Dans le bureau de Zark
Un silence lugubre règne dans la pièce tandis que nous nous remettons doucement de ce à quoi nous venons d’assister. Trash ! c’est le moins qu’on puisse dire. Je jette un regard vers Enora, blême, ses lèvres blanches serrées forment une mince ligne dans son visage décomposé.
- Enora, ça va ?
La demande de Zark fait rire la jeune fille, un rire hystérique qui, je le sens, risque fort de se transformer en sanglots. Je lui envoie une vague d’énergie et Roland y va de son empathie, l’enfoiré ! Mais le principal est qu’elle se remette de ce macabre spectacle.
Inutile de nier que nous sommes tous choqués par ce que nous avons vu et les murmures deviennent des grognements de colère que Zark arrête d’une main.
- Je voulais vous montrer ce que la créature avait comme souvenir de ce qu’elle a fait.
Il s’interrompt nous regardant tour à tour, il a toujours su ménager ses effets, sacré Magister ! Je sais que l’histoire ne s’arrête pas là et inutile d’essayer d’en savoir plus avant tout le monde. Son esprit est un coffre-fort quand il le décide.
- En réalité, si l’homme est malheureusement bien mort, il a hurlé aux premiers sévices avant d’être égorgé… Tout le reste, les horreurs que vous avez vues ne sont qu’affabulations. Le corps n’était pas dépecé lorsque nous l’avons trouvé.
- Ce qui veut dire ? demande Reólim.
- Que les souvenirs qu’il a de ce meurtre ne viennent pas de lui. Il est manipulé. Il est persuadé avoir fait tout cela.
- Mais… les loups-garous qui deviennent fous, font des trucs horribles, non ?
Un léger rire nous secoue tous aux paroles d’Enora.
- D’une certaine façon oui, répond-je, mais ils n’ont plus de pensées cohérentes. Ce qui ne semble pas être le cas pour ce garou.
- Pourquoi il n’a pas fait ce qui était programmé dans sa psyché ?
Nalia intervient avec cette question que tous nous nous posons. Zark hausse les épaules.
- Je n’en sais rien, peut-être la partie humaine était-elle assez forte pour répugner à commettre un tel massacre. Le loup aurait dévoré sa victime, c’est un animal. L’homme aurait pu le torturer, c’est aussi pour certain dans leur nature. Le mélange des deux est explosif… Mauvais choix d’homme ? Je ne sais pas, mais c’est une chance que nous soyons tombés sur lui. Il nous a permis de comprendre que quelqu’un tire les ficelles, parce que les autres corps dont nous n’avons retrouvé que des morceaux ont subi… ce que vous avez vu.
Zark se lève, nous faisons de même. Il s’approche de son bureau et y déroule une carte de Tyl Aran.
J’ouvre mon esprit aux compagnons qui n’ont pas la place de se trouver près du bureau.
Il nous détaille les endroits où les corps ont été découverts dans les villages qui bordent la forêt de Lliande qui s’étale sur plusieurs kilomètres. C’est le domaine des lycanthropes. On voudrait leur mettre ça sur le dos qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
J’ai diffusé et chacun des membres de mon groupe semble d’accord avec moi. Zark hoche la tête pour approuver mon raisonnement. Enora reste spectatrice, mais observe avec intérêt la carte de notre monde.
- Je vais convoquer une réunion de l’Alliance. Les Marcheurs ont délivré des messages de prudence aux différents peuples. Certains étaient déjà informés, les nouvelles vont parfois plus vite qu'eux.
Zark nous fixe et je sais que notre groupe sera mis à contribution, mais je ne sais pas encore comment. Pouvons-nous abandonner la surveillance sur terre ?
- Comment savoir qui se cache dans les pensées de ces créatures et qui les a créées ? Et pourquoi ? demande Enora.
Oui, là est toute la question, je fixe le Magister qui tarde à répondre.
- Pour l’instant je ne sais pas. Je ne comprends pas comment de tels pouvoirs ont pu rester ignorer de nos sentinelles et des espions que j’ai implantés dans leur territoire. Quant au pourquoi, je n’ai aucun doute ! Pour déstabiliser l’Alliance, pour qu’on se retourne les uns contre les autres et prendre le pouvoir sur Tyl Aran… Comme pendant la dernière grande guerre.
Impassible j’interpelle Reólim « Ça ressemble à ce qui s’est passé sur terre avec Eliane, tu trouves pas ? ». Il grimace en jetant un coup d’œil en biais à Enora.
Un ton narquois me fait hausser les sourcils.
- Aurons-nous une chance que vous partagiez ce qui semble vous perturber ?
Je souris malgré moi, ayant l’impression de me retrouver adolescent devant le magister et le regard rieur de mon ami me dit qu’il ressent la même chose. Je reprends mon sérieux.
- Un sort de dissimulation, je réponds, ça ne peut être que ça !
Zark sursaute, fronce les sourcils et fait les cent pas derrière son bureau. Nous restons silencieux attendant le résultat de ses cogitations.
- Ce sort demande une sacrée puissance et je ne connais aucun druide ou mage qui puisse rivaliser en dehors du Grand Enchanteur et peut-être de moi-même.
- Et chez les renégats ? demande Reólim.
- Nous n’avons rien détecté en ce sens… mais bien sûr si l’un d’entre eux a ce don, nous avons forcément été trompés… C’est plus qu’inquiétant. Il faut en avoir le cœur net !
Le Magister réfléchit avec un demi sourire nous assène ce dont je me doutais un peu.
- A la réunion de l’Alliance je demanderai qu’un groupe se rende sur le territoire pour prendre la mesure de la situation… Et vous en ferez partie… sauf Enora bien sûr !
Oulah ! Les yeux de la jeune fille fulgurent et elle fusille le Magister qui ne s’en émeut pas plus que ça.
- Pourquoi sauf moi ?
- Tu ne maîtrise pas encore bien tes dons et je ne tiens pas à risquer ta vie.
- Alors premièrement, mes dons savent apparaître quand j’en ai besoin et de deux… Je suis la Dame et je décide ! Point !
Un éclat de rire général retentit devant le visage renfrogné de Zark. Et oui ! La Dame à tout pouvoir et connaissant le caractère têtu de la jeune fille, je doute qu’il la fasse changer d’avis.
D’un autre côté je suis inquiet pour elle car cette mission est des plus dangereuse et amener la Dame dans la gueule du Loup, si je puis dire, ne me plait pas des masses. Je n’oublie pas qu’on a essayé de la tuer sur terre et je ne doute pas que tout soit lié.
***
Nous avons laissé Enora avec Zark qui lui fait visiter le palais et va la présenter au Maître Enchanteur.
Orion, Vigo, Natan sont avec leurs amis dans la cité, Nalia et Lira ont décidé de tenir compagnie à Sira que nous sommes tous allés voir au sortir de la réunion. Elle se remet peu à peu et il faudra attendre qu’elle retrouve une certaine harmonie pour lui faire revivre les instants qui ont précédé son effacement dans l’esprit du loup.
Reólim et moi sommes dans les jardins, nous prenons le frais et surtout nous décompressons après toutes ces émotions. Ça me fait du bien de me retrouver avec mon ami même si je sais qu’il va me rebattre les oreilles avec ses conseils sur « ma vie privée ».
J’entends son rire dans ma tête et je souris. Finalement, cela ne s’est pas si mal passé. Je craignais tellement qu’Enora reste au milieu de la toile sans vouloir poursuivre le chemin que le reste, même si j’ai été blessé, n’est qu’un incident.
« Il ne faut pas oublier que nous sommes un peu responsables de sa réaction ». Reólim a suivi mes pérégrinations et me fait part de sa conclusion. Le pire… il a raison. Je soupire en le bousculant un peu.
C’est vrai que j’aurais pu donner à Enora un début d’explication pour éviter qu’elle ne se fourvoie, mais je suis ainsi, entier, je lui avais demandé sa confiance et je ne suis pas enclin à donner une deuxième chance… Pourtant je sais déjà que pour la première fois, il me faudra m’incliner devant ce sentiment qui flamboie en moi et que j’accepte de faire taire ma rancœur pour que le soleil de son lien rouge réchauffe mon cœur glacé depuis ses paroles qui m’ont fauché… meurtri…
- N’y pense pas ! rappelle-toi plutôt, son visage quand elle s’est inclinée devant toi pour te demander pardon. Tu ne peux nier la peur qu’elle avait au cœur de n’être pas absoute par toi.
Reólim vient de rompre notre silence pour défendre bec et ongles notre Dame. Je le reconnais bien là et j’ai envie de lui tordre le cou de me provoquer constamment avec Enora… pour me faire réagir… petit con !
Il éclate de rire et réussit à me faire sourire, c’est pour ça que je l’aime, personne mieux que lui ne peut me ramener à un peu plus d’humanité et à détendre un peu ce caractère trop buté que j’ai. Personne d'autre... jusqu'à Enora !
Bras dessus, bras dessous nous reprenons le chemin du palais pour y retrouver tout le monde dans la salle commune de nos quartiers pour un repas de retrouvailles bien mérité avant notre retour sur terre.