Le matin, Surielle retrouva ses amis à la cafétéria pour le petit-déjeuner. Rayad l’invita à s’asseoir près de lui et elle accepta aussitôt, sous le regard songeur d’Alistair. Trouvait-il étrange que son ami se montre trop proche avec elle ?
Être si près de lui et ne pouvoir le toucher était une véritable torture après la nuit qu’ils avaient partagée. Avec effort Surielle se concentra sur les gâteaux secs et la boisson sucrée qu’on lui avait apportée. Au moins, quand elle était auprès de Rayad, elle oubliait un instant qu’elle se trouvait sous terre, avec un éclairage artificiel. Trois jours sans voler, déjà.
— Voudras-tu m’accompagner à l’extérieur, Surielle ? demanda Alistair.
Surielle sursauta, considéra son cousin. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’il se montre si prévenant. Qu’est-ce qui l’avait trahie ?
— Tes ailes s’agitent, sourit-il comme s’il avait deviné ses pensées. Tu brûles de voler. Alors ?
— Ton offre tombe à pic, admit Surielle.
— N’est-ce pas trop dangereux ? s’inquiéta Rayad.
Alistair haussa les épaules.
— Les combats sont plus rares, et nous avons connu pire.
— C’est vraiment très gentil, Alistair. Merci.
— Soyez prudents, tout de même, leur lança Shaniel. Je compte sur toi, Surielle, pour faire entendre raison à cette tête de mule !
Alistair se renfrogna et Surielle éclata de rire.
Les deux ailés rejoignirent les couloirs, et Alistair l’accompagna jusqu’à une impasse. Quelques barreaux fixés dans le mur permettaient d’accéder à une trappe dans le plafond. Surielle s’empressa de le suivre. Cette petite salle sécurisée abritait l’un des ascenseurs qui conduisait à l’extérieur. Deux Maagoïs montaient la garde et saluèrent aussitôt Alistair, s’inclinant à l’horizontale.
— Des soucis à signaler, Mahé ?
— Rien de plus qu’à l’ordinaire, lieutenant. L’escouade personnelle du Commandeur est partie au nord vérifier le dernier vaisseau Stolister qui s’est écrasé. A priori il n’y a pas de survivants, et s’il y en a… ils ne le resteront pas longtemps.
— Très bien. Nous irons au sud, alors. Autant ne prendre aucun risque.
— Désirez-vous une escorte, lieutenant ?
— Inutile, nous ne serons pas absents longtemps. Je préviendrai en cas de problème, termina Alistair en tapotant son communicateur.
Le soldat s’inclina brièvement, et Surielle suivit son cousin dans l’étroite cabine. Lorsque les portes automatisées se refermèrent, Surielle ne put s’empêcher de déglutir nerveusement. Bientôt, la cabine vibra légèrement et ils s’élevèrent. Le trajet lui parut interminable ; elle avait hâte de quitter ce lieu clos.
Enfin, l’ascenseur s’immobilisa. Une dernière vérification, une dernière trappe… Surielle grimpa les barreaux derrière Alistair avec avidité.
Le vent vif qui lui piqua les yeux était une vraie bouffée d’air. Elle inspira avec bonheur, ravie de sentir de nouveau le vent sur ses plumes. L’envie de voler la démangeait.
Un tremblement lointain lui fit reprendre conscience de son environnement. Il y avait encore des combats, dans les cieux d’Iwar.
Son cousin s’était assombri, le regard fixé sur l’horizon, comme s’il pouvait voir les vaisseaux qui s’opposaient aux gigantesques dragons.
— Doit-on refermer ? demanda Surielle.
— Ce serait mieux, oui. Jusqu’ici, ils n’ont pas réussi à faire débarquer des hommes, mais… nous ne serons jamais trop prudents.
Alistair verrouilla l’ouverture, fit quelques pas et s’envola. Surielle s’empressa de le suivre. Rayad se montrait prévenant, mais il était incapable de comprendre ce besoin qu’avaient les ailés de voler. Fendre les airs, virevolter sur les courants aériens… la sensation était tellement grisante !
Et puis l’immensité des cieux, sans limites. Il y avait peu de nuages, ici. Iwar était tellement différente de Massilia. Les montagnes n’y étaient pas omniprésentes, de larges plaines herbeuses les séparaient. Elle discernait aussi des lacs, des marécages… quelques villages. Surielle n’oubliait pas qu’Iwar était le lieu d’entrainement des Maagoïs. Les soldats d’élite de l’Empire. Continuaient-ils leur entrainement, malgré la menace des Stolisters ?
Soudain, ils furent visibles, loin au-dessus d’eux. Les immenses dragons de pierre. Les incroyables vaisseaux spatiaux. Leurs coques métalliques étincelaient ; des rayons lasers rouges mitraillaient leurs adversaires.
Ils étaient si majestueux. Rien ne semblait réussir à les blesser.
D’un geste, Alistair lui indiqua qu’il se posait. Surielle préféra le suivre. Son cousin aurait aimé être aux côtés de son père, c’était une évidence.
— Il ne cherche qu’à te protéger, tu sais.
— Je sais. Mais qui le protège, à lui, là-haut ? Ce n’est pas bon de rester à si haute altitude.
Surielle ne pouvait qu’acquiescer.
— Merci pour ce vol. Je ne m’étais pas rendue compte que ça m’avait autant manqué.
— Il y a des choses que les terrestres ne peuvent pas comprendre.
Alistair s’assit sur un rocher affleurant, cueillit un brin d’herbe.
— Tu ne nous as jamais dit ce que tu souhaitais faire ?
Surielle soupira.
— Parce que je ne le sais pas. Je suis dans l’incertitude depuis des années. Je n’ai pas voulu rentrer chez les Mecers, comme Taka ou mon frère. Presque toutes les filles d’Aioros y sont, pourtant. Ça me parait être si prévisible, dès qu’on appartient à la Seycam.
— Tu as pourtant appris à te battre, non ? Tu ne te débrouilles pas si mal, de ce que j’ai vu.
— Peut-être. Ça ne m’intéresse pas. Je n’ai pas envie d’être la meilleure. Je n’ai pas envie de m’afficher partout.
— À cause de tes ailes ? devina le jeune ailé.
— Elles restent trop visibles et encombrantes. J’avoue qu’ici, leur couleur semble moins déranger les gens.
— Parce qu’ils n’en connaissent pas la signification. Les ailés sont rares, alors ils sont plus surpris de voir des ailes qu’une couleur. Je ne crois pas qu’ils en comprennent la symbolique. Qu’as-tu fait comme études ?
— Je suis allée à l’Académie de Valyar, comme ma mère. Je voulais voir quelles étaient les autres voies possibles. Mais… là encore, j’ai sans cesse été comparée à elle. C’est tellement frustrant. Dans quel domaine puis-je prouver ma valeur ?
Alistair haussa les épaules.
— Je ne me suis pas posé autant de questions, avoua-t-il. Renter chez les Maagoïs m’a toujours paru une évidence. Ma mère a pourtant tenu à m’enseigner les secrets de son art. Je suis les traces de mon père, quelque part, mais je ne suis pas lui. Vas-tu t’intéresser au culte d’Eraïm, maintenant que tu as découvert ce que tu pouvais en faire ?
— Je ne sais pas. Peut-être. Je n’ai encore rien décidé.
— Tu ne peux pas passer ta vie à attendre.
— Ce n’est pas parce que c’est facile pour toi que ça l’est pour les autres, s’agaça Surielle.
Alistair s’apprêtait à répondre quand ses yeux s’agrandirent de stupeur. Une ombre les recouvrit, puis un dragon de pierre se posa près d’eux. Enfin, près d’eux. A une cinquantaine de mètres. Le sol trembla, le souffle de ses ailes fit voler graviers et poussières. Surielle se protégea le visage de son mieux.
Là-haut, tout là-haut, se trouvait une silhouette immobile. Une minuscule tâche écarlate.
— Papa !
Un cri de détresse. Alistair bondit dans les airs. Avec bien plus d’hésitation, Surielle le suivit. Elle se posa à deux mètres d’Alistair, déjà agenouillé près de son père. Le cœur de Surielle se serra. Était-il mort ?
Non, il bougeait. Mais il avait été blessé, et pas qu’un peu, c’était une certitude.
Avec appréhension, Surielle s’approcha. L’inquiétude marquait les traits de son cousin, mais le Commandeur était déjà en train d’essayer de s’asseoir. Alistair l’aida à trouver une position confortable.
— Je ne m’attendais pas à vous voir, marmonna Éric.
Ses vêtements étaient déchirés par endroit, noircis. Surielle n’arrivait toujours pas à savoir si la situation était grave ou pas.
Un brusque souffle d’air leur fit lever les yeux. Surielle se figea. Un autre ailé se posa près d’eux. Ses ailes grises étaient presque quelconques, auprès de leurs couleurs éclatantes. Elle l’avait peut-être déjà croisé au repaire, mais impossible de se rappeler de son nom.
— Qu’est-ce qu’ils font là ? Tu les as appelés aussi ?
— Comment aurais-je pu ? rétorqua Éric.
La respiration rapide, il était bien pâle. Il ne se plaignait pas, mais à ses traits crispés, Surielle devina qu’il souffrait.
Sital s’approcha, écarta Alistair pour s’agenouiller en posant sa mallette.
— Eraïm me garde, marmonna-t-il. Comment réussis-tu à survivre à tout ce qui t’arrive ?
Eraïm, nota Surielle, les yeux ronds. Un Massilien, sur Iwar ? Il ne pouvait s’agir que d’un ancien esclave.
Éric ne répondit pas et Sital lui injecta une dose d’anti-douleur avant qu’il ne puisse protester. Les yeux rivés sur son chrono, il patienta en silence, puis découpa la chemise pour mettre à nu la blessure. Le tissu adhérait aux abords de la plaie, aussi grosse que son poing alors Sital tira en douceur pour enlever ce qu’il pouvait.
— C’est grave ? s’inquiéta Alistair.
— Plus impressionnant que grave, répondit Sital tout en nettoyant la plaie béante avec un désinfectant.
Il posa ensuite deux patchs, l’un devant, l’autre dans le dos, comblant les trous béants et termina par un bandage. La puissance du laser avait cautérisé la blessure, évitant une hémorragie, mais avait aussi brûlé les chairs. Même avec des patchs régénératifs, il faudrait plusieurs semaines pour que la plaie guérisse entièrement.
— Il va te falloir du repos, maintenant.
— Merci, Sital.
— Le poumon ne devrait-il pas être touché ? s’enquit Alistair.
Le Commandeur ricana, avant de pâlir sous la douleur.
— Son père s’est chargé de ça bien avant les Stolisters.
Surielle se retrouva au centre de l’attention, mal à l’aise.
— Alors c’est elle, sa fille ? fit doucement Sital. J’aurais cru que ses ailes seraient blanches.
— Les phénix, marmonna Surielle.
— Ils ne sont pas Liés, reprit Sital en reportant son attention sur Éric. Comment t’ont-ils trouvé ?
Le Commandeur prit plusieurs inspirations, grimaçant encore, et son regard songeur se posa sur son fils.
— Je comptais le leur demander.
— Alistair m’a proposé d’aller me dégourdir les ailes, avoua Surielle. Être cloitrée dans ces tunnels… c’est difficile.
— C’est un pur hasard, ajouta Alistair.
Puis il fronça les sourcils.
— Dois-je comprendre… poursuivit-il en hésitant, que ce dragon est…
— Teildrei et moi sommes Liés, oui.
Surielle en oublia presque de respirer, et Alistair était tout aussi surpris.
— Mais… tu avais dit…
— J’ai fait ce que j’avais besoin de faire, l’interrompit son père.
Il chercha à se relever, mais Sital l’arrêta d’un geste.
— Tu devrais éviter de voler. Aucun organe n’est touché, certes, mais la blessure reste sérieuse. Et tu es encore essoufflé de ta dernière sortie en haute altitude. Ne sois pas surpris. L’oxygène est rare, là-haut. Avec une capacité pulmonaire réduite…
Sital ne poursuivit pas, mais Éric comprit parfaitement le message. Il soupira.
— Très bien. Teildrei va nous reconduire.
À peine avait-il prononcé ces mots que l’énorme masse du dragon de pierre s’ébranla. Surielle étouffa un cri et se raccrocha à Alistair avant de suivre l’exemple du Commandeur en s’asseyant. Elle enviait le calme de ses ainés. Surielle s’excusa auprès d’Alistair, mais douta que son cousin l’ait seulement entendu. Il semblait perturbé. Elle devinait qu’il avait été secoué par la blessure de son père. Quel lien les unissait ? Surielle réalisa que ses parents lui manquaient. Elle ne s’entendait pas toujours très bien avec eux, mais rester sans nouvelle si longtemps… cela ne lui était jamais arrivé. S’inquiétaient-ils pour elle ?
— Ça ne va pas ? demanda Sital.
La jeune ailé refoula ses larmes.
— Ils me manquent, avoua-t-elle.
— C’est difficile d’être loin, dit Sital.
— Savent-ils que tu es ici ? s’enquit Éric.
— Oui. Oncle Aioros les a prévenus.
— Alors pourquoi êtes-vous revenus seuls ? Je croyais que la mission de Rayad et Shaniel était de ramener des renforts ? demanda Sital, perplexe.
— Un prétexte pour les mettre en sûreté, admit Éric.
— Quoi ? s’écria Alistair. Mais…
— Les impériaux n’accepteront jamais l’aide de la Fédération. L’Empire croit en la force. Si Rayad se montre incapable de récupérer son trône, c’est qu’il n’est pas digne d’être Empereur. L’utilisation de troupes étrangères ne peut que provoquer l’indignation.
— Mais il ne peut rallier ses troupes en restant ici, releva Surielle.
— Exactement.
— Alors pourquoi reste-t-il ? fit Alistair, perplexe. Il devrait être possible de forcer le blocus grâce aux dragons, non ?
— Il doit convaincre les Seigneurs en premier lieu, expliqua Sital.
Le Commandeur acquiesça.
— Les plus fidèles sont réunis ici. S’ils ne le suivent pas, il n’a aucune chance de convaincre les autres.
Mais qui le protège, à lui, là-haut ?
→ Le « à » est de trop
mais douta que son cousin l’ait seulement entendu.
→ entendue
La jeune ailé refoula ses larmes.
→ ailée
Ah oui sans le "à" ça serait pas mal en effet. Et merci pour les fautes (un jour j'en viendrai à bout ^^).