Chapitre 24

Malgré les risques encourus, Lyne s’était résignée à ce que le prince se rende seul à l’invitation de Solveg. Un repas en tête à tête était plus propice au partage d’information et, comme il s’était échiné à le rappeler, Soreth largement capable de se défendre seul. D’autant que, à force d’insistance et en échange de sa bénédiction, il l’avait laissé cacher une épée dans son coche. Elle lui souhaita donc bonne chance sur le perron de l’ambassade, non sans admirer son maquillage et sa magnifique veste rouge, puis regarda sa voiture disparaître dans l’obscurité.

Tandis que les bruits de sabot des chevaux s’éloignaient dans la nuit, elle leva les yeux vers le ciel étoilé en songeant à son partenaire. Elle n’avait pas été totalement honnête le matin même, ou du moins incomplète, en disant qu’elle s’était réveillée tôt à cause de l’enquête. Elle aurait dû ajouter qu’elle s’impatientait de le revoir. Qu’elle avait failli mourir et que, si cela devait arriver, elle comptait bien profiter du temps qu’il leur restait à passer ensemble. Hélas, elle n’en avait pas eu le courage. Ce n’était pas le bon moment. Cela ne le serait d’ailleurs jamais. C’était ridicule, mais elle n’y pouvait rien. Tout comme elle ne pouvait s’empêcher de repenser à l’allure qu’il avait en partant, ou de sentir son cœur s’emballer. Elle avait déjà hâte de le retrouver. Un bref soupire s’échappa de ses lèvres, puis elle grimaça contre elle-même, sourit à son prince manquant, et rentra à l’intérieur de l’ambassade en se demandant comment elle allait occuper sa soirée.


 

Assise sur son lit, Lyne réprima un bâillement en tournant la énième page d’un livre sur l’histoire de Hauteroche. Les guerres avaient beau être un malheur pour les habitants et les habitantes de la cité, la guerrière devait reconnaître qu’elles étaient moins monotones que le reste de sa politique. En dehors de quelques moments intrigants, celle-ci était surtout composée d’alliances et de retournements ennuyeux, d’autant plus sous la plume d’un scribe aussi consciencieux que rébarbatif.

Tandis que sa mâchoire s’apprêtait à nouveau à s’ouvrir, la prétorienne referma l’ouvrage avec agacement et balaya sa chambre du regard. Elle avait survécu plusieurs fois à la garde du solstice d’hiver, ce n’était pas quelques heures sans son équipier qui allaient lui donner du fil à retordre. Elle avisa alors son épée et son armure, sagement rangées sur leur râtelier, esquissa un sourire, et décida qu’une visite à la salle d’entraînement ne lui ferait pas de mal.


 

Seule dans la vaste pièce, il n’y avait plus personne pour s’exercer à une heure aussi tardive, Lyne s’échauffa silencieusement à la lueur des deux chandeliers qu’elle avait pris la peine d’allumer. Elle alla ensuite chercher une lame émoussée et commença à répéter les mouvements que lui avait transmis Valis, le maître des escrimeurs de Lonvois. « N’importe qui peut tenir une arme », aimait-il rappeler à ses élèves avant d’ajouter, « mais si vous voulez le faire longtemps, il vous faudra être patient et persévérant. ». Les apprentis hochaient la tête à ses paroles, mais ils les oubliaient rapidement par la suite, laissant les passes et les victoires effacer les fondations de leur enseignement : se déplacer et trancher. Si Lyne était parmi les meilleurs combattants du château, c’était parce qu’elle n’était pas de ceux-là. Elle appréciait de répéter inlassablement ces mouvements qui lui vidaient l’esprit tandis qu’ils se gravaient dans son corps.

Alors qu’elle enchaînait une série d’attaques et de parades, elle s’arrêta en entendant des bruits de pas au niveau de la porte, et tourna les yeux au moment où le lieutenant Kakeru entrait.

— Excusez-moi, chevalière Lyne, la salua-t-il avec surprise. Je terminais ma ronde lorsque j’ai vu de la lumière. Je me demandais qui pouvait bien s’exercer à une heure aussi tardive.

La guerrière esquissa un sourire, malgré ses protestations le soldat n’avait jamais voulu cesser de l’appeler par le titre qu’elle ne possédait pas, et secoua la tête.

— Il n’y a pas de mal. Je profitais de l’absence du prince pour m’entraîner un peu.

— Ah les gardes royaux, soupira faussement Kakeru en refermant la porte derrière lui, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre.

Intriguée de ne pas le voir poursuivre son chemin, Lyne le dévisagea tandis qu’il ôtait son casque, laissant ses longs cheveux noirs lui tomber sur les épaules, et se dirigeait vers les râteliers.

— Je dois cependant admettre, reprit-il en se saisissant d’une lame et d’un vieux bouclier, que malgré tous ceux qui passent ici j’ai rarement l’occasion de m’exercer avec eux. Me feriez-vous cet honneur ?

— Bien entendu !

La prétorienne recula de quelques pas pour faire de la place à son adversaire et se mit en posture en souriant. Rien ne concluait mieux un entraînement qu’une session de joute libre.


 

— Eh bien, déclara Kakeru, maintenant assis derrière son bureau, je comprends pourquoi quelqu’un a jugé bon d’ajouter « royale » à votre titre de garde.

Lyne hocha la tête avec reconnaissance, posa deux verres parmi les feuilles éparpillées et s’installa sur une chaise en face à son interlocuteur.

— Vous vous débrouillez très bien vous aussi. L’ambassade n’a définitivement rien à craindre.

— Merci, chevalière. Je ne manquerai pas de répéter cet éloge aux miens lorsqu’ils m’interrogeront sur mes contusions.

La prétorienne acquiesça d’un air amusé, jeta un œil à la ville endormie sur sa droite, la vue devait aider le lieutenant à ne pas déprimer lorsqu’il s’occupait de la paperasse, puis demanda en se rappelant de ses discussions avec les autres gardes.

— Votre époux travaille-t-il ici ?

— Saneth gère une partie de l’intendance, répondit Kakeru en sortant une bouteille en verre de son bureau, mais je dois me passer de lui pour obtenir ce qui compte vraiment.

Il marqua une pause pour détailler le liquide orangé à l’intérieur du cylindre et ajouta.

— Chose promise, chose due, voici du jus de mangue en provenance directe du duché d’Irevois.

Intriguée par la boisson, la prétorienne le regarda remplir leurs verres tandis qu’une odeur fruitée se répandait dans la pièce.

Elle n’avait mangé qu’une seule fois de la mangue, lorsque son beau-père en avait rapporté d’un voyage dans le sud. Elle en avait depuis longtemps oublié le goût, mais se souvenait de l’avoir apprécié, comme Malik et à l’inverse de Valian, dont ils s’étaient départagé la portion au bras de fer. Elle avait gagné, comme d’habitude, mais avait coupé les restes en deux afin de permettre à son frère d’en profiter. Elle l’aimait trop pour le priver d’un tel plaisir.

— Les fruits sont transportés par chariot à Fiuma, expliqua le soldat, puis par bateau jusqu’ici. Le commerce est prospère depuis que la paix s’est établie. Enfin, avant cet hiver.

Lyne hésita à poursuivre la conversation, elle s’annonçait bien trop lugubre, mais estima qu’elle aurait été idiote de ne pas connaître l’avis du militaire.

— Pensez-vous que les choses vont encore se dégrader ?

— Hélas, cela se détériore depuis des années. Au début cela ne dérangeait personne qu’il y ait quelques inégalités, mais elles se sont creusées avec le temps. La violence des politiciens comme Darsham à suivi, comme si plus les gens avaient d’argent et plus ils voulaient le protéger. Aujourd’hui, on ne sait plus trop comment s’en sortir.

— N’avez-vous jamais eu envie de partir ?

— Notre vie est ici, répondit Kakeru en haussant les épaules, avec celle de nos enfants. Et puis, veiller sur les fonctionnaires erelliens en est d’autant plus important. Même lorsque Trisron est dans le lot.

Ils échangèrent un sourire moqueur, puis le lieutenant tendit un verre à son interlocutrice.

— Allez, il ne faut pas retarder les bonnes choses.

Plus épais qu’attendu et particulièrement sucré, le jus n’en était pas moins excellent. Il réveilla Lyne comme l’aurait fait une tasse thé.

— Par mes ancêtres ! s’exclama-t-elle en se retenant de vider son gobelet d’une traite. Je comprends pourquoi vous portez autant d’intérêt à cette bouteille. Cela n’a rien à voir avec ce que l’on trouve en Erellie.

Le lieutenant hocha la tête sans un mot, comme si parler risquait de gâcher le goût de sa boisson.

Ils la savourèrent ainsi quelques minutes, tels des contrebandiers silencieux, puis la prétorienne, dont les pensées revenaient trop souvent à Soreth, fini par demander.

— Connaissez-vous la capitaine Solveg ?

— Principalement de réputation. Elle vient rarement à l’ambassade, préférant laisser la politique aux conseillers plus expérimentés.

Lyne acquiesça avec compassion. Elle avait déjà du mal à discuter avec Yllan, alors elle ne pouvait qu’imaginer ce que s’était d’évoluer au milieu d’autant de héros.

— D’aucuns l’accusent de frivolité, continua le lieutenant, car elle joue trop pour son bien, mais elle est plus sérieuse qu’ils ne le croient. Je l’ai vu gagner le tournoi d’escrime des sous-officiers il y a quelques années. Je peux vous garantir que ce n’est pas l’argent de ses parents qui lui a acheté la victoire.

Il marqua une pause, autant pour réfléchir que boire à nouveau, puis haussa légèrement les épaules.

— Je n’ai pas beaucoup plus à raconter. Elle a perdu sa mère l’été dernier et on entend moins parler d’elle depuis. Néanmoins, je pense que d’ici la fin de sa carrière elle sera aussi respectée qu’Yllan ou Morgane.

Lyne acquiesça en réprimant une pointe de jalousie.

— Je suppose que notre prince ne risque rien avec elle.

— Absolument ! Et puis, je suis sûr qu’il reste de toute façon quelques vies à Son Altesse.

Le clin d’œil complice de Kakeru lui valut un sourire gêné de la prétorienne, qui ne savait pas ce qu’il connaissait de son partenaire et ce qu’il extrapolait des rumeurs. Elle détourna alors peu subtilement la conversation, demandant au militaire si Lonvois et la mer lui manquaient. Cela lui arracha un soupire nostalgique, sans aucune remarque sur sa manœuvre, et il la resservit avant de l’écouter parler de la capitale et de son travail là-bas.

Pendant presque une heure, il fronça les sourcils quand elle lui résuma des crimes, inspira profondément à l’évocation du port et de ses odeurs, et lissa sa moustache d’un air amusé en en apprenant plus sur ses frères facétieux. Puis, alors que le soleil était depuis longtemps couché, il rangea la bouteille vide dans son bureau avant de bâiller à s’en décrocher la mâchoire.

— Je ne pensais pas que la soirée nous entraînerait si loin, mais j’en suis le premier ravi. C’est agréable de prendre des nouvelles du pays, de savoir que les choses y ont évolué en bien.

— Je croyais pour ma part rester seule, répondit Lyne en se levant, merci pour votre compagnie. Et pour la mangue bien entendu.

— Je crains qu’avec ce qui se passe en ville je n’aie pas le loisir d’obtenir rapidement une nouvelle bouteille, mais soyez sûr que j’en garderai une en réserve pour votre prochaine visite.

La prétorienne esquissa un sourire, puis s’inclina et récupéra son épée posée dans un coin de la pièce.

— Encore merci, déclara-t-elle en ouvrant la porte, et mes amitiés à votre famille.

— Dormez bien.

Elle referma l’huis derrière elle, laissant Kakeru ranger ses affaires, et se dirigea vers sa chambre. Elle n’avait pas veillé ainsi depuis longtemps, mais ne le regrettait pas. Parler avec Kakeru lui avait changé les idées pour quelques heures. Elle n’en demandait pas plus.


 

Allongée sur son lit, Lyne essayait vainement de se reposer quand un bruit mat lui fit ouvrir les paupières. Un sourire discret illumina alors son visage, et elle se redressa pour contempler le halo pâle qui entourait sa penderie.

— … tu dors ? murmura Soreth derrière le meuble.

— J’aimerai bien, mais il y a un type dans mon armoire.

Il y eut un bref blanc, durant lequel elle s’amusa à imaginer la tête de son ami, puis celui-ci reprit.

— Techniquement, je ne suis pas vraiment ded…

— Veux-tu que je t’ouvre ou comptes-tu passer la nuit dans le couloir ?

— … un peu d’aide ne serait pas de refus.

Les yeux mi-clos, la guerrière se glissa hors de son de lit et s’approcha à tâtons de la penderie, trop curieuse de ce que son partenaire avait à raconter pour s’ennuyer à allumer une chandelle. Elle tira ensuite sur le meuble de toutes ses forces, et en fut récompensée lorsque Soreth se faufila dans la pièce, un bougeoir à moitié consumé dans la main et la chemise tachée de poussière.

— Merci, déclara-t-il en posant sa lumière sur la table à côté de lui, je commençais à me demander si les araignées ne cherchaient pas à se venger de mon dernier coup de balai.

La prétorienne esquissa une moue amusée, passa sa cape de laine autour de ses épaules et retourna s’asseoir sur son oreiller.

— À mon avis, elles t’en veulent moins pour ton ménage que pour ton humour déplorable.

— Eh bien, répliqua le prince tandis qu’elle s’installait, je constate que la trêve de minuit ne s’applique pas ici.

Heureuse de voir que son ami n’avait pas changé durant leurs quelques heures de séparation, Lyne profita de la pénombre pour le dévisager plus longuement qu’il ne l’était souhaitable. Elle remarqua alors que son regard hésitait entre la chaise du bureau et la place qu’elle lui avait faite à côté d’elle. Maudissant silencieusement la personne qui lui avait fourni ce meuble inopportun, elle désigna son lit en espérant que l’obscurité cache son expression troublée.

— Tu devrais venir ici. Ça nous permettra de parler moins fort.

Le prince acquiesça, sans qu’elle sache s’il croyait à son mensonge, et s’installa souplement à quelques centimètres d’elle. Son parfum de pomme l’envahit aussitôt, lui faisant presque oublier ce qu’ils faisaient là, et elle dut détourner les yeux de son sourire pour se concentrer sur ses paroles.

— Je suis désolé d’arriver aussi tard, expliquait-il à mi-voix, mais je me suis dit que cela serait plus simple de te résumer la soirée pendant que je l’avais encore en mémoire.

— Ne t’en fais pas. J’hésitais à t’attendre de toute façon. Qu’as-tu donc appris d’intéressant ?

— En premier lieu, grimaça Soreth, que notre chère capitaine tient de ses parents pour les négociations. Elle a été moins bavarde que nous l’espérions. Elle m’a parlé du poison et donné quelques noms auxquels le crime aurait pu profiter, mais rien que nos espions ne soient pas en mesure d’obtenir. En échange, j’ai dû lui confier nos suspicions sur les silos et à propos du fait que ces affaires soient liées.

— C’était malin de ta part. Comment a-t-elle réagi ?

— Elle les a trouvé intéressantes, mais n’a pas semblé vouloir creuser.

La prétorienne fronça les sourcils, surprise par autant de nonchalance.

— Lui as-tu bien dit que nous soupçonnions des militaires d’être complices des meurtres ?

— Absolument. Elle a déclaré que c’était souvent le cas dans les armées, et que le conseil faisait depuis longtemps avec, je cite, « quelques éléments séditieux ».

— Bluffait-elle ou y croyait-elle vraiment ?

Le prince réprima un frisson alors qu’un courant d’air traversait la pièce, puis, tout en s’enroulant dans la couverture que lui tendait la jeune femme, lui adressa un sourire malicieux.

— Je n’en étais pas sûr au début, alors, pour évaluer son anxiété, il se pourrait que j’aie fortuitement cassé un verre pendant qu’elle ne regardait pas.

Lyne s’esclaffa. Elle aurait aimé voir cela. Ressentant à son tour le froid nocturne, elle oublia un instant l’histoire de son ami pour se demander s’il partagerait le dessus de lit avec elle. L’idée lui arracha un sourire idiot, mais elle la chassa de son esprit avant de sentir ses joues s’embraser, et se recentra sur les propos de Soreth.

— … jamais vu quelqu’un sursauter ainsi. On aurait cru un animal pris au piège. Au mieux elle n’accorde aucun crédit à ce qu’elle dit. Au pire quelqu’un fait pression sur elle, et elle en sait bien plus qu’elle ne le laisse entendre.

— Mascarade ?

— C’est difficile à vérifier pour le moment, répondit son équipier en lui tendant nonchalamment un bout de couverture, mais peu de gens se risqueraient à faire chanter une capitaine de Hauteroche.

— Je la vois mal céder de la sorte, approuva Lyne en se rapprochant de lui pour passer le plaid autour de ses épaules, mais elle a peut-être reçu des menaces. Nous devrions demander à Annelle de la surveiller.

Soreth hocha la tête, inconscient de la tempête d’émotion que déchaînait leur proximité dans l’esprit de sa partenaire, puis conclut en résumant leurs échanges moins politiques. La prétorienne l’écouta d’une oreille distraite, troublée par la chaleur de son corps et une envie inavouable de s’y blottir, mais réussit à ne pas rater la question qu’il lui posa sur sa propre soirée. Elle la lui décrivit alors rapidement, en évitant de mentionner les rares fois, du moins d’après elle, où il lui avait manqué.

Quand elle eut terminé, il ne restait qu’un maigre huitième de la chandelle vacillante de Soreth, qui éclairait moins la pièce qu’elle n’en renforçait les ombres, et l’heure du coucher était depuis longtemps passée pour tous ceux qui ne souffraient pas d’insomnie. Lyne avait toutefois moins envie de dormir que de figer le temps. De graver dans sa mémoire le souvenir de cet instant, et le portrait en clair-obscur de son ami épuisé et pourtant si charmant.

Le silence s’étira entre eux tandis qu’elle le dévisageait discrètement, puis il tourna ses yeux vers l’armoire et elle sentit sa poitrine se serrer. Elle lista mentalement mille et une raisons de le garder avec elle dans l’espoir de l’arrêter, mais n’en trouva aucune qu’elle puisse formuler à voix haute. Elle se résigna donc à le laisser partir. Ce n’était pas si grave. Elle le reverrait bientôt.

— Il y a une dernière chose que j’aimerai aborder, murmura Soreth en la tirant soudainement de ses pensées, ou plutôt, te demander.

Il baissa timidement les yeux alors qu’elle le fixait avec curiosité, puis reprit d’une voix étonnamment peu assurée.

— Je suppose que tu le sais déjà, c’est notre travail après tout, mais je… t’apprécie beaucoup… vraiment beaucoup.

Le cœur de Lyne accéléra dans sa poitrine. Subitement muette, elle hocha lentement la tête pour encourager son partenaire à continuer.

— Ce n’est pas trop mon domaine les gens, enfin les relations honnêtes. Cependant, je me dis que, peut-être, cela serait bien que cela le soit un peu plus. Parce que j’aimerais… mais c’est compliqué. Tu sais, je suis un prince… et tes parents…

La jeune femme esquissa un sourire malgré ces explications confuses. Une fois de plus, Soreth lui prouvait qu’elle pouvait lui faire confiance. Qu’il n’était pas juste un noble. Et surtout, qu’il n’était pas son père.

Comme son ami ne parlait plus, mais gardait ses yeux brillants rivés dans les siens, elle supposa que c’était à elle de répondre. Elle se rapprocha de lui et posa sa main sur la sienne. Sa chaleur était agréable. Elle avait l’impression de rêver. Elle n’était d’ailleurs pas sûre d’être éveillée. Non pas que cela ait la moindre importance. L’instant était trop beau pour qu’elle le laisse filer.

— Il faudrait être idiot pour penser qu’il n’y a pas de danger, commença-t-elle d’un ton moins assuré qu’elle ne l’aurait voulu, mais… ça reste moins risqué que de se faire pourchasser par une horde de brigands.

Il sourit et opina doucement. Elle serra les doigts autour de sa main.

— Je suis une prétorienne. Je n’obéis à personne d’autre qu’à la reine. Toi… tu es mon partenaire. Seras-tu capable de ne pas l’oublier ?

Son cœur battait à tout rompre. Sa voix tremblait. Pourtant, cela ne l’empêcha ni de savourer le moment ni de soutenir le regard radieux de son ami alors qu’il acquiesçait. L’inconnu leur tendait les bras, aussi osé qu’encourageant. Ils n’avaient qu’un pas à faire.

— Est-ce que je peux…, commença-t-il incertain.

— … t’embrasser ? termina-t-elle en souriant.

Ils hochèrent simultanément la tête, pouffèrent avec complicité, et se rapprochèrent lentement l’un de l’autre.

Leur baiser dura une seconde, une éternité, ou peut-être les deux. Il eut le goût de la mangue, l’odeur de la pomme, le frisson de l’interdit, et la chaleur d’une promesse qui n’engageait qu’eux. Il n’y aurait pas de retour en arrière, mais ils s’en moquaient. Ils n’en avaient pas besoin.

Le souffle court, Lyne écarta son visage souriant de celui de Soreth. Il semblait aussi heureux et perdu qu’elle. C’était rassurant. Elle posa une main sur sa joue et la caressa timidement. Ils avaient beaucoup à se dire, mais cela attendrait. Au moins un second baiser. Sans doute une prochaine nuit. Ils s’approchèrent à nouveau tandis que la chandelle vacillait une dernière fois, puis l’obscurité les recouvrit.

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MichaelLambert
Posté le 21/02/2023
Bonjour Vincent !

J'ai eu quelques empêchements qui m'ont tenu éloigné de PA une quinzaine de jours et voilà que pour mon retour je découvre ce magnifique chapitre ! Merci ! Je crois que je n'aurais plus supporter d'enquête et d'intrigue politicienne si Lyne et Soreth ne s'étaient pas enfin rapproché ! Bien joué ! Et très bien amené !

Un point qui me chiffonne quand même en début de chapitre :
"Malgré les risques encourus, Lyne avait accepté que le prince se rende seul à l’invitation de Solveg. Un repas en tête à tête était plus propice au partage d’information, et Soreth était largement capable de se défendre." -> J'ai trouvé ça trop facile et un peu gros à avaler que Lyne change soudain si vite d'avis, elle qui tient si fort à son devoir de garde. Soit, j'aurais eu besoin de détails sur la conversation et les arguments qui auraient pu la convaincre, soit j'aurais préféré que Soreth lui en ai donné l'ordre et qu'elle aie dû obtempérer !

Puis, quelques détails :

"Les guerres avaient beau être un malheur pour les habitants et les habitantes de la cité, il fallait reconnaître qu’elles étaient moins monotones que le reste de sa politique." -> J'ai un soucis perso avec la formule impersonnelle "il fallait reconnaitre" parce que je me sens pris en otage en tant que lecteur comme si je devais aussi acquiescer même si je ne suis pas d'accord (surtout sur un tel sujet) alors que je peux accepter sans soucis que ce soit l'avis de Lyne (ce que je trouve même plutôt cohérent avec le personnage).

"— Eh bien, déclara le lieutenant assis derrière son bureau," -> alors là l'ellipse est brutale : je m'attendais à une passe d'arme et je me retrouve devant un bureau... un bureau ? lequel ? on est où la ? ;-)

"— Votre époux travaille-t-il ici ?" -> Il est marié à un homme, je comprends bien ? Si c'est le cas, est-ce la première fois que tu en parles ? (Et comment Lyne est-elle au courant ?) J'adore ce genre de situations qui bousculent les normes, en même temps, ça me semble anachronique dans une histoire à l'environnement médiéval comme la tienne. Et alors, j'ai besoin que ça soit plus préparé, qu'on sente plus souvent qu'il y ait une grande ouverture d'esprit sur les modes de vie.

"Il marqua une pause pour détailler avidement son butin et ajouta." -> Son butin ? Je me demandais de quoi tu parlais ? ;-)

A bientôt pour la suite !
Vincent Meriel
Posté le 23/02/2023
Bonjour Michaël et bon retour sur PA !
Je suis content que ce chapitre te plaise, je me demandais si tu le trouverais trop vite arrivé mais visiblement il est plutôt salvateur ^^
Merci pour tes remarques pertinentes, je vais voir pour corriger cela.
Pour répondre sur l'époux, il est effectivement marié à un autre homme et Lyne le sait parce que tous le monde le sait à l'ambassade (mais je devrais sans doute le préciser). L'univers est assez libre sur les relations, mais il faut admettre que j'ai eu assez peu d'opportunité pour en parler avant (sauf pour Sassianne, mais c'était bref). Je vais essayer de trouver un endroit pour en parler plutôt... il faut que je me creuse un peu la tête.
Merci en tout cas et à bientôt !
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