Allez, encore un peu, je dois tenir bon !
Je ne sais depuis combien de temps je cours. Je suis exténuée. Mes jambes sont douloureuses, mon souffle me brûle de l’intérieur et le fond de ma gorge a le désagréable goût du sang. Depuis hier soir, je n’ai pas cessé d’avancer sans prendre un moment pour m’arrêter.
Pendant que les festivités occupaient toute la maisonnée, je me suis retirée, prétextant une envie soudaine de dormir. Cela n’a pas été compliqué de trouver les appartements du roi pour lui dérober son casque, déposé sur son socle. Hermès m’avait indiqué le chemin le plus court pour sortir des Enfers. Dans le palais se situait une porte menant à la surface, celle-là même qu’il utilise avec sa clé. Lui est resté divertir le dieu des morts et sa cour infernale. Des centaines de marches plus tard, je retrouvais les premiers rayons de l’aurore.
L’air frais est une bénédiction sur mes joues en feu. Je suis le sentier que le messager des dieux m’a conseillé. Il s’insinue dans une forêt aux arbres gigantesques. Quel bonheur de sentir cette nature grouillante et vivante. Les oiseaux chantent nichés dans la cime des arbres et d’autres animaux crient au loin. L’herbe est tendre et les fleurs odorantes. Tout le contraire des Enfers où tout semble factice et sans saveur. Je récupère enfin mon souffle comme si j’étais longtemps restée en apnée sous l’eau.
J’ai la sensation d’un écho en moi de mon pouvoir. Je me demande s’il ne s’est pas réveillé alors que je tirais à l’arc ? Néanmoins, il ne faut absolument pas que je cherche à l’utiliser ou ma mère me retrouvera. Je guette son appel dans le vent et je ressens un terrible soulagement de ne pas l’entendre. Pourtant je ne peux m’empêcher de sursauter au moindre craquement de branche.
Je veux croire que je peux réussir et atteindre le petit temple où m’a dit de me cacher Hermès. C’est l’un des rares qui lui soient dédiés. Je me répète en boucle ses indications pour ne rien oublier. Sortir des bois, descendre dans le vallon, traverser la rivière, remonter le courant et la bâtisse se trouvera près d’une cascade dissimulée dans la roche. Je serai sous sa protection et rien ne pourra m’arriver une fois là-bas. Je vais en avoir besoin.
Je suis devenue une véritable voleuse : j’ai volé le casque du dieu des Enfers. Toutefois, je n’en suis absolument pas fière. Le poids de la kunée dans mon dos menace de me faire basculer en arrière à tout instant. Il ne me semblait pas aussi lourd lorsque je l’ai dérobé la première fois. Serait-ce dû à la honte et la peur ?
Le roi des Enfers aurait pu me faire subir mille supplices, ou pire, me tuer pour l’avoir humilié et frappé comme j’ai osé le faire. Quel dieu ne se serait pas vengé de tels affronts ? Tout le monde connait l’histoire du titan Prométhée. Pour avoir dérobé le feu à Zeus, il fut condamné à se faire dévorer le foie tous les jours alors que son organe repoussait chaque nuit. Je frissonne, terrifiée, à l’idée d’endurer pareille atrocité. Je sais que ma propre mère se montrerait d’une férocité sans borne. Quel sort me réservera Hadès lorsqu’il découvrira ce que j’ai fait ?
La culpabilité m’envahit. J’avais volé son casque et il m’avait convié à sa table. Puis quand tous se sont moqués de moi, il les avait fait taire pour me donner une deuxième chance. Je me mords les lèvres en me remémorant son regard amusé. Pourtant, j’essaye de me convaincre de ne pas avoir honte. Que ce soit Hadès, Athéna ou ma mère, ils ont tous sous-estimé ce dont j’étais capable pour sauver mon amie sauf Hermès bien sûr. Je dois me ressaisir et cesser de penser au pire, car je ne peux faillir une nouvelle fois à la mission qui m’incombe. Il me faut découvrir le temple !
Après des heures de marche, j’arrive enfin à la lisière de la forêt. Mes pieds sont douloureux, mais je n’ose les regarder. Le soleil est au zénith et si les branches me protégeaient de la température il n’en est rien à présent. Je me demande dans quelle partie du monde je me situe actuellement. Il est évident en observant la nature qu’il ne s’agit plus de l’Éthiopie, pourtant la chaleur est écrasante. Face à moi se trouve une immense prairie verdoyante. L’herbe est haute et le sol plutôt pentu. Quelques buissons et arbres parsèment le paysage. Mes épaules s’affaissent en voyant la distance à parcourir avant d’atteindre l’ombre d’un arbre.
Je m’octroie une courte pause pour reprendre mon souffle et dépose le casque. Je suis assoiffée, mais je n’ai rien pour me désaltérer. Pour tenter de me rafraîchir, je noue mes cheveux en chignon, puis je relève ma robe et l’attache à la ceinture. Si hier soir, j’avais l’air d’une belle jeune femme, je dois ressembler à une sauvageonne. Je retrouve la motivation d’avancer en me rappelant que plus bas je trouverai forcément de l’eau.
Pourtant, j’hésite à me sortir plus loin que la forêt. À l’abri des regards, sous les branches des arbres, je me sentais plus en sécurité qu’ici où je suis à découvert. J’observe attentivement les alentours, les sens en alerte. Seul le bourdonnement des abeilles volant d’une fleur à l’autre, et le gazouillement des oiseaux parviennent à mes oreilles. Je ne distingue aucun animal ou humain. Cependant, qui me dit qu’une créature d’essence divine ne se trouve pas dans les parages ? Mieux vaut être prudente et par sécurité, je prends la décision d’utiliser la kunée.
Ce casque est d’une lourdeur ! Comment peut-on se battre avec ce genre d’attirail ?
Invisible, je poursuis ma route. L’herbe haute m’effleure des mollets jusqu’à la taille tandis que mes doigts caressent les tiges. Je ressens le même bien-être que lorsque je nageais dans les flots. Or, ici, les vagues m’emportant s’entremêlent de toutes sortes de nuances de vert. Les senteurs sont fraiches et légères. Au loin, j’aperçois une biche et son faon émerger du bois. Je m’arrête un instant pour observer ce tendre spectacle. Tout à coup, ses oreilles se dressent et elle se précipite avec son petit pour retrouver l’ombre de la forêt. Peut-être a-t-elle humé mon odeur avec le vent ? Je reprends la marche.
Des papillons virevoltent et des cigales chantent. Tout semble paisible. Néanmoins, mon plaisir est de courte durée, car sous ce soleil écrasant, le métal du casque chauffe terriblement. Je sens les rayons brûler mon corps. Des mèches de cheveux se collent à ma peau moite et c’est fort désagréable. J’ai dû mal à respirer et je me retrouve à suffoquer. Je dois me rendre à l’évidence que je ne vais pas pouvoir supporter cela plus longtemps. Depuis ce matin je n’ai croisé personne. Je peux me risquer à me montrer. De toute façon, je n’ai pas le choix, cela devient trop pénible d’avancer ainsi. J’atteins l’ombre de quelques arbres et retire la kunée bouillante. Je respire à nouveau !
Un frisson parcourt mon corps. Je me sens tout à coup vulnérable avec l’étrange sensation d’être observée. Aussitôt, je me retourne pour vérifier si je suis suivie, mais il n’en est rien. Peut-être que mon instinct me joue des tours. Soudain, j’entends le bruit familier du ruissellement de l’eau. L’idée de me rafraîchir devient alors une priorité dans mon esprit et je me précipite vers la provenance du son.
Quelle joie de découvrir cette petite rivière cachée, derrière des arbustes. Je dévale la pente et trébuche à plusieurs reprises, mais je n’en ai que faire. J’abandonne au sol mon baluchon et me jette à genoux pour boire au creux de mes mains l’eau cristalline. Une fois désaltérée, je n’hésite pas à m’asperger les bras et le visage. Puis, je délace mes sandales pour plonger mes pieds douloureux et relève ma robe pour y immerger les jambes dans cette partie peu profonde. Les yeux fermés, je savoure cet instant.
Tout à coup, il me semble sentir une chaleur anormale sur mes joues. Lorsque j’ouvre les yeux, je découvre avec effroi le reflet d’une silhouette se dessiner à la surface de l’eau. Je lève la tête et sursaute face à l’homme debout sur l’autre rive qui m’observait certainement en silence. Aussitôt il soulève ses bras, paumes en l’air :
— N’aie crainte, je ne voulais pas te faire peur ! s’exclame l’homme d’un ton penaud.
— Que faisiez-vous là ? je demande, inquiète en me redressant vivement.
— Je ne suis qu’un voyageur et mes chevaux avaient soif alors je me suis arrêté ici, répond l’inconnu.
J’aperçois en effet un char brillant et quatre têtes d’équidés, à la robe ambrée et au crin blanc, dépasser des buissons derrière lui. Si c’était un soldat du roi des Enfers, je suppose qu’il m’aurait certainement déjà emportée. Toutefois, je trouve sa tenue beaucoup trop soignée pour un voyageur. Son chiton rouge aux broderies dorées est impeccable et ses bras sont couverts de bracelets en or. À sa ceinture est accroché un glaive. Je reste vigilante.
— Je ne te veux aucun mal, dit-il d’une voix calme.
— Qui êtes-vous ? je demande, prudente.
L’inconnu s’avance d’un pas et je recule instinctivement.
— Mes amis me surnomment Sol et toi ? répond-il d’un large sourire.
— Je m’appelle Perséphone, je déclare, d’une voix neutre.
— Quel drôle de nom ! Perséphone, Perséphone… répète-t-il comme perdu dans ses pensées.
— Vous voyagez seul ? je dis d’un ton interrogateur.
— Comme toi, il semblerait, rétorque-t-il en penchant la tête sur le côté.
Je n’aime pas sa façon familière de s’adresser à moi, mais peut-être est-ce une coutume dans cette région. Néanmoins, il n’a pas traversé la rivière et demeure sur sa rive. Je m’inquiète peut-être un peu trop. Coupable de vol et en fuite, il est vrai que mon instinct me pousse à rester vigilante.
Sol s’accroupit près de l’eau pour remplir une outre. Comme il est aimable, j’essaye de ne pas me montrer froide et lui sourit en retour. C’est un homme d’une trentaine d’années environ et d’une taille plutôt imposante. Son visage glabre et ses cheveux longs coiffés en arrière rappellent les poteries minoennes disposées dans la maison de ma mère. Un rubis scintille à l’un de ses lobes.
Pendant qu’il boit, j’en profite pour sortir de l’eau et attraper mes sandales. Du coin de l’œil, je relève qu’il ne cesse de me regarder avec insistance. Cela me met mal à l’aise alors je recache mes jambes sous le chiton même si cela abîmera le joli tissu. Je me dirige vers mon baluchon et constate qu’il ne bouge toujours pas.
— Quelque chose ne va pas ? je questionne, d’un ton détaché.
Il sourit encore et se passe la main dans les cheveux. Puis il tire de sa poche une poire bien jaune et un couteau puis se coupe une tranche. Il me fait signe de partager sa nourriture, mais je refuse poliment.
— Je me demande ce que tu fais ici, seule, et non loin d’Argos.
— Sous la protection du dieu Hermès, j’ai décidé de partir explorer le monde, comme vous j’imagine, voyageur.
— Ah, ce bon vieux Hermès… répond doucement Sol en secouant la tête.
— D’ailleurs, je vais continuer mon périple, mais je suis ravie de vous avoir rencontré Sol. Cela faisait des heures que je n’ai parlé à personne ! je déclare d’un ton que j’espère assez enjoué.
— C’est vrai qu’il n’y a personne à des kilomètres à la ronde par ici, dit-il pensif, peut-être pourrais-je t’accompagner ? Si tu montes sur mon char, tu arriveras plus rapidement à destination.
Il dévoile une rangée de dents blanches parfaitement alignées, bombe le torse en posant ses poings sur les hanches telle une statue de héros. Son côté entreprenant est dérangeant. En aucun cas je ne veux suivre cet inconnu, même si, en effet, il me permettrait d’aller plus vite dans mon périple. Je secoue la tête.
— C’est très généreux de votre part néanmoins je préfère marcher seule, je réponds en baissant les yeux et d’une voix douce.
— Ce n’est pas très sûr de rester seule pour une femme, affirme-t-il.
Sol s’est engagé dans la rivière et en quelques enjambées, s’est rapproché de moi. Je n’aime pas son rictus carnassier et ce regard calculateur. Je recule spontanément. L’homme découpe à nouveau dans son fruit une tranche qu’il me tend avec la lame de son couteau.
— Tiens mange au moins quelque chose ! dit-il d’une voix dure malgré son sourire.
Son comportement est si étrange. Je voudrais réussir à me débarrasser de lui, mais je sens qu’il va se montrer persistant et peut-être s’emporter même. Je soupire et me convaincs de manger un morceau pour ne pas le vexer et insister sur le fait de partir. Alors que j’attrape le quart de poire, il trébuche et m’entaille la main qui se met à saigner. Un cri s’échappe de ma gorge et je recule, effarée par son action.
— Je suis confus ! Excuse-moi Koré, je ne voulais pas te blesser ! Vite, suis-moi, j’ai de quoi te soigner sur mon char.
Je sursaute. Mon véritable nom dans sa bouche provoque en moi une grande inquiétude. Comment peut-il savoir cela ? Je ne lui ai pourtant pas révélé. Les battements de mon cœur s’accélèrent. Cet homme me ment depuis le début. Je sentais bien qu’il était étrange ! Les yeux de Sol s’écarquillent, car il comprend qu’il vient de se compromettre !
— Ce n’est pas ce que tu crois ! s’écrie Sol.
Ressentant le danger, je m’éloigne, mais au même instant il m’attrape la main entaillée avec fermeté. Il dégage une forte chaleur, presque brûlante. Apeurée, je me débats. La pression sur ma blessure provoque une douleur vive et un important saignement à la fois rouge et teinté de doré. Le liquide coule abondamment et me permet de m’extirper rapidement. Sauf que je perds l’équilibre et tombe en arrière de tout mon long tandis que lui chute dans la rivière.
Mon instinct de survie me pousse à agir vite pour m’éloigner. Cependant, je sens ma cheville prisonnière de sa poigne. Avec l’autre jambe, je lui assène des coups pour pouvoir m’échapper. Mon cœur bat à tout rompre.
— Lâchez-moi Sol ! je hurle terrifiée.
Je me retourne et tente de ramper en m’agrippant à tout ce qui passe à ma portée. Mon baluchon n’est qu’à quelques centimètres ! L’homme se redresse et je sens son corps trempé et brûlant bientôt glisser sur le mien et me dominer. Sa force est impressionnante. Ses jambes m’enferment et m’empêche de me mouvoir, mais je serre les dents et continue de me débattre péniblement. Mes cris s’entremêlent entre la rage et la peur. Les mains de mon assaillant parcourent mon corps et emprisonnent mes poignets. Je peux sentir avec horreur son souffle dans ma nuque.
Tout à coup, le crépitement de mon pouvoir commence à grandir au creux de mon corps. Je le ressens revenir en moi. Je vais pouvoir agir et lui montrer ma puissance !
— Cesse de crier et ne compte pas sur tes pouvoirs où ta mère finira par te retrouver ! déclare-t-il d’une voix rauque.
Ses mots se plantent en moi telles des lames acérées. Il sait réellement qui je suis ! Toute la hargne en moi s’évapore. Je n’ose plus bouger et je hais cette sensation.
— Brave fille, commente-t-il tandis qu’il renifle ma chevelure.
Les mains de Sol me soulèvent et me retournent comme une vulgaire poupée, me dominant de toute sa taille. Je sens des larmes ruisseler sur mes joues. Nos respirations saccadées s’entremêlent. D’une main, il se recoiffe. Je tremble tandis que de l’autre il caresse maladroitement mon visage pour y retirer, semble-t-il, de la terre. Son regard me répugne.
— Que voulez-vous de moi, je parviens à articuler.
— Je veux simplement que nous soyons amis Koré.
— Alors, lâchez-moi Sol, je rétorque.
L’homme souffle longuement et ne bouge pas.
— Cela fait tellement d’années que je t’observe Koré si tu savais. Tu dois le ressentir non ? J’ai toujours été là pour toi, explique-t-il d’une voix caressante.
— Je ne comprends pas de quoi vous parlez. Je ne vous ai jamais vu. À cet instant précis, vous me faites mal et les amis ne font pas cela, je dis pour le convaincre de me relâcher.
À mon grand soulagement, cela provoque justement un effet sur lui. Il se recule, mais reste accroupi près de moi tandis que je me redresse. Il ressemble à un animal prêt à bondir à nouveau comme le chat le ferait avec sa souris. Assise, je ne le quitte pas du regard. Quelque chose de malaisant émane de ses yeux qui ne cessent de scruter mon corps. Je me demande si je peux réussir à détourner son attention pour m’enfuir.
— Je sais qui tu es Koré et je sais qui est ta mère. Nous avions un accord, elle et moi, pour garder secrète ton identité. Néanmoins, j’adorais t’observer lorsque tu jouais avec tes amies. Je t’ai vu devenir une belle jeune femme. J’étais là pour vous réchauffer après vos baignades, j’étais là pour que chacun de tes matins commence en douceur et j’étais là quand tu découvrais le monde.
Je frémis de dégoût en comprenant tous les sous-entendus sous ses propos. M’apercevoir que toute ma vie un homme m’observait en secret me répugne.
— Déméter est déjà venue me demander où tu étais. J’aurais pu lui révéler tout ce que je savais, mais je t’ai protégé pour voir ce que tu allais faire de ta liberté, puis tu as véritablement disparu. J’étais très préoccupé et quelle ne fut ma joie de te retrouver enfin !
Le regard brillant, il semble réellement fier de ses actions. Je ne trouve pas quoi répondre à cet énergumène. Il est dangereux et bien plus fort que moi.
— Qui êtes-vous ? je finis par demander en essayant de masquer mon inquiétude.
— Ma chère Koré, je suis le dieu Hélios. Je vois tout et je sais tout. Personne ne peut se cacher de moi, à moins de mourir, déclare-t-il en souriant.
Abasourdie de me trouver face au dieu du soleil, je reste sans voix. Il semble satisfait de ma réaction. Mon corps tremble et je ne parviens pas à calmer les battements de mon cœur. Je suppose qu’il espère de moi une sorte de reconnaissance pour n’avoir pas avisé ma mère. Que puis-je faire contre lui ? Je ne peux compter sur l’aide d’Hermès, je ne peux utiliser mes pouvoirs sans que cela avertisse ma mère et je ne peux retourner me cacher aux Enfers. Peut-être faut-il que j’accepte ce qui m’arrive et lui donne ce qu’il voudra de moi. Tout ce qui importe, c’est que je puisse retrouver ensuite Médusa.
— Qu’attendez-vous de moi ?
Il tend sa main pour caresser cette fois-ci mes cheveux. Les yeux baissés, je reste docile malgré moi.
— Que nous soyons amis bien sûr. J’avais peur qu’Hermès te garde jalousement pour lui, mais je vois que tu as su préserver ta dignité. Tu pourrais venir avec moi, Koré, je te montrerai le monde, je ferai de toi une déesse respectée de tous et puis ensemble nous aurions une descendance plus incandescente que ce qui existe en mêlant nos deux pouvoirs.
Je ne dis rien, secouée par ses propos.
— Je sais que ton envie de liberté est plus forte que tout. En devenant mon épouse aucun dieu, pas même ta mère ne pourrait t’obliger à revenir, ne l’oublie pas, poursuit-il avec un sourire malveillant.
Tandis qu’il décrit ses vils fantasmes, son pouce s’aventure sur ma joue, puis mes lèvres et ose même entrer dans ma bouche. Je le laisse caresser de son doigt terreux ma langue. Je lève les yeux vers lui. Son visage n’a rien de beau. Ce n’est qu’une divinité abjecte qui comme les autres cherche à s’accaparer ce qu’il ne mérite pas. Un dieu qui n’hésitera pas à me prendre par la force et faire de moi ce qu’il souhaite. J’ai vu Médusa subir la même malédiction. Ma mère m’avait bien décrit les agissements impunis des Olympiens. C’était sa plus grande crainte à mon égard, car elle ne décelait en moi qu’une jeune fille fragile et sans pouvoir.
— Deviens ma femme, Koré, dit-il d’un ton menaçant.
Tout à coup, ma mâchoire se referme avec violence sur le doigt de mon ennemi. Mon aura divine crépite, elle revient à moi comme si un barrage s’était effondré pour lâcher dans mes veines un pouvoir pouvant tout emporter sur son passage. Je ne suis pas une simple mortelle ne pouvant blesser un dieu. Je suis fille de déesse moi aussi ! Je serre si fort que je peux entendre les os se briser et mes dents s’implanter dans la chair. Un liquide brûlant coule sur ma langue.
Hélios hurle de douleur, horrifié par la situation. Je lâche ma prise et recrache un sang couleur or.
— Je suis Perséphone et jamais je ne serai ton épouse ! je crie avec hargne.
Alors, je me précipite sur le baluchon et prenant de l’élan le fracasse de toutes mes forces contre le visage du dieu du soleil. Il ne pouvait pas imaginer l’impact du casque lourd sur sa mâchoire et celui-ci tombe à la renverse !
Je dépose sur ma tête la kunée et deviens ainsi invisible. Hélios se redresse et crie de rage. Il gesticule dans tous les sens pour essayer de m’attraper.
— Tu ne pourras pas m’échapper ! scande-t-il.
Ni une ni deux, je profite de sa confusion pour traverser la rivière peu profonde avec pour objectif de trouver rapidement le temple d’Hermès. Mes pas dans l’eau trahissent ma position. Le dieu du soleil se précipite à ma poursuite.
Je cours comme jamais auparavant je ne l’ai fait. Le courage qui s’est emparé de mon être me pousse à aller toujours plus vite. Je ne ressens ni douleur ni fatigue. Mon cœur bat si fort qu’il pourrait certainement s’échapper de ma poitrine. Mes jambes m’entrainent constamment plus loin. J’essaye de rester le plus possible à grande distance des hautes herbes et proches de la rive là où il sera moins facile de me repérer.
Avec joie, je me rends compte qu’Hélios a eu du mal à me suivre. Il peste et fulmine sur son char. Si seulement j’avais fait plus attention à son attelage quand je l’ai vu. Ce ne sont pas de simples montures, mais de splendides créatures ailées ! Je continue ma course et me fais violence pour ne pas user de mon pouvoir qui ne demande qu’à jaillir. Le vil dieu avait raison. Je ne veux surtout pas alerter ma mère. Je dois réussir sans pouvoir !
J’entends le hennissement des chevaux et les roues du char grincer. Par chance, Hélios roule dans toutes les directions et à bonne distance de moi. C’est alors que j’aperçois au loin niché dans la roche le petit temple d’Hermès. Pas plus gros qu’une maison, je suis euphorique de le voir si proche !
Soudain, je sens que mon corps m’emporte et me trahis. Avec le casque lourd sur ma tête, je ne remarque pas la pierre sur mon chemin et je trébuche stupidement. Dévalant la pente, la kunée trop grande pour mon visage se détache et roule vers la rive. Je n’ai pas le temps de penser à la douleur. Je me relève et constate avec angoisse qu’Hélios m’a déjà repérée. Je crie de colère et reprends ma course, abandonnant mon butin. Je dois atteindre le temple et prier Hermès de me rejoindre où il pourra paraître instantanément !
Je me retourne pour vérifier où se trouve mon ennemi et je suis frappée d’effroi. Hélios, n’est qu’à quelques mètres de moi, mais il n’est plus seul. Le sol tremble anormalement. Un char aussi sombre que la nuit et tiré par quatre chevaux à la crinière bleutée est apparu. Stoïque et le visage fermé, le roi des Enfers dans toute sa noirceur est là. Tétanisée, je n’arrive plus à bouger. Je ne sais ce qui est le pire, me faire emporter par Hélios ou qu’Hadès en personne soit à ma poursuite !
La vitesse des chevaux et le bruit des sabots sont ahurissants. Dans un dernier élan, je tente de m’enfuir. Sous un rire effrayant, le dieu du soleil m’attrape en plein vol. L’impact est si fort que j’en ai le souffle coupé. Tout mon corps tremblote sous la peur. D’une main, il accroche négligemment les rênes au char n’ordonnant pas aux animaux de s’arrêter. Il m’enserre contre son corps brûlant. Ses yeux luisent et il y a de l’écume sur les coins de sa bouche. Je me débats de toutes mes forces tandis que ses mains répugnantes parcourent mon être. J’entends le tissu de ma robe se déchirer pour lui dévoiler ma peau nue. Toute cette poursuite semble l’exciter et je le repousse encore lorsqu’il tente de m’embrasser.
Tout à coup, la nacelle est secouée avec brutalité. Hélios me lâche enfin pour reprendre les rênes et se concentrer sur sa route. Il paraît aussi surpris qu’énervé. Le roi des Enfers nous a rattrapés ! Son quadrige se rapproche et s’écrase avec violence contre le nôtre. Je m’agrippe au char, ne sachant si avec cette vitesse je peux sauter ou s’il vaut mieux rester. Je ne peux m’empêcher de crier sous les secousses.
Les cheveux au vent, et le torse bombé, rien ne semble l’arrêter. La chlamyde noire d’Hadès claque dans l’air et lui donne l’air d’avoir des ailes. Il ne paraît aucunement heurté par les impacts, subsistant droit sur son quadrige. C’est presque avec nonchalance qu’il tient les rênes. Ses yeux rencontrent enfin les miens. Son regard est dur et dénué de chaleur. Il est venu réclamer vengeance. Je me sens insignifiante. J’ai voulu jouer contre les dieux et j’ai perdu.
Et le soulagement ressenti à l'arrivée d' Hadès! Tu m'as fait encore vivre un ascenceur émotionnel incroyable !
Vite je fonce lire la suite
un grand bravo à toi de réussir à nous plonger si bien dans ton histoire
je m'empresse de suite de lire le prochain chapitre
Encore bravo pour cette belle précision dans le descriptif et cet art de nous faire partager, vivre l'angoisse qui va crescendo.
Perséphone gagne en intrépidité. Il lui en faut tant !
Vite la suite !