Chapitre 23 : Hadjira - Premier

Hadjira se jeta sur lui. Elle trembla en sentant ses dents devenir un peu plus pointues. Lorsqu'elle mordit sa gorge, le plaisir fut immense. La sensation du sang l'emplissant était extraordinaire. Il commençait par envahir son visage pour redescendre vers son cœur. Chaque goutte était du vin le plus pur. Le plaisir qu'elle ressentit lorsque l'homme mourut entre ses crocs lui fit penser à ce que les favorites décrivaient comme étant un orgasme. Enfin, de ses dents s'écoula un liquide dans le corps du jeune paysan et Hadjira se sentit enfin totalement heureuse.

- Arrache lui le cœur.

Hadjira obéit et le corps disparut en poussière, ne laissant derrière lui que le pagne du jeune homme.

- Agis toujours de cette façon. Tu n'es pas autorisée à transmettre le don d'immortalité tant que tu ne te contrôles pas.

- Je comprends, assura Hadjira.

- Lorsque tu seras au contrôle, je te présenterai aux autres et tu deviendras officiellement un Aar.

- Les autres ? Il y en a d'autres ?

Djéfaï sourit.

- Il est probablement temps que je te dévoile toute la vérité sur moi.

- J'ai très envie d'entendre ta vie.

- Elle dure depuis bien trop longtemps pour être narrée toute entière. Je vais me contenter des moments essentiels.

- Ça me convient parfaitement.

- Je suis né à une époque dont tu n’as même pas idée de l’existence. À cette époque, les hommes ne savaient même pas parler. Ils ne connaissaient pas l’usage de la roue. Ils maîtrisaient le feu et quelques outils rudimentaires, mais c’est tout.

Hadjira ouvrit de grands yeux ahuris. Elle ignorait que le monde n’avait pas toujours été comme elle le voyait.

- J’étais un gamin. Je voulais prouver que j’étais prêt à être un homme. Je suis parti chasser. J’ai réussi à toucher la daim de ma pique mais la blessure ne serait pas mortelle avant un moment. Je suivis la bête alors que le soleil avançait dans le ciel. Enfin, il est tombé. J’ai chassé les vautours déjà sur lui. Je le mis sur mon dos, prêt à la longue marche. J’étais jeune. J’étais fatigué. Je voulais prouver que je méritais d’être traité en adulte. J’ai puisé dans mes réserves.

Hadjira comprenait très bien la sensation.

- En chemin, j’ai croisé de nombreux petits singes. Je les ai salués gaiement, ne craignant pas ces consommateurs de fruits. Ils se sont jetés sur moi… ou plus exactement sur ma proie mais je me trouvais entre elle et eux. Je ne crois pas qu’ils aient jamais cherché à me faire du mal. Ils voulaient manger et le daim leur faisait envie. Mordu à de nombreuses reprises, faible, je leur ai laissé ma prise pour m’étendre un peu plus loin.

Hadjira avala difficilement sa salive. Des singes dégustant de la viande ? Voilà qui était surprenant. Elle aussi ne se serait pas méfiée.

- J’ai senti un torrent de feu envahir mon corps. Mon front me brûlait. Je compris que j’allais mourir, tué par des petits macaques, à peine plus gros qu’un levreau. La honte m’a submergé et j’ai perdu connaissance. À mon réveil, la forêt me sembla différente. Le daim était là… enfin, sa carcasse car les singes l’avaient parfaitement nettoyé. Je me sentais merveilleusement bien. Les sons des animaux étaient beaucoup plus présents. Je me suis levé sans ressentir le moindre vertige. J’ai rejoint mon camp. Bredouille, je dus réaliser les corvées des jeunes mais cela ne me dérangea pas. Je mangeai quelques fruits frais puis je dormis. Dès le lendemain, armé d’une nouvelle pique, je repartis à la chasse. Je voulais devenir adulte et des singes n’allaient tout de même pas m’en empêcher !

Hadjira ricana. Elle non plus n’aurait pas laissé tomber à sa place.

- La chasse a été tellement facile ! Je voyais tout. J’entendais tout. Je sentais tout. La biche me tomba dans les bras. Je la ramenai au camp, la portant sans difficulté malgré mon jeune corps. On fit une grande fête pour moi et je pus déguster les meilleurs morceaux. On peignit mon visage des couleurs d’adulte. J’étais aux anges. À la prochaine rencontre avec un clan de femmes, j’aurai le droit d’aller interagir avec elles.

- Vous viviez entre hommes ? s’étonna Hadjira.

- À cette période, oui. Les mœurs ont beaucoup évolué. Parfois en groupes mixtes, parfois pas. En revanche, le couple date d’il y a très peu. C’est une chose que j’ai du mal à comprendre : pourquoi vouloir à tout prix qu’un homme et une femme passent toute leur vie ensemble en s’interdisant toute relation avec autrui ? Cela me dépasse. Je ne serai jamais exclusif. C’est impossible.

- Ça me va, assura Hadjira et il sourit.

- Je me suis donné moi-même ce plaisir en attendant qu’une femme s’en charge puis je me suis endormi, ravi. Le lendemain, nous prîmes la route vers un camp de femmes, ma prise nous offrant de quoi troquer. En chemin, non seulement je suivais aisément, mais je m’offris le luxe d’attraper quelques rongeurs, que je dégustais sans tarder. Ce que je ressentis durant ce périple est difficile à exprimer avec des mots.

- Je vais faire un effort pour essayer de comprendre malgré tout, assura Hadjira.

- Je me suis mis à comprendre, à faire des liens entre les choses. Je compris la course du soleil dans le ciel et y donnai un sens. Le vent chantait la pluie à venir. La mousse sur les arbres m’indiquait une direction. Une branche cassée me prévenait de la présence d’un jaguar. Un tube de bambou me sembla soudain utile. Je m’en emparai, testai sa souplesse et son équilibre, des gestes inédits pour moi. L’écorce d’un arbre se retrouva également dans mes mains, puis un objet, puis un autre. Rapidement débordé, je dus me résoudre à me séparer, à contre cœur, de certaines de mes trouvailles.

Hadjira sentait toute sa peine, encore présente malgré les saisons passées.

- Une antilope passant près de moi me fit quitter mon groupe. Ils firent volontiers un arrêt pour déguster l’animal, ravis de cet apport inespéré.

- Ils ne trouvaient pas que c’était bizarre ? demanda Hadjira.

- Ils n’étaient pas en capacité de se poser ce genre de question. Les êtres humains ne réfléchissaient pas comme ceux de maintenant. « Demain » n’existait pas pour eux. Seul le moment présent comptait. Ils mangeaient. Ils étaient contents. Voilà tout.

- Sauf toi. Tu commençais à assembler le puzzle.

- Mon esprit s’éveillait. Dans le même temps, la sensation de faim augmenta. Malgré la surabondance de nourriture, je voulais me nourrir. Je posais sur les miens un regard concupiscent. Ma conscience prit le dessus : non, je ne me nourrirais pas des miens. Seules les bêtes agissaient ainsi. Nous dormîmes là, mes frères repus après cet excellent repas, moi à la torture de cette faim qui ne me quittait plus. Au matin, je n’ai pas réussi à m’en empêcher. C’était plus fort que moi. Je me jetai à la gorge d’un de mes frères, y enfonçai mes canines et bus son sang avec un plaisir total. Mes frères, horrifiés, ne bougèrent pas, choqués. Quand je lâchai celui qui était un des anciens du groupe, il s’écroula, son corps décharné ne proposait qu’une peau fripée sur les os, vision d’horreur s’il en est.

Hadjira sourit. S’imaginer se nourrir de sang la rendait heureuse.

- Reprenant contenance, notre chef me chassa et j’acceptai la sentence, totalement méritée. Une fois seul, je retournai l’événement dans ma tête, ne comprenant pas pourquoi je n’éprouvais ni honte ni regret. J’étais heureux d’avoir agi de la sorte. Pire ! J’avais envie de recommencer. Mes pensées furent troublées par un hurlement proche. Je m’y retrouvai en un claquement de doigts, pour découvrir l’ancien que je venais de tuer debout.

« Il se jeta sur notre chef, le mordant à la gorge. Je ressentis un profond bien-être, un bonheur total, une fierté incommensurable. Il tuait l’un des miens, et j’étais content. Je trouvais cela bizarre. Je sentis que cela était en désaccord avec mes valeurs précédentes. Je tentais d’y mettre un sens. Pendant ce temps, l’ancien s’en prenait à un jeune homme à peine adulte devant une assemblée pétrifiée. Ses deux victimes se retrouvèrent dans le même état que lui précédemment : la peau sur les os. Lui avait retrouvé son corps plein et vivant suite à ces saignées.

« Je le regardai, l’esprit apaisé. Puis notre chef s’éveilla et il se jeta sur un autre de mes frères pour le mordre à la gorge. Le jeune fit rapidement de même. Ce fut la débandade. Les survivants fuyaient. Les renaissants les poursuivaient. Certains partirent en direction du clan de femmes. Je restai figé, tentant d’y mettre de l’ordre. Mon esprit vif assembla les morceaux et je grimaçai. Ce qui se produisait n’allait pas.

- Pourquoi ? demanda Hadjira, un peu honteuse de ne pas comprendre malgré son cerveau évolué.

- Si chaque morsure donnait le même résultat, alors bientôt, tout le monde serait touché et comment pourrais-je me nourrir ? Je ressentais cette faim. Je savais d’expérience que la viande et les fruits n’y suffisaient pas. Mon instinct me dictait que les renaissants ne conviendraient pas. Il me fallait de la chair humaine non renaissante.

- Les prédateurs finissent toujours par équilibrer l’ensemble en s’attaquant les uns les autres, répliqua Hadjira.

- Je n’avais aucune envie de devoir me battre pour me nourrir ! Ce combat-là m’épargnerait tous les suivants.

Hadjira le comprenait aisément.

- J’avais deux jours de plus que tous les autres. Ce temps m’avait offert un net avantage mental mais cela ne durerait pas. Je devais agir vite. Je m’attaquai à un ancien membre de mon clan. J’eus beau lui taillader le corps, lui attacher un bras, le recouvrir de coups de poings, lui transpercer les yeux de mes ongles, rien n’y faisait. Il ne mourait pas. J’en fus encore plus terrorisé car d’accord, les prédateurs s’attaqueront entre eux mais si les tuer est impossible, alors ce n’est vraiment pas bon !

Hadjira frémit. Les renaissants pouvaient-ils mourir ? Pouvait-elle mourir ? Elle ouvrit grand ses oreilles, certaine de ne pas vouloir en perdre une goutte.

- Il n’y avait pas de temps à perdre. Chaque battement de cil augmentait leur capacité intellectuelle. J’ai retrouvé, complètement par hasard, l’ancien que j’avais mordu. Il était accompagné de notre ancien chef de clan et du jeune dont il s’était repu. Ils m’ont accueilli avec le sourire, m’enlaçant tendrement, me proposant de me joindre à eux. Je regardai l’ancien et j’eus envie de passer ma vie près de lui, de le garder près de moi, de ne jamais m’éloigner. Je leur indiquai qu’il fallait tuer les autres. Au début, ils ont été réticents. Faire comprendre mes motivations à des esprits simples n’a pas été facile. J’ai fini par convaincre l’ancien qui, à son tour, amena les deux autres à me suivre.

- Quel argument as-tu utilisé ?

- La facilité. Si nous étions les seuls, pas besoin de lutter pour la nourriture.

- Mais tu avais prévu de les tuer une fois qu’ils t’auraient aidé à massacrer les autres ?

Hadjira le vit grimacer. Elle sentit qu’elle venait de poser la bonne – ou la mauvaise – question, selon le point de vue.

- Oui, dit-il et son aura s’éclaircit, tout comme tout du long de son récit. Nous avons réalisé de nombreux tests, créant des pièges toujours plus évolués. Nous avons fini par tomber sur un groupe de renaissants en train de baiser. Ils ne faisaient que cela, ivres de plaisir, aveuglés par leur jouissance ininterrompue.

- C’est si bien que ça, de baiser ? demanda Hadjira qui ne l’avait jamais fait.

- Et plus encore, répondit-il en souriant.

Les yeux d’Hadjira brillèrent à l’idée de tester. Pas avec lui, bien sûr ! Elle le respectait assez pour ne pas lui mentir et coucher avec lui serait lui faire croire quelque chose qui n’existait pas. Elle l’aimait, oui, mais pas comme ça. Il s’agissait davantage d’une vénération qu’autre chose. Or de son côté, c’était le grand Amour, né d’un coup de foudre. Il y mettrait une signification différente de la sienne. Il ne fallait pas.

- Ce groupe de queutards nous a donné l’occasion de tester. Finalement, le cœur est apparu comme l’organe critique. L’arracher tuait à chaque fois. Facile, rapide. Nous avons fondu sur tous ceux dont le cœur ne battait plus. Ils sont tous tombés. Finalement, il n’est plus resté que nous.

- Tu les as tués ? Tu es le seul ?

- Je n’ai pas pu, admit-il. Quand j’ai imaginé arracher le cœur de l’ancien, une immense peine m’a pétrifié, m’interdisant de bouger et même de parler. Le combat entre ma volonté consciente et cette force interne m’a empêché de participer à la discussion. Notre ancien chef ordonna que jamais, sous aucun prétexte, nous n’engendrions. Il allait nous falloir tuer chacune de nos victimes. L’ancien accepta d’un hochement de tête. Le jeune aussi. Ils attendaient mon assentiment. Je sentais qu’il ne fallait pas. Je voulus prendre le dessus. Après tout, j’étais le premier. Qu’il fut notre ancien chef n’aurait pas dû compter. J’ai senti dans le regard du jeune que si je tentais de prendre le contrôle, je n’aurais pas son soutien. Je baissai les yeux et j’acceptai. Après tout, cela importait peu. Le monde était vaste. Je ne les reverrai probablement pas. Nous nous sommes séparés après ça, avides de profiter de notre immortalité.

- Tu les as revus ? interrogea Hadjira.

- Bien longtemps après, beaucoup de saisons plus tard, l’ancien est apparu devant moi. Il était accompagné de notre ancien chef et du jeune.

- Comment t’avaient-ils trouvé ?

- En suivant le lien. À n’importe quel moment, je pouvais sentir la direction dans laquelle se trouvait l’ancien que j’avais mordu. Lui-même pouvait sentir ces deux premières proies, le jeune et le chef. L’inverse était vraie. Le jeune a ainsi trouvé l’ancien, qui est d’abord allé trouver le chef, qui se trouvait plus près, puis moi.

Hadjira fit une moue dubitative. Elle ne ressentait pas spécialement la présence de l’ancien pharaon. Ceci dit, elle venait à peine d’être transformée et ils se trouvaient à quelques pas l’un de l’autre. Ceci expliquait sûrement cela.

- L’humanité avait bien avancé et désormais, le langage s’étoffait, nous permettant de porter des noms. On m’appelait Cri.

- Cri, goûta Hadjira, ravie de connaître son vrai nom.

- Le chef se faisait appeler Po. Le jeune Da et l’ancien Ba. Ba m’indiqua que Da avait une requête à formuler, une demande urgente d’une importance capitale pour lui. Je regardais le jeune qui n’avait pas vieilli d’une lune. Les traits tirés, le visage grave, il suintait la tristesse à plein nez. Da expliqua avoir rencontré une femme et l’aimer à la folie. Mourante, il réclamait le droit de la transformer afin de pouvoir la garder à ses côtés pour toujours tant l’idée de la perdre lui était insoutenable. Po commença à s’énerver, à hurler que la décision avait été prise, qu’il ne fallait pas revenir dessus, que c’était inconcevable. Moi, je voulais bien mais je n’osais trop le dire face à Po aussi remonté. Ba calma le jeu en proposant ses services de guérisseur. Da accepta de nous amener auprès de sa dulcinée. Sur place, nous fûmes accueillis par ce clan de femmes avec qui Da vivait depuis des lunes. Je me demandais bien pourquoi il le faisait. Je préfère nettement vivre avec des hommes et ne m’approcher des femmes que pour baiser. Leur proximité me déplaît. Elles parlent trop.

- C’est pour ça qu’elles restent au harem, comprit Hadjira.

- N’exagère pas ! Tu avais le droit d’en sortir ! Je n’ai jamais enfermé quiconque.

- Je n’ai jamais pu rejoindre les miens, fit remarquer Hadjira.

- Jamais le destin d’une prêtresse du bien n’a été aussi grand.

- Je te le concède.

- De plus, il n’y avait rien à rejoindre. Ton pouvoir est trop dangereux pour qu’il lui soit permis de survivre dans la population. Mes frères et moi avons exterminé tous les membres du peuple du bien.

Hadjira ne ressentit rien de particulier à cette annonce. Elle aurait dû se sentir peinée mais non, rien. Des humains avaient été tués. Cela ne la toucha pas outre mesure. Cri continua à conter sa vie :

- Les femmes du clan de Da ont montré une extrême humilité face à nous, comme si elles nous craignaient, et ce alors que nous ne leur avions rien fait. Da expliqua qu’elles avaient été témoins de certaines de ses performances surnaturelles. Elles nous appelaient « Aars ».

- Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Hadjira.

- Peur, indiqua volontiers Cri, mais pas la peur imaginée, comme on dirait « J’ai peur des araignées ». Non ! Aar est la peur incarnée, celle qu’on ressent devant la mort, juste avant que le jaguar nous lacère la gorge.

- Vous étiez la peur.

Cri acquiesça sobrement.

- Ba parvint à soigner la femme d’une maladie habituellement mortelle. Il nous expliqua avoir une passion pour la biologie. Il étudiait tout ce qui s’en rapprochait. Il cherchait à comprendre comment le monde fonctionnait. En revanche, pour la soigner, il avait utilisé mon couteau, bien meilleur que le sien. Si Ba s’y connaissait en plantes et en fonctionnement de la nature, mon savoir sur les outils tranchants s’est avéré bien meilleur que le sien.

« Une fois Ka, l’amoureuse de Da, endormie, nous nous sommes réunis. J’ai annoncé avoir faim et avoir besoin d’un moment pour m’éloigner. Da m’a regardé bizarrement. Il m’a proposé de me servir ici. Sur le coup, je n’ai pas compris. D’accord, la vie humaine n’a que peu d’importance mais tuer l’un des membres de son clan risquait de rompre cette alliance fragile. Da nous a amené auprès d’une femme endormie. Il l’a mordue, a bu une gorgée puis s’est retiré. Po indiqua immédiatement qu’il était incapable de faire ça. Une fois qu’il avait commencé, il ne parvenait pas à s’arrêter. Ba et moi confirmâmes. Da en est resté interloqué. Il nous expliqua agir de cette manière depuis bien longtemps. Cela permettait de vivre au sein d’un même groupe très longtemps et sans se prendre la tête. Je me tournai vers la femme. Da me précisa qu’elle ne se transformerait pas.

- On peut mordre sans transformer ? s’extasia Hadjira.

- Pour cela, deux paliers doivent être franchis. Le premier : ne pas drainer ta victime de son sang. Tu dois t’arrêter avant.

- Mais c’est si bon de tuer ! geignit Hadjira.

- Tu apprendras à te contrôler ! gronda Cri et Hadjira hocha la tête tout en grimaçant, telle une gamine boudeuse.

- Le second : retenir le venin.

- Le venin ? répéta Hadjira.

- Comme un serpent, nous répandons un poison dans le corps de notre victime. C’est cela qui le transforme. Avec le temps, tu apprendras à le sentir puis à le retenir.

- Alors je serai au contrôle ?

- Ce sera déjà un bon début, répliqua Cri.

Hadjira gémit. Elle comprit qu’elle n’était pas prête d’être au contrôle.

- Nous nous sommes égayés dans la nature et à notre retour peu après l’aube, Ba, Po et moi savions retenir nos crocs.

- Aussi vite que ça ?

- Nous avons beaucoup tué pour y parvenir, prévint Cri.

- Et alors ? Je m’en fiche de tuer plein de gens.

- Il vaut mieux ne pas attirer l’attention. Une flèche en plein cœur te tue sur le coup. Méfie-toi des humains. Ils sont plus coriaces qu’ils en ont l’air. Ne sois pas impatiente, ma bien-aimée. Tu as l’éternité devant toi.

Hadjira s’adoucit. Il avait raison. Quel besoin de se presser ? Elle avait tout le temps.

- J’ai fait remarquer combien les humains n’aiment pas se faire mordre. Po a haussé les épaules pour m’envoyer nonchalamment en pleine figure que c’est juste parce que j’étais mauvais. Je lui ai envoyé un regard noir. En réponse, il a demandé à une femme du clan de Da de s’approcher de lui. Elle est venue et tout indiquait du désir alors même que les femmes refusaient généralement de s’approcher de nous, les Aars.

Hadjira hocha la tête.

- Po a ouvert la bouche pour montrer ses dents sorties. La femme l’a laissé l’embrasser et parcourir son cou en gloussant. Elle s’est éloignée en sautillant d’allégresse.

- Comment a-t-il fait ?

- Contrôle des émotions. Nous pouvons obliger les humains à ressentir ce que nous voulons qu’ils ressentent.

- Tu aurais pu me forcer à t’aimer, comprit Hadjira. Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?

- Je ne veux pas d’un mensonge. Je t’aime et je ne demande rien en retour. Tu aurais préféré mourir que je l’aurais accepté. Je n’aime pas ce pouvoir. Je l’ai acquis parce que je veux être au contrôle, mais je ne m’en sers jamais. Je veux que les choses se fassent parce que les gens croient en moi, pas parce qu’une odeur les y force – parce que oui, c’est lié à l’odorat.

- J’ai trop envie d’apprendre !

- Tu vas tout savoir, ma bien-aimée.

Hadjira sautilla sur place, dansant d’un pied sur l’autre, ses mains tremblantes et ses dents mordillant ses lèvres.

- Nous avons appris à maîtriser cette compétence. Nous sommes restés dans ce clan, les femmes nous acceptant avec joie. Lorsque Ka est arrivée au bout de sa vie, Po a accepté que Da la transforme. Il avait vu l’amour qu’il lui portait. Ba et moi étions déjà d’accord. Il a validé du bout des lèvres mais quand même. Quelques temps plus tard, ce fut son tour de connaître cet amour si violent qu’il fait perdre tout sens commun. Oumou rejoignit le clan des Aars.

Hadjira comprit que seul l’amour parvenait à convaincre Po d’accepter un nouveau membre. Elle devait son immortalité à l’amour que lui portait Cri. Elle ancra cette information capitale dans sa mémoire.

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