Chapitre 23

Par Ysaé

Quatre jours s’étaient écoulés depuis la disparition d’Alek et Tilma. Quatre jours, presqu’une éternité, où Olivia avait eu l’impression d’évoluer en plein no man’s land. Elle se sentait épuisée nerveusement.

Elle ne comprenait pas comment les cousins Etcho pouvaient faire preuve d’un tel degré de cynisme et de cruauté. Si Aram perdait patience avec elle… Olivia préférait ne pas imaginer ce qui l’attendrait.

L’Ark la convoqua en début d’après-midi pour le rapport journalier. Il avait finalement raison sur sa capacité à mesurer l’état d’esprits du camp ; elle entendait effectivement quantité de choses, et bien d’avantage qu’elle n’aurait dû : beaucoup de résistants faisaient fi de toute prudence lorsqu’ils communiquaient dans leur dialecte. Olivia savait que les caprices de roitelets des Etcho passaient difficilement en ces temps de restriction, sans parler de leur justice expéditive et l’absence de victoires récentes et significatives contre l’Empereur. Evidemment, elle garda bien d’en dire un seul mot et se contenta de le flatter sans vergogne, comme les jours précédant. Oui, leur présence redonnait entrain et foi dans le combat. Oui, pour la cause, les résistants consentaient de bonne grâce aux sacrifices demandés.

Aram semblait bien se ficher de ce qu’elle pouvait lui dire, de toute manière. Il était en pleine reflexion et mit d’ailleurs un moment avant de se rendre compte qu’elle avait fini de parler.

— Viens dehors avec moi, dit-il brusquement.

Olivia le suivit à l’extérieur, pleine d’appréhension. Avec son mètre soixante-quatre, elle arrivait tout juste à l’épaule d’Aram.

Il lui suffit d’un regard : son cœur allait exploser.

Elle était là.

Olivia se jeta dans les bras de Tilma, trop heureuse pour parler. Alors qu’elle avait enfoui la tête dans la masse vaporeuse de ses cheveux roux, son amie lui chuchota :

— Je ne sais pas comment tu t’y es prise, mais je te dois une fière chandelle.

 

Aram les observait avec curiosité.

— Je vois que ta cousine t’a manqué…

Olivia se contenta de lui sourire, son premier sourire sincère depuis qu’elle le connaissait.

— Votre honneur, dit Tilma en s’inclinant, nous permettez-vous de prendre congé ? Mon voyage a été long et éprouvant.

— Je vous le permets. C’est un plaisir que de vous compter à nouveau parmi nous, Fara.

La menace était à peine voilée. Sans demander son reste, Tilma tira son amie par le bras.

— Olivia ! Je vous attends ce soir, n’oubliez pas, susurra le géant.

 

Tilma se laissa tomber sur sa couche avec un soupir de contentement.

— Ah ! Ce vieux matelas m’avait manqué !

Elle était pareil à elle-même et ne semblait pas avoir été molestée. Olivia était euphorique : l’espoir renaissait.

— Raconte-moi ce qui t’es arrivée.

— Tu te doutes bien que je n’étais pas en mission. Nous n’avons pas été suffisamment discrètes, et ta couverture est tombée. Les Etcho m’ont accusé de trahison, pour avoir dissimulé ta véritable origine, et l’on m’a retenu dans une grotte quelque part dans la montagne.

— Et Alek ? Est-ce que tu sais s’il a été emprisonné, lui aussi ?!

— Oui, mais nous n’étions pas au même endroit.

C’était un mensonge. Tilma avait entendu, des heures durant, les cris d’agonie du bossu mais le révéler aurait été parfaitement inutile.

— Ecoute, continua-t-elle, tu te souviens de ce que je t’ai raconté sur l’ylure ? Nous y sommes. L’Ark veut que tu tombes amoureuse de lui, tu comprends ? S’il t’a toi, être sacré Empereur ne sera plus pour lui qu’une question de temps.

— C’est bon Tilma, j’ai compris maintenant.

Oclamel la regarda avec étonnemet.

— Ah bon ? Tu as décidé que ce n’était plus des contes pour enfants ?

— Alors c’est ça que tu veux ? Que je sois avec Aram ?

Rien que j’y songer, elle en avait la nausée.

— T’es folle ou quoi ? Ce fumier a failli me faire exécuter ! Je ne dois ma survie qu’à ton intervention. Aram a sans doute compris qu’il aurait du mal de parvenir à ses fins si tu passais ton temps à t’inquiéter pour moi.

— C’est vrai ?

Olivia attrapa la main de Tilma qu’elle écrasa entre les siennes.

— Oui c’est vrai.

— Qu’est-ce qu’on fait alors ?

— On se tire ! Mais pas sans Alek. L’Ark m’a promis une fin lente et douloureuse et quelque chose de similaire pour lui si je ne coopérais pas suffisamment.

— Oh mon Dieu !

La précarité de leur situation lui éclaboussait le visage. Elle était horrifiée que ses deux plus proches amis risquassent la mort à cause d’elle.

Oclamel, comme à son habitude, avait de la suite dans les idées. Elle avait monté un plan de fuite, réfléchi à différentes options.

— La priorité, c’est de localiser Alek. Je n’aurais pas de difficulté à savoir qui sont ses gardes car ils font probablement parti des meilleurs Avel-lazhers. La seule solution est de les suivre à leur insu. Le problème, c’est que je vais être étroitement surveillée : nous n’aurons donc qu’un seul essai. Nous attendrons un jour propice, peut-être un départ de mission, et en attendant nous ferons des provisions.

— Et à part faire des réserves de nourritures, je fais quoi moi ?

Tilma sourit avec indulgence.

— Toi, tu as le rôle le plus important. Il faut endormir les Etcho : l’Ark doit être persuadé que son plan fonctionne et que tu vas sous peu tomber raide dingue de lui : ne recule devant aucun stratagème.

— Ok !

Olivia ne s’était jamais sentie autant déterminé. Oclamel se rapprocha d’elle jusqu’à coller son front contre le sien.

— Tu te rappelles du cri de guerre des Fara ? Ensemble !

— Crève ! dirent-elles d’une seule voix.

 

 

Aram, l’œil gros, la bave aux lèvres. Il tient dans sa main un amas de fils poisseux. Ce sont des cheveux, ceux de Brenair, autrefois si soyeux. Aram essore les cheveux comme un linge humide, un liquide rouge s’échappe d’entre ses phalanges et coule le long de son avant-bras. Il ricane, un grondement déguelasse. Soudain, il écrase le sol avec son pied, ses jambes sont épaisses, c’est un Géant qui frappe le sol. Mais au lieu d’un bruit mou, on entend un craquement, puis deux.

C’est la tête de Brenair qui se brise, comme broyée au casse-noix.

 

 

Olivia se réveilla en sursaut, le cœur battant.

Ce n’était qu’un cauchemar.

Elle chercha aussitôt Tilma dans la pénombre et ressenti un soulagement immédiat à la vue de sa chevelure éparse. Par chance c’était le dernier jour de la semaine et elles pourraient profiter de leurs retrouvailles.

Olivia avait été soulagé de savoir Alek sain et sauf, et même si elle l’admettait plus difficilement, d’avoir la confirmation qu’il ne l’avait pas fui de son plein gré. Après la nuit qu’ils avaient vécue ensemble, n’avoir trouvé qu’une place vide et chaude à son réveil avait été une cruelle désillusion. On ne lui avait jamais fait l’amour d’une façon aussi extraordinaire (certes pas très orthodoxe). Elle avait besoin de savoir la signification que cela avait eu pour lui.

Olivia ne s’expliquait pas vraiment son attirance pour Alek : c’était chimique. Il avait beau être colérique, son cœur était honnête et pur, et son courage face à son calvaire quotidien intimait le respect. Et puis il avait cet humour particulier, ironique, qu’elle appréciait particulièrement, tout comme son côté bien élevé. Alek était une combinaison d’éléments qui n’auraient pas dû la séduire… et pourtant… il était le seul avec qui elle se sentait vraiment elle-même.

Mahe sorti de la yourte en faisant attention à ne pas réveiller Tilma : elle avait bien vu la veille à quel point son amie était épuisée. Il était encore tôt et le bassin des ablutions était quasiment désert : les deux femmes présentes la dévisagèrent cependant avant de lui retourner son salut. Olivia n’était pas passée longtemps inaperçu en fréquentant les Etcho : l’attitude des gens s’était rapidement modifié à son encontre, de stratégie d’évitement en phrases laconiques, la plupart des hommes ne se risquant même plus à lui adresser la parole. Elle craignait de ne pouvoir agir discrètement avec tous ces regards qui l’accompagnaient partout où elle allait.

Avant de rentrer, Olivia décida d’effectuer un crochet pour saluer Aram. Il lui avait quelque fois reproché de ne jamais venir sans y être conviée, et elle espérait ainsi lui faire plaisir tout en lui témoignant sa gratitude suite au retour d’Oclamel. Surtout, il lui fallait exorciser l’affreux cauchemar de la nuit, sans doute la matérialisation de la peur que lui inspiraient les Etcho. Elle n’avait pas le choix si elle voulait que le plan de Tilma ait des chances de réussir. Elle lissa ses vêtements et se présenta devant la tente principale. Il n’y avait qu’un seul garde en faction ; celui-ci ouvrit de grand yeux paniqué lorsqu’il l’aperçu.

La voix d’Ewen traversa la paroi, dénuée pour une fois de tout accent moqueur.

— Tu ne vois pas que cette fille te mène en bateau Aram?

Olivia compris qu’en l’absence de son supérieur, le jeune garde appréhendait d’interrompre la conversation pour annoncer sa présence. Conversation qui devait être tenue dans un dialecte qu’il ne comprenait pas. Olivia mit un doigt devant sa bouche et lui fit un clin d’œil : elle attendrait.

— Tu m’emmerde Ewen, grogna Aram.

— Et ce type qu’elle a séduit dans les bois… Crois-moi, elle n’est pas aussi innocente que tu l’imagine. Gildas, t’en pense quoi ?

— Je la trouve gentille. Elle ne ressemble avec du tout à Al'.

Ewen soupira. Son frère n’avait jamais été du plus grand soutien.

— Je t’aurais prévenu mon cousin, tu perds ton temps. Si on optait pour la manière forte…

— Putain, mais c’est une femme Ivy ! le coupa Aram. Je ne la forcerai qu’en dernier recours. Dis-toi que si elle tombe amoureuse, le lendemain nous marcherons sur Harfang.

— Et si ça n’arrive pas ? Je devrais peut-être tenter ma chance ? railla Ewen

Ce fut le moment que choisi Olivia pour faire signe au garde de l’annoncer.

— Olivia Omahe, du clan Fara ! articula-t-il trop fort.

Il y eu un bruissement suivi d’un juron. Aram sorti de la tente ; il était rasé de près et seulement vêtu d’un pantalon en lin blanc.

— Ma chère Oivia ! Quelle surprise de si bon matin !

— Je…je ne voulais pas déranger…

— Balivernes, comment le pourrais-tu ?

Il la gratifia d’un de ses sourires hypocrites :

— Je vais faire le tour du camp, acceptes-tu de m’accompagner ?

Olivia avait largement intégré que les propositions d’Aram ne souffraient pas de refus. Pour flatter son ego démesuré, elle observa son torse avec une gourmandise étudiée. Ewen n’avait pas tort sur ce point : elle n’avait rien d’une fille innocente.

— Ne bouge pas, s’empressa-t-il de lui dire, je reviens !

Il réapparut quelques minutes plus tard, vêtu très élégamment d’un trois pièces brodé, d’un pantalon moulant et de bottines. Olivia le suivi à travers le camp, sans l’escorte habituelle. C’était une expérience curieuse : toutes les personnes qu’ils croisaient se jetait à terre en guise de respect, des plus humbles aux plus fiers combattants.

Ils terminèrent par la zone d’entrainement, où les combattants s’entrainaient tous les jours. Aram avait une idée en tête :

— Aimerais-tu assister à un duel ?

Olivia répondit une nouvelle fois par l’affirmative, priant pour qu’il ne s’agisse pas d’un combat à mort. A sa grande surprise, Aram ôta sa veste et fit quelques mouvements d’épaule.

— Qu’on m’amène des Avel-lazhers dignes de ce nom, commanda-t-il aux instructeurs présents.

— Je serais votre homme si vous l’acceptez, votre honneur, dit une voix familière.

Le Commandant Clovis Medon effectua une révérence courtoise.

— Etes-vous sure de vous Medon ? Je ne souhaiterais pas vous blesser…

— Je ne doute pas que telle n’est pas votre intention, répondit Clovis sans relever le ton provocateur.

— Non, bien sûr. J’avoue que votre défi me plait, Commandant. Voilà bien longtemps, me semble-t-il, que n’avez affronté un membre du clan Etcho.

— En effet. L’Empereur n’était cependant pas un des moindres.

Aram contracta les mâchoires :

— Vous m’en direz tant.

 

Le soleil commençait doucement à réchauffer l’air, et comme le jour précédent, envelopperait bientôt le massif d’une moiteur étouffante. Olivia se tenait en bordure de piste avec Tilma qui l’avait rejointe, attirée par la rumeur d’un combat éminent. Cette dernière se moquait ouvertement des deux idiots sensés la surveiller discrètement et qu’elle avait repéré dès la première heure.

— Que penses-tu de l’issu de ce combat ?

— Oh, répondit Tilma, même si Commandant était en mesure de l’emporter, il ne pourrait décemment le faire. Ce serait une humiliation insupportable pour l’Ark.

— C’est quoi l’intérêt dans ce cas ?

— Ce qui compte ma chérie, ce n’est pas le résultat, mais la durée. Tu encourage ton champion ? ajouta-t-elle sur un ton de conspiratrice.

Olivia esquissa un sourire, bras croisés sur sa poitrine. Qu’il était bon de compter à nouveau sur une alliée !

Il y avait une effervescence particulière car il n’était plus si courant d’observer des sabreurs maîtrisant la voie Sterne, à fortiori un membre du clan Etcho. Aram et Clovis s’échauffait chacun de leur côté, sans tenir compte de la foule qui commençait à s’amasser. L’Ark vérifia ses deux sabres aux manches incrustés de pierres écarlates sous tous les aspects puis échangea un regard avec Olivia, toujours aussi arrogant et satisfait de lui-même. Enfin, il se tourna vers Clovis, jouissant d’avance du spectacle qu’il offrirait. Le Commandant Medon gardait sa maîtrise habituelle, le visage neutre et empli d’autorité. Bien que leur différence d’âge fût difficilement perceptible physiquement, il y avait chez Medon une profondeur qui laissait l’impression durable de son expérience et de sa maturité. Olivia, qui s’était forgé de l’Empereur Karza l’image d’un vieillard maléfique à la Saroumane, avait du mal à imaginer que le Commandant et lui fussent de la même génération.

Medon se débarrassa de son pardessus, révélant sa peau brune aux tatouages complexes. Il plaça sur son avant-bras gauche une longue manchette métallique.

— Je vois que vous êtes prêt, constata l’Ark. Commençons.

Les deux sabreurs se placèrent au centre, entourés d’un silence respectueux. Aram Scher mit un genou à terre, les bras écartés, sabres pointant le sol. Ce fut à ce moment précis qu’Olivia fit le lien entre les cousins Etcho et Alek.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
_HP_
Posté le 17/05/2020
Hey !

Ouiiii, Tilmaaa !!
En effet, elle n'était pas en mission...
Enfin, j'ai hâte de voir comment va se passer leur fuite ^^
Je me rapproche de la fiiiiiiin !!! 😮😀

• "finalement raison sur sa capacité à mesurer l’état d’esprits du camp" → esprit
• "quantité de choses, et bien d’avantage qu’elle n’aurait dû" → davantage
• "se contenta de le flatter sans vergogne, comme les jours précédant" → précédents
• "Oclamel la regarda avec étonnemet" → étonnement
• "Rien que j’y songer, elle en avait la nausée." → d'y songer
• "car ils font probablement parti des meilleurs Avel-lazhers" → partie
• "Olivia ne s’était jamais sentie autant déterminé" → déterminée (j'aurais dit "aussi déterminée", je trouve cela plus fluide ^^)
• "Il ricane, un grondement déguelasse" → dégueulasse
• "chercha aussitôt Tilma dans la pénombre et ressenti" → ressentit
• "d’avoir la confirmation qu’il ne l’avait pas fui de son plein gré" → fuie
• "Mahe sorti de la yourte en faisant attention à ne pas réveiller" → sortit
• "Olivia n’était pas passée longtemps inaperçu en fréquentant" → inaperçue
• "l’attitude des gens s’était rapidement modifié à son encontre" → modifiée
• "celui-ci ouvrit de grand yeux paniqué lorsqu’il l’aperçu" → aperçut
• "Elle ne ressemble avec du tout à Al'." → "elle ne ressemble avec du tout" ? 🤔 "pas du tout", peut-être, non ? 🤔😄
• "Ce fut le moment que choisi Olivia pour faire signe au garde" → choisit
• "Aram sorti de la tente ; il était rasé de près" → sortit
• "Ma chère Oivia !" → Olivia 😄
• "Olivia le suivi à travers le camp, sans l’escorte habituelle" → suivit
• "toutes les personnes qu’ils croisaient se jetait à terre" → jetaient
• "des deux idiots sensés la surveiller discrètement et qu’elle avait repéré" → censés / repérés
• "Que penses-tu de l’issu de ce combat ?" → issue
• "Tu encourage ton champion ?" → encourages
• "ses deux sabres aux manches incrustés de pierres" → inscrustées
Ysaé
Posté le 18/05/2020
Des fois je me demande si je me suis réellement relue... avec antidote et tes indications, j'espère arriver à un texte un peu près correct. Merci beaucoup !
Vous lisez