Chapitre 25

Un courant d’air frais tira Soreth de son sommeil. Il grommela en réprimant un frisson, puis serra sa chemise contre lui et tenta de se blottir sous une couverture qu’il n’avait pas. Il ouvrit les yeux avec perplexité. Malgré l’obscurité, il sut qu’il n’était pas dans sa chambre. Le lit n’avait pas la bonne taille. Les murs étaient trop proches. Il y avait quelqu’un à côté de lui ! Il s’en éloigna instinctivement, et chuta sur un sol de pierre froide. La douleur lui arracha un grognement étouffé, puis il se releva silencieusement et découvrit Lyne endormit devant lui, enroulée dans une chaude couverture en laine. Ses pensées commençant alors à s’éclaircir, il se souvint qu’elle avait proposé de la partager avec lui. Il avait répondu que sa chemise et son pantalon suffiraient. Elle avait opiné sans insister. Parfois, il se détestait.

Il passa une main dans ses cheveux en contemplant son amie endormie. Ils s’étaient embrassés. C’était étrange. Un peu comme un rêve, mais en plus éveillé. Il sourit, sentit son cœur s’emballer, et laissa ses yeux errer sur le visage apaisé de son équipière. Il ne savait pas où les emmènerait le chemin qu’ils avaient pris, mais ne le regrettait pas. Il se pencha doucement au-dessus de sa protectrice à l’odeur de mangue, déposa un baiser sur son front barré de mèches brunes, et regagna silencieusement sa chambre.


 

Il finissait de se maquiller quand Lyne frappa à sa porte. Tout en se retenant de courir, il alla lui ouvrir avec entrain.

— Bonjour !

— Bonjour !

Ils échangèrent un sourire, puis un long regard gêné, hésitant sur la conduite qu’ils devaient adopter. Finalement, Soreth se força à articuler plus d’un mot.

— As-tu bien dor…

— J’ai dit aux soldats de prendre une pause.

Sans avoir besoin de plus, ils avancèrent l’un vers l’autre et s’embrassèrent tendrement. L’étreinte dura plusieurs secondes, leur prouvant que la veille n’avait pas été qu’un rêve, puis ils se séparèrent à contrecœur lorsque des pas résonnèrent au loin.

— Bien, déclara le prince sans détacher les yeux de son amie, je crois que nous avons du travail.

— Oui, acquiesça-t-elle en reculant d’un pas supplémentaire. Absolument ! Beaucoup de travail.

Il referma la porte derrière lui, puis ils se dirigèrent vers le bureau royal alors que sa protectrice reprenait.

— J’ai croisé le lieutenant Kakeru ce matin. Il y eut une nouvelle disparition dans le centre. Pas de traces, pas de corps, mais une famille et une patrouille de gardes se sont volatilisés.

Soreth soupira. Plus il y aurait d’agressions, plus la tension monterait entre les quartiers.

— Il faut que nous comprenions ce qui se trame ici. J’espère qu’Annelle aura plus d’information.

— Moi aussi. Nous devons toutefois rencontrer l’ambassadrice d’Ostrate avant de la voir. Penses-tu qu’ils puissent être impliqués ?

Le prince réfléchit pendant qu’ils pénétraient dans la partie du bâtiment destinée aux diplomates, puis secoua la tête.

— D’après ce que Trisron nous a dit, les caravanes de l’empire sont attaquées comme les nôtres. Et puis ce genre d’action n’est pas dans leurs méthodes. Pour leurs réélections les sénateurs ont besoin de visibilité et d’une certaine forme de morale. Assassiner des militaires en temps de guerre est une chose, tuer des familles dans leur sommeil une autre.

Lyne opina, puis elle se décala d’un bond pour esquiver une femme noire qui traversait le couloir en trombe, les bras chargés de livres. Sans sembler les remarquer, celle-ci entra dans le bureau le plus proche, d’où s’échappaient les bribes d’une conversation animée.

— Eh bien, grommela la prétorienne pendant qu’ils passaient devant une seconde pièce remplie de diplomates nerveux, la mort d’Harien a plus chamboulé la politique que je ne l’aurais cru possible.

— Chacun revoit ses allégeances, et Trisron n’est pas du genre à accepter de perdre de l’influence. D’autant que nous aurons besoin de toute celle disponible si nous voulons avoir une chance d’apaiser le conseil.

Ils se rangèrent à nouveau pour croiser un groupe en pleine discussion houleuse, puis atteignirent enfin le cabinet royal et son silence révérencieux.


 

Trisron les y rejoignit une trentaine de minutes plus tard, pour leur présenter un rapport succinct sur la ville. Bien que les funérailles de Harien n’aient pas encore eu lieu, ses deux successeurs potentiels, Carassielle Pirus et Riil Urcis, étaient déjà occupés à rassembler leurs partisans. La première pouvait se reposer sur le soutien d’une bonne majorité de citoyens et citoyennes aux revenus modestes, docker, ouvrier ou marchand. Le second sur les riches familles bourgeoises qui vivaient là. Cela lui conférait une base électorale plus petite, mais il disposait de plus de budget pour convertir les indécis, ainsi que de la volonté de chacun pour que le quartier retrouve sa stabilité. C’était un ancien militaire, ce qui en faisait aux yeux de beaucoup la personne idéale pour débarrasser le secteur des voleurs et contrebandiers. Carassielle avait beau avoir les mêmes envies et compter sur l’excellent bilan d’Harien, d’aucuns redoutaient qu’elle soit trop obligeante avec les démunis. C’était une idée ridicule, comme le grommela Lyne entre deux explications du diplomate, mais elle faisait son chemin dans l’esprit des gens, trop préoccupés par la crise pour remarquer que la criminalité était plus liée aux inégalités qu’à la pauvreté.

Au milieu de tout cela, l’Erellie s’efforçait de soutenir Carassielle, enjoignait le conseil à limiter les actions militaires dans le quartier sud, et poussait à mieux répartir les richesses de la cité franche. Déjà difficile en temps normal, cette tâche était devenue colossale maintenant que la balance politique était rompue et que les dirigeants craignaient un soulèvement.

— Mais je ne comprends pas, s’exclama Lyne à la fin du résumé de Trisron. Pourquoi pensent-ils que se comporter comme des idiots empêcherait Hauteroche de se révolter ?

La question fit apparaître un rictus hautain sur le visage du diplomate, mais il se hâta de le cacher lorsque son interlocutrice glissa la main vers son épée, dans un rappel aux bonnes manières, et répondit plus poliment.

— Certains conseillers partagent votre opinion. Les autres redoutent plus les bourgeois que le peuple. Nous ne sommes pas en Erellie. Les habitants pauvres ne s’insurgeront pas facilement. À l’inverse, les riches pourraient mal voir qu’on distribue leurs économies ou que l’on ne fasse rien pour trouver ceux qui les attaquent. Ils ont beau être moins nombreux, ils ont plus de pouvoir et peu de scrupules à l’utiliser.

— Malgré ce que j’avais entendu sur cette ville, grommela la prétorienne, j’en avais une plus haute estime. Comment en sont-ils arrivés là ?

— Cela, rebondit le comte, c’est une question pertinente. Hélas, personne n’en connaît vraiment la réponse. Certains évoquent un mélange de la liberté erellienne et de l’organisation valéenne, mais cela pourrait aussi être les traumatismes de la guerre, ou bien la simple avidité des peuples.

Cette fois, l’explication ne valut à Trisron aucune menace de Lyne, qui se pencha au contraire vers lui avec curiosité. Conscient de l’intérêt qu’il venait d’obtenir, celui-ci bomba légèrement le torse, ce qui obligea Soreth à se pincer les lèvres pour ne pas rire, et reprit.

— Je crois pour ma part en l’intervention de plusieurs de ces facteurs. Toutefois, même si je fais mon possible pour maintenir nos idéaux dans la ville, il faut faire attention lorsque nous la jugeons. Hauteroche a été construite pour être un rempart contre l’empire, mais ce n’est pas une muraille de pierre et de mortier. Elle est faite de chair, de sang, de commerce et d’idées. Ce sont des choses que l’on ne manipule pas aisément.

— Dites-vous que cette politique inégalitaire est le prix à payer pour la paix ?

— Je l’imagine plutôt comme une dette. Nous devons la réduire, mais pas au prix de l’instabilité.

Lyne acquiesça, les sourcils froncés, mais l’air un peu moins énervée.

— Il n’en reste pas moins que leurs décisions stupides risquent de coûter la vie à de nombreuses personnes. Que ce soit à cause de la faim ou de la révolte.

— C’est pour ça que nous sommes là, intervint Soreth, agir maintenant dans les limites de ce que nous pouvons faire pour permettre à nos alliés de travailler à plus long terme.

Surpris par la justesse de la remarque, il avait tendance à trop écouter les rumeurs qui couraient sur le fils cadet de la reine, Trisron se tourna vers lui et opina. La prétorienne en fit de même, laissant ses yeux se perdre un peu trop dans ceux du prince, puis le diplomate reprit ses explications. Elles ne durèrent toutefois pas, car on leur annonça bientôt l’arrivée de Kalinda Natius.


 

Comme le voulait la coutume, Soreth se déplaça dans le hall pour accueillir l’ambassadrice aux couleurs rouge et or d’Ostrate. Ils s’y saluèrent cordialement, puis profitèrent du chemin pour échanger quelques banalités. Car si Kalinda connaissait bien le comte, c’était aussi elle qui recevait le jeune homme durant son adolescence, quand ses parents se rendaient à l’ambassade impériale. Ils s’étaient rapidement appréciés en dépit de leur différence d’âge, elle avait une dizaine d’années de plus que lui, que ce soit lorsqu’ils discutaient autour de leur table de marelle ou pendant leurs promenades estivales dans les divers jardins de Hauteroche. Quand Soreth avait besoin de se rassurer sur l’avenir de leurs pays respectifs, il se remémorait toujours l’intelligence et l’altruisme de la baronne.

Dès qu’ils furent confortablement installés dans les canapés du bureau royal, Trisron et Lyne faisant face à Kalinda et Soreth, la diplomate à la peau hâlée balaya ses interlocuteurs du regard et déclara avec gravité.

— En préambule, il me semble important de vous jurer sur mon honneur et ma loyauté à l’empire que nous ne sommes aucunement responsables des tragédies récentes.

Bien qu’il ne s’agisse que d’une position officielle, le prétorien acquiesça en entendant la promesse de l’ambassadrice et prit la parole à son tour.

— Soyez certaine que nous ne vous imputons en rien ce qui arrive, et que nous vous assurons nous aussi que nous ne sommes pas impliqués dans ces évènements.

— Merci, Votre Altesse. Votre confiance est appréciable. En gage de bonne foi, et de manière plus officieuse, permettez-moi d’ajouter que l’empire accepte de passer sous silence le fait que nous ayons retrouvé des armoiries erelliennes dans la zone démilitarisée des monts d’Argent.

Soreth arbora une expression faussement surprise. Lyne reteint sa respiration. Trisron, une fois l’information digérée, prit la défense des siens.

— Voilà une affaire aussi déplaisante qu’étrange. Depuis la signature du traité de paix avec l’empire, nous avons toujours mis un point d’honneur à respecter cette limite.

— Allons, sire Lefram, l’interrompit la diplomate d’un ton amusé, même moi je connais vos serments. S’il y a bien une chose que votre royaume ne sait pas respecter, ce sont les frontières.

Retrouvant ensuite son sérieux, elle poursuivit.

— Il me faut toutefois vous prévenir, ces insignes ont été récupérées au milieu d’un charnier sans aucun survivants. Par respect pour vos troupes et leur courage, nous vous les remettrons afin que vous puissiez les rendre à leurs familles.

— Merci, dame Natius, répondit Soreth avec sincérité avant d’ajouter par souci d’équilibre, nous ne perdrons pas non plus notre temps à vous demander comment vous êtes entrée en leur possession.

Kalinda hocha la tête, légèrement amusée, puis tourna les yeux vers Lyne dont la mâchoire était toujours serrée. Elle n’avait pas besoin de plus pour comprendre que les Erelliens savaient pour Brevois, mais ce n’était pas un problème. Tant qu’on les pensait sur la piste de simples bandits, leur opération contre Mascarade était en sécurité.

— Dans ce cas, conclut la diplomate en reposant son regard sur Soreth, laissons les montagnes au passé et occupons-nous du futur. Ni les sénateurs ni l’impératrice Nérée ne désirent voir tomber Hauteroche. La paix convient à tous, ou presque, et nous souhaitons qu’elle continue.

— C’est évidemment aussi notre position, confirma Trisron avant de suggérer, nous pourrions faire une déclaration de soutien commune. Elle rassurera habitants et habitantes, et fera taire les belliqueux pour quelque temps.

— C’est une bonne idée, acquiesça Soreth, à laquelle j’aimerai ajouter la mise en place de nouvelles patrouilles mixtes dans les monts d’Argent.

Il ne fallut qu’un instant à Kalinda pour approuver, sans doute avait-elle la même idée en tête.

— Il est hors de question qu’un second village soit pillé si nous pouvons l’éviter. Le sénat m’a déjà donné son accord. Il ne nous reste qu’à en définir les modalités. Pour la déclaration commune, cela sera aussi un plaisir. Nous en avons prévu une avec la Fédération Valéenne lors des funérailles d’Harien. Vous pourriez vous joindre à nous.

— Cela sera un magnifique spectacle, s’enthousiasma Trisron avant d’ajouter devant le regard noir de Lyne, qui n’en restera pas moins triste compte tenu des circonstances.

Kalinda et Soreth échangèrent un sourire, puis le prince alla chercher de quoi écrire. Les diplomates y virent le signal des hostilités et commencèrent à débattre du futur discours, chacun en ayant déjà une idée en tête. Conscients qu’ils ne faisaient pas le poids, les prétoriens se contentèrent d’écouter les arguments et les sarcasmes des deux camps, Soreth arbitrant parfois la discussion, Lyne dévisageant les protagonistes avec autant de curiosité que d’amusement.

Le soleil avait depuis longtemps passé son zénith quand ils obtinrent un premier jet qui satisfaisait les deux partis. Trisron retourna aussitôt à son cabinet et ses réunions en retard, les autres se dirigèrent vers l’entrée. Bien qu’apaisée par la tournure des évènements, Kalinda enjoignit le prince à se montrer prudent dans les jours à venir, puis loua Lyne pour sa protection et la bataille qu’elle avait menée dans les jardins. Cela lui valut un franc sourire, probablement le premier que la garde royale adressait à une citoyenne d’Ostrate, puis elle monta dans son coche où deux soldats l’attendaient. Ce fut à Soreth de lui dire de faire attention, il s’inquiétait d’ailleurs plus pour elle que pour lui, et de la remercier de son déplacement. Hauteroche était loin d’être sauvé, mais les choses avançaient dans la bonne direction.


 

Pendant que la voiture de l’ambassadrice s’éloignait, les estomacs des Erelliens commencèrent à gargouiller. Ils échangèrent un regard complice, qui se changea en mine défaite lorsqu’ils se rendirent compte qu’ils n’avaient pas le temps de manger avant de rencontrer Annelle. Afin d’y pallier au mieux, Lyne laissa son ami guetter l’arrivée de l’espionne et courut leur chercher des en-cas en cuisines.

Elle revint toutefois plus rapidement que prévu, un panier en osier dans son bras gauche, la marchande rose accrochée à l’autre.

— Bonjour, Soreth !

Le jeune homme tourna un visage surpris vers sa protectrice, qui haussa vaguement les épaules en guise de réponse.

— Je l’ai trouvé près le mess.

— Votre réunion durait, expliqua Annelle, alors j’en ai profité pour prendre de quoi accompagner la tarte que je nous ai faite.

Le prince acquiesça, aussi amusé par son comportement que l'expression pantoise de Lyne.

— C’est très aimable à toi. Es-tu arrivée depuis longtemps ?

— Une heure tout au plus. J’avais quelques personnes à voir avant de m’occuper de vous.

Sans lâcher le bras de la garde royale, Annelle s’arrêta devant Soreth en fronçant les sourcils. Il se mit à se balancer nerveusement d’un pied sur l’autre. Les inspections de l’espionne se terminaient rarement bien.

— Par mes ancêtres ! finit-elle par s’exclamer. Tu es encore plus élégant que d’habitude.

— Je n’ai ri…

Sans se préoccuper de sa réponse, Annelle interrogea son équipière.

— N’as-tu pas l’impression qu’il est mieux maquillé ? Il a même un second bracelet. Je ne l’ai jamais vu avec un second bracelet !

Lyne examina à son tour son partenaire, qui triturait un bijou d’argent aux motifs marins, puis hocha la tête en souriant.

— C’est vrai que l’on ressent un effort. Comme s’il cherchait à plaire à quelqu’un.

Malgré la nonchalance de son ton, ses prunelles brillèrent un peu plus fort, et un éclat malicieux les traversa lorsqu’elle ajouta.

— C’est plutôt réussi.

Les joues de Soreth s’embrasèrent et il passa une main gênée dans cheveux.

— J’ai retrouvé ce bracelet dans un tiroir. Je me suis demandé s’il m’irait bien. Inutile d’en faire une affaire d’État.

— Au contraire, ricana Annelle en se dirigeant vers les escaliers, si un prince essaye de se faire beau pour quelqu’un c’est littéralement une affaire d’État.

Le prétorien leva les yeux au ciel, aussi agacé qu’amusé, puis emboîta le pas à sa mentore. Lyne en profita pour lui adresser un hochement de tête, qui lui donna envie de la prendre dans ses bras, et vint à son secours en détournant la conversation, narrant à Annelle son combat contre les assassins d’Harien.


 

— Décidément, s’exclama l’espionne pendant que Soreth verrouillait la porte du bureau derrière eux, tes ancêtres ont beau veiller sur toi, ma chère, ils ne semblent pas disposés à te simplifier les choses.

Une lueur de fierté traversa le regard de Lyne, dont les obstacles ne faisaient que renforcer la détermination, puis elle s’assit sous le tableau de la tempête marine et posa le panier sur la table. Annelle en tira une saucisse fumée et une tourte à la carotte encore tiède.

— Je trouve de moins en moins de provisions, alors j’ai fait la pâte avec un fond de farine de châtaigne. Cela sera ma dernière, mais, comme mon père le disait toujours, il faut fêter les grandes occasions.

Comme pour appuyer ses propos, elle sortit théâtralement une bouteille de pétillant de sureau du cabas. Reconnaissant le sceau en forme de couronne qui la fermait, Soreth esquissa un sourire en s’asseyant à côté de son amie.

— Mère sait-elle que tu pilles la réserve des invités de marque ?

Annelle haussa nonchalamment les épaules, puis contempla le fauteuil vide du bureau.

— Si elle ne voulait pas que je me serve, elle utiliserait une meilleure serrure.

La réponse fit pouffer Lyne, mais elle jeta tout de même un regard interrogateur à son équipier. Il secoua légèrement la tête pour la rassurer. Tant qu’il restait de quoi nourrir les convives, personne ne se préoccuperait des provisions. D’autant que, quelques bouteilles en moins, ce n’était pas cher payé pour les talents de la maîtresse-espionne. Son amie le remercia d’un sourire discret, puis attrapa le verre que lui tendait leur interlocutrice et demanda.

— Que fêtons-nous au juste ? Je n’ai pas l’impression que nous ayons tant de raisons de nous réjouir.

— J’ai tendance à penser que lorsque l’on cherche on trouve toujours quelque chose, reprit Annelle tandis que Soreth coupait la tourte, mais nous n’en aurons pas besoin aujourd’hui. Grâce à vous, nous tenons notre première piste pour dénicher Mascarade !

— Vraiment ?

— Absolument ! La flèche que vous nous avez ramenée a été fabriquée à Oppidum, dans le nord d’Ostrate. Seuls onze marchands d’Hauteroche se fournissent là-bas.

Les prétoriens échangèrent un regard satisfait pendant qu’Annelle les servait, puis se retournèrent vers elle quand elle poursuivit.

— Parmi ceux-là, trois ont récemment agrandi leurs entrepôts et leurs fortunes. Or, ils œuvrent tous pour le même homme, Rampegral, un petit bourgeois du quartier centre. Il a principalement une entreprise de livraison, mais il est impliqué dans de nombreuses transactions illégales.

— L’avez-vous déjà interrogé ?

— Pas encore, jeune impatient, s’amusa Annelle en s’enfonçant parmi les coussins en plume du second canapé, je n’ai obtenu son nom et son adresse que ce matin. Je voulais lui envoyer de la compagnie, puis je me suis rappelé que je devais parler à deux des meilleurs agents du royaume dans l’après-midi.

Comprenant où la marchande allait en venir, Lyne reposa son verre et esquissa un rictus empreint de détermination. Soreth hocha la tête au même moment, soulagé de voir l’enquête avancer. Ils allaient enfin contre-attaquer.

Ils passèrent la suite du repas à planifier l’opération, étudiant aussi bien les itinéraires pour atteindre Rampegral que ceux pour disparaître avec lui. Ce dernier vivait et travaillait seul dans sa demeure, ce qui faciliterait l'enlèvement, mais le quartier centre était le mieux protégé de la cité et il le serait davantage avec le couvre-feu. Malgré cela, les prétoriens n’avaient pas le choix. Ils avaient trop de retard sur leurs ennemis.

Quand ils eurent terminé, la maîtresse-espionne balaya la carte du regard et soupira en attrapant un morceau de tourte.

— C’est une bonne chose que soyez là. Je n’ai pas beaucoup d’agents qui réussiraient cette mission.

Elle marqua ensuite une pause pour dévisager ses interlocuteurs, et ajouta avec inquiétude.

— Soyez très prudents.

— Ne t’en fais pas, voulut la réconforter le prétorien, nous le ramènerons.

— Je n’en doute pas. J’aimerais juste que vous reveniez aussi…

Lyne et Soreth échangèrent un regard. Un tel pessimisme ne ressemblait pas à Annelle.

— Nous avons réussi à rester en vie jusque là, reprit le prince avec assurance, nous continuerons.

— Ne sous-estimez surtout pas Mascarade ! Ce n’est pas n’importe qui. Je refuse d’ajouter vos noms sur la liste de nos pertes.

Incapable de comprendre ce qui inquiétait autant sa mentore, Soreth ouvrit la bouche pour expliquer qu’ils étaient moins importants que la mission, mais la referma devant le regard de Lyne. Il se tourna alors vers elle pour protester, il commençait à avoir l’habitude de cette discussion, puis se remémora les émotions qui l’avaient traversé quand elle avait disparu dans la demeure de Darsham. Être prêt à mourir ne signifiait pas que les autres étaient prêts à vous perdre. Cela même s’ils avaient une tâche à accomplir. Une qu’ils ne pouvaient pas échouer. Étrangement confus par ce dilemme, le prétorien porta une main à sa tempe pour repousser la migraine qui s’y invitait, et déclara afin d’apaiser la situation.

— Nous serons prudents. Il nous reste trop à faire ici.

Sa réponse lui valut un regard interloqué de ses interlocutrices, elles s’attendaient probablement à autre chose, puis il changea de sujet avant qu’elles ne décident de l’interroger.

— J’ai rencontré la fille d’Harien hier matin. Elle veut à tout prix le venger. Je ne pense pas que nous puissions la raisonner, mais je me disais qu’on pouvait peut-être lui trouver une protection. Idéalement, une qui pourrait aussi transmettre les renseignements qu’elle dénichera.

— Je l’aime bien cette petite, sourit Annelle dont l’inquiétude avait disparu, elle a toujours eu du cran. Il me semble qu’elle s’entend bien avec mon Ewan depuis qu’ils ont travaillé sur un projet académique ensemble. Je vais le pousser à s’occuper un peu plus d’elle.

Soreth approuva. Ewan était d’un caractère plus réservé que le reste de sa famille et, s’il fallait en croire sa mère, particulièrement doué pour collecter des informations auxquelles il n’aurait jamais dû avoir accès. Passionné de littérature, il était doté d’un esprit affûté et d’un grand cœur, ce dont Meilisse avait besoin en ce moment. Intriguée par la conversation, Lyne tourna les yeux vers Annelle.

— As-tu enseigné ton « métier » à tes enfants ?

L’espionne grimaça en prenant un air coupable.

— Au début je leur ai juste appris quelques tours pour se protéger. Mais c’était amusant de les voir progresser, et ils en ont voulu plus.

— Travaillent-ils pour toi ?

— Penses-tu ! Je l’ai interdit. C’est bien trop dangereux. Le plus grand est un soldat et l’autre fait des études pour devenir diplomate. Il leur arrive néanmoins de rendre service à leur vieille mère de temps à autre.

Laissant Annelle expliquer à son amie comment elle exploitait ses fils, Soreth commença à ranger leur repas. L’après-midi était bien avancé et les prétoriens ne disposaient plus de beaucoup de temps s’ils voulaient atteindre le quartier centre avant le couvre-feu. C’était aussi l’avis de sa mentore qui, juste après avoir raconté à Lyne la fois où elle avait envoyé son cadet et le prince déposer un poème dans le bureau de son mari, se leva en époussetant sa robe et conclu d’une voix des plus sérieuses.

— Il est l’heure. Que vos ancêtres vous gardent.

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MichaelLambert
Posté le 05/03/2023
Bonjour Vincent !

J'aime bien que Lyne et Soreth doivent gérer leurs sentiments l'un pour l'autre au milieu de discussions politiques et stratégiques (et personnellement, j'aurais un peu augmenté la place de cet aspect et alléger la place des discussions).

Voici quelques détails que j'ai relevés :

Le lit n’avait pas à la bonne taille. -> un mot de trop

il se souvint qu’elle avait proposé de le partager avec lui. -> je croyais que tu parlais de la couverture : de la partager ?

la criminalité était plus liée aux inégalités qu’à la pauvreté. -> je ne saisis pas la distinction entre les inégalités et la pauvreté dans ce cas.

lorsque son interlocutrice glissa la main vers son épée -> je trouve un peu fort qu'elle continue à menacer l'ambassadeur de son épée, c'est peu crédible qu'elle passe à l'action

le fait que nous ayons retrouvé des armoiries erelliennes dans la zone démilitarisée. -> là j'avais besoin d'un petit rappel des circonstances

un charnier duquel nous ne pensons pas qu’il y est de survivants. -> la formulation de la fin de la phrase me parait bancale et tu utilises le verbe être au lieu du verbe avoir

mais la referma devant le regard Lyne. -> il manque un mot

A bientôt pour la suite !
Vincent Meriel
Posté le 05/03/2023
Bonjour Michaël !

Merci pour ton retour et tous ces commentaires, je vais jeter un œil dans le courant de la semaine !

La balance entre politique et romance est difficile à trouver pour moi, et je comprends ta remarque ^^' Je commence à me dire que je n'y arriverai pas sur ce roman, mais ça me donne des pistes à bosser pour mieux équilibrer les prochains. Je vais y croire :P

À bientôt !
Vous lisez