comportements inacceptables qui découlent de ces traits spécifiques. Le syndrome d'Asperger pourrait aussi la rendre incapable de réaliser quand un homme s'intéresse à elle (comme Faucon) ou la faire méprendre l'appréciation amicale d'un homme pour plus que ce dont il s'agit. Je crois que le personnage de Béa bénéficierait plus d'une explication à son immaturité et son égocentrisme que d'une réécriture pour les réduire.
Concernant les coquilles que j'avais relevées, tu as "je choisir de me taire" (choisis), "les rondeurs qu'elle a un jour porté" (ées) et "fut un jour" qui devrait être "avait été un jour" (concordance des temps). Je me souviens avoir vu plusieurs problèmes de concordance des temps; "a un sourire", "a une pensée" et "a une grimace", expressions qui pourraient toutes être réduites à un seul verbe pour renforcer le texte. Aucune erreur de logique dans le texte.
Je pense que Solange devrait penser plus à Hermès, mais aussi à Laurie, Mikhail et la bande de copains d'Hermès avant la phrase "« — Es-tu sûre de pouvoir assumer ta décision, Solange ? »" (géniale conclusion de chapitre, en passant).
Deux éléments qui me semblent importants à garder; l'intérêt de Faucon pour Béa, qui ne semble présentement recevoir aucune réponse, d'une part, et la procrastination de Solange en début de chapitre.
Dans ce chapitre, Solange est moins proactive que dans les autres. Ça lui donne un intérêt différent (et très intéressant à sa façon), mais la situation ne doit pas se prolonger éternellement. Le manque de poactivité (en général) est un péché capital que les lecteurs ne pardonnent pas au personnage.
À ce stade, je me demande si la décision à laquelle fait référence Solange est seulement "rentrer à Esthola" ou si elle a décidé autre chose au sujet de ce retour.
Voilà; désolé de ne pas avoir relu pour reprendre toutes les coquilles, mais j'ai plus de difficulté à trouver du temps ces dernières semaines. Mon horaire s'est rempli d'une façon imprévue et je ne me vois pas recommenter le même chapitre aussi abondamment une seconde fois :o
J'essaierai de lire ton prochain chapitre avant la fin de la semaine. À bientôt!
Dommage pour ton commentaire initial mais je comprends parfaitement. Ça m'ait déjà arrivé aussi, c'est super frustrant, mais maintenant j'écris toujours sur un pad à côté mes notes et je copie-colle héhé
Après ne t'embête pas trop pour les coquilles ! C'est super gentil et ça me fait réfléchir, mais comme c'est un premier jet, je vais sûrement corriger beaucoup de choses donc ne te sens pas forcé de tout traquer :)
"les motifs des oiseaux devraient être clarifiés." -> j'espérais qu'ils étaient quand même un peu clairs mais je pense que le chapitre suivant complétera déjà deux trois choses :)
Je n'ai pas vraiment posé un diagnostique sur le comportement de Béa. J'aime bien fonctionner à l'instinct avec mes personnages, j'ai une image assez détaillée dans ma tête de comment ils sont, mais parfois j'ai du mal à poser des mots sur ce qui les poussent à être comme ça et j'ai plutôt tendance à décrire leur comportement. Par contre ce que tu relèves est intéressant "la faire méprendre l'appréciation amicale d'un homme pour plus que ce dont il s'agit", je ne sais pas si tu l'as senti avec ces flashback (c'est aussi mentionné par Solange quelques chapitres plus tôt) mais pour le coup il y a quelque chose avec la mère de Solange. Est-ce que c'était suffisamment clair à ce niveau ?
Pour le moment par rapport aux pensées pour Hermès et tous les autres restés là-bas, je pense que mon rythme de postage de chapitre joue peut-être parce que ça ne fait pas siiiiii longtemps qu'elle est partie. Mais je reviens bientôt à eux, promis, c'est en cours dans le chapitre suivant que je devrais terminer ce we !
Pour terminer sur Solange, oui je pense que je la rends un peu molle par moment. J'aime bien ce type de personnage principal qui subit en partie même si je te rejoins : le lecteur ne m'a pas toujours pardonné ça.
"À ce stade, je me demande si la décision à laquelle fait référence Solange" -> je répondrai à ça d'ici quelques chapitres, hein ^^
Merci encore pour ton retour ! Tqt tu prends le temps que tu veux, et je suis lente pour poster de toute façon, un peu surchargée moi aussi ces temps-ci.
À bientôt ! ^^
Je me suis peut-être mal exprimé concernant les "motifs" des oiseaux. Même que c'est sûr que j'ai choisi le mauvais mot, car l'objectif est clair. Ils veulent mettre le Symbiose en pièces, en gros (j'ai oublié la nation exacte). Ils le voulaient déjà avant la mort des parents de Solange). Non, ce qui m'intrigue, c'est cet aspect "organisation secrète". On dirait franchement un groupe terroriste qui opère avec l'aval du gouvernement. Ça pourrait se tenir, sauf que ça semble aussi être su d'un peu trop de monde pour que la théorie se tienne.. Dans la première version du commentaire, j'avais même dit qu'ils ressemblaient à un groupe de révolutionnaires... sauf qu'ils opèrent avec l'aval de leur gouvernement contre un autre.
Je sais que Solange est partie depuis peu. Je suis victime d'un deuxième commentaire trop vite expédié :P
J'ai l'impression qu'ils sont clé dans une prise de conscience et une décision à venir pour Solange et je pense donc qu'ils devraient déjà être au premier plan de sa pensée. Sauf que je n'ai pas la suite, alors je ne pourrai confirmer cela que plus tard.
J'ai reçu ton message; j'y réponds probablement demain! À bientôt!
Quel plaisir de retrouver ta plume et tes personnages. Ce chapitre est très intéressant, il permet de comprendre dans les pensées de Solange que tout n'est pas blanc ou noir. Il n'y a pas le bien d'un côté et le mal de l'autre, c'est à mon sens effectivement primordial et c'est sans doute une leçon de vie à laquelle chacun d'entre nous est confronté en grandissant...
On voit aussi les tensions dans les relations entre Solange et Béa. Ce qui est logique au regard du passé et c'est justement un point que tu abordes je trouve très bien: Solange a changé depuis son infiltration de par les rencontres qu'elle a fait et les sentiments qu'elle a nourris. Quelque part elle repense ses relations selon le prisme de ses changements (c'est d'ailleurs un peu le principe de l'adolescence)... Enfin, c'est l'impression que ça me donne.
Par contre, je trouve Béa un poil immature. Elle est égoïste, égocentrée (ce qui quelque part est le résultat souvent d'insécurités internes qui pousse le sujet à rester en lui même tout en rejetant les causes de son mal être sur le monde extérieur) mais je comprends pas bien ce trait immature peut être un peu trop poussé ? Ce n'est que ma réflexion et je sais que les premiers jets d'écriture donne parfois des personnages trop caricaturaux (tu m'en avais très justement fais la remarque et je les ai depuis retravaillé grâce à toi ;) ). Pour exemple : Heureusement pour toi, je ne crois pas que ça soit vrai, murmure-t-elle. On peut imaginer qu'une partie d'elle a besoin de se sentir unique, puissante pour compenser des blessures narcissiques mais cela laisse une impression un peu puéril dans la tournure. Je te laisse y réfléchir.
Elle part du principe que je comprends tout et n’explique presque rien. Ça peut justement être un exemple du fait qu'elle aime se placer dans une situation de supériorité. En forçant l'autre à lui demander elle se nourrit narcissiquement de cette différence à son avantage.
Doucement, je me laisse tomber à même le sol. Je serre mes genoux contre moi et me mets à trembler. C’est le froid. Il fait un froid glacial sur ce carrelage marbré, dans cette maison mal chauffée. Pourtant, je me souviens de la chaleur d’Esthola, dans un autre temps… très joli parallèle entre finalement les sensations physiques et les vécus affectif.
« — Es-tu sûre de pouvoir assumer ta décision, Solange ? » très chouette ce mot de la fin
Mince, je suis embêtée par ton ressenti sur Béatrice, ce n'est pas du tout ce que je voulais faire passer, ce ressenti égocentré et égoïste ! Enfin, il y a un peu sans doute, et de l'immaturité aussi, mais par exemple la phrase "Heureusement pour toi, je ne crois pas que ça soit vrai, murmure-t-elle" est sincère, dans le sens où tata Béa veut dire : "fort heureusement pour toi, tu ne me ressembles pas", ce qui pour moi signifiait que dans son manque de confiance en elle, Béatrice est soulagée que Solange ne lui ressemble pas (et ne soit pas aussi pathétique qu'elle en quelques sortes).
Idem pour le passage "Elle part du principe que je comprends tout et n’explique presque rien." : je le pensais dans le sens où pour elle, Solange comprend forcément. Elle voit sa nièce comme la digne héritière de son travail.
Si je dois résumer Béatrice, pour moi elle est quelqu'un rongé par ses propres doutes, par ses regrets, par son insécurité. Elle tend à mettre sur un piedestal les personnes qu'elle admire (ex : Léanna beaucoup, Solange un peu) et la seule chose dont elle est sincèrement fière, ce sont ses recherches mais on les lui a volées. Un peu comme ces gens qui se raccrochent à des périodes de leur vie sans accepter que le temps a passé.
Je vais devoir le retravailler pour que ça soit clair du coup. Pour moi c'est la raison pour laquelle Solange n'arrive pas à entrer en complète opposition avec Béatrice : elle sait que sa tante est ultra-fragile et insécure sur à peu près tout. J'avais aussi vaguement dans l'idée de mettre en avant (subtilement, je voulais pas que ça prenne le dessus) une sorte de chantage affectif.
Merci beaucoup pour ton retour ! Je te dis à bientôt, je travaille sur mon chapitre suivant là et j'espère pouvoir le poster bientôt ^^
Je lirai la suite avec plaisir, comme toujours 😁