*Emilie
Martin est revenu en cours, aujourd’hui. Cela faisait un mois et demi qu’on ne l’avait pas vu.
Quand il est entré dans la classe, le cours avait déjà commencé. Tout le monde s’est retourné, surpris. Il n’a rien dit et s’est installé sur un siège libre. Le professeur n’a rien dit non plus et a continué son cours. Il a eu le droit à quelques tapes amicales dans le dos entre les cours. Mais il semble éviter le contact.
Entre midi et deux, je l’ai vu se diriger vers l’amphi où on aura notre premier cours de l’après-midi.
Je le suis discrètement et à l’encadrement de la porte, je l’observe s’installer. Il sort un livre et se plonge dedans. Il ne mange pas. Je reste un peu à le regarder puis tourne les talons.
Quand je reviens dans l’amphi avec Elsa, je passe devant sa table et lui dépose une barre chocolatée et un soda, accompagnés d’un mot. Je m’empresse de rejoindre ma camarade avant qu’il n’ait le temps de réagir. Le soir, il m’envoie quelques vers de Cyrano de Bergerac qu’on entend dans le film « Roxane » que je lui avais conseillé. Je sais que ça signifie beaucoup de sa part.
Cela fait maintenant deux semaines qu’il est de retour parmi les vivants. Mais c’est comme s’il n’était pas là. Il n’est pas impoli, il salue tout le monde de loin, mais il a perdu sa sociabilité. Il écoute les cours avec ferveur mais ne participe plus à la vie étudiante, ne vient plus manger avec les autres, ne sort plus.
Je passe voir son père une fois par semaine. Il n’a pas beaucoup de nouvelles de lui, quelques textos échangés, c’est tout. Comme avec moi.
Anthony et moi avons pris l’habitude de manger ensemble régulièrement, à la fac. Nous nous ressemblons beaucoup et parler avec lui m’est facile. Mais on ne parle quasiment que de Martin. Lui et Simon lui amènent souvent à manger et regardent des films avec lui mais il ne parle pas.
Une fois, Hugo a ramené Simon à notre appartement en rentrant de cours. Enfin, celui-ci ne lui avait pas trop laissé le choix. Il était surexcité de venir chez nous. Il semble nous apprécier parce qu’il a réitéré l’expérience maintes fois depuis. Et il n’a pas lâché l’affaire avec Elsa, il me harcèle pour que je crée des occasions pour eux de se voir, l’air de rien.
J’aime bien passer du temps avec lui et Anthony. Ils sont rafraîchissants, et ça me donne un peu le sentiment d’être avec Martin. Celui-ci refuse toujours que je vienne le voir. Et en cours, je n’ai jamais le droit à un regard de sa part. Mais je ne le prends pas mal. Je sais que ce qu’il ressent pour moi lui pose problème. Il a besoin de surmonter ça. J’espère juste qu’il y arrivera un jour.
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On est dimanche matin et je n’en peux plus. J’ai encore rêvé de Martin. Tout mon être crie le manque de lui. Alors je ne tiens plus et me rends chez lui. J’ai quand même pris le temps de m’apprêter, voulant mettre toutes les chances de mon côté.
Je toque à sa porte mais n’attends pas pour entrer, je sais qu’il ne ferme jamais. Des cartons de pizzas et autres fast-foods jonchent la table basse et le canapé. Je n’y prête pas attention et me dirige vers sa chambre, où je toque à nouveau pour ne pas l’effrayer.
Je pénètre dans la pièce et comme s’il avait senti que c’était moi, et personne d’autre, il se redresse légèrement sur le matelas, offrant à ma vue son torse nu, ses abdominaux contractés, une de ses jambes, puissante, repliée comme s’il était prêt à bondir, l’autre légèrement recroquevillée, dissimulant son intimité, et son regard … un regard impénétrable qui me transperce et déstabilise mon cœur. Si je pouvais, je dessinerais ses traits, sa silhouette, je capturerais cette image pour la garder avec moi pour toujours. Car jamais je n’ai vu autant de beauté. J’aurais envie d’être artiste juste pour le rendre immortel.
Je scrute son visage, tentant de déchiffrer ses pensées. Est-ce qu’il me laissera l’approcher ? Mais rien ne transparaît de ce qu’il se passe à l’intérieur de lui. Alors je ne lâche pas ses yeux et je fais un pas en avant, doucement, alors qu’au fond de moi je n’ai qu’une envie, me jeter tout contre lui, ressentir sa chaleur, respirer son odeur, sentir à nouveau ses mains sur moi.
Je fais un deuxième pas et son corps se contracte. Je ne comprends pas de suite, puis j’aperçois son sexe bandé que son genou ne dissimule plus. Sa nudité semble être le dernier de ses soucis. Je prends une grande inspiration mais cela n’aide pas mon cœur à rester calme, car mon corps le réclame autant que le sien. A mesure que j’approche de lui, je vois enfin la bataille qu’il mène en lui. Sa douleur lui donne envie de me rejeter, mais il me désire aussi fort que moi. Je me mords la lèvre avant d’expulser l’air de mes poumons, ce qui le fait gronder sourdement. Son torse se soulève plus fort et il serre les poings.
Je m’arrête à moins d’un mètre de lui, mettant toute ma volonté en lumière pour ne pas grimper sur lui comme une morte de faim.
J’ouvre la bouche mais quelque chose en lui m’empêche de parler. Je comprends que rien de bon ne sortira, que je n’ai pas besoin de mots pour lui parler. Je ne suis venue avec aucun plan en tête. Je suis en totale improvisation, moi qui suis si mauvaise à ça. Je ne peux m’empêcher de mordre ma lèvre inférieure, fort. Je l’entends souffler et me fusiller du regard. Alors je comble la distance entre nous, m’assieds à ses côtés et lui rends son regard. Il lève doucement le bras gauche, et son pouce vient caresser durement ma lèvre meurtrie, qu’il regarde avec une envie presque sauvage. Alors sans réfléchir, je m’empare de sa main et porte son pouce entre mes lèvres. Je le lèche et le mordille comme si rien d’aussi bon n’était parvenu dans ma bouche. Je ferme les yeux, comblée de pouvoir à nouveau sentir son goût sur ma langue. Quand je les rouvre, il me fixe, les yeux encore plus foncés que d’habitude. Et je perçois de l’animalité s’y installer un quart de seconde avant qu’il ne se jette sur moi. Son pouce quitte ma bouche mais je n’ai pas le temps d’en ressentir le manque que ses lèvres charnues sont sur les miennes, et sa langue, avide, contre la mienne. Nous gémissons ensemble contre la bouche de l’autre. Ma tête bascule en arrière et se retrouve dans le vide. Il en profite pour dévorer ma gorge et semble vouloir continuer plus bas mais j’ai beaucoup trop besoin de sentir son corps contre moi. Je grogne, me relève et le pousse dos au matelas pour le chevaucher. Je passe une main folle dans mes cheveux tandis que je salive devant son corps nu qui s’offre à moi. Je pose mes mains sur lui et caresse sa bouche, ses pectoraux, son ventre, qui se contracte à mon passage. Il tressaille quand je m’approche de son sexe tendu. J’ai l’impression de sentir mon entre-jambe fondre. Il me dévisage, les sourcils froncés. Ses mains se posent sur mes chevilles et ce simple contact m’électrise. Sans me lâcher du regard, il les fait remonter doucement le long de mes jambes, jusqu’à mes cuisses à peine recouvertes de ma jupe remontée. Quand ses yeux quittent enfin mon visage pour s’aventurer plus bas, il laisse échapper un grognement bestial. Il a complètement remonté ma jupe sur mes hanches et mon tanga en dentelle rouge semble le rendre fou. Je sens son érection pulser sous moi. Ses mains partent à l’assaut de mes fesses qu’il pétrit durement, puis remontent dans mon dos. Je passe mon débardeur en coton au-dessus de ma tête et offre ma petite poitrine à sa vue. Ses yeux s’y attardent et un juron passe ses lèvres. N’y tenant plus, je relève mon bassin, dégage le tissu de mon intimité et empoigne son sexe dur que je positionne à l’entrée de mon vagin trempé. Nos regards ne se lâchent pas tandis que je m’empale doucement sur lui, m’arrachant un son grave que je ne me connais pas. Ses mains se posent sur mes hanches et je me délecte qu’elles soient de nouveau sur moi. Le sentir au creux de mon corps me procure un plaisir incommensurable. Je ne contrôle plus rien et dévore des yeux son visage qui transpire un désir brutal. Mon cœur, autant que mon clitoris, se gonflent pour cet homme qui a conquis mon âme bien avant de conquérir mon corps. Comme s’il était connecté à mes pensées, il se redresse et m’embrasse tendrement, profondément, ses mains entourant mon visage en coupe tandis que j’ondule sur lui. Nos bouches ne se lâchent plus, nos lèvres et nos langues se meuvent dans une valse envoûtante. Une de ses mains lâche mon visage, glisse sur ma gorge pour s’arrêter sur mon sein gauche. Il le caresse doucement, puis le presse plus fermement. Son pouce vient titiller mon téton et j’y réponds par un gémissement aigu qui meurt dans sa bouche. Son baiser devient plus sauvage. Une main dans mon dos, il me plaque contre lui, mais son autre main garde mon téton droit entre ses doigts et tire dessus pendant que de violents coups de bassin l’enfoncent plus profondément en moi. Il a repris le pouvoir et les sensations sont si folles que je ne suis plus que halètements et gémissements. Comprenant que je suis au bord de la jouissance, il attrape mes cheveux et éloigne mon visage pour le regarder pendant qu’il me pénètre de plus en plus fort. Sa mâchoire se contracte sous l’effort, de la sueur perle de son front, son regard est à la fois prédateur et proie. Je sais ce qu’il ne dit pas : « jouis pour moi ». Une vague déferlante s’abat sur tout mon corps, aussi violente que des rouleaux océaniques, elle m’arrache un cri et me dévaste de l’intérieur. Je m’affaiblis entre ses bras qui me maintiennent et repose mon front contre le sien. Il y a bien longtemps que j’ai baissé les barrières face à lui, alors je le laisse lire ma vulnérabilité et m’abreuve de la sienne, quand ses yeux se voilent à son tour sous l’orgasme. Un râle puissant sort de sa poitrine et il ralentit progressivement les ondulations sous moi. Nous restons ainsi immobiles, front contre front, le souffle saccadé, le cœur qui bat à tout rompre, perdus avec délice dans la chaleur de l’autre. Quand on bougera enfin, ce sera peut-être la fin de « nous ». Alors je n’amorcerai pas la séparation de nos corps. Me séparer de lui à tout jamais est un deuil que je ne pourrais jamais faire. Alors je prie tous les dieux en lesquels je ne crois pas pour que je puisse un jour le retrouver totalement.
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- Heeellooooooo ! tonne Simon dans une entrée triomphante.
Elsa et moi étions assises à la table de ma cuisine en train de travailler sur un commentaire de texte, lorsque Simon nous a fait sursauter de peur. Il s’assoit nonchalamment aux côtés d’Elsa, un grand sourire aux lèvres.
Hugo entre à son tour, les yeux levés au ciel:
- J’ai fait ce que j’ai pu mais quand il a décidé quelque chose …
Il prend des bières dans le frigo. Elsa en profite qu’il ait le dos tourné pour donner une tape sur la tête de son nouveau voisin de table :
- On ne s'invite pas chez les gens comme ça trou d’uc.
Celui-ci sourit, nullement insulté, et s’adresse à moi :
- T’as vu comme elle me kiffe ? Aïe !
Elsa le tape à nouveau et il se frotte le crâne en grimaçant.
- Si tu veux me frapper, au moins fais-le pendant le sexe ! dit-il avant d’esquiver un troisième coup de justesse et je ne peux m’empêcher de rire.
Depuis le nouvel an, Elsa a appris, avec beaucoup de colère, que Simon avait interdit Anthony de l’approcher ce soir-là. Mais aujourd’hui, de l’eau a coulé sur les ponts et il semblerait que l’acharnement de Simon paie doucement ses fruits car, à défaut d’être amoureuse de lui, elle semble néanmoins le considérer de plus en plus comme un ami. Ils sont même assez touchants, dans leur duo infernal. Ennuyants aussi mais touchants.
Hugo dépose une bière devant chacun d’entre nous et s’assoit à mes côtés.
- On abandonne nos devoirs, c’est ça ? je demande.
- T’as tout compris, Beauté ! me répond Simon avec un clin d’œil. J’ai invité Anthony à nous rejoindre.
- Mais en plus de t’inviter chez les gens, tu y invites d’autres GENS, tu n’as aucun savoir vivre ou quoi ?! s’insurge Elsa.
Je croise le regard d’Hugo et me rends compte que je souris bêtement depuis que je sais qu’Anthony va venir ici. Il hausse un sourcil et bois une gorgée de bière en silence. Une sorte de dialogue silencieux s’ensuit où je lui fais comprendre qu’il se méprend et qu’il doit me lâcher les baskets. Il lève légèrement les mains au ciel en signe d’innocence mais il n’en pense pas moins.
C’est ce moment que choisit ma sœur Clara pour descendre les escaliers.
- Encore en train de vous regarder dans le blanc des yeux, nous taquine-t-elle, vous auriez pu me dire qu’il y avait du monde !
- Salut Beauté numéro deux ! la salue Simon.
- L’appelle pas comme ça, gronde Hugo.
- Je peux pas être Beauté numéro 1 ? demande simplement Clara sans s’offusquer de quoi que ce soit.
- Malheureusement non, Emilie a le droit à ce sobriquet depuis plusieurs mois maintenant. Je te trouverai quelque chose de mieux, promis. Laisse-moi le temps d’y réfléchir.
- Tu peux l’appeler par son prénom, ce sera suffisant, bougonne toujours mon colocataire.
- Qu’est-ce que tu peux être rabat-joie, pire qu’un grand frère, tu sais ça ?
Je souris derrière le goulot de ma bière.
Clara vient se poser sur les genoux de la tête de mule et tente de lui piquer une gorgée de bière mais il l’intercepte.
- Allez, fais pas ton chieur, j’ai plus 15 ans !
Comme il n’en démord pas, elle se lève, lui fait une bise sur la joue et va se chercher sa propre bière dans le frigo avant de s’installer dans un fauteuil du salon.
- Clara …, grogne Hugo.
Elle lui sourit tout en sirotant sa bière.
- Tsss, j’essaie d’attirer l’attention de mon ami.
- Quoi ? il répond de mauvaise humeur.
Je le fixe jusqu’à ce qu’il concède à me regarder. Je lui fais signe de laisser couler et de se détendre. Sa bouche se tord, mécontent, mais je sais qu’il comprend qu’il en fait trop. Elle a 17 ans, ce n’est plus une enfant.
- Vous recommencez, dit Clara.
Quelqu’un sonne à la porte.
- T’y vas Lily-puce ? me demande Hugo l’air de rien.
Je le fusille du regard et me lève dignement avant de me prendre les pieds dans ma chaise et de manquer de tomber.
Je l’entends réprimer son rire mais je décide de ne pas y prêter attention. J’aime beaucoup Anthony, j’apprécie passer du temps avec lui. C’est vrai qu’on s’entend vraiment bien, mais on est amis, c’est tout. Hugo se fait des films.
Je claque la porte de notre appartement et descends les escaliers en hâte. J’ouvre la porte et un Anthony, égale à lui-même, se tient les bras croisés, l’épaule posée contre le mur, un léger sourire en coin, l’air sûr de lui. Sauf que contrairement à ses deux meilleurs amis, sa sérénité à lui n’est qu’apparente. Je lui souris et le salue.
- Tu sens bon, je déclare.
Il élargit plus franchement son sourire et met une main dans le creux de mon dos pour m’inciter à monter les escaliers.
- J’espère qu’on ne vous dérange pas.
- Autant Simon peut être dérangeant à sa façon, même s’il n’en reste pas moins attachant ce con, mais alors toi, je ne vois pas comment tu pourrais déranger.
Je me rends compte que mes propos ne sont pas forcément clairs alors je me retourne et lui fais face. Je suis presque à la même hauteur que lui, qui se trouve deux marches en-dessous.
- Je veux dire …Enfin tu sais …Je voulais pas dire que tu es transparent ou …c’était un compliment à la base …
Il rit.
- Merci Emilie.
Nous nous regardons quelques instants et je finis par secouer la tête et je reprends la montée des escaliers.
- Ah le plus beau de mes potos ! l’apostrophe Simon quand nous entrons.
- On monte dans notre chambre, non ? On sera plus à l’aise, dit Clara.
En effet, la pièce qui fait office de cuisine et salon est plutôt petite. Nous avons une table avec quatre chaises ainsi que deux fauteuils qui font face à une télé de taille moyenne.
La chambre que nous partageons avec Clara, à l’étage, est quant à elle très spacieuse si on s’assoit par terre.
- Let’s go ! je réponds en claquant des mains.
Je les précède et ramasse rapidement les affaires qui traînent dans notre chambre (je dois avouer que ce sont surtout MES affaires qui ne sont pas rangées) et balancent des coussins et couvertures sur le sol recouvert de moquette.
- T’as pas un jeu de cartes, Milie ? me demande Elsa.
- J’ai tout ce qu’il faut, mon cœur ! me devance Simon en sortant des cartes de son sac de cours, ainsi qu’une bouteille de rhum.
Je souris en secouant doucement la tête de gauche à droite.
- Tu avais vraiment tout prévu hein ?
Il me fait un clin d’œil, fier.
Elsa lui pique les cartes des mains et commence à les mélanger quand soudain elle s’arrête et toute excitée demande à l’assemblée :
- On fait un kems ? S’il vous plaît ça fait trop longtemps !
Nous voilà partis dans un kems hilarant, ponctué de gorgées de rhum qui brûlent de moins en moins notre œsophage (en apparence du moins).
Le duo que je forme avec Hugo prend tout le monde de court, ce qui fait beaucoup rouspéter ma sœur, mais qui exaspère surtout Elsa, qui se révèle être très mauvaise perdante. C’est d’ailleurs elle qui commence à répartir de nouvelles équipes, mais Simon insiste pour qu’ils jouent ensemble.
A notre étonnement à tous, elle accepte.
Nos nouveaux duos sont beaucoup plus serrés ainsi : Simon avec Elsa, Clara avec Hugo et Anthony avec moi.
Chaque équipe possède son point fort. Simon connaît très bien les réactions et expressions d’Elsa et arrive toujours à cerner son jeu. Quant à elle, elle se concentre sur ses concurrents et ne laisse personne se reposer sur ses lauriers. Clara et Hugo se connaissent tous les deux très bien. Elle a beau se plaindre, pour la forme, de notre façon de communiquer silencieusement, Hugo et moi, ce qu’ils font n’est pas très différent. Mais authentique et spontanée, ma petite sœur a du mal à cacher ce qu’il se passe en elle et se fait souvent griller par Elsa, Anthony, qui est un terrible observateur, et moi qui la connais par cœur. De bonne guerre, je suis souvent trahie dans mes expressions et mon attitude par Hugo. Anthony est incroyable, il arrive à focaliser son attention à la fois sur moi et sur nos adversaires. Il ne manque aucun de mes kem’s et suit avec brio la façon de jouer de nos amis. Pour ma part, je me contente de me concentrer sur mon propre jeu et d’observer mon partenaire. A chaque fois que j’ai un doute sur son jeu, d’un regard, il arrive à me faire comprendre avec douceur si je peux me manifester ou non. Je suis admirative, et jouer à ses côtés devient vraiment passionnant. La fougue d’Elsa, Simon qui fait le pitre en permanence, ma petite sœur complètement naturelle et qui me fait mourir de rire, Hugo qui m’attendrit dans la relation qu’il a avec elle …sans compter l’alcool: tout cela me plonge dans un état d’allégresse, de légèreté et de totale confiance.
Nous tentons de mélanger encore les équipes, et si Simon et moi sommes terriblement mauvais ensemble, je m’amuse beaucoup avec lui. Elsa et Anthony ensemble sont à proscrire, ils sont beaucoup trop doués. Elsa et ma sœur c’est assez explosif : la première jouant de façon trop sérieuse contrairement à la deuxième. Nous continuons à switcher mais finissons par revenir aux duos que nous trouvons les mieux répartis.
Mais quand nous entamons une deuxième bouteille trouvée au fin fond d’un placard, nous disons beaucoup plus de conneries que nous nous concentrons sur nos jeux respectifs. Même Anthony finit par se détendre complètement et sort de sa réserve. Je finis la tête calée sur son épaule et espionne ses cartes mais plus personne n’y trouve à redire.
Nous passons un excellent moment, et pour la première fois depuis longtemps, je ne pense pas une seule fois à Martin.
Je me réveille doucement le lendemain matin, le crâne asséché et la langue pâteuse. J’ai mal à la nuque et réalise que ma tête ne repose pas sur un coussin mais sur quelqu’un. Je grimace de douleur et relève la tête, faisant ainsi face au visage de dieu grec d’Anthony. Ma respiration se coupe devant une telle beauté. Je me force à le quitter du regard et observe mes amis endormis, éparpillés un peu partout dans la pièce.
Clara dort paisiblement sur notre lit, du côté du mur. Elle a été la première à rejoindre les bras de Morphée. A ses côtés se trouve Elsa, en position fœtale, serrant sa peluche Mickey dans ses bras. Elle me paraît tellement vulnérable à chaque fois que je la vois comme ça. Simon a bien tenté de dormir avec elle, mais mon amie n’a pas succombés malgré son taux d’alcoolémie élevé. Mais je sais que Simon ne va pas se laisser abattre pour autant. Il est incroyablement tenace et patient. D'ailleurs, celui-ci a choisi de se placer juste à côté du lit. S’ils ne sont pas sur le même niveau, je dois lui accorder le mérite d’être à ses côtés malgré tout.
Hugo aurait pu rejoindre sa chambre pour dormir, mais je le soupçonne d’être resté ici seulement pour veiller sur ma sœur qui s’était couchée avant tout le monde. Il s’est assoupi sur mon fauteuil de lecture, la tête basculée en arrière. Je ne vais pas être la seule à souffrir de la nuque aujourd’hui.
Mes yeux se reposent sur Anthony et je réalise qu’il ne dort plus et me fixe en silence. Je rougis de son regard posé sur moi et de la proximité qui a été la nôtre durant la nuit.
- Désolée, je murmure en me mordant la lèvre.
- De quoi ? il articule silencieusement.
D’un geste maladroit, je nous désigne tous les deux. Il fronce les sourcils et sans même étirer les lèvres, son visage sourit. Il se redresse légèrement et attrape son sac d’où il sort une gourde et du doliprane. Il me tend un comprimé et l’eau et je me désaltère avec reconnaissance pendant qu’il se rallonge, un bras derrière la tête.
Je le remercie tout bas mais avec dévotion et me penche pour l’embrasser sur la joue. Cette fois il sourit vraiment. Il m’attrape doucement le bras pour m’attirer à lui et je me raidis, mal à l’aise. Je ne sais pas quoi penser de cette relation qui s’installe entre nous. Je ne sais pas s’il a quelque chose derrière la tête. Je pense soudain à Martin. S’il n’était pas là, toujours dans mes pensées, peut-être que je serais plus encline à me laisser aller avec Anthony que j’aime tellement. Et … je ne voudrais pas gâcher cette belle relation que l’on a, lui et moi. Mon ami reprend une position assise, regarde nos camarades endormis autour de nous, puis vient me chuchoter à l’oreille :
- Just friends I promise.
Touchée, je réponds :
- You even speak in english for me ?
- Of course, cause you’re my friend and I want you to be fine.
Son anglais est maladroit et son accent terrible. C’est un amoureux de la langue française avant tout. Mais je sais qu’il se force à pratiquer la langue de Shakespeare pour pouvoir apprécier certaines œuvres littéraires dans leur version originale. Je suis flattée qu’un homme comme lui s’intéresse à moi, même si c’est de façon amicale. Je crois que c’est la personne la plus intéressante que je connaisse. Il me fascine de bien des façons.
Il glisse quelques mèches de cheveux derrière mon oreille, se rallonge et de la main m’invite à me caler contre lui. Cette fois, je me laisse faire et pose ma tête contre sa poitrine. Je sens son cœur battre sous mon oreille et faire écho aux pulsations de ma tête que le paracétamol n’a pas encore soulagée. Son bras repose autour de ma taille, en toute simplicité. C’est agréable, je me sens bien et en sécurité. Et je décide de ne pas me poser trop de questions, et de juste profiter de ce moment de tendresse qui nous apporte un peu de chaleur humaine à tous les deux.
J’entends ma sœur marmonner dans son sommeil, le léger ronflement de mon colocataire, le battement régulier du cœur de mon ami et, complètement apaisée et légère, je finis par me rendormir.