Lorsque Mary se présenta à l’heure du dîner, Keina se sentait mieux. Prisonnière des quatre murs de sa chambre, elle avait repris le contrôle de ses émotions et s’était attelée à la réflexion. Sa fuite avait probablement été remarquée au Royaume Caché. Elle savait que Luni s’efforcerait de la retrouver par tous les moyens. Son monde évanoui, où les mèneraient leurs investigations ? Là où Nephir avait été bannie, selon toute évidence. Allait-elle se tourner les pouces pendant que ses semblables la cherchaient ? Certainement pas ! Il lui fallait à tout prix trouver un stratagème pour s’enfuir. Et ta famille ? Et Amy, et Livie ? Son cerveau refusait de s’y attarder pour le moment – trop récent, trop douloureux.
Cette fois-ci, après l’avoir apprêtée d’une robe de dîner, l’alfine la guida dans une salle de réception lambrissée, où l’assemblée de l’après-midi – vivaient-ils au même endroit ? Étaient-ils d’essence magique eux aussi ? Étaient-ils seulement réels ? – s’enivrait de vin de Champagne en attendant d’être conviée à table. À peine posa-t-elle le pied sur les somptueux tapis d’Orient qui recouvraient le sol ; Nephir l’aperçut et louvoya entre ses hôtes pour l’accueillir.
— Ma chère cousine ! Tu es rayonnante. (C’était faux, bien sûr. Les traits pâles de son visage portaient encore la marque de son indisposition. Son bras blessé se balançait piteusement au creux de son écharpe.) Comme tu dois faire chavirer les cœurs au Royaume !
Elle observa un silence et lança une œillade à Esteban, qui conversait avec un invité. Il lui répondit par un hochement de tête mécanique. Un sourire satisfait se dessina sur les lèvres fines de l’Asiatique.
— N’avons-nous pas hérité de la beauté éternelle des Elfes ? poursuivit-elle. Nous leur devons tellement. Pourtant, qui eût cru que l’humanité possédât un pouvoir plus remarquable que la Mémoire ? Mais tout ceci dépasse naturellement ta compréhension, petit oiseau. J’y reviendrai.
Durant plusieurs minutes, Nephir continua à monologuer sans prendre garde au mutisme hostile de Keina. Elle lui raconta comment, après avoir été bannie, elle avait fait fortune outre-Atlantique dans la vente de calicots. Elle détenait l’un des plus grands magasins de New York, dont elle avait confié la gérance à ses associés pour retourner en Angleterre. Là, elle avait acquis St Aubyn’s Mount, une minuscule île de Cornouailles coiffée d’une forteresse dont l’architecture se révélait parfaite pour les plans qu’elle avait conçus.
— Les Onze seraient bien surpris de ma réussite, n’est-ce pas ? ironisa-t-elle. Mais tout cela je l’ai accompli pour toi, chère cousine. Je ne pouvais pas renoncer si facilement à mon objectif, comprends-tu.
Un domestique annonça le dîner. L’esprit en alerte, Keina suivit sa geôlière dans la salle à manger, où les convives se disposèrent autour d’une table fastueusement dressée. Nephir et Esteban s’installèrent à chaque extrémité. Docile, Keina se plaça à la gauche de sa cousine. En face d’elle, Georgianna lui adressa un sourire fourbe. Alors qu’une armée de serviteurs apportait les entrées, Nephir reprit la parole.
— Sais-tu, petit oiseau, ce que l’on appelle la Mémoire ? Non, évidemment. Les Onze gardent jalousement ce savoir. Voilà contre quoi mon père se battait. Chère cousine, ouvre grand tes oreilles et retiens ceci : la Mémoire se décompose en quatre pouvoirs que l’on nomme l’Esprit, le Cœur, les Mains et les Ailes. Ces quatre désignations symbolisent ce que la magie du Royaume nous permet d’entreprendre. Cependant, il existe une autre magie. Elle constitue à elle seule un cinquième pouvoir, plus puissant que la Mémoire. Sais-tu ce que c’est, petit oiseau ? Donnes-tu ta langue au chat ? Tu le connais : il s’agit de l’Imagination.
— L’imagination ? Ce n’est pas un pouvoir, objecta Keina en plongeant sa cuillère dans le potage.
En présence de son ennemie, elle eût préféré s’abstenir de manger, mais son estomac se tordait sous les crampes.
— Pourtant, Keina, certains d’entre nous l’ont hérité de notre ascendance humaine. (C’était la première fois que la sorcière appelait la silfine par son prénom ; cela lui fit l’effet d’un pic à glace qu’on enfonçait dans son cœur.) Nos aïeux elfiques en étaient dénués, bien sûr. La Mémoire et l’Imagination se repoussent inexorablement. Voilà pourquoi nous ne pouvons l’utiliser au Royaume. Et voilà pourquoi tu t’es littéralement vidée de ton énergie lorsque tu es retournée à Londres.
— Absurde ! La magie est concrète, palpable. Nous avons appris à l’assimiler et à la manipuler. L’imagination n’est qu’une capacité abstraite, rétorqua Keina.
Cependant, quelque part dans son esprit, une petite voix lui murmurait : Tu sais que c’est faux. Tu as toujours cru en ce pouvoir.
— N’encouragiez-vous pas l’imagination de vos élèves ? intervint Georgianna, comme pour donner raison à sa conscience.
— C’était… c’était différent !
Elle étreignit sa fourchette avec la même force dont elle usait sur la garde de son épée. Comme cette dernière lui manquait en cet instant !
— Georgianna, cesse d’importuner ma cousine, ordonna calmement Nephir avant de prendre une gorgée de vin. Les Alfs sont convaincus que l’Imagination est une puissance indomptable. Pourtant moi, Nephir ist’Lei Lin, je l’ai apprivoisée. Mieux : je l’ai façonnée à ma convenance. (Elle se tourna vers Keina.) Que dis-tu de ça, chère cousine ?
— Peuh. On vous a aidé ! fit sa voisine de droite.
— Georgia, je te prie. Un mot de plus, et je n’hésiterai pas à te renvoyer dans les ténèbres d’où je t’ai sortie.
La voix de la sorcière se fit basse et tranchante comme le fil du rasoir. Un murmure étouffé courut le long de la tablée. Georgianna avait rentré les épaules. Keina savoura quelques instants le spectacle. Nephir se tut pendant que les serviteurs débarrassaient les assiettes. Puis elle poursuivit d’un ton plus enjoué :
— Il est exact que l’Avaleur de Mémoire a fourni matière à mon petit sortilège. Double sortilège, d’ailleurs, puisqu’il m’a d’abord fallu troubler tes tuteurs pour les inciter à t’emmener dans l’univers factice que j’avais conçu pour toi. Il ne s’agit hélas que d’une copie : l’original existe bel et bien. Depuis treize ans la véritable Amy Richardson attend qu’on lui envoie sa fille adoptive qui ne s’est jamais présentée. Sais-tu pourquoi cela est resté inaperçu ? Elle n’avait aucun moyen de contacter le Royaume. Et, comble de l’ironie, il n’est même pas venu à l’esprit de tes semblables de vérifier l’empreinte magique de ce monde !
L’évocation d’Amy provoqua une vague de chaleur dans le cœur de Keina. Ainsi, elle vivait encore ! Bien sûr, elle n’était pas la personne auprès de qui elle avait grandi. Malgré tout, la révélation lui apporta un bienheureux réconfort. Amy n’était pas une invention de la sorcière.
Rassérénée par cette conviction, elle planta sa fourchette dans un filet d’aiglefin qu’on lui avait servi.
— Je reconnais ton expression, petit oiseau : tu penses sans doute que le pouvoir dont j’ai usé était bien limité, s’il s’est contenté de reproduire, et non de créer. Je l’avoue humblement, je ne suis pas une Imagineuse. Mes pouvoirs ne sont que des balbutiements. Mais ce n’était qu’une étape, et j’ai dû me satisfaire de cette mince illusion.
Un ange passa dans la salle, permettant à la silfine de rassembler ses idées.
— Méfie-toi des illusions, murmura-t-elle, comme pour elle-même.
— Que dis-tu, ma chère cousine ?
Nephir s’inclina vers elle, et Keina reprit, plus fort :
— « Méfie-toi des illusions », c’est l’avertissement que m’a adressé Anna-Maria avant de…
Un fracas de vaisselle qui s’entrechoquait lui arracha un sursaut brutal. Elle pivota le menton. Du côté opposé de la table, Esteban darda ses yeux noirs devant lui, sa fourchette surnageant dans une marre de sauce. Quelques mots brefs tombèrent de ses lèvres sèches.
— Veuillez m’excuser. Une maladresse.
Keina retint son souffle, captivée par l’échange silencieux entre les deux amants. Durant un court instant, au fond des pupilles mortes d’Esteban, elle avait aperçu une flamme vive, brûlante, qui ne demandait qu’à s’échapper : de la haine, pure, tenace, aiguë. Comme un poignard dissimulé derrière l’une des tombes du cimetière.
Il la hait. Aussi improbable que cela puisse paraître, sous ses airs de soumission, il la hait plus que n’importe qui.
Nephir s’efforça de soutenir le regard de son compagnon et d’y répondre par une réprobation muette. Son visage se troubla. Elle reporta son attention sur son verre de vin, soudain confuse. À cet instant précis, la révélation fusa comme une comète dans le cœur de la silfine. Elle n’était pas la seule à avoir capté le sentiment caché du rebelle. La sorcière le savait. Elle le savait et elle en souffrait. Cet aveu involontaire lui fit l’effet d’un incendie qui s’embrasait dans les ténèbres, au plus profond de son cercueil de glace. Comme tout le monde, Nephir possédait un point faible.
Le sien s’appelait Esteban.
Par la suite, Nephir cessa de parler de magie et traita avec ses invités des dernières actualités. Keina, perdue dans ses pensées, l’écouta d’une oreille vague badiner sur l’inauguration en grande pompe de l’épicerie Elisseïev à Saint-Pétersbourg et les subtilités de cette nouvelle danse nègre venue des Amériques que l’on nommait cakewalk, et qui faisait fureur dans les salons.
L’imagination, un pouvoir ? Y avait-il un soupçon de vérité dans les divagations de la sorcière ? Pour elle ne savait quelle raison, un vieux souvenir remonta à la surface. Elle se revit, l’été précédent, dans la bibliothèque du Royaume, les yeux fixés sur l’ouvrage écrasé à terre, dont les pages blanches affichaient quatre lettres : IMAG.
Pourquoi appelait-on les Alfs des Imaginaires ? Elle songea d’abord aux paroles de Dora (Nous sommes nés de la magie pour servir la magie), puis la voix douce de Maria musarda dans sa tête (les Elfes ne savent pas mentir, ni imaginer. Curieux, n’est-ce pas ?). Suivit le murmure vaporeux de ses ancêtres : Plaisanter ? – Nous en avons entendu parler. – C’est un acte d’imagination, n’est-ce pas ? – Seuls les Hommes en sont capables. – Les Hommes et les Silfes. – Bien sûr, bien sûr ! Mais nous sommes des Mémorieux. – Les enfants de la Mémoire.
Elle frissonna. S’il était possible de s’emparer de ce pouvoir, de l’asservir à ses fins, alors quiconque en usait, à l’instar du comte de Frankenstein, s’appropriait la puissance d’un dieu ! Qu’avait dit Nephir à ce propos ? Elle n’était pas une Imagineuse. Qui étaient les Imagineurs ?
Les plats se succédèrent aussi vite que les questions qui se bousculaient dans son esprit. Peu à peu, elle sentit qu’elle se déconnectait de la réalité. Les bruits de la salle à manger ne lui parvenaient plus qu’en sons étouffés, lointains, et la saveur des mets l’indifférait. Était-ce l’effet du vin, dont le parfum capiteux enveloppait le repas d’une brume orgiaque ? Les convives lui parurent soudain plus chimériques que jamais.
À quelques coudées, la femme aux bloomers s’était transformée en une boursouflure argileuse, herbue, pourvue de crocs qu’elle planta dans une dorade farcie. En place de son voisin, une nuée de Pillywiggins voletait au-dessus de son siège. De même, l’autruche n’avait jamais si bien porté son surnom. Munie d’un long bec noir et courbé, elle picorait les œufs de saumon dispersés sur la garniture, qu’elle disputait âprement avec une Selkie à tête d’otarie.
Sans comprendre les images qui s’imprimaient sur sa rétine, Keina coulissa à nouveau son regard et tressaillit. Face à elle la fixait un immense hibou noir aux pupilles rougeoyant comme deux morceaux de braise. Georgianna. Elle retint sa respiration et dévia son attention. Du coin de l’œil, elle avisa la silhouette fine de Mary qui attendait près de la porte, droite et résignée dans son uniforme de domestique, sa petite charlotte de dentelle blanche posée comme une coquille de noix sur sa chevelure brune où se mêlait le vert feuillage et le carmin des fruits du sorbier, tandis que ses grands yeux tristes revêtaient toutes les teintes de l’écorce.
L’imagination…
Mais qu’avait-elle à voir avec tout cela ? Comme pour répondre à sa question, Nephir repoussa sa soucoupe de crème anglaise et regarda la silfine.
— À présent, Keina, suis-moi. Il est temps que tu saches pourquoi tu es ici.
Aussitôt, les illusions se brouillèrent. Georgianna, Mary et les autres convives reprirent forme humaine. Keina se leva sans un mot et accompagna sa geôlière.
Nephir la mena à travers une série de galeries dont les percées découvraient des arpents de lande rocailleuse qui plongeaient dans un océan aux couleurs ternes. Elles s’enfoncèrent dans les profondeurs du château. Keina se sentit aussi démunie et menacée que Johnatan Harker dans l’antre du comte Dracula.
Enfin, elles débouchèrent dans une vaste salle voûtée dépourvue de fenêtre, et soutenue par d’amples colonnades couronnées d’acanthes. L’espace était imposant, pourtant ce qui l’occupait semblait l’avaler tout entier.
L’installation, tout de verre, de fonte et d’acier, lui évoqua en premier lieu le croisement entre un atelier d’alchimiste gargantuesque et l’intérieur du Crystal Palace. Un entrelacs d’alambics translucides, d’engrenages dentelés et de cuves enlaçait une majestueuse bulle de cristal remplie d’une substance verdâtre. Au pied du dispositif s’adossait un habitacle arrondi, de la taille d’une cabine de police. Un relent d’œuf pourri flottait dans l’atmosphère et se mêlait à la moisissure des vieilles pierres. De la magie.
Sa magie.
— Je ne comprends pas, murmura la silfine, et sa propre voix, amplifiée par l’écho, glaça son épiderme. Grâce à votre stratagème et à… à l’Imagination, vous m’avez volé la magie du Royaume pour la stocker dans ce bocal, n’est-ce pas ? Mais pourquoi ?
Nephir se déplaça avec grâce devant son invention, ne laissant échapper dans le silence sépulcral que le frottement de sa robe sur les dalles de granit. Puis elle déclara, comme une évidence :
— Parce que tu es celle qui attire, voyons !
Soudain, Keina réalisa. Devant elle, à une hauteur de bras seulement, palpitait la magie qui pourrait la débarrasser de Nephir ! Elle jeta un regard circulaire autour d’elle. Une carafe d’eau et sa chope en terre cuite reposaient sur une table près de la porte. Elle s’empara du gobelet. De son membre valide, elle le lança de toutes ses forces contre la paroi du réceptacle. Il la heurta dans un bruit mat, rebondit et se brisa sur le sol. Nephir émit un rire cristallin.
— Voyons, qu’espérais-tu ? Ma bulle de Mémoire est à l’épreuve des projectiles. Seule la magie pourrait en venir à bout. Tu en es dépourvue, n’est-ce pas ? Pathétique petite chose.
C’étaient là ses premiers mots ouvertement méprisants. Keina éprouva une nuance de soulagement. Elle préférait les insultes à l’odieux simulacre de sympathie que Nephir avait adopté.
— Naguère j’ai cru qu’il me suffirait de te sacrifier pour m’approprier la Mémoire, reprit-elle. Mais grâce au cinquième pouvoir, une autre idée m’est apparue. Le principe des vases communicants, cela te parle-t-il ? Aussi, lorsque tu te vidais dans le monde que j’avais conçu à ton attention, la bulle ici présente se remplissait. Petit oiseau, tes ailes sont liées, ta magie m’appartient. Hélas, sans toi, rien n’y fait ! Elle m’est imprévisible. Sans doute ai-je manipulé l’Imagination trop longtemps. C’est pourquoi tu deviendras mon instrument. Il me coûte de l’avouer, mais j’ai besoin de toi, cousine. Tu dois retrouver les fragments de la Pierre pour moi.
— Les quoi ?
Les lèvres de Nephir s’étirèrent. D’un geste, elle invita la silfine à s’approcher. Celle-ci s’exécuta comme sous hypnose. Sa geôlière la guida dans l’étroite cabine aux parois de verre.
— Je suppose que les dirigeants du Royaume ignorent encore aujourd’hui les buts que je poursuivais à l’époque. S’en sont-ils jamais souciés ? Tellement persuadés que j’en avais après le diadème d’Anna-Maria. Quelle farce ! Alors que seule la gemme en son centre m’intéressait !
— La gemme ? répéta Keina dans un soupir.
— L’un des cinq éclats de la Pierre, oui. La principale théorie de mon père, celle qui le poussa à se donner corps et âme au culte de la Briseuse. Négligeant les idées de sa propre fille ! Mais tout ceci n’a pas d’importance, car je serai la Briseuse, ainsi que je l’ai prédit à mon cher papa. L’Avaleur de Mémoire m’en a fait la promesse.
Un claquement sec ponctua le dernier mot : Nephir venait de refermer la porte de l’habitacle. Affolée, Keina plaqua sa main droite sur la paroi translucide et tambourina avec force.
— Que comptez-vous faire de moi ? Nephir !
La panique la gagna alors qu’elle éprouvait la solidité de la cloison. Au-dessus d’elle, les particules magiques s’agglutinaient au verre de la bulle, comme saisie d’un besoin impérieux de s’en échapper pour revenir vers leur maîtresse légitime. Sans s’occuper des gémissements de la silfine, Nephir poursuivit son monologue.
— Où en étais-je ? Ah oui, les fragments de la Pierre. Cinq en tout, un par pouvoir. En dépit de mes efforts, je n’ai pu m’emparer ni de Thaesan, ni de Thanaïa. Le Cœur et l’Esprit, la Blanche et la Noire. J’en ai pris mon parti. Ce n’est qu’une question de temps. Je suis patiente, petit oiseau, te l’ai-je déjà dit ? Cette invention, dont tu es le moteur, nous servira à retrouver Saharti et Kassandraë, les Ailes et les Mains. La magie attire la magie, n’est-ce pas ? Reste Eirsaël, la gemme de l’Imagination. L’Avaleur de Mémoire me la donnera, une fois que je lui aurai procuré les quatre premières. Puis il m’amènera au commencement et me laissera réparer la Pierre Brisée.
Un silence s’installa. Keina avait cessé de s’agiter. Elle contemplait, incrédule, la sorcière en robe de soie perlée reculer vers un levier de fer.
— J’ai assez parlé pour ce soir, petite cousine. Il est temps pour toi de gagner ton salaire. Quant à moi, je vais rejoindre mes invités.
Elle tira la poignée. Dans un sifflement sinistre, cinq aiguilles d’acier, reliées à la bulle de verre par de longs filaments d’or, jaillirent des parois de la cabine pour se planter dans la nuque de Keina. Elle éructa un hoquet muet. Dans une décharge électrique, son esprit éclata.
Je suis encore très loin de comprendre tout ce qu'on a appris dans ce chapitre, à propos des cinq pouvoirs et des fragments de la Pierre. En tout cas, je doute que Nephir ait raison de faire confiance à l'Avaleur de Mémoire.
La famille de Londres de Keina existe donc encore dans un autre univers ! Même s'ils n'ont en réalité jamais connu Keina, c'est quand même moins cruel que d'imaginer qu'ils n'avaient jamais vraiment existé.