Chapitre 22 : Le cœur a ses raisons.
Une semaine plus tard.
Le Septième – An 2719 – Le 22 juin à 7h44.
C’était le premier tête-à-tête avec Lison depuis celui, très bref, qu’ils avaient eu le jour de l’arrivée de Thibault au quartier général de Diane. Elle était restée suffisamment loin, mais sa présence projetait comme une ombre dans la pièce. Il était encore endormi quand sa jumelle avait frappé à la porte, avant de s’inviter dans sa cellule.
Désormais bien réveillé, il essayait de reprendre contenance devant son expression assurée.
— Comment ça ? lança-t-il d’une voix qui malgré tous ses efforts, trahissait la panique.
— Quoi « comment ça » ?
— Je vous ai dit que ça ne servait à rien d’attaquer le palais !
— Seth Pluto se trouve là-bas, non ?
Thibault se mordit la lèvre. Essayait-elle de le manipuler ? Son cœur battait à tout rompre.
— Tu m’as dit toi-même que vous n’aviez aucun moyen d’atteindre le Sommet !
— C’était vrai à ce moment-là. Mais nous sommes très actifs, tu sais.
— Lison !
Il avait crié son nom d’un ton rageur, mais cela ne sembla pas ébranler sa sœur. Elle le regardait fixement. Sans ciller. Sans laisser transparaître la moindre émotion.
— C’est notamment grâce à toi, Thibault. Je te remercie pour ça. Tu nous as communiqué des informations précieuses. Je savais que je pourrais compter sur toi… Je t’avoue que j’attendais un peu plus d’enthousiasme, mais peu importe.
Le jeune homme eut la sensation que son estomac se ratatinait. Il tenta de réfléchir, plus qu’il ne l’avait fait dans toute sa vie, mais il était incapable de se rappeler de ce qu’il avait bien pu dire et qui permettrait aux terroristes d’aller attaquer Solène. Qu’est-ce que c’était ? Qu’est-ce qu’il avait bien pu dire ?
— Lison, je t’en supplie, ce n’est pas en tuant l’impératrice que tu vas résoudre quoi que ce soit !
C’étaient des mots dans le vide, alimentés par l’intense désespoir qui s’insinuait en lui. Solène… et Gabi aussi était là-haut. Son cœur battit plus fort. Son corps fut saisi de tremblements incontrôlables.
— Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda-t-il sans plus essayer de cacher la peur dans sa voix.
Lison haussa un sourcil, puis fit un pas vers lui.
— Tu ne veux pas réellement de réponse à cette question, Thibault…
— Lison, il y a des tas de gens innocents là-haut ! Si vous montez lâcher vos gaz, alors…
— Nous ne ferons pas ça. Nous savons qu’il y a un grand nombre d’esclaves au palais, et malgré l’endoctrinement qu’ils subissent, ils sont innocents de tous crimes.
— Je t’en prie, Lison, il faut que tu m’écoutes. Solène n’est pas mauvaise. C’est une des personnes les plus gentilles que j’ai eu la chance de rencontrer… Elle ne mérite pas la mort. Elle n’a commis aucun crime…
— Aucun crime ? le coupa Lison avec colère. Thibault, regarde-toi, tu es pathétique ! Regarde-toi bon sang ! Tu es en train de la défendre après qu’elle t’a retenu contre ton gré pendant DIX ANS !
Thibault resta muet de stupeur. Il était comme en transe. Comment pouvait-il la persuader, quand elle était déjà convaincue qu’il était fou… ?
— Solène était une gamine quand je l’ai connue. Elle ne savait rien…
— Elle a vingt-six ans aujourd’hui, le même âge que moi. Je ne comprends pas bien où tu veux en venir avec ça !
La gorge de Thibault était sèche. Il haletait. Il porta ses doigts tremblants à son front.
— Dis-moi ce que vous comptez faire exactement.
— Quelle importance ?
— Quelle importance ? répéta-t-il, écœuré. Lison, si tu ne veux rien me révéler, alors pourquoi t’es-tu emmerdée à venir me dire ça ?
— Pour que tu saches quel rôle tu as joué là-dedans, souffla-t-elle en esquissant un sourire. Et que tu comprennes que je te suis reconnaissante pour ça.
Thibault se laissa tomber sur le lit. La panique lui provoquait des spasmes, ses jambes ne le tenaient plus. Cette folle ne pouvait pas être sa sœur.
— Tu veux juste me torturer…
— Je veux te comprendre.
— Me comprendre ?
Il leva la tête vers elle. Elle avait encore fait un pas dans sa direction.
— Oui. Je veux comprendre comment ils ont pu te rallier à ce point à leur cause. Je voulais t’offrir un monde de paix, et je n’arrive pas à comprendre, Thibault. Je voulais te venger, mais tu… Je n’arrive pas à percevoir à quel moment les choses ont basculé. C’est pour toi que j’ai commencé tout ça. Maintenant, il est trop tard pour faire demi-tour, j’irai au bout. Mais c’était pour toi, Thibault, tout ça. Je t’avais promis que je prendrai soin de toi. Je regrette que tu ne le voies pas, mais c’est ce que je fais en ce moment même.
Un sourire nerveux lui monta sur les lèvres. Elle ne comprenait réellement pas. Elle ne voyait pas les choses comme elles étaient.
— Bon, je vais te laisser maintenant. Tobias a demandé à te voir, je vais lui dire de venir ici. Je pense qu’il serait plus sage que tu restes dans ta cellule aujourd’hui.
— Lison…
Elle avait fait demi-tour, et s’arrêta en l’entendant prononcer son nom.
— S’il te plaît… Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que tu attends de moi ?
Elle resta un moment immobile, et lui jeta un bref regard par-dessus son épaule. Son visage était indéchiffrable.
— Peux-tu me rendre mon frère ?
Puis elle quitta la pièce, sans ajouter le moindre mot, le laissant dans le désarroi le plus total.
***
Tobias se trouvait dans un état similaire à celui de Thibault. Jamais le jeune homme n’avait vu son ex-mentor si agité. Ses mains tremblaient malgré les frictions vigoureuses de ses paumes frottées l’une contre l’autre. Il s’était assis à côté de Thibault, sur son lit, et gardait la tête baissée, le regard rivé vers le sol.
— Qu’est-ce que tu as dit exactement ?
Thibault se sentit écrasé par un sentiment de culpabilité. Son cœur cognait dans sa poitrine, et il retenait tant bien que mal ses larmes.
— Je ne sais pas… Tobias, je suis désolé, je ne sais vraiment pas !
— Il a dû y avoir quelque chose ! Cela fait des années que je fais tout pour qu’ils instaurent le dialogue avec le palais, et à peine un mois après ton arrivée, ils décident d’attaquer ?
— Tobias, je ne sais pas… J’ai…
Thibault essaya de faire entrer de l’air dans ses poumons, mais le regard que lui avait lancé Tobias le glaça.
— Solène. Rebecca. Ajax. Gabriel, je suppose. Tu sais ce qu’il va leur arriver s’ils attaquent ? Sans compter tous les autres qui vivent là-haut…
Thibault crut suffoquer. Son propre sang s’était défait de toute chaleur. L’image de Gabi, blessé, sans défense, le terrorisait plus qu’il n’aurait pu le dire. Il laissa les larmes gagner.
— Tobias qu’est-ce que je peux faire… Je suis prêt à tout, je ferai n’importe quoi pour protéger Gabi et Solène… Je te le jure. Mais je ne sais pas quoi faire !
— Je ne sais pas non plus. Je ne peux pas savoir comment rattraper ton erreur si tu refuses de me dire ce que tu as fait !
Tobias se leva et se mit à arpenter la cellule de long en large. Thibault restait sur le lit, effondré. La peur. La culpabilité. Son corps ne semblait se souvenir d’aucun autre sentiment.
— Je ne sais pas non plus ! J’ai raconté certaines choses que j’avais vécu au palais, mais je suis resté très discret, je te le jure !
— Qu’as-tu dit sur Solène ?
— Seulement qu’elle n’était pas la personne qu’ils croyaient…
Tobias le scruta un long moment, puis soupira.
— Je vais essayer de t’obtenir une audience avec Phoebus. Je viendrai avec toi, et nous lui parlerons.
— Mais j’ai déjà…
— Nous essayerons d’attirer son attention sur le Gouvernement, c’est là que…
— C’est exactement ce que j’ai fait ! J’ai dit que c’était de Seth Pluto qu’il fallait se méfier !
Tobias s’arrêta dans sa marche, et fixa Thibault, interdit.
— Tu as essayé de tout mettre sur le dos de Seth Pluto ? Pourquoi ? C’est son mari…
Thibault se mordit la lèvre alors que l’expression du visage de Tobias se faisait plus suspicieuse.
— Je vais avoir besoin que tu sois honnête avec moi, Thibault…
— Elle ne l’aime pas.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Je le sais, c’est tout.
— Thibault !
— Elle m’aime moi ! s’écria-t-il, la voix pleine de colère.
Il s’était levé, et observa l’expression déconfite de Tobias avec une légère satisfaction. Ce dernier frotta son visage avec une lenteur extrême, puis s’approcha du jeune homme, posant les mains sur ses épaules. Thibault eut l’image d’un docteur parlant à un patient particulièrement instable.
— Bien, je comprends mieux pourquoi ils te traitent comme un fou…
— Tobias, c’est vrai bon sang ! Et je ne leur ai pas dit ça…
— Je te crois, je vous ai vu vous rapprocher, Thibault. Là n’est pas le problème. Le problème c’est que tu agis comme un chien jaloux parce que sa maîtresse s’est dégoté un autre caniche.
La pique atteignit la cible. Thibault, outré, fut incapable de trouver le moindre mot pour y répondre.
— Et maintenant ils veulent te faire craquer.
— Alors c’est du vent, tout ça ? demanda-t-il immédiatement, animé d’un espoir nouveau.
— Non, ce n’est sûrement pas du vent. Mais il leur manque quelque chose, sinon Lison ne t’aurait rien dit.
— Mais quoi ? Soit ils ne me prennent pas assez au sérieux, soit trop, mais je n’arrive pas à saisir ce qu’ils attendent de moi !
— Je vais aller arranger cette entrevue avec Phoebus. Je ne sais pas non plus ce qu’ils veulent. Mais avec un peu de chance, cela nous aidera à y voir plus clair.
***
Chemise noire cette fois. Même coupe, même matière. Même coiffure. Même sourire inquiétant. Thibault s’efforçait de garder son calme. Lison n’était pas là, Tobias avait spécifié qu’il voulait parler en tête-à-tête avec Phoebus. L’ennui, c’est que l’ex-mentor de Thibault avait par la même été exclu de la conversation.
Phoebus le regardait, d’un air calme, presque amusé. C’était un sadique. Un autre genre que ceux que Thibault avait jusque-là eu à affronter, mais il savait les reconnaître, à présent. Il se délectait de la situation. De sa position de force. De l’offre à peine voilée de Thibault de lui confier tous ses secrets. C’était bien. C’est ce qu’il fallait qu’il croie. Thibault ne lui révélerait que le nécessaire.
— Tobias semble penser que tu sais des choses qui pourraient m’intéresser.
Cela faisait quelques minutes qu’ils étaient là, debout dans le petit bureau gris de l’homme. Il avait fini par être le premier à rompre le silence.
— Peut-être. Mais il va falloir que vous me posiez les bonnes questions.
— Les bonnes questions ? s’amusa l’homme avec un nouveau de ses sourires carnassiers. Qu’entends-tu par-là ?
— Que je ne sais pas ce que c’est, que vous attendez de moi. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que je le devine, quand j’ai passé la plus grande partie de ma vie enfermé.
L’homme le jaugea du regard pendant une longue minute. Son sourire disparut lentement.
— Ce n’est pas faux, finit-il par admettre. Très bien. L’impératrice va-t-elle signer le nouveau décret ?
Thibault fut pris au dépourvu. Il entrouvrit la bouche, penaud. C’était donc ce genre de choses qu’il voulait savoir ? Jamais, au grand jamais, Thibault ne s’était intéressé à la politique. Même quand Solène mentionnait telle ou telle chose, il écoutait à peine. Même quand Gabi commentait l’actualité, il trouvait toujours autre chose sur quoi se concentrer. Il se força à réfléchir. Le décret, ce devait être ce dont Donovan lui avait parlé, visant à modifier le système monétaire de la cité. Il n’en connaissait pas tous les détails, mais il pouvait sûrement broder autour.
— Concernant les comptes en banque reliés aux pages ? demanda-t-il pour gagner du temps.
— Celui-là même.
L’expression glacial de l’homme mettait sa réflexion à rude épreuve.
— Ce n’est pas impossible qu’on se tourne vers elle pour forcer un tel décret.
— Est-ce ma question ? S’il est possible que l’on se tourne vers elle ?
Thibault sentit son pouls battre dans ses oreilles.
— Non… marmonna-t-il.
— Alors : va-t-elle le signer ?
Il prit un moment de plus pour réfléchir. Une conversation lui revint en mémoire. C’était quelques mois auparavant. Solène lisait le journal… Gabriel lisait un livre à Éos… Ils avaient parlé d’un article de loi… Était-ce celui-là ? Gabriel semblait penser que c’était une mauvaise idée, mais Solène, elle…
— Probablement, répondit-il.
Il faudrait qu’il soit en partie honnête, pour obtenir en retour une voix au chapitre. Phoebus hocha la tête, comme s’il était d’accord avec cette déclaration.
— Que pense-t-elle des actions de Diane ?
— Elle pense que vous êtes des terroristes.
— Pourquoi ça ?
— Vous avez tué ses parents ! répliqua Thibault, vaguement agacé. Que pourrait-elle penser d’autre ? Vous avez tenté de tuer Rebecca sous ses yeux, c’est sa seule famille ! Vous avez tué des centaines d’innocents ! Comment pourrait-elle vous voir autrement que comme des terroristes ?
— Penses-tu que c’est ce que nous sommes ?
— Oui ! répondit-il sur un ton de défi.
— Je vois.
Un silence tomba entre eux.
— Cinq mille trois cent vingt-deux.
— Hein ?
— C’est le nombre de personnes que nous avons sauvées de l’esclavage, de la famine ou encore de la maladie depuis l’avènement de Diane. Et je ne compte pas les innombrables personnes que nous avons protégés des pics de pollutions au cours de ces vingt-cinq dernières années.
Thibault ne sut que répondre. Il observait l’expression incroyablement calme de l’homme. Il ne semblait pas particulièrement dérouté d’avoir été traité de terroriste.
— Alors ça valait le coup d’en tuer des milliers d’autres, c’est ça, que vous voulez dire ?
— Des pertes terribles, pour beaucoup. Mais parfois, les sacrifices sont nécessaires. Notre message est plus grand que la vie ou la mort. Nous voulons la liberté. L’égalité entre tous.
Il jeta un regard flamboyant à Thibault. Le jeune homme eut la sensation que sa gorge s’était brusquement asséchée, et tenta de déglutir.
— Oui… reprit Phoebus. Nous avons agi ainsi parce qu’il fallait frapper fort pour être entendu. Parce qu’aider silencieusement les autres n’a jamais servi notre cause.
— Vous n’avez jamais essayé de parler avec Solène… !
— Ma mère a tenté de parler à l’empereur Marcelin. Elle n’est jamais revenue du Sommet.
Thibault ferma la bouche. Il avait vu l’homme serrer brièvement le poing. Quelque chose de plus personnel se mêlait à ses idéaux. Un besoin de revanche. Tuer la fille de celui qui avait pris sa mère.
— Je ne connaissais pas ses parents, reconnut Thibault à mi-voix. Mais je la connais elle. Je sais ce qu’elle vaut. Je l’ai vue s’inquiéter pour les autres. Pour ceux du Septième aussi, et des étages inférieurs en général.
— Et qu’a-t-elle fait pour palier à son inquiétude ?
— Elle a mis des choses en place !
Phoebus leva un sourcil. Thibault continua sans lui laisser le temps de parler :
— Après le pic de pollution en 2712, Solène a commencé à réfléchir à des moyens d’aider le peuple ! Elle a contacté… Euh… Des scientifiques, pour qu’ils aident et…
Un sentiment de culpabilité l’écrasa brutalement. Pourquoi n’avait-il pas mieux écouté, quand Solène et Gabriel échangeaient au sujet des problèmes de pollution de la cité ?
— Des scientifiques ?
— Oui, il y a une jeune femme, elle travaille sur le sujet !
— Qui est-elle, cette jeune femme ?
La mine de Phoebus était indéchiffrable. Thibault se mordit la lèvre. Si seulement il avait un tout petit peu mieux écouté Gabi, quand il en parlait… Mademoiselle… ? Mademoiselle… Ça finissait par la consonnance « i », il en était presque certain…
— Comment s’appelle-t-elle ? insista encore Phoebus.
— Je… Je ne m’en souviens pas. Mais je vous jure que c’est vrai ! Solène a financé ses recherches pour qu’elle trouve quelque chose pour pallier le problème de pollution… Je ne sais pas ce que c’est exactement, mais ça avait l’air très prometteur !
Phoebus fit quelques pas dans la pièce, l’air pensif. Puis de nouveau, il fit face à Thibault, qui ne pouvait détacher son regard de lui.
— Je vois, finit par jeter l’homme d’une voix froide. Mais puis-je te croire, Thibault ? Quand tu sembles tellement déterminé à protéger l’impératrice ?
De nouveau, la culpabilité. Ce n’était pas comme s’il pouvait apporter une quelconque preuve de ce qu’il disait, mais si au moins il avait eu des informations plus précises à transmettre…
— Je la protège parce qu’elle mérite d’être protéger.
— Que suggères-tu, alors ? Si je ne lance pas l’attaque sur le Sommet, que puis-je faire pour me faire entendre ?
— Vous devez lui demander une audience. Elle vous recevra.
— Dois-je préciser que j’ai commandité l’assassinat de ses parents, dans ma missive ? Et informer la grande-duchesse qu’elle a perdu sa famille à cause de moi ?
Il avait parlé d’un ton chargé d’ironie qui glaça Thibault. Aucun regret, dans cette voix. Et bien sûr, présenté ainsi, Thibault réalisait que c’était impossible. Solène était clémente, mais comment pourrait-elle pardonner cela ? Quand bien même elle l’aurait fait, Rebecca, en revanche, n’excuserait jamais la perte de ses enfants.
— Envoyez un émissaire pour porter votre parole.
— Toi, je présume ?
— Tobias.
C’était venu spontanément. Solène adorait Tobias. Rebecca aussi l’appréciait. Peut-être serait-elle moins tentée de le réduire en charpie s’il venait plaider la cause des terroristes.
— Tobias ? répéta Phoebus.
Il ouvrait de grands yeux. Il ne quittait plus Thibault du regard.
— Quel était le rôle de Tobias, au palais ?
— Demandez-le lui.
Un sourire étira les traits du chef de Diane.
— Tu es loyal, Thibault. Envers ceux que tu aimes. J’aimerais que tu puisses montrer la même loyauté à Lison. Je crois qu’elle souffre beaucoup de voir ce que tu es devenu. Beaucoup plus qu’elle ne veut bien l’admettre.
— Je suis resté le même. C’est elle, qui a changé.
— J’imagine qu’Ollie était l’amour de sa vie. Sa perte tragique ne l’a pas laissée indemne. As-tu entendu parler de lui ?
Thibault hésita, puis hocha la tête. Rien ne servait de cacher ce que lui avaient révélé Donovan et Zoë.
— Oui, c’était quelqu’un de bien… Un bon élément. Il était dédié à notre cause. Il était dédié aux autres. À l’espoir d’un avenir meilleur pour nous tous. Ta sœur aussi, est un bon élément. Je suis fier de l’avoir dans mes rangs. C’est grâce à des personnes comme elle que les choses changeront.
Thibault resta silencieux. Phoebus, les bras croisés sur son torse, s’était adossé au mur gris de la petite pièce. Il ne regardait plus Thibault, songeur.
— Et toi, Thibault ? Que penses-tu de tout ça ?
— De tout ça quoi ?
— Ta sœur m’a un peu parlé de toi. Je sais qu’elle tient à toi, mais elle n’a pas non plus brossé le portrait le plus flatteur…
— Je m’en moque.
Phoebus eut un sourire.
— Lison est venue nous trouver parce qu’elle était désespérée. Son frère jumeau lui avait été arraché sans qu’elle n’ait rien pu faire. Ollie a été touché par son histoire, par sa souffrance. Cela t’est-il égal ?
La poitrine de Thibault s’était un peu comprimée. Il serra le poing, puis baissa les yeux.
— Non, je ne voulais pas qu’elle souffre. Elle est la principale raison pour laquelle je suis revenu au Sixième. Je voulais la revoir. Mais elle n’est plus la même. Vous l’avez changée, elle n’était pas si… dure.
— Je n’ai pas changé Lison. C’est la vie qui l’a transformée.
— Peut-être, mais elle m’en veut, et il n’y a aucune raison à ça, je ne lui ai rien fait !
— Ah… Elle ne s’attendait sans doute pas à te retrouver dans un si bel état, dans tes vêtements flambants neufs, avec ton parfait état de santé…
— Elle m’en veut d’être en bonne santé ?
Phoebus eut un petit rire.
— Non pas. Mais il y avait le reste. Ton expression quand elle t’a avoué qu’elle avait rejoint la résistance… Ta réaction quand elle a dit vouloir détruire la ligné impériale…
Thibault se sentit blêmir. Une nouvelle fois, il avait le sentiment qu’un piège se refermait sur lui.
— Pourquoi une telle dévotion à l’impératrice, Thibault ? Pour les beaux vêtements ? Pour vivre à ton aise dans la paresse ?
— Parce que je l’aime.
Le cœur de Thibault battait à tout rompre. Pourquoi l’avoir avoué, il n’en était pas certain.
Un nouveau sourire se dessina sur le visage de Phoebus. Il jeta un regard de biais au jeune homme se tenant devant lui. Il y avait quelque chose de désagréable, dans ce sourire. Il débordait de satisfaction.
— Ressent-elle la même chose pour toi ?
— Non. Je ne suis qu’un esclave.
Le sourire s’estompa. Phoebus se redressa et l’approcha. Il lui posa une main paternelle sur l’épaule, et se pencha vers son visage, fichant son regard gris dans celui de Thibault.
— Tu étais. C’est terminé à présent. C’est fini. Tu ne seras plus jamais un esclave.
Puis brusquement, il se dressa de toute sa hauteur.
— Bien. Je viens de prendre une décision. Je veux gagner ta confiance, Thibault. Pour cette raison, je vais avorter l’attaque sur le Sommet. La mettre en suspens, pour le moment. Je ne crois pas non plus qu’il soit prudent d’envoyer Tobias là-haut, il nous a rejoint depuis trop longtemps, ce serait le mettre en danger. Nous concentrerons donc nos efforts sur le Gouvernement. Cela te paraît-il plus juste ?
Thibault écarquilla les yeux. Si simplement ? Il hocha la tête, stupéfait par le brusque revirement de situation.
— Et à tout hasard… T’es-tu déjà rendu au siège de l’Assemblée ?
— Au siège de… ? Bien sûr que non…
— Je m’en doutais un peu, répondit l’homme avec un léger rire. Bien, tu peux filer.
***
Thibault avait été escorté par deux gardes jusqu’à sa cellule. Tobias l’y avait rejoint et il avait fidèlement rapporté la teneur de sa conversation avec Phoebus à son mentor. Ce dernier avait grimacé en apprenant que Thibault avait révélé les sentiments qui l’animaient envers Solène, mais le soulagement à l’idée que Phoebus renonce à cette attaque était plus grand. Il avait également été surpris en apprenant que l’impératrice avait entrepris de financer des recherches quant au combat contre la pollution de Délos, et même quand Thibault avait été incapable de lui donner plus de détails, il lui avait suffi d’entendre que Gabriel était derrière cet idée pour accepter d’y croire.
Un long moment de silence avait suivi la fin du récit. Thibault était plongé dans une intense réflexion.
— Tobias… Tu penses qu’il y avait vraiment une attaque de prévue ?
Tobias tourna la tête vers lui et fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Est-ce que j’ai…
Le sentiment de malaise se répandait.
— … est-ce qu’ils ne m’ont pas manipulé ? À cause de ce que j’ai dit. Parce qu’ils ont senti que je tenais à Solène… Est-ce qu’ils ne voulaient pas juste me pousser à en dire un peu plus ?
Tobias resta interdit un long moment.
— Je ne sais pas, Thibault. Est-ce que ta propre sœur te ferait ça ?
C’était là le problème. Tout se résumait à ça. Lison lui aurait-elle fait une telle chose ?
— Le résultat est le même, Thibault. Ne te torture pas l’esprit avec ça… L’important, c’est qu’ils n’attaquent pas le Sommet, n’est-ce pas ?
Thibault hocha la tête, sans conviction.
Longtemps après que Tobias fut parti, il s’efforça de songer à autre chose. Mais inlassablement, le visage de Solène venait le visiter. Puis celui de Lison. Et celui de Solène. Suivi de celui de Lison.
Il sombra dans un sommeil agité.
Excellent chapitre, comme prévu, Phoebus se révèle bien plus dans ce chapitre. C'est très intelligent de ta part de laisser planer le doute sur le fait qu'il le manipule ou non, on peut toujours être tenté de croire que le leader de Diane dit la vérité. Même si je n'y crois pas une seconde. Phoebus est un excellent manipulateur, Thibault est bien loin d'être à son niveau et lui révèle toutes les informations dont il avait besoin, avec une pression probablement inventée de toute pièce. En lisant ce chapitre, j'ai eu la sensation qu'il cessait d'être un joueur de ton histoire pour devenir une pièce. Même si on se doute qu'il va retrouver une place plus décisionnaire par la suite.
Le titre de chapitre est chouette, il renvoie assez justement à ce qui se joue pour Thibault : protéger celle qu'il aime coûte que coûte, en fonçant en même temps tête baissée dans sa haine pour son rival. Simple mais efficace, ça fonctionne parfaitement avec ce que tu as développé de son personnage.
La place de Tobias est intéressante, l'idée de l'envoyer comme émissaire séduisante. Logique que Phoebus refuse cependant, et on se demande comment il va se positionner lors du conflit que je vois se dessiner de plus en plus. Il est une des seules chances d'échange et de compréhension mutuelle, avec Gabi et Thibault. Pas sûr que ça suffise à éviter le pire.
Mes remarques :
"t’avoue que j’attendais un peu plus d’enthousiasme, mais peu importe." couper le un peu pour éviter la répétition ? en plus, je trouve qu'il apporte peu
"Mais c’était pour toi, Thibault, tout ça. Je t’avais promis que je prendrai soin de toi. Je regrette que tu ne le voies pas," j'adore ce passage, il sonne juste
"Le problème c’est que tu agis comme un chien jaloux parce que sa maîtresse s’est dégoté un autre caniche." ouchhh
"Thibault avait par la même été exclu de la conversation." -> là
"Que je ne sais pas ce que c’est, que vous attendez de moi." -> ce que vous attendez ?
"Un besoin de revanche. Tuer la fille de celui qui avait pris sa mère." couper à revanche ? je trouve l'idée suivante déjà assez implicite
"Je la protège parce qu’elle mérite d’être protéger." -> protégée / ou parce qu'elle le mérite pour éviter la répétition du verbe ?
"que puis-je faire pour me faire entendre ?" -> comment me faire entendre ?
"J’imagine qu’Ollie était l’amour de sa vie. Sa perte tragique ne l’a pas laissée indemne." juste dire Ollie était l'amour de sa vie suffit je pense, c'est plus court et percutant je trouve
Je continue !
En effet, ici Phoebus se dessine mieux. Et Thibault n'est sans doute pas à son niveau. Sûrement en partie parce qu'il ignore trop de choses pour pouvoir espérer le battre sur le jeu des informations à échanger...
Ton analyse de la position de Tobias me plaît beaucoup c'est vrai qu'il a un pied dans deux camps, et il est bien moins borné que Thibault.
Concernant tes remarques !
- ""t’avoue que j’attendais un peu plus d’enthousiasme, mais peu importe." couper le un peu pour éviter la répétition ? en plus, je trouve qu'il apporte peu" -> mais un peu quand même? (pardon, je ne pouvais résister à la quadruple répétition !) -> je pense que je vais en effet alléger !
- "par la même" -> ouch, j'étais sûre de mon coup, comme dans ma tête c'était "par la même occasion". Je viens d'aller en lire plus à ce sujet et c'est une locution, ok, c'est noté ^^
- "d'être protéger" -> elle est belle celle-là... Mais je viens de rouvrir mon manuscrit et je l'avais déjà corrigée, ouf. J'ai donc dû oublier de mettre ce chapitre à jour sur PA ! Il n'y a pas dû avoir tellement de correction depuis que je l'ai re publié.
Merci beaucoup pour ta lecture, toujours attentive!
Avec plaisir, je me régale !
Je me demande si à un moment, avant qu'il ne soit trop tard, Lison apprendra la vérité et pourra pardonner son frère. Ce qui est sûr, c'est qu'elle tient trop à son alibi, donc elle risque l'effondrement psychologique total.
Le chapitre est plein de tension, sans que ça s'étende trop, c'est juste bien dosé.
Quelques broutilles :
Il était encore endormi -> avait été (vu qu'elle est déjà dans la pièce)
a un peu parler -> parlé
Déjà, merci beaucoup :D
Manipulation ou fond de vérité... Je trouve que le plus dur, c'est qu'on peut simplement manipuler la vérité pour la présenter à son avantage. Quand je regarde les politiciens parler, c'est ce que ça m'évoque. Des vérités tordues à leur avantage, et pour moi Phoebus est ce genre d'homme.
Merci pour les corrections !