Chapitre 24
Caméra en main, Anak s’évertuait à immortaliser les merveilles qui l’enveloppaient mais la tâche se révélait infinie. Flottant dans l’eau cristalline, elle battait doucement de ses palmes pour se stabiliser dans son vol aquatique stationnaire. Elle se trouvait dans l’avenue antique de la cité engloutie qui les accueillait avec calme et sérénité, près d’une statue en pierre dont les bras et la tête manquaient à l’appel, et elle essayait d’imaginer les lieux dans leur splendeur d’antan. Avec un peu de créativité, elle pouvait visualiser les pas multiples des habitants durant leurs promenades quotidiennes et de leurs efforts pour se cacher des assauts du soleil. Malgré le silence cotonneux des fonds marins, elle pouvait entendre les conversations, les rires et la rumeur de l’activité bourdonnante d’un après-midi d’été, pouvait même avec une aisance déconcertante reconstituer les bâtiments en ruine et par la grandeur de celui qui lui faisait face, de sa façade éventrée, elle pouvait l’élire comme mairie. Son esprit parvenait à renverser la machine destructrice du temps et redonner son importance antique à cette ville oubliée, comme l’on savait dessiner la vie passée d’un mort rien qu’en lisant son épitaphe sur une tombe.
Remplaçant leurs occupants d’origine et leurs deux jambes, des bancs de poissons colorés se frayaient de nouvelles routes par les fenêtres et les portes grandes ouvertes. De la végétation marine tapissait le sol de la cité ainsi que les murs défaits de la ville, verdissant les lieux avec délicatesse.
A l’autre bout de l’avenue et dans sa combinaison de plongée, Apollo émergeait d’une des bâtisses et dans le casque d’Anak, sa voix lui apprit :
“J’ai presque fini de mon côté, comment tu t’en sors ?”
Avec un sursaut de responsabilité, Anak jeta un coup d'œil à sa montre de plongée et poussa un bref soupir de soulagement. Ils leur restaient encore sept minutes avant qu’ils ne doivent remonter, et elle aussi avait bien avancé. Pour être le plus efficace possible, ils s’étaient divisé le centre-ville de la cité et alors qu’Apollo avait hérité de la moitié Est, Anak devait se charger de fouiller le pan Ouest. Ils étudieraient les images à la surface. Le temps de plongée était bien trop précieux pour être gaspillé, puisque chaque minute passée ici allongeait leur palier de décompression, et ce n’était jamais une bonne chose. Anak avait tout calculé pour que tout se déroule au mieux, et Apollo étant bien plus rigoureux qu’elle, elle n’avait aucun doute sur le bon déroulé de l’opération.
“Je pense pas que ce soit ici, lui apprit-elle plutôt, ça ne ressemble en rien au dessin de la fresque.
-J’imagine qu’on ne pouvait pas taper juste dès le premier coup.
-Non, c’est sûr. Je me dépêche de finir de mon côté.
-Reçu.”
Et elle s’en alla vers le temple imposant qui, étrangement, possédait encore une partie de son toit, contrairement aux autres édifices. Quand elle y pénétra, elle fut un instant subjuguée par la beauté figée des lieux. Des colonnes s’élevaient en spirale et en son centre, des coraux rouges avaient élu domicile. Quand elle leva le menton pour apprécier la majesté de l’endroit endormi par les eaux, le plafond ouvert lui offrit le spectacle radieux de la surface des eaux scintillante sous la bénédiction du soleil. La grandiosité de l’endroit invoqua en elle un sentiment semblable à l’émotion qui s’était emparée d’elle alors que Valérian l’avait présentée aux coraux luminescents et il lui fallut un instant pour se parer de sa caméra. Quel dommage que Valérian ne puisse pas se permettre de venir avec eux, il aurait très certainement adoré.
Elle perdit les sept minutes restantes à la contemplation fascinée du temple et sa montre se mit à clignoter, l’alertant de la fin du compte-à-rebour. Après avoir rangé sa caméra, elle quitta le temple perdu par le trou béant de son plafond et elle repéra aussitôt Apollo qui s’était lui aussi dressé au-dessus de la cité. Ils se rejoignirent aisément et elle lui rappela :
“Suis ma cadence, on ne doit pas remonter trop vite.”
Apollo valida l’information et elle initia la remontée en se laissant guider par sa montre. Elle était bien trop concentrée pour remarquer la présence qui se formait étrangement autour d’eux, mais Apollo lui ne la manqua pas.
“Anak, la prévint-il d’une voix prudente, regarde.”
Alertée, elle les vit alors. Quatre gros barracudas se tenaient autour d’eux, avançant au même rythme qu’eux, et ne les lâchant pas de leurs petits yeux globuleux. Anak ne fut pas tout de suite effrayée, pensant qu’il ne s’agissait que d’une tentative d’intimidation pour les chasser de leur territoire, mais au bout de quelques mètres, cela devint évident que c’était plus que ça. Ils atteignirent alors la hauteur de leur palier de décompression et ils n’eurent d’autre choix que de s’immobiliser. Et ce, pendant vingt minutes.
Un barracuda en profita pour tenter une accélération agressive vers eux mais Apollo avança vers lui, s’imposant dans la supériorité de sa masse corporelle, et le poisson battit en retraite. Sans se concerter, Anak et Apollo se placèrent dos contre dos. Les quatre poissons, tous longs d’au moins deux mètres, gravitaient autour d’eux en cercle et dévoilaient leurs dents acérées dans des sourires dénués d’émotion.
“C’est pas normal…, songea Apollo.
-C’est la malédiction.”
Apollo ne répondit rien alors qu’Anak suivait des yeux le trajet du barracuda qui lui était le plus proche. Le cœur battant sourdement à ses oreilles dans ce silence pesant, elle délogea le petit harpon de son compartiment qui le tenait à sa taille. L'arme était conçue pour la plongée, et son harpon armé était attachée par un fil de caoutchouc.
Ce qu’elle avait pressenti finit par advenir quelques secondes plus tard, et elle put expédier le harpon juste à temps alors que le barracuda la chargeait, toutes dents en avant. Le harpon le manqua, la créature aquatique l’esquivant, mais cela suffit à lui ôter toute envie de revenir à la charge. Dans son dos, Apollo avait frappé le museau d’un des prédateurs d’un uppercut qui, lui aussi, hésitait désormais à attaquer une seconde fois.
“Combien de temps encore ? lui demanda Apollo.
-Deux minutes.”
Les poissons continuèrent à tracer leur cercle interminable autour d’eux comme pour les piéger en leur sein écaillé. Leurs grands iris cerclés d’or les fixaient depuis leurs têtes déplaisantes, et Anak était plus que jamais rassurée de sentir la présence d’Apollo derrière elle. Elle avait réarmé son harpon mais n’avait aucune envie de s’en servir de nouveau.
Sa montre clignota et elle avertit Apollo qu’il était temps de continuer leur ascension. Les poissons les suivirent sur un mètre avant d’abandonner leur chasse échouée, et Anak pouvait entendre la respiration d’Apollo qui se mêlait à la sienne. Un sentiment de claustrophobie provoquée par leur début de panique les prenait à la gorge et ils n’avaient qu’une envie, regagner la sûreté du zodiac dont ils pouvaient déceler la silhouette salvatrice sur la surface.
A trois mètres du zodiac, Anak stoppa Apollo et lui rappela une règle que, dans son urgence, il avait oublié :
“Faut qu’on fasse le palier de principe.”
Apolo se contenta d’un soupir alors que le compte-à-rebour s’enclenchait à partir des trois minutes obligatoires. Ils planèrent donc telles des méduses alors que leurs regards se dirigeaient vers l’ombre du zodiac et que les secondes se succédaient sur le cadran lumineux de la montre d’Anak. Ils échangeaient des mots de rassurance, se promettant d’être bientôt loin des crocs des barracudas qui pouvaient revenir à chaque instant, mais Apollo s’interrompit dans une dernière phrase optimiste :
“Oh non…
-Me dis pas qu’ils reviennent !” s’affola Anak en les cherchant au-dessus d’eux.
Mais aucune menace ne se profilait entre les battements de ses palmes, et elle allait le faire savoir à Apollo quand celui-ci précisa son avertissement en lui indiquant de la main une position à leur hauteur.
“Là-bas.”
Elle suivit la direction et son regard tomba, dans un battement loupé de son cœur, sur la forme sinuante d’un requin. Il semblait avancer avec une lenteur illusoire mais en réalité, il s’approchait avec une efficacité féroce et imperturbable. Si bien que les détails de son immense corps se dévoilaient les uns après les autres à eux.
“C’est pas vrai, lâcha-t-elle, un requin…
-La malédiction,” fit-il écho à ses mots précédents.
Apollo et elle échangèrent un regard horrifié par la visière de leurs casques.
“Il faut qu’on remonte, décréta-t-il.
-Pas encore, lui rappela-t-elle, essoufflée par son rythme cardiaque effrénée, encore quarante secondes.
-Mais un requin nous fonce dessus, Anak !
-C’est trop dangereux, se refusa Anak en regardant le requin qui approchait, il faut qu’on attende.”
S’ils commettaient une erreur, même la plus petite, des bulles d’azote meurtrières pouvaient se créer en eux et les tuer dans quelques heures. Et alors, qu’importe qu’ils aient survécu à l’assaut d’un requin. Tout en tentant de reprendre un souffle correct, Anak visa le requin de son harpon et attendit en scrutant les secondes qui mourraient dans sa montre.
“Il est encore loin, tenta-t-elle de se rassurer.
-Mais il sera bientôt là.”
Dix secondes. Un, deux, trois battements de son cœur. Neuf secondes. Boum, boum, boum. Huit. Encore un peu, juste un peu…
“Cinq secondes,” déclara-t-elle.
Ils purent voir le requin qui accélérait sa cadence et maintenant, même ses yeux leur étaient visibles.
“On remonte !”
Sur cette décision péremptoire, Apollo tira Anak par le coude et elle se soumit à sa volonté. Battant à tout rompre en dépit des contre indications, ils foncèrent droit sur le zodiac, expirant par leurs bouches le peu de souffle que les bouteilles leur fournissaient. Sur une intuition, Anak se retourna une seconde et put voir juste à temps le requin qui ouvrait sa grande gueule pour croquer leurs palmes. Elle visa dans un souffle la bête de son harpon et le pic se logea dans son flanc alors qu’il tentait de l’éviter en vain. Apollo n’avait rien manqué de l’assaut, et alors qu’Anak lâchait le harpon, ne perdant pas un temps inutile à essayer de récupérer son arme, il la tira en avant.
Ils crevèrent la surface avec précipitation, et sans même chercher à deviner la silhouette du requin en-dessous d’eux, ils s’accrochèrent au zodiac. Oriag se pencha aussitôt sur eux en leur demandant ce qui avait bien pu se passer en bas mais les explications devaient encore attendre. Apollo poussa Anak vers l’échelle, la pressant de monter et elle ne se fit pas prier. Elle voulut embrasser les sièges du zodiac de béatitude mais elle n’en eut pas le temps.
Alors qu’Apollo grimpait l’échelle, le requin bondit sur lui et sa mâchoire se referma sur sa bouteille d’oxygène. Il le tirait en arrière pour l'entraîner dans l’eau. Oriag et Anak se jetèrent sur Apollo pour le retenir, et celui-ci cria à la première :
“Démarre, Oriag ! Démarre !”
Celle-ci jeta un regard désespéré à Anak qui eut enfin la présence d’esprit de s’armer de son canif pour le déplier et elle se débattit contre les sangles qui attachaient la bouteille au dos d’Apollo. Le requin battait l’eau et tirait le zodiac en arrière, manquant de peu de le renverser, et Anak accéléra ses gestes alors qu’Oriag tentait de se servir de son poids pour garder le bateau à flot.
“Plus vite, Anak ! lui cria Oriag. PLUS VITE !”
La lame de son canif dérapait contre le métal de la bouteille, et ses doigts frôlaient par moment les dents du requin qui y étaient plantées. L’oxygène s’en échappait en sifflant. Apollo grognait la peine qu’il avait à rester accrocher au squelette gonflée du zodiac. Les sangles lâchèrent enfin et la bouteille partit comme une fusée dans la gueule du requin qui retomba à l’eau. Alors qu’Anak tirait sans ménagement Apollo dans le couffin du zodiac, Oriag se rua sur les commandes pour démarrer en trombe sur le dos cabossé de la mer et ils filèrent droit sur le Mod qui les attendait un peu plus loin.
Abattue, le souffle court et le cœur fracassant, Anak et Apollo étaient affalés contre le bord du Zodiac. Leurs yeux scrutaient les flots de peur de revoir surgir la mâchoire assassine du prédateur mais au bout de quelques secondes, ils soupirèrent en unisson. Il avait disparu.
“Mais putain, vous allez me dire ce qu’il s’est passé là-dessous ?!” s’époumonna Oriag par-dessus le fracas des vagues et le moteur du zodiac.
Apollo et Anak échangèrent un regard. Quatre barracudas et un requin.
Trois fois rien.
OoOoOo
Eux qui pensaient avoir vécu quelque chose d’unique à marquer dans les annales -une attaque de barracudas suivie de celle d’un requin-, quelle ne fut leur surprise en apprenant que le Mod avait connu leurs propres péripéties. Quand le Zodiac fut rattaché au voilier et que le trio rejoignit son pont qu’ils pensaient sécurisé, ils furent accueillis par la mine catastrophée de Valérian. Il attira Anak avec une telle force dans ses bras qu’elle manqua de trébucher, son corps encore fatiguée de tous les efforts paniqués qu’elle avait dû produire sous l’eau. Ce fut alors qu’il leur annonça la nouvelle :
“Nous nous sommes faits attaquer par une grosse pieuvre.”
Devant la consternation générale, mêlée à la stupéfaction, il les mena au cockpit où ils trouvèrent Murdock aux petits soins pour Sib, emmitouflée dans une couverture, qui trempait ses lèvres dans une boisson chaude. Celle-ci était fébrile et ne parut qu’à peine remarquer leur arrivée. Les deux étaient encore mouillés de la tête aux pieds malgré leurs efforts pour se sécher, et en quelques phrases, le capitaine du navire leur apprit qu’ils avaient été entraînés tour à tour par une pieuvre furieuse dans les eaux. Sibéal, puis Murdock qui l’avait sauvée. Ils étaient parvenus avec l’aide de Valérian à abattre la créature.
Ce fut au tour d’Anak et Apollo de relater leur propre expérience cauchemardesque. Tout en s’allongeant dans leur récit interminable à base de ville engloutie, de barracudas et de requins, et de paliers de décompressions des plus stressants, ils se défirent de leur attirail de plongée avec l’assistance bienvenue d’Oriag et de Valérian.
“Mais comment c’est possible ? grinça Murdock en se massant le mollet où une marque affreuse s’étendait, rouge et douloureuse, on est maudits ou quoi ?”
Valérian aidait Anak à descendre la fermeture éclair de sa combinaison pour qu’elle puisse extraire ses bras quand ils échangèrent un regard par-dessus son épaule. L’oeil bleu de son petit-ami était voilé par un drôle de sentiment et alors qu’Oriag distribuait une serviette à elle et Apollo, Valérian lui souffla dans l’oreille :
“Il faut que je te parle.”
OoOoOo
Valérian ferma derrière eux la porte de la cabine de Nialh qu’ils partageaient depuis leur arrivée sur le Mod. Ce qui n’était pas pour déplaire Anak, dont les pensées divaguèrent sur la nuit dernière. Forte de ce tendre souvenir, elle s’avança pour se blottir contre lui, en dépit de sa peau toujours humide. Après tout, elle méritait bien quelque réconfort après les émotions fortes qu’elle venait de vivre ! Il ne la repoussa pas mais tout en l’encerclant de ses bras, il ne lui rendit pas tout à fait son étreinte et ignora sa tentative de baiser, pour lui apprendre d’une voix grave :
“C’est sérieux, Anak.
-Hmm ? Quoi donc ?”
Entre nous ? voulut-elle demander mais au regard qu’il tenait sur elle, ce n’était pas un sujet romantique qu’il voulait discuter. Elle fit la moue. Elle n’était pas du tout d’humeur à des débats phylosophiques, elle avait envie de se réfugier dans le lit avec lui et de ne pas en sortir de la journée.
“Tu te rappelles quand je t’ai dit de prendre tes distances avec Sibéal ?
-Comment oublier… tu as changé d’avis ? espéra-t-elle.
-Non. Je ressens pour elle une profonde aversion.”
Dans un froncement de sourcil renforcé par un soupir, elle se délogea de ses bras et s’apprêtait à lui demander quel était son problème, à la fin, avec Sibéal quand il surenchérit :
“Et depuis quelques minutes, pour Murdock aussi.
-Mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?!
-Rien, justement, mais contre le Dieu des Océans, beaucoup.
-Le Dieux des Océans ?”
Divaguait-il ? Ce n’était pourtant pas lui qui avait frôlé les dents d’un barracuda de peu pour ensuite se faire courser par un requin. Au regard qu’Anak lui jeta, Valérian crut nécessaire de préciser :
“Vous avez tous provoqué sa colère. Tous les humains, bien sûr, mais vous tous, les équipages du Mod et du Yak, encore plus puisque vous essayez de briser la malédiction qu’il a jeté sur l’humanité.
-Attends, l’interrompit-elle en levant une main, j’essaye de comprendre mais c’est un peu farfelu tout ça…
-Je pensais que tu croyais en la malédiction.
-Oui mais…
-Mais tu ne crois pas en l’existence de Dieux ?
-Bah…”
Elle n’y avait jamais songé en détails en réalité. Elle avait toujours cru en l’existance d’êtres supérieurs, que ce soit des dieux ou des esprits, mais jamais en ces termes. Elle n’avait jamais envisagé de Dieu de l’Océan, Dieu du Vent ou Dieu des Montagnes. Alors qu’elle se remuait les méninges pour tenter de tirer le vrai du faux, et de mettre à mal ses croyances cartésiennes qui n’avaient de moins en moins lieu d’être, Valérian s’approcha d’elle pour s’imposer physiquement à elle et la tirer de ses pensées envahissantes.
“On court après le temps, la pressa-t-il, et on court aussi un grave danger. Chaque minute qu’on passe sur un bateau avec Murdock et Sibéal à bord, chacune de ces minutes relève de la pure folie.
-Mais pourquoi Murdock et Sib ?”
Elle tentait de suivre le fil de la conversation mais il ne paraissait avoir aucun sens. Et Valérian perdait patience devant elle.
“Ils ont été marqués par les pieuvres, lui révéla-t-il, Sibéal, d’abord. Et depuis toutes les créatures aquatiques veulent sa mort. Moi et Esteban, y compris. Nous ne comprenions pas pourquoi nous détestions Sibéal de cette façon, mais nous ne pouvions faire autrement. Aujourd’hui, j’ai compris. Nous sommes sous l’influence de notre dieu qui nous demande d’accomplir notre devoir en éliminant toute menace. Mais nous sommes des êtres pensants et nous avons notre propre libre arbitre, c’est pourquoi nous savons régner sur nos pulsions meurtrières, mais ce n’est pas le cas des pieuvres… ni des barracudas, ou encore des requins.
-Tu veux dire que… ?”
Mais elle ne savait pas comment terminer cette ébauche de phrase. A dire vrai, elle peinait toujours à comprendre ce qu’il essayait de lui dire. Murdock et Sibéal étaient la proie des créatures sous-marines, très bien, parce qu’ils avaient été marqués par des pieuvres, très, très bien, mais alors pourquoi Apollo et elle s’étaient-ils fait attaqués eux aussi ?
“Je veux dire qu’ils sont devenus des boussoles pour le Dieu de l’Océan, clarifia-t-il sinistrement, et que toutes ces créatures sont après eux. Mais cette boussole n’est pas très précise, et elles attaqueront tout humain dans le périmètre. Comme Apollo et toi vous l’étiez, vous avez été pris en chasse vous aussi.”
Bataillant pour que son cerveau fasse sens à tout ça, Anak fronçait les sourcils dans une concentration aiguë, qui fut interrompue lorsque Valérian se saisit d’une de ses mains pour le ramener à lui.
“Anak, insista-t-il, on n’a pas le temps pour les réflexions. Il faut que tu leur dises.
-Mais que je leur dise quoi ?
-Il faut que l’on débarque Murdock et Sibéal sur la première île venue pour leur sécurité et la nôtre aussi.”
OoOoOo
“Comment ça, les débarquer ? s’exclama Oriag.
-Attends, c’est pas ça le plus gros souci, fit Murdock en levant une main, d’où tu nous tiens ton histoire de boussole et de monstres marins ?”
Devant la marée d’interrogations et l'intensité des regards sceptiques qui étaient tous dirigés sur elle, Anak se coinça dans un profond malaise. Perdue elle-même dans ce qu’elle devait et pouvait dire, elle lança un regard à Valérian, tel un appel au secours, mais celui-ci, bien qu’embêté par la situation dans laquelle il l’avait placé, ne pouvait rien faire pour elle. Inconfortable, elle se massa la nuque, cherchant ses mots.
Ils étaient réunis dans le carré du Mod et Anak était l’une des seules debout. Murdock était juste à côté de Sibéal qu’on avait été chercher dans sa cabine, là où elle se reposait, lorsqu’Anak avait déboulé en exigeant que tout le monde se réunisse pour une “réunion de crise”. Évidemment, dès qu’elle avait commencé à exposer la situation -qu’elle ne maîtrisait qu’à moitié-, la perplexité avait envahi les lieux et des regards indécis s’étaient échangés. Ils ne discutaient pas son état mental de santé à voix haute mais elle pouvait lire l’inquiétude sur leur visage, comme s’ils craignaient que les attaques qu’elle avait subi aient pu causer un quelconque dysfonctionnement cérébrale. Elle pouvait comprendre leurs réactions mais c’était particulièrement frustrant pour elle de connaitre la vérité -cette vérité aussi dramatique que fantasque- sans que personne ne la croit, et d’être incapable de délivrer les bons arguments. Elle ne se trouvait pas sur le Yak, elle ne les connaissait pas aussi bien, et sa voix n’avait pas autant de poids.
“Anak, tu vois bien que ça n’a pas de sens ce que tu nous dis là, posa Murdock avec indulgence.
-Mais si, ça a du sens ! protesta Anak. Ca parait fou et pourtant… pourtant, c’est vrai, vous devez me croire !”
Un silence fit écho à ses paroles enfiévrées et impuissantes, elle vit les moues dubitatives et compatissantes qui s’imprimaient sur leurs visages. Seule Sib semblait réellement donner du crédit à ses mots et réfléchissait à leur portée. Ce constat inspira Anak qui la prit à parti :
“Sib, toi aussi, tu crois à la malédiction.”
Elle regarda autour d’elle, un moment secouée d’être ainsi pointée du doigt, mais finit par acquiescer en confirmant :
“Oui, je pense qu’elle est réelle.
-Voilà, et combien de fois on a été attaqués ? poursuivit Anak, gagnant de la confiance grâce à cette simple phrase. La première fois, peu après que tu aies été attrapée par cette petite pieuvre, par le Jormungand, un monstre qui, je le rappelle, est mythique de base. Vous vous êtes convaincus de ne pas l’avoir vu mais il était bien réel ! Après, y’a eu ces calamars accrochés à la coque du Mod. Et aujourd’hui, on a eu des barracudas, un requin et une autre pieuvre ! C’était tout le temps quand Sib était là. Oh et d’ailleurs, le jour de la tempête, dès que Sib est passée sur le Yak, le monstre a délaissé le Mod pour nous pourchasser nous, parce qu’elle était à bord ! Et même quand elle était dans le zodiac, il était là… il la suivait !”
Alors qu’elle parlait, toutes les pièces du puzzle s’emboitaient comme par magie dans son esprit. Oui, tout faisait sens enfin. Cette réalisation ne fit que renforcer son assurance mais aussi la passion derrière ses mots. Il était plus que jamais nécessaire qu’ils les écoutent car tout ceci était bien réel. Ce n’était pas un mythe, ni une légende, même pas un cauchemar, mais bel et bien réel. Ils étaient pourchassés par toute la faune aquatique, et parmi elles, existaient des monstres dont ils n’avaient peut-être même pas conscience.
“Sib, tu veux bien nous montrer ton poignet ? lui demanda Anak.
-Mon poignet ?
-Oui, s’il-te-plait.”
Sous l’attention générale, Sibéal obtempéra et retroussa sa manche pour dévoiler le poignet que la pieuvre avait agrippé. Barrant son bras en une trace encore rouge, qu’on aurait même dit infectée, la marque était toujours présente. A l’origine de tout. Sans pouvoir s’en empêcher, le regard de Murdock examina la sienne qui se fonçait à son mollet, en tout point semblable.
“Ce devrait être guéri, depuis le temps, diagnostiqua Anak.
-C’est complètement fou, para Oriag.
-Mais c’est vrai !” s’impatienta Anak.
Apollo s’était penché sur Sib pour observer de plus près la poignée tandis que celle-ci levait un regard horrifié sur Anak. Face au dégoût qu’elle put lire sur le visage de son amie, Anak culpabilisa un peu de lui révéler tout ça avec si peu de délicatesse mais l’urgence de la situation ne lui permettait pas de prendre des pincettes. Surtout alors que personne ne voulait la croire.
“Mais je ne comprends pas, intervint Apollo en se redressant vers Anak, tu as deviné tout ça toute seule ?”
Face à la question, elle ne put que se mordiller la lèvre avec gêne. Que pouvait-elle répondre à ça ? Se prétendre extralucide, un génie incompris ? Elle chercha vainement une excuse à leur servir jusqu’à ce que Murdock n’en rajoute une couche :
“Il y a quelque chose que tu nous dis pas, pas vrai, gamine ?
-Ecoutez, lâcha-t-elle, à bout de nerf, c’est tout ce que je peux vous dire. Vous devez me faire confiance sur ce coup-là.
-Mais Anak, tu nous demandes de débarquer deux membres de notre équipage, lui rappela Oriag, ça dépasse la confiance, non ?
-Non, nia-t-elle furieusement, j’ai bravé la tempête pour vous, j’ai désobéi à mon capitaine pour vous, j’ai même volé son bateau et je le referai demain s’il le faut. Prenez-moi pour une folle si vous voulez mais aujourd’hui, vous devez m’écouter !”
Un grand blanc tomba sur le carré et de nouveaux regards fusèrent aux quatre coins mais Anak ne bougea pas d’un orteil de sa position. Quoiqu’il en coûte, elle les forcerait à l’écouter. Soudainement, la voix de Sib trancha le silence :
“Je te crois, Anak.”
Une vague de soulagement submergea Anak et elle lui sourit dans un acquiescement. Face à l’acte de foi de Sib, les certitudes du reste du Mod furent ébranlées et le doute s’insinua en eux. Un grand poids s’envola des épaules d’Anak. Elle n’aurait peut-être pas leur confiance mais le doute pouvait suffire pour faire pencher la balance.
C’était, après tout, tout ce qu’elle demandait.
OoOoOo
La porte de la cabine de Sib était entr’ouverte et Anak y passa sa tête timidement en lui demandant :
“Je peux entrer ?
-Oui, oui, bien sûr.”
Anak entra donc et vint s'asseoir près de Sibéal qui lui sourit. La pauvre avait l’air exténué et encore chamboulée par son énième attaque, certainement encore davantage par la découverte qu’elle attirait toutes les créatures marines du coin. Anak se sentait toujours un peu coupable pour avoir été l’oiseau de mauvaise augure mais malgré tout, il était préférable que tout le monde connaisse la vérité. Ils avaient pour beaucoup frôlé la mort aujourd’hui, et ce n’était pas la première fois. Anak espérait qu’ils puissent faire en sorte que ce soit la dernière.
Sibéal étudiait avec une grimace contenue la marque autour de son poignet et Anak se mordit la lèvre.
“Je suis désolée…
-C’est pas ta faute, la réconforta Sib.
-On va trouver une solution, promit Anak, tout va s’arranger. On va vous trouver une île paradisiaque avec tout le nécessaire.
-Je le savais, tu sais.
-Pardon ? s’étonna Anak.
-Je savais qu’il se passait quelque chose d’étrange. Toutes ces attaques et tempêtes, ce n’était pas normal…”
Anak acquiesça. Elles avaient mis tout ça sur le compte de la malédiction et bien sûr, c’était vrai, mais ça allait plus loin, c’était bien plus grave. Ils avaient été pris pour cible, pris en chasse et par nul autre qu’un Dieu. Détail qu’Anak avait cru bon de garder pour elle, ne désirant surtout pas étioler le peu de crédibilité qui soutenait encore sa parole.
Elle regarda autour d’elle pour admirer la petite cabine de Sibéal qui débordait sous les livres, DVD et autres médias de science-fiction, et cette vision lui arracha un sourire.
“C’est vraiment sympa, chez toi, commenta-t-elle.
-C’est un peu le bordel…, concéda Sib.
-Ca va, la rassura Anak, c’est rien à côté de la cité qu’on a visité avec Apollo tout à l’heure… personne range rien, j’te jure, je me demande ce que font les services municipaux…”
Face à ce trait d’humour, Sib rit un peu et elle sembla se détendre à ses côtés. Du côté d’Anak, son expression faciale reprenait des accents plus sérieux et elle se tourna franchement vers Sib pour lui annoncer :
“J’ai un autre truc à te dire mais tu dois le garder secret.
-C’est pire que le fait que je sois une boussole à calamars géants ? grimaça Sib.
-Hm… non, mais peut-être ex-aequo.
-Outch.
-Je sais, assuma Anak avec un air désolé, je vais le dire vite, ça passera mieux, d’accord ?
-D’accord.
-Valérian et Esteban sont des tritons.
-Des tritons ?
-Ah oui, réalisa-t-elle son erreur avant de clarifier, des sirènes, pour faire simple.
-QUOI ?!!”
OoOoOo
Le Mod avait accosté sur l’île qui abritait la cité où Apollo et elle avaient plongé, avant qu’elle ne soit engloutie. C’était un petit bout de terre qui aurait certainement plus mérité le terme d’îlot, mais un hameau l’occupait et ils avaient même trouvé des habitants qui offraient le gîte et le couvert contre une rémunération honnête. Ce n’était pas le plus idéal mais étant donné leurs circonstances exceptionnelles, il s’agissait de prendre des dispositions exceptionnelles.
Inspiré par la confiance que Sibéal portait aux propos d’Anak, Murdock avait cédé et s’était rangé à ce plan insensé. Même s’il était évident qu’il n’aimait pas l’idée de laisser son navire à un autre commandement que le sien, il ne pouvait pas décemment laisser Sibéal seule sur cette île perdue et avait accepté de confier le Mod à Oriag. Ils y resteraient tous les deux le temps qu’ils fassent l'aller et le retour jusqu’aux terres bantou qui, fort heureusement, n’étaient pas très loin. En conclusion aux longues heures de conversation qui avaient suivi la révélation d’Anak, Oriag et Apollo avaient proposé de demander les services d’un marabout bantou. Valérian avait validé l’idée auprès d’Anak par un regard discret d’assentiment, et elle avait donc bon espoir de pouvoir libérer Murdock et Sib du joug qui les avaient piégés.
Désormais, ils étaient regroupés sur le petit quai en bois du hameau et les aux-revoirs se révélèrent plus compliquées qu’escomptées. Ce n’était pas une simple séparation, ils laissaient derrière eux deux membres du Mod, dont le capitaine, et pour ce qui était, aux yeux de la majorité, ni plus, ni moins qu’une fable.
“Je m’en veux, lâcha Sib dans une moue embêtée, si j’avais été plus prudente, cette pieuvre ne m’aurait jamais touchée et rien de tout ça n’arriverait…
-Non, Sib, ne pense pas comme ça, la réconforta fermement Oriag, on est sûrs de rien, en plus…”
Anak baissa les yeux au sol pour éviter le regard appuyé qu’Oriag lui jeta suite à ces mots. Elle essaya de ranger ses sentiments d’inconfort juste le temps de souhaiter une bonne retraite improvisée à Sibéal.
“On reviendra vite vous chercher, lui certifia Anak avant de glisser, faites attention à vous.”
Avec un petit sourire, Sibéal acquiesça, un dialogue silencieux se jouant entre elles. La réaction ahurie de Sib quand elle lui avait révélé l’identité de Valérian et Esteban était encore toute chaude dans la mémoire d’Anak. Le moment avait eu un aspect franchement comique et en d’autres circonstances, il lui aurait inspiré un sourire d’amusement. Si elle avait tenu à lui partager cette information si confidentielle, ça avait été pour la mettre sur ses gardes vis-à-vis de tout humain qu’ils croiseraient avec Murdock en leur absence. Elle lui avait expliqué que les sirènes et tritons étaient eux aussi touchés par l’influence du Dieu, et que c’était la raison qui se cachait derrière l’animosité dont Valérian et Esteban faisaient preuve à son égard. Cette nouvelle avait tout autant terrifié Sib qu’elle l’avait soulagée ; maintenant, au moins, elle savait que la haine qu’ils lui vouaient ne lui était pas personnelle. Mais elle savait aussi que derrière chaque humain pouvait se cacher une créature marine qui désirait leur faire du mal, à elle et à Murdock. Anak avait cependant jugé important qu’elle soit prévenue, Sib pourrait ainsi prendre les précautions nécessaires pour se protéger, elle, mais aussi Murdock.
Elle laissa ensuite Sib et Murdock aux au-revoirs du reste de son équipage et s’écarta pour ne pas les gêner. Elle savait que, actuellement, elle était bien loin d’être la favorite du coin, elle lisait un peu plus de suspicion dans chacun des regards qu’Oriag lui lançait, et même Apollo semblait avoir tout oublié de leur moment de cauchemar dans les profondeurs où ils avaient fait montre d’un esprit d’équipe à toute épreuve. En un coup de baguette magique, elle était devenue la bête noire.
Elle vit Valérian qui s’apprêtait à la rejoindre pour la soutenir mais Murdock fut plus rapide et il s’avança vers elle, les mains dans les poches, et un sourire dressé sur sa bouche tel un drapeau blanc.
“Tu aurais quand même pas inventé tout ça pour m’arranger une virée romantique avec Sib ? lui lança-t-il. Ce s’rait un peu extrême, même si l’idée peut me séduire…
-Non, soupira Anak, ne trouvant pas la blague drôle, je sais que vous me prenez tous pour une échappée d’asile mais je suis pas si folle…
-Ok, ok, gamine, j’ai rien dit.”
Devant la vexation d’Anak, Murdock calma ses intentions moqueuses et il l’étudia plus précautionneusement avant de lui dire :
“Je sais pas ce que tu nous caches mais sache que je doute pas de tes intentions, ok ? Ouais, c’est vrai, j’crois pas en ces salades mais je sais que t’es une bonne personne. Même si tu te trompes, c’est pas grave.
-Je ne me trompe pas, Murdock, assura Anak en désespoir de cause, et si c’est le cas, vous n’aurez qu’à me jeter par-dessus bord !
-Ohlà, ohlà, gamine, n’allons pas jusque-là !”
Ce fut dans un rire qu’il posa une main réconfortante sur l’épaule tendue d’Anak et il lui demanda avec ironie :
“On t’a déjà dit que t’étais un brin trop impulsive ?
-Euh… non…, marmonna Anak en faisant la moue.
-Ouais, hein, on te l’a déjà dit.”
OoOoOo
Installée sur le lit de Nialh, Anak avait plaqué son téléphone à son oreille après avoir lancé un appel sur le numéro de Yakta. Laissant Sib et Murdock sur l’île, ils avaient directement mis cape sur les terres bantous pour ne pas gaspiller une minute. Maintenant qu’Oriag occupait la place de capitaine en l’absence de Murdock, elle était particulièrement tendue et Anak l’évitait comme la peste.
Elle était donc bien heureuse d’avoir été chargée de tenir informé le Yak pour qu’ils ne s’étonnent pas de ne pas le trouver à leur point de rendez-vous -ça lui offrait le prétexte parfait pour se réfugier dans la cabine de Nialh. Ils auraient pu le faire via la radio mais se sachant poursuivis par des concurrents mal intentionnés, ils préféraient l’intimité sécuritaire d’un appel téléphonique.
En attendant que Yakta décroche, Anak essaya vainement de calmer ses nerfs. Elle avait encore la vue de Sib et Murdock, l’un à côté de l’autre sur le quai, qui leur jetaient leurs derniers au-revoirs dans des gestes de bras, gravée sur sa rétine, assortie à ce sentiment amer qui alourdissait toujours son ventre. Elle savait que c’était nécessaire, mais ça ne rendait pas la chose aisée, elle avait l’impression de les abandonner. Et aux regards muets d’Oriag et Apollo, c’était aussi ce qu’ils pensaient ; qu’ils les abandonnaient sur une île inconnue tout ça pour les chimères qu’elle avait tracées dans leurs esprits.
Elle se massa sa gorge serrée par une sensation d’étouffement et comme un mantra elle se répéta que c’était nécessaire, qu’elle évitait peut-être des blessés ou même des morts. Tant pis s’ils la haïssaient tous, elle pouvait vivre avec ça.
“Eh ben, fit la voix de Chad qui s’était manifestement accaparé le téléphone de leur capitaine, on a failli attendre ! Des jours qu’on attend que tu nous donnes des nouvelles, lâcheuse…
-Chad, soupira Anak, ce que ça fait du bien d’entendre ta voix…
-Je sais, elle est si douce et hypnotique qu’on en tombe amoureux…”
Anak rit alors qu’elle entendait la voix de Yakta qui ordonnait en fond à Chad de lui rendre son bien. Des petites larmes d’émotion se logèrent au coin de ses yeux à l’entente des voix de sa famille de cœur, Anak s’allongea plus confortablement dans le lit. Mon dieu qu’ils lui manquaient… les imaginer à bord du Yak, fidèles à eux-mêmes, exactement comme elle les aimait, lui procura une force incroyable qui recouvrit son cœur du plus tendre des baumes.
“Faut que je vous raconte tellement de choses, leur avoua Anak, vous allez jamais me croire.
-Arrête, j’en frétille de curiosité, railla Chad.
-Et pourtant, crois-moi, t’es vraiment pas prêt.”
OoOoOo
“Mais Anak, c’est vraiment du délire toute cette histoire…
-Je sais, soupira-t-elle en réponse à Yakta, mais tout est vrai.”
Ils avaient mis l’appel en haut-parleur de l’autre côté et ainsi Anak avait pu parler à tout le monde ; Nialh s’était inquiété de l’état de sa soeur avant de rouspéter qu’il se passait toujours des choses incroyables quand il n’était pas là ; Moh avait voulu qu’elle lui décrive les barracudas et le requin, ce qu’elle avait été bien incapable de faire avec précision ; quant à Wanda, elle lui avait rappelé toutes ces fois où elle l’avait averti sur les dangers de la plongée. Toute cette myriade de réactions l’avaient beaucoup fait rire, puis était venu le plus dur. Leur expliquer pour cette histoire de boussole. Elle avait rencontré le même type de scepticisme qu’à bord du Mod, mais avec davantage de franchise encore, Chad lui demandant si elle avait également vu le Père Noël et la Vierge Marie dans la cité engloutie, et Wanda qui s’était ouvertement esclaffé avec moquerie. Elle avait tout de même entendu la voix d’Esteban qui s’était exprimé en sa faveur, jugeant que tout ceci faisait sens.
“On ne peut que reconnaître que la théorie de Nanak explique tout ce qui nous est arrivé jusqu’à présent, plaida Moh.
-Beaucoup de théories expliquent tout, ça n’en fait pas une bonne explication pour autant, contesta Yakta, mais de toute façon, la prudence s’impose. Il est effectivement étrange que la plaie de Sibéal n’ait pas guéri jusqu’à maintenant.
-C’est vrai, concéda Wanda en bonne médecin.
-Dans tous les cas, soyez prudents, s’exprima Yakta avant d’insister, sois prudente, Anak. Tu n’es pas sur le Yak, ne vas pas te faire des ennemis alors que nous sommes si loins de toi. Allez, après toutes ces mésaventures, va donc te reposer.
-Oui, je vais y aller,” promit-elle.
Valérian entra en cet instant, refermant la porte de la cabine derrière lui, et lui lança un regard curieux. Voilà bien une heure et demie qu’elle était au téléphone maintenant, il avait attendu qu’elle ait fini mais l’appel semblait interminable. Il était désormais douché et fin prêt à dormir, il ne fit pourtant pas de commentaire en s’allongeant près d’Anak, là où elle lui cédait de l’espace.
Le téléphone fut repris par Chad qui coupa le haut-parleur.
“J’arrive quand même pas à croire que vous avez failli vous faire becter par un requin,” déclara-t-il.
Il tentait de faire passer la phrase sur le ton de l’humour mais Anak y décela de l’inquiétude, l’une de celles dont il n’arrivait pas à se défaire et qui le forçait à l’exprimer à voix haute pour s’en débarrasser. Et elle savait que cette inquiétude la concernait, elle, mais aussi Apollo.
“Heureusement qu’il y avait un homme virile pour te sauver les miches, ma Nanouille, poursuivit-il.
-Oui, Apollo est un vrai héros, approuva Anak en souriant, mais je l’ai aussi bien aidé ! C’était un travail d’équipe.
-Je suis fière de vous, glissa Chad, allez, va te coucher, chasseuse de requin !
-Toi aussi, voix enchanteresse, plaisanta-t-elle, bisous, Chad.
-Bisous, bichette.”
Elle raccrocha dans un soupir fatigué avant de se coucher contre le torse de Valérian qui l’accueillit d’un bras tendre, et elle laissa ses yeux se fermer d’eux-même.
“Tout va s’arranger, la rassura-t-il doucement.
-Oui, vivement que tout s’arrange.”