Chapitre 24

Par Ysaé

La lutte acharnée qu’Alek avait mené contre les tartars avaient laissé un souvenir très vif dans l’esprit d’Olivia. Les mouvements aériens, la puissance des coups… elle reconnue tout de suite les similitudes entre sa technique de combat et celle d’Aram Scher, bien que ce dernier ne l’égala pas en termes de fluidité et de rapidité.

L’Ark déployait une force herculéenne que Clovis Medon avait toutes les peines à contrer. Chaque choc se répercutait dans ses membres telle une onde sismique. Le Commandant combattait curieusement, se déplacant de manière furtive et frappant comme en miroir.

— Incroyable…

Tilma suivait les échanges, fascinée. Medon avait en effet apprit à se battre contre les Avel-lazhers du clan Etcho. Tout leur talent reposait sur la maitrise de la gravité sur une zone ciblée, qui s’étendait de leurs bras à la pointe de leurs sabres : ils pouvaient ainsi accroître la force de leurs coups et leur vitesse d’exécution. Néanmoins, la plupart d’en eux n’était pas capable d’une grande précision quand ils agissaient sur les éléments, laissant la zone d’infuence s’entendre au-delà d’eux même. Clovis utilisait cette faille, s’approchant au plus près de son adversaire et attaquant au même moment pour bénéficier des changements de pesanteur. De plus, grace à des feintes calculées, il obligeait Aram à modifier légèrement la direction de ses coups. Ça n’avait l’air de rien et pourtant, cela occasionnait une tension musculaire à laquelle l’Ark n’était pas habitué et qui le fatiguait.

— Le Commandant se bat dans un style qui mélange les voies Rhone et Tak.

Olivia aurait été bien en peine de définir les subtilités des quatre voies d’escrime mais elle observait, captivée, la puissance des assauts. Elle comprenait à présent pourquoi Tilma avait qualifié le niveau d’Alek de fabuleux : il ne suffisait pas de maitriser la voie Sterne pour l’emporter facilement, et Aram en faisait la pénible expérience face à un Avel-lazher de la même envergure que lui.

Les deux hommes s’étaient écartés l’un de l’autre, cherchant un nouvel angle d’attaque. L’Ark soufflait bruyamment, les joues colorées par l’effort et l’énervement, quand le Commandant lui opposait un visage au front plissé par la concentration.

Aram s’élança le premier, redoublant d’intensité. Après quelques échanges vigoureux contrés habillement par Clovis, il changea de technique pour exploiter l’avantage que lui conféraient ses deux sabres. Mais Medon étant manifestement plus à l’aise face à ce type de jeu, étant lui-même un combattant particulièrement vif.

Il semblait que duel ne se terminerait jamais : l’assemblée était de plus en plus tendue. Les deux Avel-lazhers réussirent chacun à toucher l’autre superficiellement, sans signifier la fin de leur confrontation.

Enfin, le Commandant Medon parrut perdre du terrain. Il contrecarra avec difficulté plusieurs attaques, reculant de quelques mètres. La dernière lui fit perdre l’équilibre et il posa un genou sur le sol. Alors qu’Aram s’apprêtait à abattre son sabre, Clovis cogna sa poitrine et baissa la tête en signe de réédition.

Aram Scher retint sa lame in extremis. Après quelques secondes qui sonnèrent comme des heures, il hocha imperceptiblement la tête, le regard brillant de rage contenu. Tout le monde applaudit : l’Ark avait vaincu.

— Il l’a laissé gagner, chuchota Tilma qui n’en pouvait plus d’exulter. Il a laissé un Etcho gagner !

 

L’après-midi, tout en nettoyant l’intérieur de leur yourte, Olivia raconta en détails ses différentes rencontres avec les cousins Etcho, le baiser noir, la menace d’Ewen et la conversation qu’elle avait surpris le matin même.

— Tu aurais dû demander la mort des trois chefs de Benzette, dit Tilma en dépoussiérant un tapis, je sais que c’est contre tes valeurs mais tu les as condamnés à bien pire en les maintenant en vie. N’importe quel Lufzan choisirait de mourir pour son clan plutôt que de le déshonorer. Je ne serais pas surprise d’apprendre que les deux autres se soient suicidés après une telle humiliation.

Olivia préféra garder le silence, à présent habituée à leurs différences de vues. Elles avaient grandi dans deux mondes opposés : Tilma ne pourrait jamais la comprendre sur certains points.

— En ce qui concerne le baiser noir, c’est… la signature des Etchos. Ils ont un pouvoir sur l’élément air, je te l’avais déjà expliqué. Il l’a empoisonné avec son propre souffle.

Mahe secoua la tête : elle ne voulait plus penser à l’horrible scène. Elle sorti son matelas à l’extérieur pour le laisser s’aérer au soleil.

— Au fait, j’ai remarqué qu’Aram se battait dans le même style qu’Alek… c’est la voie Sterne, n’est ce pas? Est-ce que ça veut dire qu’ils font partis du même clan ?

La jolie rousse fronça les sourcils.

— Non, ça n’a aucun rapport : de nombreux Avel-lazhers maîtrise la voie Sterne… et Alek est un sans-clan, tu l’ignorais ?

Olivia su que Tilma ne lui disait pas la vérité, et elle fut prise d’un inextricable malaise. Elle n’en laissa toutefois rien parraitre et emporta son baquet de linge sale aux sources chaudes.

 

Les jours suivants, les deux amies se focalisèrent sur la mise en œuvre de leur plan. Tilma était pratiquement en mesure de réciter les heures d’aller et venu des combattants qu’elle soupçonnait d’être les gardes d’Alek. Quant à Olivia, elle marchait sur des charbons ardents : de plus en plus proche de l’Ark, elle savait ne pouvoir retarder indéfiniment l’issue heureuse que ce dernier guettait et espérait. Elle supportait ses compliments, acceptait ses cadeaux, vêtements, bijoux, l’écoutait avec ravissement des soirées entières sans jamais se départir du rôle qu’elle s’était fixée.

— Il faut tenir, lui disait Tilma, quelques jours encore.

C’est facile à dire, pensa Olivia tout en mordant dans une cuisse de poulet bien grasse. Les Etcho étaient en train de discuter stratégie de guerre (ce dont ils s’abstenaient ordinairement) et elle tachait de paraitre plus concentrée sur sa volaille dégoulinante de jus que sur la teneur de leur conversation.

— Les espions indiquent des factions de tartars positionnées près de Sedong. On peut craindre pour le camp de l’Ouest.

— Ne devrions-nous pas attaquer ? dit Gildas.

— Si nous échouons, en plus d’accuser de lourdes pertes, la nouvelle se rependra comme une trainée de poudre.

Aram pesait le pour et le contre tout en machant un morceau de blanc de poulet.

— Il nous faudrait nous rendre sur place pour préparer une offensive, dit-il. Nous emmènerons avec nous les meilleurs combattants.

— Medon refusera que le camp de l’Est se retrouve sans protection.

— Je me fiche de ce que peut bien penser ce connard ! s’emporta Aram en tapant du poing sur la table.

La vaisselle avait tremblé : habitués de ces accès de colère, ses deux cousins observèrent un silence prudent.  L’Ark se leva alors et intima à Olivia de sortir pendre l’air en sa compagnie. Elle le suivit immédiatement, sans même prendre le temps d’essuyer ses mains brillante de graisse.

Ils marchèrent un moment aux abords de la forêt, comme en prélude à la conversation qui allait suivre.

— Omahe, dit finalement Aram, tu dois savoir que je n’ignore pas tes origines. Tu n’appartiens pas au clan Fara et jamais cela ne saurait être.

Le cœur d’Olivia cessa de battre. Elle répondit en prenant un air candide, mais sa voix tremblait un peu :

— Tilma m’a recueilli, protégé lorsque j’étais seule et perdue. Mais ce que vous dites est vrai : je ne suis pas une Fara.

— Que ton amie t’a-t-elle dit d’autre ?

— Que le fait de parler plusieurs langues est un don rare qui peut m’attirer de graves ennuis.

Aram réfléchissait en même temps qu’il parlait :

— J’espère que tu ne me considères pas comme un ennui ?

— Oh non, au contraire ! s’écria-t-elle. Qu’est-ce que qui vous fait dire cela ?

Aram esquissa petit sourire satisfait. Il se rapprocha d’elle, la tint par les épaules et plongea ses yeux bleus foncés dans les siens. Il était tellement grand qu’elle fut obligée de relever la tête.

— Je te taquinais simplement. En vérité, Fara ne t’a pas tout dit : il se trouve que toi et moi sommes liés par nos destins.

— Vr… vraiment ?

Ils étaient si proche l’un de l’autre qu’elle sentait le souffle de son haleine au relents avinés. Elle déglutie, priant pour qu’il n’ai pas la mauvaise idée de l’embrasser.

— Dès que je t’ai vu, j’ai su que tu étais celle que j’attendais. Les femmes telle que toi se sont unis au clan Etcho depuis la nuit des temps. Notre place est au palais d’Harfang, où nous règneront en tant que couple Pygargue.

— Couple Pygargue ? répéta-t-elle bêtement.

— Oui, je t’ai décrit tous les délices de la vie, là-bas. Songes-y : tu ne serais plus obligé de travailler et tu deviendras la femme la plus importante de l’Empire ! Mais si tu veux que je consente à t’épouser, il faut m’ouvrir ton cœur. Sincèrement. Est-ce que tu comprends ? Tu n’as rien à craindre de moi, je ne veux que ton bien.

Aram l’emprisonna dans ses bras et la serra contre lui. Mais au lieu d’une étreinte amoureuse, Olivia eu l’impression d’être écrasée sous un rouleau compresseur.

 

Lorsque Mahe retrouva enfin Tilma à une heure avancée de la soirée, ce fut dans un grand état d’agitation. Elle lui résuma en quelques mots le projet de départ des Etchos et son tête à tête avec Aram. Oclamel admit qu’il n’était plus possible de repousser leur départ plus longtemps.

— S’il constate que tu ne tombes pas amoureuse de lui, il choisira probablement de te faire un enfant, de gré ou de force. Un bébé ailé serait suffisant pour renverser Karza.

Olivia se prit la tête entre les mains. Elle allait finir par craquer.

— Nous pouvons nous enfuir demain en fin de journée. J’ai suffisamment d’information pour délivrer Alek et il y a une fête de prévue pour un départ de mission.

— Mais les Etchos se rendont immédiatement compte de mon absence si je ne partage pas leur diner…

— Tu leurs fera savoir que tu es indisposée à cause de tes menstrues et que tu te présenteras plus tard que prévue.

Ça pouvait marcher.

Olivia se sentait à la fois terrifiée et terriblement impatiente. Les deux amies se glissèrent sous leurs couvertures

— Tilma ?

— Hmm ?

— Tu apprécie Alek tant que ça ? Je veux dire, tu vas risquer ta vie pour lui… pourquoi ?

La sabreuse mit quelques secondes à répondre.

— Il est le seul dans l’empire à pouvoir battre l’Empereur. Je sais que c’est un homme d’honneur, qui saura s’acquitter de sa dette en temps venu.

Olivia se fit la remarque qu’ils seraient bien en peine de renverser qui que ce soit à eux trois seulement mais Tilma devait déjà avoir son idée sur la question.

 

Désosser les carcasses, découper la viande... l’activité avait le pouvoir de la tranquiliser. Olivia n’avait pas choisi de devenir bouchère mais elle avait appris à aimer ce métier exigeant, un art à part entière qui demandait un juste équilibre entre force et précision. Elle avait le sentiment, en valorisant la chair animale, d’exprimer sa gratitude envers l’animal qui avait vécut et était mort pour nourrir les hommes. D’ailleurs, son père avait toujours mis un point d’honneur à choisir ses bêtes chez de petits éleveurs bientraitants et amoureux de leur métier, ce qui leur assurait une clientèle sensibilisée et gastronome. Olivia se souvenait de certain d’entre eux, comme Madame Salaün qui la réprimandait toujours gentillement sur sa mine sinistre. Etonnamment, plus elle pensait à son passé et plus elle le voyait clairement, sans le filtre sale et brumeux derrière lequel elle appréhendait alors son existence. Elle sentait se réveiller en elle des émotions autrefois éteintes, de la colère contre son père et contre elle-même pour ne l’avoir jamais affronté, de la pitié envers sa mère si faible et de l’amour pour ses deux parents malgré tout. Ils ne lui avaient guère manqué ces derniers mois et pourtant c’était vers eux que se dirigeaient ses pensées avant le grand saut.

Bruno lui demanda de l’aider à ranger la viande dans des bacs pour les stocker au frais, ce qu’elle fit de bonne grâce. C’était habituellement le travail d’Idylle mais la jeune fille n’apparaissait plus beaucoup ses derniers temps, ou seulement pour demander quelconque service à son père tout en jetant au passsage un regard noir à Olivia.

L’heure de débauche approchant, Mahe commença à se plaindre de douleur au ventre. Comme cela lui ressemblait peu, Bruno s’inquiéta tout de suite et lui ordonna de rentrer se reposer ; elle protesta pour la forme mais finit par s’exécuter, le remerciant pour sa sollicitude. Alors qu’elle s’éloignait à demi plié en deux, elle réalisa qu’elle ne reverrait sans doute plus jamais son collègue boucher : elle avait réellement apprécié cet homme qui, sous ses airs bourrus, possédait un grand cœur.

 

Olivia fit un détour par le quartier des Etcho qui à son grand soulagement, étaient absents. Elle y croisa cependant le jeune garde avec lequel elle se sentait à l’aise, et elle pensa qu’il serait encore plus simple de lui jouer sa petite comédie. Elle se planta devant lui avec une grimace, se tenant l’abdomen des deux mains.

— Pourriez-vous leur dire que je serais plus tard ce soir ? Je me sens extrêmement mal… je crois que j’ai mes règl..

— Oui, oui ! la coupa-t-il en rougissant. Je ne manquerai pas les informer de votre délicate situation. Si je puis me permettre Fara, une infusion de racines de valériane pourrait peut-être vous soulager.

— Merci beaucoup pour ce conseil, lui dit-elle en se sauvant.

 

Tilma l’attendait à la yourte, très excitée :

— Je vais aller à l’onsen, lui dit-elle à peine entrée. Je me débarrasserai des deux freluquets chargés de me surveiller puis j’irais du côté Est m’occuper d’Alek. Tu te rappelles de tout ce que tu as à faire ?

— Oui

— Très bien. Si les choses tournent mal et que tu parviens tout de même à t’enfuir, rends-toi à Harfang, la capitale du Luft. Il y a un café dans la zone sud-est qui s’appelle le Blar, demande le patron Roy Grass, du clan Dalnessie. Tu lui diras que tu viens de ma part et que tu as besoin de son aide. Compris ?

— Oui, Roy Grass du clan Dalnessie, au café Blar.

Oclamel s’avança vers elle et les deux femmes se prirent dans les bras, émues.

— Tout va bien se passer, ok.

— Soit prudente, je vous attends.

Sans perdre un instant, l’Avel-lazher sortie dehors, emportant sa serviette et son savon.

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_HP_
Posté le 17/05/2020
Heyyy !

Aaaah, j'ai si hâte de voir comment ça va se passer !
La gêne qu'a ressentie ce garde est assez amusante, et assez commune aujourd'hui ^-^

• "elle reconnue tout de suite les similitudes" → reconnut
• "quelques échanges vigoureux contrés habillement par Clovis" → habilement
• "Il semblait que duel ne se terminerait jamais" → "ce duel", "le duel"... ^-^
• "Enfin, le Commandant Medon parrut perdre du terrain" → parut
• "imperceptiblement la tête, le regard brillant de rage contenu" → contenue
• "Elle sorti son matelas à l’extérieur pour le laisser s’aérer" → sortit
• "Olivia su que Tilma ne lui disait pas la vérité" → sut
• "Elle n’en laissa toutefois rien parraitre et emporta son baquet" → paraitre
• "de réciter les heures d’aller et venu des combattants" → allées / venues
• "des soirées entières sans jamais se départir du rôle qu’elle s’était fixée" → fixé
• "et intima à Olivia de sortir pendre l’air en sa compagnie" → tu veux pendre l'air ?? 😮😜
• "prendre le temps d’essuyer ses mains brillante de graisse" → brillantes
• "Tilma m’a recueilli, protégé lorsque j’étais seule et perdue" → recueillie / protégée
• "Aram esquissa petit sourire satisfait" → un petit sourire ^^
• "si proche l’un de l’autre qu’elle sentait le souffle de son haleine au relents avinés" → proches / aux relents
• "Elle déglutie, priant pour qu’il n’ai pas la mauvaise idée" → déglutit / n'ait pas
• "Dès que je t’ai vu, j’ai su que tu étais" → vue
• "Les femmes telle que toi se sont unis au clan" → telles / unies
• "tu ne serais plus obligé de travailler et tu deviendras la femme" → obligée
• "Olivia eu l’impression d’être écrasée sous un rouleau compresseur" → eut
• "Tu leurs fera savoir que tu es indisposée à cause de tes menstrues et que tu te présenteras plus tard que prévue" → leur feras savoir / plus tard que prévu
• "Tu apprécie Alek tant que ça ?" → apprécies
• "d’exprimer sa gratitude envers l’animal qui avait vécut et était mort" → vécu
• "Madame Salaün qui la réprimandait toujours gentillement" → gentiment
• "ou seulement pour demander quelconque service à son père tout en jetant au passsage un regard noir à Olivia" → demander un quelconque / passage, seulement deux 's' 😜😄
• "Alors qu’elle s’éloignait à demi plié en deux" → pliée
•"Pourriez-vous leur dire que je serais plus tard ce soir ?" → "je serais plus tard" ? "Je serais présente plus tard", ou "je viendrais plus tard", non ? ^^
• "Sans perdre un instant, l’Avel-lazher sortie dehors" → sortit
Ysaé
Posté le 18/05/2020
Ah oui suspens :) effectivement, encore aujourd'hui c'est toujours un sujet un peu tabou... encore une fois tous mes remerciements pour le temps que tu as consacré à commenter chaque chapitre, je n'en espérais pas tant et cela me touche beaucoup
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