Chapitre 25

Par Notsil

Cette fois, c’était le grand jour. La gorge nouée par l’appréhension, Surielle terminait son sac. Quelques affaires de rechange, des barres énergétiques, une radio pour communiquer. Rayad avait passé de longs moments à lui expliquer comment faire fonctionner l’appareil. Grâce à ça, ils pourraient rester en contact.

La jeune femme n’avait pas réalisé combien cette séparation serait difficile. Elle s’était habituée à avoir Rayad à ses côtés, à voler des heures à la nuit, à refuser de penser à l’avenir. Elle aimait se blottir entre ses bras, respirer son parfum, se sentir simplement bien.

Surielle déglutit. Ce n’était pas le moment de songer à ça.

Trouver l’Éveillé, se répéta-t-elle.

Depuis qu’elle se trouvait sur le sol impérial, prononcer le nom du dieu n’était plus suffisant pour la transporter auprès de lui. Son contrôle s’était-il amélioré ou l’avait-elle perdu ? Si son pouvoir était tributaire de sa présence sur le sol des Douze Royaumes, comment parviendrait-elle à ramener l’Éveillé ?

Elle aurait dû s’entrainer davantage, sauf qu’elle n’avait fait que chercher à passer du temps avec Rayad. Et maintenant, il était temps de partir et elle s’en voulait terriblement.

On frappa à la porte.

Surielle soupira, alla ouvrir.

— Surprise ? sourit Rayad tandis que la porte se refermait derrière lui.

— Je pensais que tu avais encore une réunion ? Je n’ai pas beaucoup de temps, prévint-elle en revenant à ses affaires. Je dois finir mon sac avant l’heure du départ.

— Et je passe après, c’est ça ?

Surielle releva les yeux, fronça les sourcils avant de se détourner.

— Que veux-tu dire ? Je croyais que tu étais d’avis que trouver l’Éveillé était important.

Elle tressaillit lorsque les mains de Rayad glissèrent sous ses ailes pour enserrer sa taille. Le prince posa la tête sur son épaule ; sa chaleur l’enveloppa, réconfortante.

— Tu es organisée, commenta-t-il en suivant son regard.

— J’essaie. Crois-tu que j’ai oublié quelque chose ?

Elle déplaça quelques objets pour qu’il puisse examiner l’ensemble.

— Ça m’a l’air plutôt complet. Nous verrons bien au moment.

— Nous ? releva Surielle.

— Je viens avec vous.

— Mais…

Elle se retourna pour le dévisager. Il était si sérieux. Avec douceur, Rayad caressa son visage.

— J’aimerai te dire que je viens pour ne pas me séparer de toi, mais ce serait nier mes responsabilités envers l’Empire. Et je te crois, quand tu dis qu’il est important qu’Orssanc revienne.

— Et si je me trompais ?

— Eraïm, tu veux dire ? J’en doute. J’ai discuté avec les Seigneurs, avec le Prêtre Bothik également. Je refuse de laisser cette quête entre tes seules mains. Sans vouloir te vexer, tu es peut-être la protégée d’Eraïm, mais tu n’es pas impériale. Je dois être à tes côtés.

— Qu’en pense Alistair ?

— Il dit que je fais une folie, que c’est totalement indigne de mon rang et que je devrais penser aux conséquences si je suis capturé par les Stolisters.

— Il n’a pas tort, commenta sombrement Surielle.

— Tu ne vas pas prendre son parti maintenant ? s’irrita Rayad. Après tous les trésors que j’ai déployés pour le convaincre ?

— Mais il a raison, Rayad. Tu es le prince impérial, l’héritier du trône. Tu ne peux pas te permettre de te retrouver en première ligne ainsi.

Rayad se dégagea et croisa les bras.

— Si, justement. Je dois faire mes preuves. Montrer que je peux m’impliquer dans ce qui est important pour l’Empire. Montrer que je ne crains pas les Stolisters. Jusqu’ici, je n’ai fait que fuir devant la démonstration de leur puissance. Je veux que ça change.

— Et Shaniel ?

— Elle restera ici. Auprès du Commandeur et de nos alliés, elle sera en sécurité. Je compte sur elle pour rassembler nos partisans, grâce à quelques interventions retransmises sur écran. Elle a un certain charisme.

— Et Alistair ?

Rayad grimaça.

— Il n’a… pas trop apprécié, je le crains. Nous nous sommes disputés.

— Je croyais que tu l’avais convaincu ? sourcilla Surielle.

Le prince soupira, joua un instant avec les manches de sa veste. Avec Surielle, il s’était engagé à ne pas mentir. Un choix qu’il avait fait sans la consulter, sans qu’elle ne cherche à le lui imposer, à sa surprise. Et qui se révélait étonnamment difficile à tenir. Tellement de petits mensonges émaillaient son quotidien…

— Pas exactement, biaisa-t-il. Vu sa réticence, j’ai parlé de Shaniel. Ça ne lui a pas plu du tout. Il s’est complètement braqué, s’est imaginé que je l’insultais en le croyant incapable de donner la première place à son devoir.

— A juste titre, souligna Surielle.

Rayad soupira de nouveau.

— Je sais qu’il n’est pas formé pour être garde du corps, mais, j’ai plus confiance en lui qu’aucun des autres soldats… il suffit d’un simple accident, après tout.

Pauvre Alistair, songea Surielle. Elle imaginait parfaitement sa colère. Et si Rayad l’avait finalement contraint à venir…

— Tu es bien pensive, commenta Rayad en caressant ses cheveux.

— Je réfléchis. J’essaie de trouver des arguments contre ta présence.

— Tu n’y arriveras pas, sourit Rayad.

Ses lèvres se pressèrent dans son cou, et Surielle frémit. Rayad gloussa en continuant son manège, couvrant de baisers chaque millimètre de sa peau nue.

— Tu m’empêches de réfléchir, marmonna Surielle, le souffle court.

— C’est le but, rétorqua le jeune homme.

— Tricheur, fit-elle en glissant les mains sous sa veste.

Il haussa les sourcils, faussement vexé.

— Que devrais-je dire de toi, glissa-t-il avant de s’emparer de ses lèvres.

Surielle s’abandonna à la douceur du moment présent. Leur relation était encore fragile, elle en avait conscience. Elle aimait sa prévenance, sa patience, sa timidité.

Le bip insistant du communicateur brisa leur bulle.

— Qu’y a-t-il, encore ? répondit Rayad, plus sèchement qu’il ne l’aurait souhaité.

— Tu es où ? On t’attend !

— J’arrive.

Rayad coupa la communication, soupira.

— C’était Alistair. Tu es prête ?

Surielle hocha la tête, ferma son sac. Sur son poignet, le communicateur bipa à son tour.

— Oui ? questionna-t-elle, toujours peu habituée à ce mode de communication.

— Tu t’es perdue dans les couloirs ?

— Du tout, je terminais mon sac.

— Alors accélère, nous partons !

La communication cessa avec un claquement sec avant même qu’elle ne puisse répondre. Sonnée, Surielle regarda Rayad qui se retenait difficilement de rire.

— Alistair est furieux, nota-t-elle. Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Rayad haussa les épaules.

— Rien de plus que ce dont je t’ai parlé.

Surielle soupira et attrapa son sac avant de se diriger vers la porte. Rayad l’arrêta pour un dernier baiser ; avant qu’ils ne retrouvent la foule des couloirs et la distance qu’ils s’imposaient en public. Alors qu’elle le suivait, Surielle chercha à se convaincre que c’était la meilleure solution. Ou alors était-ce parce que Rayad préférait assurer aux Seigneurs qu’il se marierait avec l’une de leurs filles pour s’assurer leur soutien ? Non, elle devait écraser ses doutes et lui faire confiance.

*****

Alistair s’immobilisa. S’il n’y prenait garde, ses bottes l’entrainaient en d’incessants allers et retours. Devant ses hommes, c’était inacceptable. Son devoir était de transmettre sa confiance, pas sa nervosité. Alors il croisa les mains dans son dos, laissa son regard errer sur les cinq soldats bien alignés, chercha en vain un prétexte à décharger sa colère. Il se contraignit à ne pas regarder son chrono. Rayad aurait déjà dû être là !

Mais non, leur uniforme gris souris était parfaitement ajusté, les bottes si lustrées qu’on aurait pu s’en servir de miroir, le paquetage en place sur le dos. Une vague de fierté manqua de repousser sa colère. Il avait travaillé si dur pour en arriver là ! Et son père avait été très clair sur le sujet. C’était le Commandeur qui s’était exprimé ; l’autorité de référence au sein des Maagoïs. Alistair n’était que lieutenant, au tout début d’une longue progression. Conscient que la noblesse ne lui ferait pas de cadeaux, le Commandeur s’était montré bien plus exigeant avec lui qu’avec ses condisciples.

C’était aussi la raison pour laquelle Wakao, de deux ans son cadet, paradait non loin de là avec son grade de capitaine. Alistair s’efforça de ne pas grimacer. Ses Maagoïs auraient été largement capables d’assurer seuls cette mission. Ils étaient des soldats d’élite ! Être obligés de supporter la présence des troupes régulières de Bereth, le Cinquième Monde, s’apparentait à une insulte.

Alistair avait tenté de protester. En vain. Même sa mère avait approuvé la décision d’Éric. La subtilité du jeu des alliances politiques… il s’en serait bien passé. Esbeth s’était montrée intraitable. Le capitaine Wakao avait accompagné Kota de Bereth, envoyé par Dame Anka. Elle régnait sur le Cinquième Monde, le seul des neuf à être dirigé par une femme. L’ainé était toujours l’héritier du titre, qu’il soit mâle ou non. Tout le contraire de Meren où seuls les hommes étaient considérés comme dignes du titre de Seigneur.

Sauf que si le Troisième Monde les avait assurés de sa fidélité au prince Rayad, Dame Anka hésitait toujours. Les Stolisters cherchaient à la convaincre par tous les moyens de rejoindre leur cause ; Alistair savait Rayad inquiet à ce sujet.

En demandant - demandant ! Comme s’il lui accordait une faveur ! - au capitaine Wakao so Kiya de les accompagner sur Ciryatan, Rayad espérait le convaincre de l’utilité de l’Éveillé, tout en prouvant à Dame Anka qu’il était capable d’agir quand il le fallait.

Alistair était certain que Wakao leur causerait des problèmes. Déjà, avec son grade supérieur au sien, Wakao en profiterait pour le tester. Les Maagoïs étaient indépendants, n’appartenaient pas aux troupes régulières impériales, n’obéissaient qu’à l’Empereur, Orssanc lui prêtre sa force, et au Commandeur. Bien évidemment,  son père lui avait ordonné de ne pas faire de vagues et de se montrer aussi conciliant que possible. Ne pas froisser un éventuel allié, bien sûr. Il serra les poings, retint un juron et se contenta d’un regard noir. Imperturbable, le capitaine Wakao lui adressa un sourire.

Et Rayad qui ne se montrait toujours pas ! Alistair était presque tenté d’aller provoquer le blondinet pour passer le temps. Par Orssanc, s’il s’avérait que Surielle avait tort, si cet Éveillé n’était qu’une vaste blague…

Le claquement rythmé des bottes sur le sol le sortit de ses pensées. Enfin Rayad arrivait ! Et Surielle avec lui.  Un instant, Alistair fronça les sourcils. Était-ce son imagination ou étaient-ils plus proches qu’auparavant ? Il repoussa ses interrogations comme Rayad s’approchait et s’inclina selon le protocole, au centimètre près. Il ne laisserait pas Wakao prétendre que son amitié lui faisait oublier les convenances.

Derrière lui, ses hommes mirent genou à terre, tout comme les soldats sous les ordres de Wakao, lequel s’inclina un cran plus bas qu’Alistair. S’il était d’un grade plus élevé, son rang dans la noblesse était bien en dessous de celui d’Alistair.

— Relevez-vous, nous n’avons pas que ça à faire, lança sèchement Rayad.

Alistair se comportait ainsi juste pour l’énerver davantage, c’était une certitude. Rayad avait toujours détesté qu’il se comporte comme s’ils ne se connaissaient pas, et leur amitié était connue du capitaine Wakao so Kiya. A quoi jouait-il ?

Derrière lui, Rayad percevait l’inquiétude de Surielle. Ce serait son premier voyage en navette… Et pas dans les meilleures conditions. A l’extérieur, le Commandeur et ses dragons s’occuperaient d’une diversion. Le blocus des Stolisters reculait, harcelés qu’ils étaient sur Iwar, et ils avaient parié sur le fait que l’usurpateur Varyl ne se séparerait pas de ses autres vaisseaux stationnés sur les autres Mondes. Les cellules de résistance montées par le Seigneur Jahyr s’assuraient que les Stolisters ne puissent baisser leur garde. Après, ils devraient se fier aux renseignements livrés par le Prêtre Bothik… malgré sa bonne volonté, Rayad avait encore du mal à faire confiance à un membre du clergé d’Orssanc.

Tant d’incertitudes… malgré l’angoisse qui lui nouait la gorge, Rayad s’obligea à paraitre confiant. C’était ce que son père lui avait transmis, après tout. Quoiqu’il se passe, toujours donner l’illusion de maitriser la situation. Le pouvoir avait un prix.

Rayad croisa le regard d’Alistair, s’efforça de ne pas se sentir blessé par le mécontentement qu’il y lisait, puis consulta son chrono.

— Il est l’heure. Allons-y.

 

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