Chapitre 22 : On devrait pouvoir cœxister

        — Ils sont partis, annonça Cosmo en s’asseyant.

        Nous n’étions pas retournés à la cité. Comme il y grouillait beaucoup trop de ces types, nous avions décidé de les surveiller depuis un cabanon, plus loin, en attendant que le soleil se couche un peu plus.

        Ether semblait aller toujours aussi mal. Cirrus était blessé. Cosmo était le seul a avoir l’air d’aller bien.

        Ce dernier soupira.

        — Bon, fit-il. Qui veut commencer ? 

        J’ouvris la bouche.

        — Tu as dit faire partie de ce culte, répondis-je. Et tu sais pour la relique d’Ether.

        Ether se redressa, surprise.

        — Comment ?

        Cosmo nous expliqua l’histoire. Il faisait partie du « culte » depuis son enfance. Ses parents l’avaient intégré, et leurs parents avant eux. C’était donc de famille. Il nous expliqua qu’il s’agissait d’un groupe qui vénérait le Dieu Dimiogius. Longtemps, il croyait oeuvrer dans le bien. Ils avaient tous été entrainés dans un but : Retrouver les reliques et les détruire. Du moins, c’est ce qu’il pensait. 

        Il y a quelques années, il avait surpris une conversation entre ses parents et d’autres haut placés où il les avait entendu parler de la résurrection de Dimiorgius. Il n’avait pas tout de suite pensé à mal. Mais lorsqu’il se fit surprendre à écouter aux portes, il fut emprisonné et ses parents déclarèrent eux-mêmes sa mise à mort. De quoi éveiller ses soupçons quant à la vraie nature de leurs objectifs. Juste avant son execution, une femme l’aida à s’échapper. Il ne savait pas pourquoi et il ne demanda pas. Il se contenta de courir.

        Quelques temps plus tard, les tueurs à gage commencèrent à pleuvoir et parmi eux : Cirrus. C’est de cette façon qu’ils se rencontrèrent. 

        — Ça n’explique pas comment tu as su pour moi, pointa Ether.

        — Comme on a été entrainés pour retrouver les artefacts, on a tous une affinité avec eux, expliqua-t-il. Evidemment, ce n’est pas suffisant. C’est pour ça qu’on utilise des tiares. C’est un genre de GPS. En apparence, on peut s’en servir pour retrouver des personnes mais il sert surtout à renforcer ce lien avec les artefacts. C’est un genre de… sixième sens. 

        Il se gratta l’omoplate en baissant les yeux vers le médaillon d’Ether.

        — Je l’ai senti quand j’ai touché ta main tout à l’heure, annonça-t-il.

        — Ça veut dire qu’ils peuvent retrouver sa trace ? demandai-je.

        — Bah, théoriquement, oui.

        — Théoriquement ? fis-je.

        — Et pratiquement, ajouta-t-il. Mais je ne comprends pas pourquoi ils ont l’air de chercher dans la direction opposée. Ils auraient dû la capter comme ils l’ont fait plus tôt.

        Ether grimaçant en se massant les tempes.

        — Ça jazz ? lui lança Cirrus.

        — Ouais… juste une migraine, répondit-elle distraitement. Donc on n’est pas en sécurité ici. On devrait s’en aller.

        Cosmo hocha la tête et commença à se relever.

        — Si j’avais encore ma tiare je pourrais nous sortir d’ici en évitant ces gêneurs, soupira-t-il.

        Je me relevai.

        — Elles sont attitrées ? demandai-je.

        — Ouais, répondit-il. Tout le monde a sa tiare personnelle.

        — Tu pourrais en utiliser une si on t’en trouve ? 

        Il secoua la tête.

        — L’afflux de son porteur y est diffusée, déclara-t-il. S’il meurt, elle cesse de fonctionner. Et s’il est en vie, bah, elle ne reconnait qu’un seul afflux alors…

        Je fronçai les sourcils.

        — Est-ce que c’est un objet sphérique avec des points lumineux ?

        — Ouais, fit-il.

        Je la sortis de ma poche et l’ouvrit dans un claquement.

        — Est-ce que c’est ça ? demandai-je.

        Tout le monde s’arrêta et me dévisagea. Alors qu’il ne m’avait pas décroché un mot depuis mon altercation, Cirrus se précipita vers moi en collant son visage contre la tiare.

        — Elle est allumée ! s’exclama-t-il. Elle fonctionne ! Comment… (Il fit passer son regard de moi à la tiare, puis de la tiare à moi.) Comment t’as fait ça ?

        — Où est-ce que tu l’as trouvée ? me demanda Ether.

        — Depuis quand tu l’as ? enchaîna Cosmo.

        Je reculai et la tendit à Cosmo. Lorsqu’il la saisit un courant me traversa et j’eus du mal à la lâcher. Comme si quelque chose en moi s’entremêlait avec cet objet. Nos regards se croisèrent et lorsque cette sensation passa, je lâchai la tiare.

        Cosmo l’observa sous toutes les coutures et finit par déclarer :

        — Elle fonctionne.

        — On avait remarqué, répondit Cirrus.

        Cosmo secoua la tête.

        — Non, elle fonctionne. Elle… est à moi.

        Il leva les yeux vers moi.

        — Tu me l’as… synchronisée.

        — Comment ? demandai-je, perplexe.

        — Je ne sais pas et je… (Il fronça les sourcils.) Je ne sens pas Ether.

        Elle se rapprocha de la tiare.

        — Quoi ?

        — C’est pour ça qu’ils ne nous suivent pas, dit-il en refermant la tiare avant de la ranger. Je ne te sens pas mais je sens autre chose.

        — Un autre artefact ? demanda Cirrus.

         Cosmo hocha la tête.

        — Ouais, là-bas, dit-il en montrant la direction qu’avaient empruntée les membres du culte plus tôt. Je ne sais pas pourquoi mais on sent celui-là plus que le tien.

        Ether tritura son médaillon et cligna plusieurs fois des yeux, comme si elle luttait pour rester concentrée.

         — Je crois que je le sens aussi…

        Cosmo se massa le menton.

        — Ce n’est pas impossible, admit-il. Peut-être qu’on peut—

        — Je dois le récupérer, déclara-t-elle en s’apprêtant à sortir.

        Je la retins par le bras et au même moment, elle faillit perdre l’équilibre.

        — Tu n’as pas l’air d’aller bien, lui dis-je. Tu devrais d’abord te reposer. Et si la relique n’est plus là demain, on pourra toujours la leur reprendre. On sait qui ils sont maintenant. 

        Elle me jeta un regard amusé.

        — On ? Je croyais que tu ne voulais plus te mêler de mes histoires ?

        Je la relâchai en me raclant la gorge.

        — Elle a dit ça ? intervint Cirrus. Quelle audace ! Alors qu’elle a essayé de nous tuer pour te— Aïe !

        Cosmo le fit taire d’un coup de pied. Je soupirai en me tournant vers eux.

        — Je vous prie d’accepter mes excuses, déclarai-je en baissant la tête. J’ai mal évalué la situation et je m’en suis prise à vous. Me laisser submerger par mes émotions était tout sauf correct. Je suis prête à vous dédommager de la manière que vous souhaiterez. 

        Cirrus ricana. Il prit mon menton entre ses doigts en me poussant à lever le visage vers lui.

        — Vraiment de la manière qu’on souhaite ? susurra-t-il alors qu’une lueur espiègle brillait tout de mème dans ses yeux. J’ai quelques idées en tête, ajouta-t-il en glissant sa main sur le creux de mes reins.

        Ether et Cosmo s’interposèrent quand même, ce qui le fit éclater de rire.

        — Sans rancune Jay-Jay ! lâcha-t-il. Après tout, ça n’avait rien de personnel. Et on a l’habitude de ce genre d’incidents entre tueurs timbrés !

        Je secouai la tête.

        — Je m’excusais surtout d’avoir impliqué Cosmo dans tout ça, précisai-je. J’étais prête à le tuer.

      Cirrus sourit.

        — Je sais, dit-il. C’est pour ça que j’ai essayé de te tuer aussi. À l’avenir, c’est vrai que je préférerais qu’on s’en prenne l’un à l’autre directement. Au bout du compte, on a l’habitude et on a pas la rancune dans le sang.

        — Que vous ne vous en preniez pas l’un à l’autre n’est pas une option ? demanda Ether, perplexe.

        Cirrus haussa les épaules.

        — Bah, je vous kiffe pas mal toutes les deux et j’ai à peu près cerné quel genre de personnes vous étiez. Donc, on devrait pouvoir coexister. Mais on ne sait pas de quoi la vie est faite, après tout, on est pas potes.

        — Cirrus…, commença Cosmo.

        — Ça me va, répondis-je. 

        Cosmo lâcha l’affaire dans un soupir.

 

 

         — Bon, on a fait le tour ? nous dit Cosmo alors que nous arrivions à Sumeru.

        J’avais aidé Ether à marcher jusqu’ici. Je ne sais pas pourquoi elle se sentait aussi mal, mais depuis que nous avions regagné la cité, elle semblait aller bien mieux. Elle me sourit et hocha la tête. Je la relâchai et poussai un soupir de soulagement. 

        — Ils n’ont pas vu Ether, dit Cirrus. Donc elle ne risque rien, si ? 

        Cosmo plissa les yeux en la regardant.

        — J’en sais rien, répondit-il. Je ne sentais pas du tout son artefact tout à l’heure. Alors que maintenant…

        — C’est peut-être comme ça qu’ils m’ont trouvée, réfléchit Ether à voix haute. Peut-être… Que les résidus de l’autre relique n’arrivent pas jusqu’ici et ne masquent plus la mienne. C’est possible, tu crois ?

        Il haussa les épaules.

        — J’imagine que oui…

        — C’est pas comme si on avait une autre piste pour l’instant, ajouta Cirrus. Contentons-nous de ça, on avisera après.

        Cosmo hocha la tête.

        — Pour le moment, fais attention. La tiare renforce vachement nos liens avec les artefacts, Dieu seul sait depuis combien de temps ils vous pistaient. Est-ce que vous… avez un endroit où aller ? C’est pas très grand chez nous mais on peut peut-être—

        — Ne t’en fais pas, la coupa Ether. Je vous ai causé suffisamment d’ennuis comme ça. Et puis, les parents de Jesca nous ont accueillies.

        Cirrus fit mine de chercher quelqu’un derrière nous.

        — Elle est où d’ailleurs ? demanda-t-il.

        Ether se retourna brusquement vers moi.

        — Où est-ce qu’elle est passée ?

        Je me mordis la joue en fixant un point au loin.

        — Elle refusait de te chercher et essayait de me dissuader de le faire, alors je l’ai chassée. Elle est sûrement rentrée chez elle.

         Cirrus pouffa alors que Cosmo lui intimait de se taire. Ether se pinça l’arête du nez, dépassée.

        — OK… Espérons qu’elle soit vraiment rentrée, répondit-elle. Elle avait déjà pas l’air de m’aimer des masses alors là…

        —… Désolée.

        Elle me sourit timidement en secouant la tête.

        — Alors euh… Merci et désolée pour aujourd’hui, dit Ether. À la prochaine. 

        Je les saluai d’un hochement de tête avant de nous en aller dans la direction opposée. Je les entendis chuchoter derrière nous puis Cirrus nous rappela.

        — Vous les voulez toujours vos plantes finalement, ou pas ?

 

 

 

 

       La nuit était tombée à notre retour à la ferme, le comportement de nos hôtes n’était pas pour le moins différent. J’avais remis à Chelsea les plantes qu’elle avait demandées à Jesca en même temps que d’autres herbes médicinales offertes par Cosmo et Cirrus pour nous aider à leur graisser la patte. Ce n’était pas mes mots. Chelsea avait surtout été inquiète en voyant ma blessure à la gorge et mes vêtements humides et débrayés. Ether la rassura en lui disant que j’avais « seulement » glissé dans le fleuve.

        Apparemment, Jesca nous avait couvertes. Elle avait dit à ses parents qu’elle nous avait envoyées faire les courses à notre place et était rentrée parce qu’elle jugeait qu’être aussi nombreuses pour une tâche aussi simple était une perte de temps. Chelsea s’excusa du comportement déplacé de sa fille, ce qui me fit culpabiliser.

        À l’heure du dîner, elle n’était pas descendue.

        Avec Ether, nous aidâmes Chelsea et Vanessa à débarrasser la table. Un peu après, avant de rejoindre ma chambre, je m’arrêtai devant la porte de Jesca.

        Je tapai à sa porte. Aucune réponse.

        Une deuxième fois. Aucune réponse…

        — Je suis désolée pour ce que je t’ai dit tout à l’heure, dis-je doucement. Ça n’excuse rien mais je ne suis pas très douée avec gens alors parfois je m’emporte. Donc je comprends que tu m’en veuilles. Tu le sais sûrement déjà mais j’ai trouvé Ether. Merci de nous avoir couvertes. Bonne nuit.

        En entrant dans ma chambre, je me laissai tomber contre la porte en me sentant soudain très fatiguée. Je retirai mes vêtements et grimaçai lorsque les tissus touchèrent mes plaies. En voyant la teinte violette que celles-ci prenaient, je sortis de la chambre et me dirigeai vers la salle de bain. Je réussis assez facilement à recoudre mon flanc et mon épaule, blessés. Quant à ma blessure à la gorge, elle n’était pas profonde. Ma mâchoire me faisait un peu mal, Cirrus avait une bonne droite. Mais ce n’était rien d’insurmontable. Pourtant, j’avais le souffle court.

        Je m’assis sur les toilettes en abaissant la cuvette et plaçai mes mains devant moi. Mes paumes étaient légèrement brûlées. Je n’avais jamais utilisé mes éléments par contact direct. C’était fascinant qu’Ether puisse dégager de la chaleur de cette façon et s’en sorte indemne. 

        Ce n’était qu’une brûlure au premier degré, alors je n’avais pas spécialement besoin de soins, mais comme j’avais étrangement chaud, je fis couler l’eau froide de la baignoire avant de me glisser en dessous.

        Je retournai dans ma chambre quelques minutes plus tard et m’endormis. 

        Cette nuit-là, je rêvai de Jane et de la façon dont elle s’occupait de moi. Dans mon rêve, elle était assise sur mon lit et me caressait les cheveux. Le contact de sa main sur ma peau brûlante me fit un bien fou. Elle me tendit ensuite une tasse de thé et la pressa doucement contre mes lèvres. La chaleur de la tasse me fit ouvrir la bouche mais il n’y avait aucune boisson, juste une sensation humide. Je me réveillai un peu plus tard et me redressai en réalisant que j’avais simplement soif.

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