Chapitre 23 : Le saphir et le rubis.
Une semaine plus tard.
Le Septième – An 2719 – Le 1er juillet à 11 h 59.
La jambe droite de Thibault tressautait. Il ne parvenait pas à la garder immobile. Il avait arraché presque tous ses ongles en les rongeant compulsivement. À midi, devait commencer le dernier débat avant le vote d’application du nouveau décret monétaire de Délos à l’Assemblée.
Bientôt, les troupes de Diane arriveraient. Le débat était retransmis. L’assaut serait filmé.
Ni Solène, ni Rebecca, ni même aucun ministre ne seraient présents, mais les nombreux élus de la cité seraient sur place. Thibault ne pouvait s’empêcher de ressentir une profonde appréhension. Diane attaquait en partie à cause des informations qu’il avait donné à Phoebus. Parce qu’en agissant avant même que Solène ne se voit dans l’obligation d’intervenir et de forcer l’application du décret, il voulait lui « montrer » que le « peuple » était contre cette réforme. Beaucoup de politiciens mourraient ce jour-là. Des hommes et des femmes se croyant en sécurité au Deuxième.
Donovan avait fini par expliquer à Thibault comment ça fonctionnait. Comment les membres de Diane avait réussi, année après année, à monter plus haut. Des galeries avaient été creusées partout dans la montagne. Depuis plus de cinquante ans, les trois derniers étages étaient reliés par ces tunnels dans la roche. Durant les vingt-cinq dernières années, Diane s’était acharnée à terminer ce que Thémis avait entamé. Monter plus haut. Atteindre les étages supérieurs, petit à petit. Le Quatrième, depuis vingt ans déjà. Puis le Troisième, dont l’accès avait été abouti dix ans auparavant. Et cinq ans plus tard, ils avaient réussi à atteindre le Deuxième, mais le passage s’était effondré alors que les troupes de Diane fuyaient suite à l’attentat du 1er décembre 2714. Il avait fallu le percer de nouveau. Quant au Sommet ? Donovan ignorait s’il était accessible ou non. S’il ne l’était pas, alors Thibault s’était bel et bien fait baratiner par sa sœur. S’il ne l’était pas, alors Gabi et Solène étaient en sécurité. Pour le moment.
Dans la grande salle où il se trouvait, laquelle rappelait vaguement un réfectoire, une image fut soudainement projetée sur le mur. On appela au silence, et Thibault braqua son regard vers l’émission qui allait diffuser le débat. Il ignora les regards inquiets de Donovan et Zoë, qui avaient pris place autour de lui. Lison n’était pas là. Lison serait sûrement là-haut. À moins qu’elle ne soit avec Phoebus dans son bureau, mais Thibault en doutait. Elle voulait du sang. Elle n’était plus que haine.
La tension était palpable. La jambe de Thibault, indomptable.
Pendant les premières minutes de la diffusion, rien de notable ne se déroula sous leurs yeux. Il était très exactement 12 h 21 quand une première série de coups de feu retentit, en fond, plutôt loin des micros qui captaient le débat. L’homme qui avait la parole marqua un arrêt dans son discours, et, reposant devant lui les notes qu’il lisait avec monotonie, tourna le visage dans une direction hors cadre. Thibault sentait son corps vibrer.
« Bouge », conjura-t-il silencieusement à l’homme qui restait pitoyablement immobile.
Trop tard. Un bruit de détonation, beaucoup plus fort cette fois, se fit entendre, et l’homme bascula si vite en arrière qu’on ne put voir précisément quel avait été son sort. Thibault se sentit horrifié alors que des hurlements de terreur se laissaient entendre en provenance du Deuxième, et qu’au contraire, des cris de joie se répandaient dans les rangs de Diane.
— Ils ont réussi !
— On y est !
Un étalage de joie inhumaine.
La main de Zoë trouva la sienne, et il la serra de toutes ses forces. Il se sentait nauséeux. C’était un carnage. Pendant quelques secondes, on vit une gigantesque cohue à l’écran. Les hommes et les femmes tentaient de s’enfuir dans un désordre pressant. Ils avaient été pris en chasse. Ils couraient. Ils fuyaient. Ils tentaient désespérément de protéger leurs vies…
Le son coupa en premier, plongeant la salle dans un silence incongru, avant que l’image ne devienne noire à son tour. La régie avait enfin pris le contrôle, et cessé la diffusion de l’horrible spectacle.
Des éclats de rire parvinrent aux oreilles de Thibault. Des gens se serraient la main en se congratulant. Il eut la bouche sèche. C’était ça, le monde qu’ils voulaient, tous ? C’était à ça qu’aspirait Lison ?
Il serra la main de Zoë plus fort encore. Le visage de sa petite sœur était blême. Elle n’avait pas apprécié le spectacle, pas plus que lui. Donovan aussi, semblait plus pâle qu’à l’ordinaire. Tobias se tenait un peu plus loin, et quand la salle commença à se vider, alors que les hommes de Diane rejoignaient celle où l’on recevrait les communications radio des troupes déployées, il s’approcha d’eux.
— Ça va ? demanda-t-il, inquiet.
Thibault ne répondit pas. Il aurait voulu pouvoir le contrôler, mais les images de l’attentat survenu à l’anniversaire de Rebecca remontaient en surface et défilaient devant ses yeux. Il n’y avait pas eu de coups de feu ce jour-là, mais les cris et l’horreur étaient semblables. Et cette fois, ce qui arrivait, c’était par sa faute.
— Vous n’auriez pas dû le laisser venir, indiqua Tobias à son frère et à sa sœur.
Donovan s’excusa immédiatement et aida Thibault à se redresser. Il se sentait dans un état second. Il essayait de se raccrocher à l’image de Gabi. Au souvenir de Solène. Que n’aurait-il pas donné pour être avec eux à ce moment…
— On va te ramener à ta chambre, Thibault, lui glissa doucement son frère. Ça va aller.
Il se laissa entraîner. Il aurait voulu dormir, mais il savait pertinemment que le sommeil ne viendrait pas. Donovan le força néanmoins à se coucher, et lorsqu’il se retourna, Thibault le rattrapa par la manche de sa chemise.
— Vous n’allez pas me laisser tout seul ?
Il n’avait pas pu se retenir. Tant pis s’ils se moquaient de lui, il ne pouvait pas rester seul. Mais ni Zoë, ni Donovan ne parurent se retenir de rire. Zoë grimpa aussitôt sur le lit et se coucha à côté de son frère, tandis que Donovan s’asseyait de l’autre côté, les yeux remplis d’inquiétude.
Les heures s’égrenèrent lentement. Ils ne parlaient pas. Ils attendaient quelque chose, sans savoir exactement quoi.
Thibault commençait à peine à se sentir mieux, quand soudainement une alarme retentit de toute part. Il sursauta à l’unisson avec son frère et sa sœur et se redressa sur le lit.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il, le cœur battant à tout rompre.
— Je ne sais pas, répondit Donovan, l’air angoissé. Venez, tous les deux. On va se rapprocher des gardes, je n’aime pas ça.
Il souleva à moitié les deux autres et les entraîna vers le couloir. La transe de Thibault le reprit. Le Sommet contrattaquait-il ? Était-il possible que le Deuxième ait déployé des troupes ? Avaient-ils enfin déterré Diane ?
Sa main retrouva instinctivement celle de Zoë. Si ses alliés débarquaient, il faudrait qu’il les protège, elle et Donovan. Il ne faudrait pas qu’ils pensent qu’ils étaient avec Diane.
Ils passaient devant une salle entrouverte quand on arrêta leur course.
— Qu’est-ce que vous faites ? Venez-là bande d’idiots ! s’écria l’homme qui les avait alpagués.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda aussitôt Donovan.
— Des intrus ont réussi à s’introduire dans la base. On a trouvé deux corps qu’ils ont tenté de dissimuler. On essaye de les localiser.
Ils pénétrèrent dans la salle à la suite de l’homme. La pièce était truffée d’écrans, reliés aux caméras de surveillance de la base. Thibault y jeta un bref coup d’œil, puis son attention fut distraite par la radio qui émettait en fond. Le message était brouillé, mais on comprenait quelques mots par-ci par-là.
— Où en est l’opération ? demanda-t-il d’une voix qu’il s’efforçait de faire paraître dégagée.
— Ils sont sur le retour, annonça l’homme. Ils devraient arriver d’une minute à l’autre en fait. Ça a été un grand succès, et cette fois-ci, si le message n’est pas passé, je ne vois pas qu’elle sera la prochaine éta… Ça va petit ?
Thibault venait de se figer. Sur l’un des écrans, derrière l’homme, il l’avait aperçu. L’intrus. Vêtu d’une veste noire, le logo du rond rouge barré dessus. Mais malgré la capuche baissée sur ses cheveux blonds, Thibault n’aurait pu le confondre. Avec personne d’autre. Personne au monde. Il n’était pas si loin.
Sans prévenir, Thibault fit volte-face et s’élança dans le couloir. L’adrénaline le faisait voler. La peur. Il entendit à peine les cris de Donovan et de Zoë, derrière lui. Il courait comme s’il avait fui les flammes de l’enfer. Il courait pour sa vie.
Il arriva à bout de souffle dans le couloir repéré sur l’écran. La silhouette du garçon se tourna brusquement au bruit de ses pas, braquant une arme vers lui… Puis il l’abaissa aussitôt.
— Thibault ?
— GABI !
Le garçon aux yeux vairons jeta le revolver au sol et courut dans sa direction. Un sourire un peu fou montait sur les lèvres de Thibault, en écho à celui de Gabriel. La capuche glissa sur ses cheveux blonds. Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres…
BANG
D’un coup, Gabriel s’effondra. Derrière lui était apparue une silhouette, à une dizaine de mètres de là. Un bras tendu, comme une sentence, en direction du corps frêle du garçon aux yeux vairons. Lison. Aucune expression sur son visage. Implacable.
Le monde trembla. L’écho du coup de feu se prolongeait, faisant vibrer les tympans de Thibault.
— Gabi…
Son murmure s’était à peine plus élevé que la poussière que le garçon avait soulevée en tombant.
Puis soudain, l’univers s’ébranla.
— GABI !
Il accourut. Le cercle sombre et humide sur son dos. Il le retourna, gardant la main bien en place sur la blessure. Il fallait comprimer ça. Il ne pouvait laisser le sang s’en échapper.
— Gabi. Gabi réponds-moi. Gabi !
Le garçon entrouvrit son œil bleu, puis l’autre. Il tremblait.
— Thibault…
La faiblesse de sa voix glaça Thibault. Il se tourna immédiatement vers Donovan et Zoë qui arrivaient à sa suite.
— À l’aide ! Pitié aidez-moi !
Donovan réagit immédiatement. Il fit volte-face, courant en direction des portes qu’ils avaient passées l’instant d’avant. Thibault chercha de nouveau le regard de Gabriel.
— Gabi, reste avec moi. Regarde-moi.
— Thibault, je…
Il était beaucoup trop pâle. Il peinait à parler. Thibault n’avait jamais tant tremblé. Son corps entier était parcouru par des spasmes nerveux. Incontrôlable.
— Gabi ça va aller, ça va aller.
Gabriel toussa, envoyant une giclée de sang au visage de Thibault. Il ne s’essuya pas. Il était terrorisé, parce que déjà, les yeux de Gabriel commençaient à se refermer.
— Parle-moi Gabi !
— Je vais… mourir…
— Non ! Non tu ne peux pas. Non Gabi accroche-toi, reste avec moi.
— Thibault, je t’aime…
Un sanglot étrangla le jeune homme. Il se pencha plus encore vers le visage du garçon, collant son front contre le sien.
— Ne me laisse pas. Gabi je t’en supplie ne me laisse pas.
— Je t’aime…
— Je t’aime aussi Gabi. Tu es la personne la plus importante au monde pour moi. Je ne suis rien sans toi… Alors je t’en supplie accroche-toi…
Les larmes. Inarrêtables. Se mêlant au sang. Thibault recula un tout petit peu, pour mieux voir les yeux vairons.
— Gabi, je t’en supplie, parle-moi.
— Il y a… d’autres… gens qui comptent… pour toi.
— Gabi non. Tu ne peux pas dire ça. Je t’en pr…
— Solène et…
— Je t’aime toi. Je t’aime plus que tout, s’il te plaît, accroche-toi. Si je ne devais en choisir qu’un, ce serait toi. Ce serait toi à chaque fois. Pourquoi a-t-il fallu que tu viennes… ?
— Tu me… manquais…
Thibault eut un hoquet. Il haletait, terrifié par la mine exsangue de Gabriel. Il passa la main sur son visage, dans ses cheveux. Il caressa tout ce qu’il aimait tant chez lui. Il pencha ses lèvres vers les siennes, et les y colla, quelques secondes.
— Je t’en prie Gabi… murmura-t-il désespéré. Je t’en prie…
— Merci… d’avoir…
— Non, tu n’as pas à me remercier. On est toujours là l’un pour l’autre. Tu te rappelles ? Gabi, tu te rappelles ? On est ensemble jusqu’au bout.
— Jusqu’au bout… répéta-t-il.
Ses yeux étaient à demi-clos. La main crispée de Thibault dans son dos ne parvenait pas à stopper complètement le flot de sang. Inarrêtable.
— Jusqu’au bout, et c’est encore dans longtemps. Gabi regarde-moi…
Au prix d’un effort incommensurable Gabriel parvint à rouvrir les paupières, et plongea son regard dans celui de Thibault.
— Je t’aime plus que tout Gabi, il faut que tu restes avec moi. Je n’ai plus rien si tu n’es plus là. Je ne suis rien si tu pars. Tu ne peux pas me laisser là tout seul. Bats-toi, je t’en supplie…
— Pardon… Thibault…
De nouveau, il cracha du sang.
— Je t’en aurais… trop voulu… de partir le premier… C’est bien… comme ça. J’ai pu… te revoir…
— Gabi !
Le cœur de Thibault se déchira. Gabriel baissait les bras. Il ne pouvait pas baisser les bras. Il n’avait pas le droit. La colère l’anima, et de nouveau il plaqua ses lèvres contre celles du garçon. Puis il s’éloigna, d’à peine un centimètre.
— Gabi je ne le supporterais pas. J’ai besoin de toi.
— Thibault… Merci…
— Gabi…
Un silence, léger comme une plume, était tombé sur eux.
— Gabi ? Gabi !
Thibault écarquilla les yeux. Il fixa l’œil bleu de Gabriel. Il s’était comme voilé. Il ne suivait plus les moindres mouvements de Thibault. Immobile. Le cœur du jeune homme cogna furieusement dans sa poitrine. Il n’entendait plus les râles pénibles du garçon. Il posa sa main sur son visage, et le secoua doucement.
Où était Donovan… ?
Il détourna les yeux une seconde, et aperçut le visage de Zoë, à un mètre de là. Elle plaquait les deux mains devant sa bouche, l’air terriblement choqué. Des larmes avaient roulé sur ses joues. Thibault recentra son attention sur le visage de Gabriel.
— Gabi, réveille-toi, lui ordonna-t-il.
Mais il ne bougea pas. Inébranlable. Encore une fois, Thibault l’embrassa. Doucement.
— Gabi, s’il te plaît…
Sa voix n’était qu’un murmure.
— On a dit qu’on resterait ensemble. Gabi. Réveille-toi.
Zoë était venue s’agenouiller devant eux. Elle avait ôté les mains de son visage, en avança une vers son frère, et Thibault réagit au quart de tour. Il enserra Gabriel de ses deux bras. Si elle pensait pouvoir le lui prendre, c’est qu’elle était folle. Il lui jeta un regard révolté et se pencha à l’oreille du garçon.
— Je te protégerai. Je te protégerai toujours, alors reste avec moi.
Zoë laissa échapper un sanglot. Thibault resserra sa prise. Un bruit de pas précipités lui indiqua que Donovan était de retour. Il s’arrêta derrière sa sœur, puis s’agenouilla à côté d’elle, laissant tomber tout un attirail de bandages et de compresses sur le sol. Il semblait atterré. Incompréhensible.
— Laissez-le tranquille ! s’énerva Thibault.
Il les quitta des yeux pour replonger son regard dans celui de Gabriel.
— C’est juste toi et moi Gabi. On n’a besoin de personne d’autre. Seulement toi et moi.
Il le berçait doucement. Personne ne le lui prendrait.
Inestimable.
D’autres pas. Plus nombreux. Un brouhaha léger et flou s’élevait.
— Juste toi et moi. Juste toi et moi.
— Thibault… fit la voix de Zoë, toute proche.
Ses muscles se crispèrent un peu plus. Si elle croyait qu’elle allait pouvoir le lui prendre…
— Séparez-les.
La voix de Lison. Glaçante. Mortelle. Impérieuse et impitoyable.
— Lison, laisse-lui une minute…
Donovan. Suppliant.
Gabriel. Il fallait le tenir plus fort.
Une main se posa sur son épaule, et il enfouit son visage dans le cou de Gabi. Son odeur. Malgré celle du sang, dominante, il sentait son parfum. Immuable. Il inspira une grande bouffée.
On le tira en arrière, et son cœur devint électrique. On tira plus encore. Ça devenait insistant. On tirait aussi Gabriel. On essayait de le lui prendre.
— Je t’en prie Lison, tu ne te rends pas compte ! Dis-leur d’arrêter ! s’écria Zoë d’une voix pleine de colère.
— Ça suffit maintenant, tais-toi. Ramenez-le à sa chambre, qu’est-ce qu’il faisait là déjà ?
On continuait de les déchirer. Thibault sentit l’étoffe de la veste de Gabriel glisser entre ses doigts, et s’y cramponna de plus belle.
— Non… ! cria-t-il d’une voix rauque. Non laissez-le !
On lui saisit violemment le bras, mais il ne pouvait pas empêcher la personne de lui faire mal, il fallait d’abord protéger Gabriel.
— Gabi !
— Qu’est-ce que vous attendez ? s’irrita Lison. Emmenez le corps, ça suffit ces bêtises maintenant !
L’instant d’après, des mains écartèrent brutalement celles de Thibault.
— Non ! Non, pas Gabi ! Non ! Non ne lui faites pas mal, pitié !
La tête du garçon pendait sur le côté. Son œil bleu et les traces de sang qui perlaient au coin de ses lèvres étaient les dernières notes de couleur sur son visage. Inacceptable.
— Laissez-le ! s’étrangla Thibault.
Il n’y avait plus que le désespoir. Gabi ne survivrait pas, s’il ne restait pas près de lui. Il se débattit plus fort qu’il ne l’avait jamais fait, insensible à la douleur, aux compressions, à ceux qui essayaient de déchirer son corps. Ils ne le lui enlèveraient pas. C’était hors de question. Personne ne lui prendrait Gabriel.
— Bon sang il est déchaîné ! lança un des hommes qui le retenaient encore.
— Sédatez-le, et ramenez-le à sa chambre, ordonna Lison.
Implacable.
— Lison pitié !
Thibault se calma d’un coup, et les hommes, surpris, relâchèrent un peu la pression sur lui. Il se laissa tomber à genoux devant sa jumelle, les deux mains jointes, suppliant.
— Pitié sauve-le… Laisse-moi rester avec lui. Je veux juste rester avec lui. C’est la seule chose que je veux. Je ferai tout ce que tu voudras, alors sauve-le !
Lison haussa légèrement les sourcils, et sa bouche s’entrouvrit. Elle semblait stupéfaite.
— Mais il est mort, Thibault. Il est déjà mort.
Thibault resta interdit.
— Non, assura-t-il.
— Thibault.
Lison s’agenouilla à son tour, plaçant son visage à la hauteur de celle de son frère jumeau. Son expression habituellement figée semblait peu à peu se fissurer.
— Ton ami est mort. C’est un accident, je visais les jambes… J’ai cru qu’il t’attaquait… Et il n’aurait pas dû s’introduire ici. Il n’a vraiment pas choisi son moment qui plus est…
— Tu l’as tué…
L’horreur le consuma tout entier. Inacceptable. Impossible. Irrecevable. Il écarquillait les yeux, fou de douleur. Gabi ne pouvait pas être mort, mais elle l’avait tué. Son poing se serra, presque animée par une volonté indépendante à celle du bras auquel il se rattachait.
— Tu l’as tué.
Le visage de Lison se referma. Comment pouvait-elle être si calme, quand l’univers entier n’était plus que chaos ?
Le coup partit si vivement qu’elle eut à peine le temps de fermer les yeux. Incontrôlable.
Tout hurlait.
Thibault se jeta sur elle et frappa, puis frappa encore. Il fallait faire mal. Il hurlait. Elle lui avait pris Gabriel. Son poing fut bientôt retenu par des formes à peine perceptibles. Il n’y avait plus que Lison pour subir son regard. Il hurlait. Il hurlait. La colère. Gabi.
Et le noir, soudain. Indolore.
Aie aie, il a dû être terrible à écrire celui-là...
Argh... C'est terrible. Implacable. Et pourtant je pense que c'était une excellente décision. En tuant Gabi aussi vite, tu nous surprends, nous choque et tu donnes en même temps une grosse motivation à Thibault pour la suite, tout en transformant sa facture avec Lison en fossé.
Le chapitre fonctionne très bien mais j'ai la sensation qu'il n'est pas encore à son plein potentiel. J'imagine que c'est très subjectif mais j'ai trouvé que le dialogue entre Thibault et Gabi un peu long, ou du moins plutôt répétitif. L'idée de jouer sur ses répétitions pour montrer le désespoir terrible de Thibault est chouette mais j'ai 2 passages en tête que je trouve "allégeables"
"Si je ne devais en choisir qu’un, ce serait toi. Ce serait toi à chaque fois." je trouve que le je t'aime plus n'a pas forcément besoin d'être "expliqué", il est déjà hyper fort seul.
"Je n’ai plus rien si tu n’es plus là. Je ne suis rien si tu pars. Tu ne peux pas me laisser là tout seul." là je trouve que c'est 3 fois la même idée avec des nuances, choisir la meilleure des 3 phrases ?
Autre petit point de détail :
"C’est un accident, je visais les jambes…" si elle dit vrai, je trouve ça dommage, ça "excuse" trop Lison, je trouve, alors que pour le coup on l'imagine parfaitement capable d'abattre un ennemi, surtout si elle pense qu'il attaque son frère. Par contre, j'ai beaucoup aimé le fait de voir son masque impassible vaciller devant le désespoir de Thibault.
Pour le reste, c'est brillant. Que Lison tue Gabi, c'est d'un tragique à la fois terrible et symboliquement hyper fort. La soeur tue l'amant / meilleur ami. Lison tue un des seuls agents de la paix, comme pour achever sa radicalisation... Plein d'interprétation possibles mais en tout cas, l'idée est très très bonne.
Les dialogues de Gabi sont excellents, vraiment brisants pour le lecteur. Je trouve ça chouette qu'on sent dès ses premiers mots qu'il n'y a aucune chance de survie, qu'il essaie de dire tout ce qu'il peut avant de mourir. D'autant plus avec un Thibault dans le déni à côté, qui s'accroche à son corps encore longtemps après. Sa réaction colle parfaitement avec son personnage.
Terrible chapitre, j'ai très peur de ses conséquences...
Mes remarques :
"Elle voulait du sang. Elle n’était plus que haine. La tension était palpable. La jambe de Thibault, indomptable." joli passage !
"que des hurlements de terreur se laissaient entendre en provenance du Deuxième, et qu’au contraire, des cris de joie se répandaient dans les rangs de Diane." suggestion -> alors que les hurlements de terreur du deuxième se mêlaient au cri de joie dans les rangs de Diane
"sentir mieux, quand soudainement une alarme retentit de toute part." -> lorsqu'une alarme ? (pour alléger)
"Non Gabi accroche-toi, reste avec moi." couper après toi et mettre un point d'exclamation ? (le reste avec moi est exprimé par la réplique suivante et je trouve ça chouette des phrases très courtes à chaque fois)
"ça suffit ces bêtises maintenant !" couper ces bêtises ?
"— Lison pitié !" virgule après Lison ?
Je continue !
Oui ça a été dur... si j'ai versé une larme à la mort de Margot, là je peux te dire que j'étais épave. J'étais à rien d'effacer tout le chapitre en mode "vas-y il s'est rien passé on oublie tout". Mais ça ne collait malheureusement pas avec l'histoire que je voulais écrire.
Le dialogue entre Thibault et Gabi je comprends qu'il puisse paraître long, notamment dans les répliques de Thibault. Mais dans ma tête, il est paniqué, il parle très vite, il ne réfléchit qu'à moitié à ce qu'il dit (je ne voulais pas que ça soit littéraire, plutôt naturel et paniqué) parce que c'est motivé par la peur de perdre Gabi.
C'est subjectif aussi, mais j'ai essayé de transmettre la panique en me mettant "en condition". J'ai essayé de me projeter au maximum dans leur relation pour imaginer ce qu'on ressent quand on perd quelqu'un de qui on est si proche. J'ai alors écrit les premières choses qui me venaient, sans les retoucher ensuite. Ce passage n'a pas subi de réécriture, seulement la relecture pour les fautes... Pour essayer de garder ce côté imprécis.
Il me semble qu'il faut que les phrases soient longues et se répètent, parce qu'elles meublent le silence sinon terrible, que Thibault refuserait de laisser s'installer dans un moment pareil.
Concernant l'autre point...
""C’est un accident, je visais les jambes…" si elle dit vrai, je trouve ça dommage, ça "excuse" trop Lison -> en effet ça somme comme... Une excuse ?
Merci beaucoup de ta lecture ! Je file voir ton retour suivant :)
Yes, je sens ce que tu as voulu transmettre. Intéressant d'en apprendre plus sur ta démarche !
"en effet ça somme comme... Une excuse ?" Ahhh parfait !
J'en ai attrapé une au passage quand même :
Gabi et Solène était -> étaient
Mais il le fallait, et ça ne pouvait être que Lison. Et puis... Gabriel avait jeté son arme au sol avant de courir vers Thibault. Il était donc désarmé quand elle l'a abattu.
"Le garçon aux yeux vairons jeta le revolver au sol et courut dans sa direction."
Mon Dieu ce chapitre… je pense que je ne m’en remettrais jamais, c’est du Thibault/Gabi moment à son paroxysme et … le dernier moment qu’on aura jamais…
Comme toujours tu portes l’histoire de manière rythmée et incroyable!
Au moins ils ont pu se revoir <3 (et ont quand même passé quelques mois ensemble "hors champ de la caméra" avant ça !)