Chapitre 25

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

L'îlot était une petite paillette de terre, perdue dans l'archipel de Pulau Bali. Le ponton auquel s'était amarré le Mod était en bois comme au siècle dernier et les ravages de la tempête avaient laissé des stigmates sur le paysage. Les habitants avaient déblayé les rues mais de nombreux palmiers étaient à terre. La plage était couverte d'algues et de branchages. On était loin de la carte postale. Murdock avait une drôle de mine, les yeux rivés sur son voilier glissant vers l'horizon, toutes voiles dehors.

« ça va aller, rassura Sibéal, Oriag est une excellente pilote.

- Ouais, m'enfin ils ont un équipage qui tient dans un mouchoir de poche, et c'est pas l'autre emmanché qui va être utile, marmonna-t-il.

- Il fera le thé...

- Me voilà rassuré tiens, sourit-il, enfin... bon on est coincé ici maintenant. »

Le soleil rougeoyait à l'horizon, la fin d'après-midi était bien avancée. Ils s'emparèrent de leurs sacs de voyage pour entrer dans le petit hameau. Cette journée était surréaliste. Elle sentait encore la brûlure râpeuse des tentacules sur sa peau, sa jambe droite était écarlate, tout comme une partie de ses bras et autour de son cou. Son genou la lançait, elle claudiquait légèrement. Elle n'était pas certaine de pouvoir s'immerger dans l'eau sans un jour oublier qu'elle avait failli finir noyée entre les ventouses de cette énorme pieuvre. 

Les dires d'Anak résonnaient à ses oreilles. Elle avait semblé si sincère dans sa panique. Et ce qu'elle avait dit avait fait sens, tout s'expliquait maintenant. Sibéal lui faisait confiance, si elle disait qu'il fallait débarquer au risque de mettre en danger tout l'équipage alors c'était ce qu'il fallait faire. Quant à la révélation sur la véritable nature de Valérian et Esteban, ça l'avait laissé sonné. Et tout devenait beaucoup plus tangible. Soudainement cette malédiction qu'elle avait accepté comme réelle, prenait la forme d'une vague immense au loin qui menaçait de noyer le monde qu'elle connaissait. Combien de temps avant que tout ne soit englouti par les abysses ? Elle déglutit difficilement, se força à calmer la frénésie de pensées. Elle ne pouvait rien faire maintenant, pas tant qu'elle attirait comme un aimant les créatures du dieux des mers. Il valait mieux se concentrer sur ce qu'elle était capable de maîtriser. 

« Ah ben c'est le grand luxe, lâcha Murdock. »

La chambre d'hôte, la seule de toute l'île, ne payait pas de mine. Sibéal avait fait quelques recherches sur son téléphone, l’îlot ne recevait la visite que de quelques archéologues et volcanologues. Aucun touriste ne venait s'aventurer ici, ils lui préféraient les plages blanches, les vagues et l'eau turquoise de l'île principale, Bali. Un homme d'un certain âge les accueillit d'une voix chantante et rapide, habillé d'un pantalon en lin et d'une chemise écarlate à fleurs. Murdock arqua un sourcil dans sa direction, Sibéal grimaça. Il parlait un patois qu'elle ne connaissait pas. 

« J'sens qu'on va se marrer... commenta-t-il.

- On voudrait une chambre, fit Sibéal en langue commune puis en maori. Une chambre ? Non ? »

L'hôte secoua la tête sans comprendre. Les efforts déployés furent inutiles, il s'entêtait à lui répondre dans sa langue. Murdock finit par balancer son portefeuille sur le comptoir, coupant court au débat. L'homme se plia aussitôt en quatre derrière la caisse avec un grand sourire. 

« Le langage universel, ya que ça de vrai, s'amusa le demi-nain.

- Hum, fit-elle presque vexée de ne pas avoir réussi à engager la conversation en prenant la brochure illisible, Va savoir s'il est pas en train de t’en-turlupiner sur le prix.

- M'en-turlupiner ? Mouais... Il est peut être monolingue, m'enfin j'suis sûr qu'il a entendu parler du conglomérat des nains, assura-t-il avec fierté. »

Pour ajouter du poids à son propos, il adressa un sourire menaçant à l'hôte qui répondit par une courbette prudente en pianotant sur son ordinateur qui paraissait avoir l'âge de Sibéal. Elle s'accouda au comptoir, eut une petite moue.

« La mafia naine tu veux dire ? 

- Un de ses nombreux synonymes...»

Le réceptionniste finit par leur tendre une clé, qui n'avait rien des petits badges en plastique des hôtels modernes mais semblait tout droit sortie du Moyen-âge. Sibéal le remercia en langue commune, il secoua la tête et lui fit répéter ce qu'elle pensa être des remerciements dans le patois local. Il les conduit à l'étage où un couloir desservait une petite dizaine de chambres. Il leur indiqua la leur et les laissa en prendre possession. Sibéal le saluant du mot qu'il lui avait appris. Il sembla ravi de cet effort.

Murdock s'affaissa en un soupir pour tester la fermeté du matelas du lit le plus proche. Il eut une petite grimace. Sibéal s'assit sur celui près de la fenêtre. L'ensemble était propre mais spartiate. Elle fit le tour de la salle de bain, étriquée et dans les tons bleu pastel. La petite fenêtre donnait sur un jardin soigneusement entretenu.

« Eh ben c'est cosy... fit-elle. »

Elle entreprit de ranger consciencieusement ses affaires, histoire de ne pas s'étaler de partout comme elle avait tendance à le faire - selon les critiques de son frère sur l'état bordélique de sa cabine... Allongé sur son lit, Murdock s'était déchaussé et feuilletait machinalement le dépliant de l'hôtel.

« Tu veux commander un truc à bouffer ?

- Bonne idée. Ya quoi ?

- Aucune idée, ya des numéros à côté de plats... le 2, 4 et 13 ça te va ? »

Elle acquiesça et il décrocha le téléphone, avant de grommeler :

« Même pas de connexion, ça promet. »

Il se leva et sortit de la chambre. Elle s'effondra sur son lit, les yeux rivés sur le ciel doré à la fenêtre. Elle était tout à la fois incroyablement lessivée par les rouleaux d'émotions de la journée et brûlante de l'adrénaline de ses dernières heures. Porta Delgada lui parut loin, comme dans un autre monde. Gauvain encore plus. Elle tapa un message pour le prévenir avant de laisser son téléphone sur sa table de chevet.

Elle se décida pour une douche. Elle avait besoin de calmer la langueur douloureuse de ses membres et de se débarrasser du sel tout comme de la sensation de cette force froide et ferme sur sa peau. Elle constata avec déplaisir qu'il n'y avait qu'un filet d'eau froide. Au moins la brûlure en fut apaisée une fois habillée de vêtements propres. Un claquement de porte la fit sursauter.

« A TAAAAAAABLE ! »

Les cheveux enrubannés dans un turban de serviette, elle remit ses lunettes sur son nez pour retrouver Murdock. Il avait posé le plateau de victuailles sur son lit et, assis en tailleur, se tartinait une galette de haricots rouges. Elle le rejoignit pour grignoter sans faim, les yeux dans le vague.

« A quoi tu penses ?

- Tout ça là... ça devient plus dangereux qu'on le pensait... on croyait qu'il n'y avait que les autres concurrents mais maintenant les monstres et cette... marque. Est-ce qu'on est pas embarqué dans un truc qui nous dépasse ? »

Il resta pensif, avala sa bouchée avant de planter un regard scrutateur dans le sien. Elle percevait exactement où il voulait en venir. Elle se servit avec nonchalance de guacamole mais il ne lâcha pas l'affaire pour autant.

« Tu crois à cette histoire de malédiction, pourquoi ?

- C'est évident, non ? Fronça-t-elle les sourcils, ya trop de choses improbables qui nous arrivent. Et toi, pourquoi tu refuses de voir les choses pour ce qu'elles sont... surnaturelles?

- Un dieu de la mer qui aurait jeté une malédiction pour sauver une bande de sirènes et condamne l'humanité à finir noyer ? Haussa-t-il les épaules, c'est quand même dur à avaler même si je suis d'accord.... ya un truc qui tourne pas rond. 

- Peut-être que c'est improbable mais pour l'instant, tout ce qu'on a découvert et vu corrobore cette explication, non ?

- Ouais... enfin l'explication est carrément vaseuse et Anak nous cache quelque chose.

- On peut lui faire confiance, défendit-elle.

- J'dis pas qu'elle a de mauvaises intentions, de toutes façons cette fille serait incapable de faire du mal à une mouche. »

La remarque leur arracha un sourire entendeur qui détendit aussitôt la tension. Anak avait pleinement et sûrement creusé un trou dans leur petite équipe pour s'y faire une place. Elle comme lui l’avaient adopté, elle faisait à leur yeux partie de leur équipage. Il prit une gorgée de bière, avant de lâcher avec circonspection.

« Mais pourquoi elle refuse de dire la vérité, hein ? Tu sais quelque chose, non ? »

Elle aurait voulu lui dire plus, lui avouer l'énormité de ce qu'avait révélé Anak. Ils étaient peut-être hors d'atteinte des monstres sur cette île mais cela ne signifiait pas qu'ils étaient hors de danger. Si Esteban et Valérian nourrissaient contre leur volonté une profonde animosité à leur égard, ils avaient réussi à se contenir dans une certaine mesure. Quelles certitudes pouvait-elle avoir en ce qui concernait les prochaines sirènes ou tritons qui croiseraient leur route ?  Ils n'auraient sûrement pas autant de scrupule. Elle devait le protéger mais...

« Ce n'est pas à moi de révéler ça, souffla-t-elle, je suis désolée. Je voudrais te le dire mais je peux pas.»

Il hocha la tête, continuant à manger de façon machinale. Elle eut un pincement de tristesse au cœur et frôla doucement son épaule de la sienne.

« Il faut être prudent, souffla-t-elle. On est peut-être pas tant en sécurité que ça ici.

- C'est-à-dire ?

- Je sais pas qui mais... faut être sur nos gardes, insista-t-elle. »

Il la dévisagea, cherchant à décrypter ce qu'elle lui dissimulait avant d'acquiescer.

« Elle a intérêt à valoir son pesant d'or cette explication. »

Oh elle le valait, elle le valait... aurait-elle voulu rajouter.

OoOoOo

Enfoncée dans son oreiller, ses paupières papillonnaient depuis de longues minutes déjà alors que la télévision projetait dans des couleurs passées et une netteté douteuse un reportage animalier sur les îles Galapagos. La lumière de la lampe de chevet projetait une aura orangée sur les murs peints à la chaux, il régnait un calme apaisant dans la pièce.

Il faisait lourd, moite, et les moustiques semblaient trouver son sang particulièrement à leur goût, pour son plus grand déplaisir et à la satisfaction amusée de Murdock. Elle darda un regard envieux dans sa direction, et dû détourner aussi sec les yeux en rougissant violemment. Il était crâneusement étalé sur son lit - et sans la moindre piqûre. Elle passa machinalement sa main sur son visage, pour se composer une mine la plus neutre possible et éviter de se laisser dériver à contempler moins les tatouages que les muscles saillants qui les arboraient.

« Le dragon du Komodo, n'a pas l'instinct maternel. En effet, les petits à peine sortis de leurs œufs sont des proies faciles pour cette espèce cannibale..., expliquait la voix du présentateur. »

La remarque la sortie de son trouble, elle eut une grimace en voyant l'un de ces animaux se repaitre de sa propre progéniture sans plus d'empathie que si ça avait été une charogne.

« Sympathique dis donc, commenta Murdock.

- C'est horrible, fit-elle dégoûtée.

- Et après on s'étonne qu'ils soient en voie de disparition ! 

- Les dragons font partie des rares vertébrés capables de parthénogenèse, les femelles pouvant pondre des œufs viables en l’absence de mâle, continuait la voix à la télévision.

- Ils m'ont l'air plutôt opérationnels pour survivre à leur propre extinction, lâcha-t-elle.

- De toute façon on va tous finir bouffer par un dieu en colère, fit-il d'un petit geste de la main.

- Ça y est tu es convaincu ?

- Dis pas de connerie. Faut bien que l'un de nous garde la tête sur les épaules, se moqua-t-il.»

Elle haussa les épaules, lui décocha un petit sourire en coin. Peu importe qu'il n'y croit pas, au moins il voulait bien la croire elle. Ses yeux se posèrent sur la marque écarlate qui dessinait une empreinte torse sur son mollet nu. Elle se redressa, se pencha pour fouiller dans la petite trousse de toilette au pied de la table de nuit. Elle en sortit le tube de crème et le brandit dans sa direction.

« Tu devrais en mettre, ça fait du bien. Ça a dû mal à cicatriser mais au moins ça apaise la douleur.»

Il s'en empara pour s'en tartiner généreusement le mollet. Elle fut incapable de détacher ses yeux de ses doigts massant consciencieusement la trace rouge, complètement fascinée par ce mouvement. La crème avait une odeur de menthe et d'arnica. Dans le silence de la chambre, par dessus la voix paisible du présentateur, elle n'entendait qu'un son lourd résonner dans sa poitrine avec lenteur et force.

« Elle t'a pas dit quand est-ce que ça commençait à faire « effet balise » Anak ?

- Non... j'imagine dès l'instant où la créature te marque.

- Hum... Et ton poignet alors ? »

Elle passa machinalement ses doigts sur la marque qui avait pris une teinte brunâtre. Elle ne sentait pas grand-chose d'anormal si ce n'est qu'elle la grattait quotidiennement à force de refuser de cicatriser réellement. Murdock lui tendit la crème, ses doigts semblèrent effleurer intentionnellement les siens. 

« Tu veux de l'aide pour t'en tartiner ? »

Un frisson parcourut l'arrière de ses jambes jusqu'à la naissance de son dos, une onde impatiente du contact promis. Il dut lire quelque chose sur son visage qui lui arracha un petit sourire en coin. Son cœur rata un battement, elle détourna les yeux.

« ça va aller, souffla-t-elle. »

Elle étala machinalement la crème sur ses jambes, son bras et autour de son cou. Une morsure frustrée lui labourait le ventre. 

Les dragons du komodo faisaient la sieste dans une prairie des Galapagos sur l'écran. Elle essaya de se raisonner, Gauvain avait sûrement raison. Son attirance pour Murdock était difficilement niable mais ça ne voulait sûrement pas dire plus que ce qu'elle s'imaginait ou croyait décrypter. N'est-ce pas ? Elle glissa un regard en coin. Elle aurait pu jeter un pavé dans la mare, poser les mots sur ces tressaillements incertains... Mais elle était retenue par la perspective de briser quelque chose de fragile et de piquant. Elle sentait inconsciemment que c'était mal mais ne pouvait s'en départir.

L'écran déroula le générique sur fond noir et petite musique classique dont elle connaissait l'air sans se souvenir du titre. Elle pouvait entendre le ressac des vagues sur la plage au loin, lancinant comme une berceuse pour enfant. 

« On va se coucher ?»

Elle hocha la tête et alla leur chercher des verres d'eau pour tenir dans la moiteur tropicale. Elle les posa sur la table de chevet avant de se glisser sous le drap léger. Ses lunettes retirées, elle se perdit dans la contemplation du plafond, essayant de faire refluer les événements de la journée pour espérer trouver le repos. La pieuvre informe, ses longs bras souples et durs, semblait ramper depuis le dessous de son lit pour venir emprisonner à nouveau sa cheville. Elle pouvait discerner ses yeux, affreusement humains, dans les nervures du bois au plafond. Un sentiment de malaise l'envahit. Elle se replia en position fœtale, se tourna vers Murdock sur le dos, mains croisées derrière la tête.

« Hey... murmura-t-elle. »

Il roula sur le côté, lui adressa un regard interrogateur auquel elle répondit par une mine désolée.

« On peut laisser la lumière allumée ce soir ? S'il te plaît ?

- ça va pas ?

- Juste... je crois que sinon je vais pas arriver à m'endormir.

- La pieuvre ?

- C'est bête, fit-elle maladroitement.

- T'inquiète pas. »

Elle lui adressa un sourire reconnaissant, enfonça avec un soupir sa joue dans son oreiller. Il avait une mine rassurante, la regardait sans broncher. Les petites bulles éclataient au creux de son ventre, elle n'osa rien dire de plus. En fermant les yeux pour sombrer dans le sommeil, elle emporta son visage avec elle. 

OoOoOo

Le hameau était dans un état assez désastreux même si les habitants ne semblaient pas s'être départis de pragmatisme et de bonhomie face à l'ampleur du spectacle. Ils s'activaient collégialement pour rebâtir et déblayer. Sibéal et Murdock eurent vite fait le tour de la dizaine d'habitations, et finirent par tourner en rond sur ce misérable petit caillou. Il n'y avait qu'un unique commerce qui servait à la fois d'étales maraichères, de bar et de salle de jeu.

Ils étaient tant bien que mal parvenus à commander une boisson fraîche à la petite serveuse à renfort de gestes théâtraux. La terrasse consistait en de simples chaises en plastique sous les arbres. Une radio crachait des infos en Indonésien en arrière fond. Sibéal mâchouillait sa paille, ça ne faisait pas trois jours et déjà ils avaient vite compris qu'il y aurait peu d'activités en dehors de la randonnée, impraticable à la suite de glissement de terrain dû à la tempête, ou la plage dont l'apparence n'invitait pas à la relaxation. Elle regrettait déjà de ne pas avoir pris plus de livres.

« Ils ont dû arriver à Dakar, tu penses pas ? 

- Sûrement, pense pas à la bouffe que leur a servi Andréa... 

- Trop tard. »

La grand-mère d'Apollo était une cuisinière empressée qui adorait leur concocter des tablées entières à base de plats locaux. Elle les imaginait dans l'appartement d'Andréa aux milles et un napperons, dans sa petite cuisine coquette à déguster sa cuisine. Elle avait dû leur sortir sa vaisselle à fleurs et leur relatait les dernières nouvelles de sa petite voix fluette tout en dévorant des yeux, avec une admiration sans borne, son petit-fils.

« J'espère qu'Oriag et Apollo se sont un peu déridés, soupira-t-elle.

- Hum, mon avis c'est que ça doit être un peu tendu... M’enfin, tant qu'ils me coulent pas le Mod, ils peuvent bien s'écharper.

- Anak ne pensait pas à mal.

- Ah ça, elle ne gagne rien à nous avoir débarqués, s'amusa-t-il, à part se taper leurs tronches.

- Ils ont quand même bien dû voir que ça ne l'enchantait pas…

- Peut-être, enfin nous on gagne quand même quelque chose dans l'affaire, suggéra-t-il.

- Ah oui ? arqua-t-elle un sourcil, des piqûres de moustiques et des douches froides ?

- Des p'tites vacances ensemble, argua-t-il avec un clin d'œil, y a pire non ? »

Elle eut un petit sourire aussi touchée qu’empourprée alors qu'il posait son bras sur ses épaules. Ça aurait pu être pire c'est vrai, au moins ils étaient ensemble dans cette galère. Elle aspira une gorgée d'eau pétillante, elle aurait aimé lire derrière sa boutade un élan sincère. Elle se rabroua intérieurement, il fallait arrêter ces divagations. Elle tenta de noyer ses questions derrière une réplique nonchalante.

« La prochaine fois, j'espère quand même que ça sera dans un endroit avec une meilleure pression dans la douche.

- Déjà en train de planifier nos prochaines vacances ? sourit-il narquoisement. »

Elle lui donna un petit coup de coude pour le faire taire sans pour autant s'éloigner de lui. La distance semblait tout à la fois immense et d'un point-de-vue extérieur, elle était certaine qu'elle n'avait pas l'air totalement amicale. Elle riva nerveusement les yeux sur son verre, le fit rouler entre ses doigts.

« Tu crois que ça va marcher ? Le marabout j'veux dire ?

- J'espère bien, j'ai pas envie de devoir passer ma vie le cul sur cette île.

- J'croyais que c'était des petites vacances, taquina-t-elle. 

- Tu m'as compris, lâcha-t-il, mais c'est toi qui a les réponses j'crois.

- Hum... J'en ai pas vraiment, juste beaucoup de questions en fait, soupira-t-elle. Tu en penses quoi, toi ? »

La mine se fit songeuse, il posa sa main contre sa joue. 

« On verra bien quand ils reviendront. »

A la radio, les informations en indonésien avait laissé place à un air bien connu. Sibéal échangea un regard entendu avec Murdock. Il eut un petit sourire.

« Si Polochon était là tiens.

- Il nous mettrait à terre avec ses petits mouvements de hanche, se moqua-t-elle. »

Il darda un œil faussement vexé mais plein de défi, elle leva les mains en signe de paix. La serveuse revient vers eux, agitait les bras en les inondant de son dialecte incompréhensible. Ils l'écoutèrent avec attention, hochèrent la tête pour lui faire plaisir sans percevoir  la moindre information. Elle sembla un peu contrariée mais Sibéal eut beau froncer les sourcils, rien ne lui permit de briser la barrière de la langue. La serveuse dépitée s'éloigna vers la tonnelle de fleurs d'hibiscus.

« T'as compris quelque chose ? souffla-t-elle.

- ça doit pas être bien grave, assura-t-il.

- Hum.... »

La serveuse brandit alors le tuyau d'arrosage et l'agita pour attirer leur attention avant d'ouvrir le robinet. Aucun filet d'eau ne ressortit de l'embout. Sibéal se passa la main sur le visage en poussant un soupir dépité.

« Roh bordel, sérieux ? » 

OoOoOo

« Nialh demande si on va bien.

- Dis-lui qu'on s'est jamais aussi bien porté que depuis qu'il ne nous rabat plus les oreilles de ses jérémiades. Bon, tu joues Sib ?

- Oui, deux secondes... tapa-t-elle rapidement, okaaaaaay. Alors, où on en est ? »

Elle jeta un coup d'œil à ses cartes, fronçant les sourcils face à celles découvertes sur la table. Un brelan de dames, c'était pas si mal... Elle hésitait à le pousser à se coucher, et scruta son visage impassible. Mauvaise idée, il se mit aussitôt à sourire de façon sardonique. Hum... Elle n'était pas plus avancée... Elle jeta alors un petit galet – leur version du jeton, sur la table. 

« T'es sûre de toi Sib ? fit-il en croisant les bras sur la table.

- N'essaye pas de m'intimider, arqua-t-elle un sourcil, je sais que t'as rien.

- Tsss, de l'intimidation rien que ça.

- Allez joue, tu verras bien, l'ignora-t-elle. »

Il se cala dans sa chaise en plastique, plissant les yeux pour deviner ses cartes en décryptant son expression. Elle entreprit de rester le plus stoïque possible, jouant machinalement avec ses galets. La nuit avait fini de tomber, depuis quelques heures déjà. Ils avaient englouti leurs tapas en jouant et des petits lampions éclairaient maintenant leur partie de poker. 

« Tu bluffes, déclara-t-il.

- Tu verras bien ! Aloooors, tu suis ou tu te couches ? » 

Avec un air défiant, il jeta un galet à côté. Ils découvrirent la carte suivante. Elle perçut instantanément à sa mine qu'il était ravi de celle-ci. Il pouvait bluffer mais... elle connaissait assez cette fossette pour savoir qu'il y avait peu de chance. Elle remonta ses lunettes sur son nez, et se pencha intensément sur la table pour trouver les combinaisons possibles qu'offrait ce nouveau tirage.

« Alors Sib ? Tapis ? Nargua-t-il.

- Chut, laisse-moi me concentrer.

- Naaah, j'pense qu'il faut te coucher là. »

Elle se décida à relancer lorsqu'un bruit sec résonna. Et soudain, toutes les lumières s'éteignirent. Les convives de la tablée à côté d'eux poussèrent des exclamations irritées. Sibéal et Murdock échangèrent un regard dépité. Inattendu mais pas étonnant…

« C'est un running gag cette île... se pinça-t-elle le nez, L'eau ya deux jours, le courant aujourd'hui.

- C'est plus des vacances mais une mission survivaliste ! s'amusa Murdock. »

L'ombre de la serveuse se découpa sous les rayons de lunes, elle semblait s'excuser de la panne de courant auprès des clients agacés. La pauvre n'y était vraisemblablement pas pour grand-chose. Sibéal poussa un soupir, et se tourna vers le demi-nain avec curiosité.

« Alors, t'avais quoi ?

- Tssss, j'vais quand même pas révéler ma combinaison secrète, fit-il avec un petit air mystérieux.

- T'avais rien, je suis sûre, nargua-t-elle, tu sais pas cacher ton petit air satisfait !

- Ah ouais, hein ? Et toi, c'était un brelan non ? »

Elle toussota en prenant un air détaché. Murdock ne sembla pas dupe et, particulièrement ravi de lui-même, il s'approcha pour enfin dévoiler ses cartes. Elle plaqua brusquement ses paumes dessus et s'empressa de tout mélanger. Il lui adressa une petite moue amusée.

« Le jeu, c'est le jeu ! lâcha-t-elle avec autorité. »

Alors qu'un agréable vent frais remontait de la mer, elle ferma un instant les paupières pour l'apprécier. C'était comme une bouffée d'oxygène dans la moiteur tropicale. Ils se décidèrent à régler puis remontèrent la seule véritable rue du hameau. Elle menait à leur gîte sur le promontoire derrière le phare. De petites bougies commencèrent à s'illuminer aux fenêtres ouvertes des maisons. Au loin elle pouvait entendre quelques personnes se mettre à battre la mesure en chantant au son d'un ukulélé. Ici, tout semblait hors du temps.

« Tu crois qu'on va en voir le bout de cette mission ?

- Aucune idée, haussa-t-il des épaules, ça avance en tout cas.

- Oui c'est sûr... songea-t-elle, mais ça commence à revenir cher au Mod non ?

- Quoi tu tiens les comptes ? J'croyais que c'était ton frangin.

- Oh non, je lui laisse ces fichus chiffres, secoua-t-elle la tête, mais je me dis que peut-être c'est pas rentable... Tu perds de l'argent non ?

- T'inquiète, on a des réserves dans la trésorerie, assura-t-il, et puis bon, c'est quand même bien fun.

- Bien fun ? S'amusa-t-elle. »

Manqué de se faire noyer par une pieuvre, coulé par le Jormungand et sabordé par des concurrents... bien fun ? Elle lui lança une oeillade sceptique. 

« La plupart du temps, concéda-t-il. »

Elle acquiesça, marchant à côté de lui en silence. Ces dernières nuits, elle n'arrêtait pas de se demander si cette mission n'était pas vouée à l'échec quoi qu'ils fassent. Peut-être seraient-ils capables de faire cracher à ce riche maori une partie de la rançon mais au final ils y avaient peu de chance qu'ils parviennent à lever une malédiction. Il n'y avait aucune mention nulle part d'une quelconque solution.

« Peut-être qu'on peut pas contrer cette malédiction, fit-elle.

- C'est quoi ce défaitisme ce soir, Sib ?

- Je sais pas, haussa-t-elle des épaules, j'ai l'impression maintenant qu'on est au devant d’une vague énorme qui va finir par nous avaler quoi qu'on fasse.

- T'inquiète pas, rassura-il avec légèreté, le Mod gîte sur les vagues.

- T'es bête... »

Il lui ébouriffa affectueusement ses cheveux pour la dérider et finit par lui arracher un sourire. Un petit nœud serrée et chaud se tordit dans son ventre. Ils marchaient plus près l'un de l'autre que nécessaire, malgré la chaleur étouffante. Elle fit mine de ne pas remarquer que leurs bras se frôlaient insidieusement. Chaque effleurement intensifiait agréablement le picotement sous sa peau.

Devant le gîte, le réceptionniste, dont ils avaient finalement appris qu'il s'appelait Anggun, les accueillit avec emphase. Sibéal lui adressa un petit geste de salut alors qu'il s'empressait à grand renfort de gestes de leur expliquer la situation. Elle ne comprenait toujours rien à ce qu'il disait... et ce n'était pas les autres locataires qui logeaient dans les deux chambres d'en face de la leur qui avait pu les aider. C'était des locaux dont la maison avait été emportée par la tempête et qui lui avaient mimé leur malheur pour qu'elle le comprenne.

Anggun signifia avec ses doigts qu'il n'y avait pas de courant ici non plus puis il disparut derrière le comptoir pour farfouiller dans le cellier. Désabusée, Sibéal échangea un petit coup d'œil avec Murdock avant de se détourner le plus nonchalamment possible de cette vision. L'effet que provoquaient en elle les éclats de la bougie dans ses yeux bruns était ravageur. Elle avait conscience que lui, au contraire, la fixait sans détours. Ses joues la brûlaient autant que son cœur en frémissait.

Leur hôte revint enfin, mettant fin à cet insoutenable silence. Il leur tendit un petit sachet en plastique plein de bougies chauffe-plat et un chandelier en bois. Sibéal s'en empara, bredouillant un merci dans le dialecte local. Elle ouvrit la marche jusqu'aux escaliers étroits qui menaient aux chambres à l'étage. Elle s'engagea prudemment, de peur de s'étaler ou de se prendre la basse chambranle de la porte du couloir. Elle avait déjà manqué de se rompre le cou hier matin... 

Un bruit sourd et un juron étouffé la fit vivement se retourner sur Murdock. Dans l'encadrement de la porte, sa main plaquée sur son front, il grommelait en nannique avant de lâcher :

« Poutre de merde ! »

Un éclat de rire lui échappa. Il lui adressa un regard furibond qui ne fit qu'accentuer son hilarité. 

« Ça va ? gloussa-t-elle.

- J'te remercie de ta sollicitude Sib, marmonna-t-il en se massant le front. 

 - Non mais c'est quand même... assez pathétique.»

Il plissa les yeux, niant l'aspect comique de la chose d'une petite moue qui la fit s'esclaffer de plus belle. Elle se prit le ventre pour contenir son rire sans succès. La petite flamme de la bougie s'agitait dangereusement au rythme de ses gloussements. Il s'empara d'autorité du chandelier en marmonnant sur son manque de sollicitude. Elle tenta de le calmer d'une boutade mais fut prise d'un fou rire en le voyant se frotter machinalement le front tout en essayant d'ouvrir la porte de leur chambre. 

Elle ne retrouva un semblant de retenue qu'une fois étalée sur son lit, les bougies chauffe-plat allumées pour sortir de l'obscurité la pièce. N'empêche que la situation avait quelque chose de cocasse... Elle se redressa en l’entendant farfouiller sous le lavabo et alla s'appuyer sur la porte de la salle de bain en arquant un sourcil interrogateur.

« Hey, est-ce que ça va ?

- Je me vide de mon sang Sib, dramatisa-t-il théâtralement en brandissant la trousse de secours.

- T’exagère pas un peu ? leva-t-elle les yeux au ciel, allez pousse-toi et laisse-moi regarder. »

Il s'appuya sur le lavabo, la laissant s'approcher. Elle plissa les yeux pour mieux voir dans la lumière tamisée. Il n'y avait aucune coupure ni blessure, malgré toute cette effusion. Elle effleura doucement du bout du doigt l'endroit du choc et sentit un gonflement poindre sous la peau qui bleuissait. Elle lui adressa un petit sourire amusé.

« Tu devrais survivre, et sans avoir perdu un centimètre. »

Il restait silencieux à la dévisager intensément. Elle sentit le sang lui monter progressivement au visage. Elle prit conscience de leur proximité qui faisait onduler les poils de ses bras. Elle se racla nerveusement la gorge en fouillant dans la trousse et en sortit la crème à l’arnica. Elle la lui tendit maladroitement.

« Tiens, ça ira mieux demain. »

Il attrapa lentement son poignet sans s'intéresser au petit tube d'onguent. Ses doigts caressèrent doucement sa paume, lança des petits pics de sa main jusqu'à son cœur. Le sang bourdonnait maintenant de façon assourdissante à ses oreilles. Déstabilisée, elle soutient fébrilement son regard sans être capable de se détacher de lui.

«T'inquiète, ton honneur sera sauf, bredouilla-t-elle. Je... j'te promets je dirai rien dire à personne.»

Soudainement, les lèvres chaudes de Murdock se posèrent sur les siennes avec autorité. Une onde de choc fit se tordre son ventre et sa poitrine. Son souffle resta bloqué dans ses poumons. Elle lâcha une expiration plaintive en le sentant s’éloigner. Ses yeux la dévisageaient avec incertitude et détermination. Tout le corps de Sibéal vibrait. Elle plaqua vivement ses mains sur ses joues, le contact de ses paumes avec sa barbe était euphorisant. Elle l'embrassa avec empressement, collant tout son corps contre le sien avec avidité. Ses bras se refermèrent sur elle, rendant liquides toutes les autres pensées.

Elle n'avait plus conscience du temps, perdue par ses sens électrisés. Les paumes de Murdock dans son dos avaient déclenché un incendie impossible à éteindre. 

« Sib... »

Ses paupières s'ouvrirent sur son visage doré par la bougie. Il était essoufflé, terriblement désirable. Son ventre se tordait douloureusement de plaisir, sa peau était parcourue de frissons d'anticipation. La pression de son pouce à la naissance de ses fesses lançait de persistants fourmillements le long de son dos. L'ombre d'un sourire se dessina sur la bouche de Murdock, ses lèvres la piquaient de le lui faire ravaler. Elle sentit se creuser une fossette sur sa joue.

Nodens... qu'est-ce qu'elle était en train de faire ?

Comme une pierre, la pensée l'assomma. Prise d'un vertige, elle se détacha alors maladroitement de son étreinte. Une culpabilité sourde menaçait de l'étrangler, un tourbillon allait l'avaler. Mais qu'est-ce qu'elle fichait ?

« Sib, tenta-t-il de la retenir. Écoute... 

- Oh bon sang.... Nodens, souffla-t-elle.»

Elle sortit vivement de la salle de bain, marmonnant des paroles qu'elle ne comprit pas elle-même. Vibrante d’émotions contradictoires et assaillie par un déluge de pensées accusatrices, elle quitta précipitamment de la chambre, les joues en feu.

OoOoOo

Si les journées s'étaient étirées avec langueur jusque là, ce n'était rien à côté du jour qui suivit. Sibéal avait mal dormi, était rentrée après avoir été certaine qu'il s'était endormi. Elle évitait soigneusement de repenser à ce baiser dans la salle de bain, évitait consciencieusement d'effleurer par mégarde Murdock. 

Elle se sentait mal à l'aise, mal de ne pas être sincèrement désolée tout en se sachant coupable. Elle avait retourné dans tous les sens cet instant, refusant de croire à autre chose qu'un élan spontané et irrationnel. Elle n'arrivait pas à se persuader qu'elle avait cédé juste pour se venger de la blessure que lui avait infligée Gauvain en la trompant. Ce n'était pas ça. Et ce que Murdock pouvait ressentir l'effrayait... ce qu'elle ressentait l'effrayait. Elle était assaillie de questionnements et elle ne pouvait pas affronter ce terrain inconnu toute seule. Il la tétanisait et la bombardait d'incertitudes.

Elle creusa machinalement le sable de la plage de son talon, sentant refluer le sang jusqu'à ses oreilles à la pensée qu'il allait falloir le regarder en face. Il semblait éviter d'aborder le sujet, mais sa nonchalance habituelle sonnait terriblement faux. Ils avaient à peine échangé un regard aujourd’hui. Elle avait le cœur au bord des lèvres.

Elle se redressa machinalement, époussetant sa jupe des grains de sable avant de fourrer son livre dans son sac. Elle l'avait ouvert sans arriver à se souvenir de la moitié de ce qu'elle avait lu. Elle attrapa ses sandales pour revenir sur ses pas. Le ciel était couvert, gris comme la panse d'un âne, et la chaleur étouffante. En longeant l'unique ponton en bois du hameau elle fut surprise de découvrir un bateau à moteur luxueux amarré là. Quels touristes avaient eu la lubie de venir goûter à l'isolement le plus complet sans électricité et avec une eau courante capricieuse ? Elle lut le nom, Mamui Ata, mais il ne lui dit rien. Elle ne reconnaissait pas la langue non plus. 

Intriguée, elle laissa glisser son regard sur les badauds mais aucun ne sortait de l'ordinaire. Elle tomba alors sur deux silhouettes qui descendaient du promontoire du phare. L'une était grande, une longue chevelure d'un blond presque blanc cascadait dans son dos. L'autre, mince et petite, arborait une crinière bouclée et rousse immanquable. Elles n'étaient pas habillées pour faire du tourisme balnéaire ou de la randonnée. Ce constat lui fit regarder à deux fois ces deux étrangères. Elle se chaussa rapidement et s'empressa de longer quelques habitations pour trouver Murdock sirotant une boisson fraîche sous les palmiers de la place du hameau.

« Deux filles sont arrivées, l'apostropha-t-elle sans plus de politesse. »

Il leva les yeux sur elle, son expression parut le convaincre de laisser le reste de côté. Il reposa son verre lentement et se redressa sur son siège, alerte.

« Qui ? Les meufs du Kozak ?

- Le bateau c'est Mamui Ata, secoua-t-elle la tête, ça te dit quelque chose ?

- Non... elles avaient l'air de quoi ?

- Vraiment étranges... elles ont pas l'air de touristes ni de scientifiques.

- Est-ce que c'est les gens dont faut se méfier ?

- Je sais pas... grimaça-t-elle. »

Elle ne savait pas grand-chose, peut-être que ça n'était rien mais... cette arrivée soudaine sur une île dévastée par la tempête sonnait bien trop faux à ses oreilles. Murdock la scruta, inquisiteur. Elle secoua la tête, désolée ne pas avoir plus d'informations à partager autre qu'un mauvais pressentiment.

« Okay, de toute façon elles vont nous trouver direct, temporisa-t-il. Ça sert à rien d'essayer de se cacher, ya rien sur ce caillou à part la plage et la jungle. On va juste rester prudent, okay ?

- Murdock, pressa-t-elle, c'est mieux si on les évite.

- Hein ? fit-il intriguée, Tu penses qu'elles sont si dangereuses ?

- Non... peut-être pas mais... »

Mais s'il y avait une chose que lui avaient appris l'animosité d'Esteban et Valérian, tout comme le Jormungand et la pieuvre, c'était de ne surtout rien laisser au hasard. Elle n'arriva pas à trouver d'arguments pour insister et le convaincre d'aller se cacher le temps qu'elles partent.

« Ah ben tiens, vous voilà ! »

La voix, claire et fluette, s'était exprimée en langue commune. Elle se retourna aussitôt vers celle-ci. La rouquine, au teint laiteux et aux yeux bruns les toisait avec un petit sourire ravi sur ses lèvres rosées. Sibéal se plaça instinctivement devant Murdock toujours assis. Elle resta mutique, ses pensées tourbillonnaient derrière son front pour essayer de comprendre pourquoi elles semblaient les chercher et de déchiffrer leurs intentions. Ses jambes étaient raides, prêtes à déguerpir en entraînant fermement Murdock avec elle.

« On s'connaît ? lâcha celui-ci avec méfiance.

- On manque à toute notre éducation ! Fran Al'fra ! Se présenta-t-elle avec un gracieux signe de tête. Et Laureline Kello'han. 

- Qu'est-ce que vous voulez ? rétorqua-t-il froidement. 

- Oh pas grand chose, leur apprit-elle avec un sourire, on cherche seulement à embarquer avec vous. »

Murdock plissa les yeux. 

« L'équipage est au complet, on recrute pas. Désolé. »

Sa remarque sembla amuser Fran qui donna un petit coup de coude à sa compagne. Sibéal ne trouva pas sa bonhomie rassurante, elle lui hérissait le poil de façon désagréable.

« Qui êtes-vous ? Demanda-t-elle sèchement.

- Eh bien ! soupira la grande blonde en retirant ses imposantes lunettes de soleil, moi qui croyait que mon frère et moi nous ressemblions ! »

Ses yeux d'un bleu délavé croisèrent les siens, elle reconnut instantanément le regard de Valérian. Sa sœur. Elle se raidit aussitôt, attrapa le poignet de Murdock. Une sirène. Peut-être deux. La marque avait dû les attirer ici, au fin fond de l'archipel de Matu Bali. Le Mod était loin, le Yak plus encore. Ils étaient piégés. Un frisson de panique la fit tressaillir, elle chercha fébrilement une issue ou une arme à portée de main. Murdock discerna son angoisse. Il se redressa pour se planter à côté d'elle.

« Ouais ben ton frangin c'est un emmerdeur, allez voir ailleurs si on y est. »

Laureline eut un petit sourire froid et méprisant.

« Je ne crois pas non... on va attendre qu'il revienne pour en discuter calmement.

- On ne veut aucun mal, assura Fran.”

Si le ton calme de la rouquine sembla sincère, l’air hostile de sa compagne ne présageait pas d’aussi honorables intentions à leurs égards. Sibéal garda la main solidement agrippée à Murdock.





 

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