Chapitre 23 : Le baptême du Conclave

        Je ne me rendormis pas après mon réveil nocturne. Mon état ne s’était pas amélioré et je craignais que la toxine botulique ne commence à agir. Ça faisait un peu plus d’une semaine depuis que je m’étais battue contre Neela. J’avoue m’être surestimée. Je ne pensais pas ressentir les effets aussi tôt. Je ne sais pas si cela avait quelque chose à avoir avec mon combat avec Cirrus de la veille. Après tout, il combattait avec du poison lui aussi. Peut-être que c’était la goutte d’eau de trop. Je ne sais pas.

        Une chose était sûre. Je ne voulais pas m’endormir. Le meilleur remède était l’activité. J’avais changé mes bandages et avais commencé à récurer les écuries. L’un des avantages à ne pas vivre aisément : J’avais fait plusieurs jobs un peu partout.

        J’avais commencé à environ quatre heures du matin, je réalisai que j’y avais passé un bon moment lorsqu’Ether me rejoignit.

         — Je pensais que tu dormais encore, me dit-elle. Depuis quand tu es ici ? 

        — Assez tôt, répondis-je en plantant la fourche dans une botte de foin.

        Ether s’adossa à la portière du box et me dévisagea.

        — Tu vas bien ?

         Je hochai la tête.

        — Tes blessures, ça va ? insista-t-elle.

        — Ne t’inquiète pas, lui répondis-je. Ça va. 

         Je me baissai vers la brouette et commençai à la charger. Ether jeta un coup d’oeil dans ma direction et parut surprise.

        — Tes mains…, fit-elle en se décalant de la portière. Où sont tes gants ?       

        Je baissai les yeux vers mes mains qui souffraient du froid depuis des semaines. Nos combats et notre voyage n’avaient fait qu’empirer les choses et plusieurs de mes gerçures s’étaient mises à saigner. 

        — Je n’en ai pas. Je n’en utilisais pas en prison.

        Elle jura, me demanda d’attendre et partit chercher une trousse de secours.

    — Nous allons t’en trouver une paire, déclara-t-elle en s’accroupissant pour nettoyer mes plaies avec un linge humide.

        Je ne répondis rien.

        — Cette trousse de secours est vide comparé à la dernière fois que je l’ai ouverte, déclara-t-elle avant de lever les yeux vers moi. Étrange, pas vrai ?

        Je gardai à nouveau le silence.

        — Hier, commença-t-elle. Je suis sortie te rejoindre quand je me suis rendue compte que tu étais partie sans moi.

        — J’allais revenir.

        Elle émit un petit rire comme si le contraire ne l’aurait pas étonnée.

        — Sur le chemin quelque chose m’a comme attirée. Je ne sais pas si c’était cette autre relique qui attirait la mienne ou si c’était l’un de ces types du culte qui attirait ma relique, mais je l’ai suivi, souffla-t-elle. J’ai commencé à me sentir mal mais je voulais à tout prix comprendre.

        Lorsqu’elle eut fini de nettoyer mes gerçures, elle dénicha un tube de crème et commença à masser mes mains.

        — Je ne regardais pas où j’allais, reprit-elle. Et je suis tombée. J’ai dégringolé de plusieurs mètres et j’ai perdu connaissance. En me réveillant, j’ai vraiment cru que j’allais y passer et je vais être honnête, je douillais tellement que ça ne m’aurait pas dérangée.

        — Comment tu as fait, alors ?

        Elle haussa les épaules.

        — J’ai pensé à toi, déclara-t-elle en me regardant.

        Je détournai les yeux.

        — Je me suis dit que je ne pouvais pas mourir avant de m’être acquittée de ma dette envers toi. Alors je me suis levée. J’ai dû m’éloigner de cette espèce de relique parce que quand j’ai entendu le raffut que vous faisiez dans ce port, j’allais déjà mieux.

        Je fronçai les sourcils. Si elle allait mieux dans le port, je n’osais pas imaginer de quoi elle avait l’air plus tôt.

        — Juste avant que je ne te trouve, Cosmo m’a dit que c’était à cause de moi que tu étais en colère, lâcha-t-elle en me regardant. Parce que tu ne me trouvais pas.

        Je la regardai et ne trouvai rien à dire. Je ne voyais pas trop quoi ajouter. 

      C’était vrai. J’avais d’abord pensé qu’Heesadrul ou le Primedia nous avaient retrouvées, puis que Cosmo et Cirrus s’en étaient pris à elle. Si je devais expliquer pourquoi, je dirais que je ne supportais simplement pas l’idée que quelqu’un d’autre soit blessé par ma faute. Comme avec Jane. Mais après ce que Jesca m’avait dit… Peut-être que j’appréciais Ether un peu plus qu’avant.

        Elle secoua la tête en souriant et reporta son attention sur mes mains.

        — Enfin, peu importe. Ce que je veux dire c’est que—

       — Et si c’était le cas ? la coupai-je.

       Elle me dévisagea.

        — Et si je m’étais mise en colère parce que je ne savais pas ce qui t’était arrivé, déclarai-je. Qu’est-ce que tu en penserais ?

        Je la sentis hésiter avant de répondre.

        — Que tu ne me détestes pas autant que je le croyais, répondit-elle en baissant les paupières. 

        Sans réfléchir j’ajoutai :

        — Et ?

        — Et j’en serais heureuse, déclara-t-elle avec un petit sourire.

        Ce fut à mon tour de baisser les yeux.

        — C’est fini ! dit-elle en refermant la trousse de secours.

        Je mis mes mains à plat sur mes cuisses et les trouvai effectivement dans un meilleur état. Je ne garderais sûrement pas les bandages, mais j’appréciais le geste.

        Elle finit par revenir. Elle plaça une chaise à côté de moi alors que nous faisions face aux plaines.

        — Tu sais, souffla-t-elle. J’ai plein d’autres choses à partager avec toi. J’ai l’intention de t’en parler, c’est juste que…

        Je secouai la tête.

        — Tu n’es pas obligée de tout me raconter. La situation a changé, je ne me méfie plus autant de toi.

        — Autant ? me taquina-t-elle.

        — … Plus, tout court.

        Elle pouffa.

        Nous restâmes silencieuses un moment à regarder le soleil s’élever haut dans le ciel. Après un moment, je repris la parole.

        — J’avais peur qu’il te soit arrivé la même chose qu’à Jane.

        Elle tourna la tête vers moi et je lui rendis son regard.

        — Elle a dû t’en parler, non ? 

        Elle secoua la tête.

        — Elle n’a jamais abordé le sujet, avoua-t-elle. Et je n’ai jamais demandé.

        Je croisai les bras sur ma poitrine et frissonnai lorsque la fraiche brise me caressa la peau.

        — Disons juste qu’elle a payé mes pots cassés. J’ai cherché les ennuis, et dès que j’ai eu le dos tourné elle a frôlé la mort.

        L’évènement était encore trop récent dans ma tête et je n’avais pas envie de m’étaler sur le sujet. Du moins, pas pour le moment. J’attendis qu’elle pose la question, mais elle ne le fit pas. Je me redressai alors et lui fit face.

        — À l’avenir, déclarai-je. Tant qu’à faire un bout de voyage ensemble, j’aimerais qu’on se tienne au courant de nos déplacements. Au cas où il arriverait quelque chose à l’une de nous.

        Elle se balança sur sa chaise.

        — C’est quand même toi qui t’es barrée sans crier garde, lâcha-t-elle une pointe d’amertume dans la voix.

        Elle avait raison. Et en temps normal, j’aurais acquiescé. Mais étrangement, cette fois je ne pus m’empêcher de répondre :

        — T’étais en bonne compagnie, je ne voulais pas te déranger. 

        Elle stabilisa sa chaise et reposa sa tête sur sa main, le coude sur sa cuisse.

        — Dis plutôt que tu voulais rester seule avec Jesca, insista-t-elle en haussant un sourcil. Cette fille me hait.

        Je ne pouvais pas la contredire sur le second point. Mais sur le premier…

        — Pourquoi j’aurais voulu faire ça ? demandai-je en haussant un sourcil.

        — Vous vous ressemblez assez, répondit-elle. Ça doit être pour ça qu’elle t’aime bien. Qui se ressemble s’assemble il parait. Le courant doit bien passer.

        — Et on dit aussi que les opposés s’attirent, alors ne perds pas espoir ! intervint une voix derrière nous.

        Je me raidis et nous nous éloignâmes aussitôt. Alors que je me mettais en posture de combat, prête à maîtriser cette personne qui avait réussi à se faufiler derrière moi, un éclat de rire sonore saigna mes oreilles.

        — La tête que vous faites ! fit Vanessa. C’est hilarant !

         Elle continua de rire alors que nous nous détendions. Lorsque mon adrénaline commença à baissa, je fus prise d’un vertige. Ether me rattrapa.

        — Oula, ça va ? me demanda Vanessa, inquiète, en s’avançant. Je suis désolée, je ne voulais pas te faire peur.

        — Non, c’est juste que je me suis levée trop vite, répondis-je alors qu’Ether me lâchait. Je n’ai pas bien dormi cette nuit, ça doit aussi jouer un rôle.

        Vanessa parut soulagée mais Ether continua de me dévisager.

        — Tant mieux ! Je m’en serais voulue sinon. Je venais juste vous dire que comme on est  Dimanche, on organise un brunch. Venez avant que ça refroidisse !

         Elle nous fit signe de la suivre et ouvra la voie.

        — Tu ne l’avais pas entendue arriver ? me demanda Ether.

        — Non. Toi, si ?

        Elle hocha la tête, toujours en gardant ce drôle d’air. Je retins un soupir.

        — Je vais bien, je t’assure.

        — Tu n’es pas obligée de m’accompagner pour la relique si tu te sens mal, annonça-t-elle. Je peux très bien—

        — Non, pestai-je. Je viens avec toi. Ce n’est pas discutable.

        Puis je coupai court à la discussion.

         

        

        

        Il était environ vingt et une heures trente. Nous avions attendu la tombée de la nuit pour repartir en direction de Sumeru, récupérer la relique. Plus tôt on l’avait, mieux ça se passerait.

        Pendant le brunch, Jesca était descendue, mais elle ne m’avait pas regardée. Je comprenais qu’elle soit en colère mais je trouvais sa réaction un peu exagérée. En revanche, elle n’avait pas cessé de lancer des regards remplis de reproches à Ether, qui n’y prêta pas attention. Je pensais que celle-ci ne les remarquaient pas, mais après notre discussion, je savais à présent qu’elle était plus que consciente que Jesca ne la portait pas dans son coeur. Pour une raison que j’ignore. Peut-être que Vanessa lui en voulait encore, malgré ses efforts pour ne pas le montrer, et en avait parlé à Jesca ? 

        Je détestais avoir à spéculer sur le comportement des gens. Ce n’était pas plus simple de dire les choses clairement ?

        — Ne t’inquiète pas, dit Ether sans me regarder, alors que nous nous approchions des portes de Sumeru. Ça lui passera.

        — Je ne m’inquiète pas.

        Nous fîmes quelques mètres puis elle reprit la parole.

        — J’ai entendu ce que tu lui as dit hier soir, avoua-t-elle.

        —… Tu veux que je te raconte ce qui s’est passé ? demandai-je en l’observant du coin de l’oeil.

       Elle haussa les épaules.

        — J’imagine.

        J’enfonçai mes mains dans mes poches en expirant, le fraicheur forma un nuage de condensation.

        — Je lui ai dit d’aller se faire cuir un œuf.

        Ether s’étouffa. Lorsque j’eus tourné la tête vers elle, elle éclata de rire.

        — Deux fois.

        Cette fois, elle fut prise d’un réel fou-rire et d’arrêta en cours de route, pliée en deux.

        —… C’est si drôle que ça ? demandai-je en haussant un sourcil.

        Elle tenta de reprendre sa respiration et essuya une larme.

        — Je suis désolée, répondit-elle, la respiration saccadée. C’est juste que tout le monde y passe avec toi. C’est un baptême.

        Je fis la moue sans m’en rendre compte et marmonnai inconsciemment :

        — Cette fois c’est de ta faute.

        — La mienne ? Pourquoi ? 

        Je ne répondis rien et repris la route.

        — Ne me dis pas que… Elle ne voulait pas que tu viennes me chercher ? lâcha-t-elle derrière moi.

        Je gardai le silence.

        — La vache. Elle ne m’aime vraiment pas. Se mettre en colère pour ça…

        — Qui est en colère ? demanda un voix masculine.

        Nous levâmes la tête et vîmes Cirrus, adossé à l’un des vieux murs de Sumeru. Je m’arrêtai devant lui.

        — Qu’est-ce que tu fais là ?

        — J’ai posé la question en premier, répliqua-t-il.

        — Jesca.

        — Je viens vous aider. Pourquoi elle est en colère ? 

        — Je lui ai mal parlé. Nous aider pour quoi ? demandai-je.

        — Les artefacts ? Qu’est-ce que tu lui as dit ?

        — On n’a pas besoin d’aide, rétorquai-je.

        — Tu n’as pas répondu, reprocha-t-il.

        — De réfléchir avant de parler et d’arrêter de me gêner.

        Il siffla.

        — Woah. Gratuit comme ça. Bien joué Jay-Jay !  

        Ether pencha la tête sur le côté.

        — Ça sort d’où ce surnom ? 

        Il désigna sa tempe du doigt en se décollant du mur, nous invitant à le rejoindre dans la cité.

        — De là. Et je n’ai même pas besoin de réfléchir. Les surnoms fusent comme les insultes de Jay-Jay.

        — Arrête avec ça,  exigeai-je.

        — Nope !

        Je fronçai les sourcils.

        — Tu es toujours aussi familier avec les étrangers ?

        — Comment est-ce que tu peux me considérer comme un étranger, s’offusqua-t-il. On a failli s’entre-tuer, on est pratiquement mariés. Dans d’autres cultures c’est plus intime que la chair.

        Je levai les yeux au ciel.

        — N’importe quoi, marmonnai-je. 

        Ether sembla s’amuser de la situation mais ne perdit pas de vue son objectif.

        — Jaïna a raison, dit-elle. On s’en sortira toutes les deux. Tu ne peux pas risquer ta vie une deuxième surtout sachant que… Tu attends quelque chose en retour.

        Il sourit en coin et me regarda.

        — Je la kiffe vachement. La lâche pas. (Il reporta son attention sur Ether.) Tu as raison, je veux quelque chose en échange. Et tu as tord, vous ne vous en sortirez pas. 

        Un vendeur ambulant manqua de nous renverser avec son chariot en passant une intersection. Il fronça les sourcils, prêt à nous aboyer dessus, mais se ravisa en me voyant. Il marmonna quelque chose sur le fait de « Rester plantés au milieu de la rue ».

        Je vis le vendeur de bijoux anciens de la veille et remarquai que celui qui avait plu à Ether était encore là. En tournant la tête, je vis Cirrus me regarder. Un sourire narquois se dessina sur son visage mais il ne dit rien.

        — Vous voyez, on est autant dans la merde que vous. Même plus en fait. (Il se gratta le crâne, comme s’il ne se rappelait plus du chemin mais finit par prendre sur la gauche.) Cosmo est le traître qui s’est enfui, et moi le tueur à gage qui les ai dépouillés de leur fric. Vous, vous êtes juste des meufs avec un des artefacts qui les émoustille.

        — Où est-ce que tu veux en venir ? insista-t-elle.

        — Cosmo a une tiare maintenant, répondit-il. On avait prévu d’aller récupérer cette chose dans les ruines un peu plus loin et de la balancer quelque part où ils ne pourront pas la retrouver. On a trouvé ça bizarre d’avoir croisé aucun de ces malades alors qu’on s’est fait démarrés hier, au beau milieu de la journée, dans notre magasin. Alors imaginez notre surprise quand on est arrivés sur les lieux et qu’on a trouvé l’équivalent de toute l’Asie en plein baby-boom. Croyez-moi, fit-il en me regardant. Vous n’avez aucun moyen de passer en force.

        — Asie en plein baby-boom ? me demanda Ether à voix basse.

        — L’équivalent d’Awe avant le Déluge*.

        — Donc, conclut-il en s’arrêtant pour nous regarder fièrement. Le plus sage serait d’accepter notre aide et de joindre nos forces. Nous avons un objectif en commun, profitons-en !

        Ether et moi nous regardâmes.

        — Dans l’hypothèse où nous accepterions votre présence, commençai-je. Qu’est-ce que vous voulez ?

        Son expression se fit soudain grave. Il croisa les bras sur sa poitrine et braqua son regard sur moi.

        — Je veux que tu emmènes Cosmo avec toi à Odium, déclara-t-il. 

        Je haussai les sourcils.

        — Pourquoi tu ne l’y emmènes pas toi-même ? 

        Il ne broncha pas et répondis sur le même ton.

        — J’ai mes raisons.

        — Si tu veux que je te rendre ce service, il faudra être bavard. 

        — C’est du donnant-donnant, contredit-il. Pas un service.

        — Dans ce cas je refuse. C’est toi qui a l’air d’avoir désespérément besoin de mon aide.

        Il contracta la mâchoire et Ether s’interposa. 

        — Du calme, vous deux. Essayons d’en discuter plus au calme un peu plus—

        — J’ai de quoi payer, coupa-t-il sans faire attention à elle. Je t’aide à récupérer ton horreur et je te récompense gracieusement. La moitié maintenant, l’autre à la fin. Pour traverser le continent, tu auras besoin de bien plus que le sac d’armes d’hier. Jia Mei t’a fait crédit, non ? Je suis prêt à le rembourser. La seule chose que tu as à faire, c’est d’accepter d’être son escorte. 

        Je retins un rire moqueur.

        — C’est donc pour ça que tu nous attendais, hein.

        Je n’avais aucun envie d’avoir encore à travailler pour quelqu’un. Encore moins pour un autre tueur à gage. Mais il avait raison, nous allions avoir besoin d’argent. Et puis, il ne me demandait pas de tuer quelqu’un, juste de protéger Cosmo. Ça ne pouvait pas être si compliqué, si ? 

        Je ne savais pas pourquoi il ne souhaitait pas accompagner son ami, alors qu’ils avaient l’air d’être comme cul et chemise, mais c’était son problème. 

        — On en discutera plus tard, finis-je par répondre.

        Cirrus lâcha un soupir de soulagement. Dans notre langage, c’était plus explicite qu’un « Oui ».

        Il me gratifia d’un grand sourire et se revêtit de sa capte de bonne humeur !

        — Tu gères, Jay-Jay. Je savais qu’il y avait quelque chose entre nous, ajouta-t-il avec un clin d’œil. Maintenant que c’est dit, allons le rejoindre.

        Il se retourna et s’arrêta soudainement avant d’ajouter par-dessus son épaule.

        — J’aimerais que vous ne lui en parliez pas. Gardons ça entre entre, pour le moment.

        Je hochai la tête. Du coin de l’œil, Ether me lança, un regard désapprobateur. Pour changer. Je soupirai et laissai Cirrus devant.

 

    

        

       

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         Même ce que Cirrus disait était vrai, que les membres de ce culte n’étaient pas là, et qu’ils prenaient probablement la relique d’Ether pour celle qu’ils étaient en train de chercher dans les ruines, je n’étais pas sereine. 

        Nous nous trouvions dans ce qu’il appelait un « bar dansant ». La musique mouvante mettait mes tympans à rude épreuve. La piste était remplie à craquer et le bar était pris d’assaut. Sur les coins, certaines personnes, dont Ether et Cosmo, étaient vautrées sur des canapés. La lumière tamisée rendait difficile même le passage entre la foule. 

         Quoiqu’il en soit, ce bar était situé bien plus loin que l’herboristerie. Donc si l’un de ces types se baladait par là, il sentirait forcément Ether. 

        — Te fais pas de bile va, cria-t-il pour que je l’entende en s’étalant contre le bar derrière lui, un verre de liquide vert dans la main. Tu crois vraiment que je risquerais la vie de Cosmo en le laissant traîner si près de ta petite-amie si je n’étais pas convaincu qu’il ne risquait rien ?

        Je tressaillis.

         — Ce n’est pas ma petite-amie.

        Il but une gorgée et grimaça. 

        — Ah non ? 

        — Bien sûr que non, insistai-je.

        — Est-ce que la grande Snow Slayer a quelqu’un pour partager son lit alors ?

        Pourquoi tout le monde s’affairait à me poser cette question depuis ma remise en liberté ? Ça n’avait jamais été un sujet qui avait l’habitude de susciter de l’intérêt, avant. 

        — Non. 

        Il tapa son front de la paume de sa main.

        — Je suis débile, tu sors du plomb bien sûr que tu ne peux pas…

        Il écarquilla les yeux et rapprocha son visage du mien. Quelque chose dans son regard me fit dire que l’alcool commençait à faire son effet. 

        — Mais non !

        Je fronçai les sourcils. Quelle idiotie est-ce qu’il allait bien pouvoir sortir cette fois.

        — Tu sors avec une taularde ?! s’écria-t-il.

        Je levai les yeux au ciel et ne répondis rien.

        — Tu sors avec une taularde ? répéta-t-il. 

        — Non, répondis-je.

        — Ta camarade de cellule, je parie, s’extasia-t-il en prenant une autre gorgée. 

        —… Non.

        Je soupirai et me détournai, lasse de cette conversation de sourd. Cirrus se mit en travers de ma route.

        — Allez, dis-le !

        Je fis un pas de côté et il m’imita.

        — Tu sors avec ton ex co-détenue !

        Un autre pas de côté. Lui aussi.

        Il était définitivement ivre. 

        Je soupirai encore.

        — Je sors avec mon ex co-détenue. 

        Il éclata de rire et je sentis quelqu’un me bousculer. Je tournai la tête mais Cirrus m’interpella encore. J’avais l’impression d’avoir affaire à Lynx.

        — Comment elle s’appelle ?

        — … Dreleia.

        — Sacrée chanceuse, cette Dreleia ! sautilla-t-il.

        Mes plus sincères excuses, Dreleia.

        — Pourquoi elle s’est retrouvée au trou ? demanda-t-il.

        Je n’avais jamais rien demandé, mais Dreleia n’avait cessé de se morfondre et de se plaindre de son incarcération « injuste ». Apparemment, elle avait été surprise avec une cargaison de drogue… dont elle ne connaissait même pas l’existence. De ce qu’elle racontait, elle pensait faire une simple livraison pour l’entreprise de construction pour laquelle elle travaillait. Je n’avais jamais prêté attention à ses histoires, alors maintenant que j’y pensais, j’étais incapable de savoir si c’était vrai ou pas.

        — La vache, fit-il. Tu m’étonnes qu’elle pète son crâne. Elle s’est faite coffrer avant de pouvoir rouler ses pétards.

        Il se tourna vers le barman et échangea quelques mots avant de revenir vers moi.

        — En parlant de trip, réveillons tes souvenirs avec ça.

        Il fit un pas sur le côté et désigna un verre posé sur le bar.

        — Je ne bois pas d’alcool, déclinai-je.

        — Est-ce que tu étais au Conclave* ? Celui d’il y trois ans ?

        Je secouai la tête.

        — Je n’avais pas aimé celui d’avant.

        Il haussa les sourcils.

        — Sérieux, t’y étais ? 

        Je hochai la tête.

        — T’as commencé ce travail à quel âge ? demanda-t-il, curieux.

        — Douze ans.

        — Et combien tu en as aujourd’hui ?

        — Vingt.

        Il me fit une révérence.

        — Mes respects, Milady, fit-il avant de prendre les deux verres transparents. Donc t’étais au Conclave de tes douze ans, à tes débuts. Ça explique pourquoi on ne t’a pas baptisée.

        — Baptisée ?

        Il hocha la tête.

        — Tu sais ce que c’est ? dit-il en fourrant le verre dans mes mains. Du Spirytus. L’un des plus vieux alcools ayant jamais existé. Il date du monde d’avant, c’est pour dire. 

        Je levai un sourcil, ne sachant pas où il voulait en venir.

         — Il y a quatre-vingt seize pour-cent d’alcool dedans, il t’envoie saluer tes ancêtres. C’est le rite de passage du mercenaire. 

        Je le fixai.

        — Je ne mens pas ! se défendit-il. Croix de bois, croix de fer, si je meurs, je vais en enfer.

        J’observai le liquide.

        — Ou alors…, commença-t-il en se penchant vers moi. Tu peux faire la chochotte et attendre de te ridiculiser au prochain Conclave quand tu tomberas dans les pommes.

        Je relevai vivement la tête vers lui.

        — Qu’est-ce que tu croyais ? se moqua-t-il. C’est pas de l’eau. 

        Je m’apprêtai à le reposer mais il saisit mon poignet.

        — C’est qu’une formalité ! C’est toujours comme ça la première fois, comme la clope, tu t’étouffes un coup et puis c’est fini. Pas de quoi fouetter un chat.

       Je me dégageai de sa prise et reposai le verre.

        — Il faut que l'un de nous deux garde la tête froide, répondis-je fermement. Avant qu’on ne se fasse tous tuer.

        Il leva les yeux au ciel et siffla mon verre ainsi que le sien d’une traite. Il gémit puis éclata de rire.

        — Qu’est-ce que tu peux être intransigeante ! (Il réfléchit.) Non, coincée du cul.

        Je fronçai les sourcils et secouai la tête en m’éloignant en direction de Cosmo. Je ne savais même pas ce que nous faisons ici.

        Je trouvai Cosmo en pleine discussion animée avec Ether. Il lui cria quelque chose à l’oreille et éclata de rire en lui tapant l’épaule. Cosmo leva son verre et trinqua avec elle avant d’en boire une gorgée.

        Ether finit par me remarquer et Cosmo suivit son regard. Je me penchai vers lui et criai assez fort pour qu’il entende.

        — Mais quel crétin ! s’exclama-t-il lorsque j’eus fini. Vraiment, un de ces quatre je vais le…

        Il me remercia et alla rejoindre Cirrus. Je le vis se faire engloutir par la foule.

        Je regardai Ether siroter sa boisson rouge, le regard rivé sur la foule dansante. Après un moment, elle se rapprocha de moi.

        — Tu ne m’avais pas dit que tu savais danser ? 

        Je ne répondis rien et détournai le regard. Elle mis sa main sur ma joue et me força à la regarder.

        — Oui ou non ? 

        — Qu’est-ce que ça peut faire ? 

        Au même moment, la musique changea en quelque chose de moins anarchique.

        Ether se leva.

        — Tu vois ? C’est ton moment.

        — Ce n’est pas mon….

        Elle me tendit la main en agitant les doigts. M’invitant à la suivre. 

        Je n’avais aucune envie d’y aller. Mais je sentais que pour mettre fin à cette soirée le plus vite possible, il fallait que je prenne sur moi.

        C’était un sacrifice nécessaire.

        Je pris sa main et la suivis.

 

 

 

Déluge : Il s’agit du cataclysme qui a provoqué la précipitation du monde d’avant tel que nous le connaissons actuellement. Ses origines restent entourées de mystères, mais ses effets dévastateurs sont demeurés gravés dans l’histoire. Ainsi, l'après-Déluge est devenu le point de départ d'une nouvelle ère, marquée par l'adaptation, la survie, et la résilience face aux vestiges d'un passé englouti. 

 

Conclave (de l’Ombre) : Assemblée secrète regroupant des tueurs à gages éminents et réputés. C'est un conseil clandestin qui a lieu chaque cinq ans, où les membres discutent de contrats, partagent des informations sur les cibles potentielles, échangent des compétences et coordonnent leurs actions pour maintenir leur efficacité dans le monde de l’assassinat. L'objectif principal du Conclave est de garantir le succès de chaque mission et de maintenir la réputation redoutable de ses membres dans le milieu criminel.

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