La nuit semblait encore plus lourde alors qu’Élika courait à travers les ruelles sombres.
Derrière elle, Kael suivait à grandes enjambées, serrant Ayra contre lui comme un trésor fragile.
Elle sentait son propre cœur battre à s’en rompre,
mais garda son calme, coûte que coûte.
Pas maintenant.
Pas tant qu'elles n'étaient pas en sécurité.
Derrière eux, Eren suivait,
Ramenant avec lui une Dahlia blême et silencieuse.
Il restait un peu en retrait,
Veillant à ce que personne ne les ralentisse,
Pendant qu’Élika ouvrait la voie à grandes enjambées.
« Je le savais… je n’aurais jamais dû la laisser y aller », pensa Élika.
La brise fraîche lui fouetta les joues,
Mais elle n’y prêta aucune attention.
Elle continuait d’avancer dans les ruelles sombres,
Son regard perçant lui permettant de distinguer chaque détail malgré l’obscurité.
Le sentier familier s’ouvrit enfin devant eux,
Et la maison — Une bâtisse simple aux murs clairs, bordée de quelques arbres et de prés —Se dressait dans la nuit.
Le calme paisible du lieu
Contrastait violemment avec le tumulte qu’Élika sentait en elle.
« Encore une erreur… », pensa-t-elle, les mâchoires serrées.
La porte d’entrée s’ouvrit à leur approche,
Comme si Mira avait senti le trouble bien avant de le voir.
Elle les attendait sur le perron,
Solidement ancrée dans le sol,
Son regard perçant scrutant chacun d’eux.
Ses bras croisés contre sa poitrine,
La tension visible dans ses gestes,
Montraient qu’elle n’était pas sereine.
Ils déboulèrent dans l’entrée.
Mira observa la scène en une fraction de seconde,
Sans laisser paraître la moindre émotion.
— Amenez-la dans sa chambre ! lança-t-elle d’une voix ferme.
— Élika, guide Kael.
Dans l’entrée, d’ordinaire chaleureuse et familière,
Tout semblait devenu froid, presque irréel,
Comme si la maison elle-même avait ressenti la gravité de l’instant.
Elenor arriva précipitamment, son carnet de croquis serré contre elle.
Elle écarquilla les yeux à la vue d’Ayra,
Mais un seul regard appuyé d’Élika suffit à lui faire ravaler sa question.
Tête baissée, Elenor replongea aussitôt dans son carnet,
Son visage fermé trahissant pourtant son inquiétude.
Kael déposa délicatement Ayra dans le vaste lit,
Prenant soin de ne pas réveiller ses blessures.
Mira arriva aussitôt, les bras chargés de serviettes et de fioles,
Suivie de près par Lucas,
Qui portait une bassine d’eau chaude encore fumante.
Ce dernier lança un regard en coin à Kael,
Un regard froid, chargé de sous-entendus,
Qui ne ressemblait pas à son tempérament habituel.
Élika peinait à contenir ses propres vibrations nerveuses.
Sa bouche tremblait légèrement,
Et elle avait l’impression que tout son corps vibrait sous la tension.
— Bien. Laissez-moi avec elle ! ordonna Mira d’une voix ferme.
Élika parut hésiter.
— Je veux…
Mais le regard que lui lança Mira suffit.
La mâchoire serrée, elle obtempéra sans ajouter un mot.
Élika referma la porte derrière elle,
Laissant Ayra seule avec Mira.
Dans le large couloir aux murs ornés de boiseries et de lierre,
L’atmosphère était lourde, saturée de tension.
Elle aperçut Dahlia en retrait,
Tremblante,
Sur le point de fondre en larmes.
Mais son propre stress, bouillonnant,
Chercha instinctivement une cible.
Ses yeux accrochèrent Kael,
Appuyé contre le mur,
Bras croisés,
Des tâches de sang encore visibles sur ses mains,
Le cou tendu à l’extrême.
— Toi ! Comment une chose pareille a-t-elle pu se produire ?! lança-t-elle violemment.
Elle savait qu’il n’y était pour rien.
Ce n’était pas à lui de veiller sur Ayra.
Mais c’était lui qui l’avait retrouvée.
Lui qu’elle avait vue porter sa sœur, ensanglantée.
Kael ne répondit pas.
Ses mâchoires se contractèrent,
Son regard restait fixé droit devant lui,
Comme s’il refusait de se défendre.
— Depuis quand laisse-t-on une jeune fille s’éloigner seule dans les bois,
Alors qu’elle ne devrait pas ?
Sa voix tremblait,
Mais ses mots étaient acérés.
— Je savais qu’en te côtoyant, elle allait se mettre en danger !
Une main, ferme mais douce, se posa sur son épaule.
— Tu sais bien qu’il n’y est pour rien, murmura Eren d’une voix calme.
Mais Élika perçut le léger tiraillement de ses lèvres,
Ce petit signe qu’il luttait lui aussi pour garder son sang-froid.
Elle se dégagea brusquement de sa main,
Puis s’appuya contre le mur,
Glissant lentement le long de la paroi,
Comme si ses jambes ne pouvaient plus la porter.
« Je t’ai entendue, Ayra… je t’ai entendue m’appeler, suppliante. »
« Mais je suis arrivée trop tard. »
Son cœur battait à tout rompre,
Frappant ses côtes comme s’il voulait les briser.
Elle était furieuse contre elle-même.
D’un geste nerveux, elle serra sa tête entre ses mains,
Agrippant ses cheveux,
Fermant les yeux avec force,
Comme si elle pouvait étouffer la douleur en elle.
« Toi, sale bête… tu ne perds rien pour attendre. »
« Je te tuerai. »
Ces mots murmurés entre ses dents,
Comme un serment secret,
Furent sa seule consolation.
Car elle en était certaine :
C’était bien le Varnak qui avait attaqué Ayra.
Après ce qui lui sembla une éternité,
La porte de la chambre s’ouvrit doucement.
Mira apparut, calme, maîtrisée,
Comme si rien n’avait pu l’atteindre.
Son regard balaya le couloir,
S’arrêtant un bref instant sur chacun d’eux.
— C’est bon, dit-elle simplement.
Elle dort… elle s’en remettra.
Élika resta un long moment assise par terre.
Elle entendait Eren murmurer à son frère, tout près.
Des bruits de pas résonnaient autour d’elle,
Mais elle ne relevait pas la tête.
Des chuchotements, des protestations basses… puis le silence.
Lorsqu’elle daigna enfin lever les yeux,
Seule Élénor était restée assise face à elle.
Les autres avaient quitté le couloir.
Mira, elle, était retournée au chevet d’Ayra —
Le bruit discret de la porte voisine en témoignait.
Élénor parut quelque peu hésitante.
Elle fixait son carnet de croquis,
Puis relevait brièvement les yeux vers Élika,
Comme si elle cherchait ses mots.
— Tout à l’heure… j’ai dessiné une scène qui m’a interpellée…
Elle se racla doucement la gorge, mal à l’aise.
— Une sorte de gros chien écailleux… s’attaquant à une jeune fille…
Élika, intriguée, lui lança un regard soutenu.
Sans un mot, elle tendit la main, invitant Élénor à lui confier le carnet.
Élika inspecta attentivement le dessin.
Effectivement, une bête écailleuse, massive,
Semblable au Varnak,
Attaquait la jambe d’une jeune fille allongée sur le sol.
Une jeune fille aux cheveux coupés au carré.
Le détail ne laissait aucun doute.
— Comment fais-tu cela…
Sa voix, habituellement si ferme, s’était adoucie sans qu’elle s’en rende compte.
Elle était soulagée de savoir Ayra entre de bonnes mains.
Mira… Mira avait d’immenses connaissances.
Elle s’en était rendu compte dès leur arrivée, quelques semaines plus tôt.
À présent, elle lui faisait pleinement confiance.
— Je ne sais pas…
Elle baissa les yeux sur son carnet, le caressant du bout des doigts, comme pour chercher ses mots.
— On dirait que cette ville… m’indique des choses.
Une sorte de prémonition, peut-être…
Elle releva son regard timide vers Élika.
— Ça arrive depuis que nous sommes ici.
Pas tout le temps… seulement parfois.
La porte s'ouvrit doucement.
Mira leur fit signe d’entrer, sans dire un mot.
Élika et Élénor se levèrent et pénétrèrent dans la pièce.
Ayra était à moitié éveillée...
Elle semblait déjà plus apaisée, ses traits moins crispés.
Mira souffla, soulagée :
— Elle reprend vite... Heureusement que ce n'était pas une simple humaine.
Élika poussa un long soupir de soulagement.
Elle s’approcha du lit et s’assit doucement sur le bord du matelas, tout près d’Ayra.
— Hey… alors... on a voulu jouer au héros ?
Son sourire était timide, mais son regard débordait de soulagement.
— Mouais… ça m’a réussi, tu vois…
Élika prit doucement la main de sa sœur.
— Je t’ai entendue m’appeler…
Elle marqua une pause.
— Mais je ne savais pas où chercher…
Une petite étincelle d’espoir s’alluma dans les yeux d’Ayra.
— Vraiment ? Ça fonctionne alors ?
— À moitié… il faudra qu’on retravaille ça.
Elles rirent doucement.
Ayra balaya la pièce du regard.
Son sourire se posa sur Élénor, qui restait en retrait, discrète.
— Où est Dahlia ?
Sa voix était plus douce.
— Elle doit s’en vouloir… Ce n’est pas sa faute.
Elle ferma brièvement les yeux, le cœur lourd.
— C’est moi qui ai été bête…
Les garçons avaient repris le chemin de leur maison.
La nuit était noire. Ils marchaient dans un silence total.
Eren entendait la respiration forte de son frère. Par moments, il soupirait.
Le regard fixé sur ses bottines noires, Eren repensait au déroulement de la journée.
Rien n’avait laissé prévoir ce qui s’était passé ce soir.
Ils revenaient d’une journée plutôt légère.
Ils avaient classé et complété des dossiers au bureau des Gardiens de la paix.
Élika, profitant de l’absence de Théo, avait décidé de faire un grand nettoyage.
Au son de la musique rythmée de « la radio » — comme Théo appelait ça —
Elle s’était mise à soulever des caisses et empiler des dossiers sur les meubles.
En fredonnant, elle avait commencé à passer le balai avec énergie.
Des nuages de poussière avaient envahi la pièce, les faisant tousser tous les deux.
Ça l’avait amusé de la voir ainsi : parfaitement détendue, rieuse, absorbée dans son ouvrage.
Elle lui avait alors lancé un chiffon humide en pleine tête.
— Alors ? Tu comptes me regarder toute la journée ? Il y a beaucoup de poussière à retirer de ces vieux meubles !
Un sourire malicieux flottait au coin de ses lèvres.
En signe de paix, il s’était levé.
— D’accord, d’accord, cheffe.
Ils avaient ri ensemble, entraînés par la musique.
À un moment, il l’avait fait tournoyer sur elle-même.
Même si elle avait protesté, elle avait tout de même ri.
Pour finir, elle avait été chercher deux grands seaux d’eau savonneuse,
Qu’elle avait renversés sur le sol avant de brosser énergiquement.
En fin d’après-midi, la pièce était méconnaissable.
Ils s’étaient affalés dans les fauteuils, un sourire aux lèvres, trinquant à leur réussite.
Un contraste fulgurant avec l’Élika qu’il avait découverte ce soir-là.
Explosive. Terrorisée. Incapable de contenir ce qui l’avait submergée quand elle avait vu sa sœur blessée.
En arrivant plus tôt au festival, Eren avait ressenti une gêne sourde.
Une boule logée dans le creux de l’estomac.
Un malaise sans cause précise. Juste une intuition qui cognait.
Ensuite, tout s’était enchaîné. Trop vite.
Il ne savait pas comment aborder le sujet avec Kael.
Ce dernier restait silencieux, les épaules rigides, le regard fixé devant lui.
— C’était le Varnak.
Eren tourna lentement la tête vers lui, sans masquer sa surprise.
— Je sais.
Kael ne répondit pas. Il semblait peser chacun de ses mots.
Puis Eren ajouta, la voix basse mais ferme :
— Il faut qu’on le retrouve. Et qu’on le tue.
Eren repensa à Ayra, recroquevillée dans les bras de son frère.
Si vulnérable.
Ses cheveux en bataille, son souffle court, ses traits tirés par la douleur.
Il avait eu un pincement au cœur.
Il ne l’avait croisée que quelques fois… et pourtant.
La voir ainsi, brisée, avait réveillé quelque chose en lui.
Un élan étrange. Comme un besoin instinctif de la protéger.
Il n’aurait pas su l’expliquer. Et ce n’était ni le moment, ni le lieu.
Il avait dû garder son sang-froid.
Élika frôlait la crise de nerfs.
Kael, quant à lui, était sur le point de perdre le contrôle — et de tout faire brûler autour de lui.
Quelqu’un devait tenir. C’était tombé sur lui.
Un long frisson le parcourut à l’idée que ça aurait pu être pire.
Il passa une main nerveuse dans ses cheveux noirs, déjà ébouriffés par la tension, et souffla lentement.
Ce soir, il allait éviter les questions.
Kael était encore plein de tension, et mieux valait ne pas le provoquer.
Il le connaissait trop bien.
Le laisser digérer, se calmer — c’était la meilleure chose à faire pour le moment.
Demain, serait un autre jour.