Chapitre 25 Alek

Par Ysaé

Alek reçu un seau d’eau en pleine figure, et se mit à tousser. Son esprit émergea lentement à la surface, jusqu’à recouvrer un peu de lucidité. Il ne savait pas depuis combien de jours on le retenait enfermé : son calvaire ne se décomptait qu’en minutes.

Le Commandant Medon se tenait devant lui : des tics sur son visage traduisaient son effarement. Il avait apporté un sac contenant des vêtements et de la nourriture.

Alek n’avait pas la force de parler, la bouche desséchée et la gorge brulée par de multiples vomissements. Il était à moitié nu, ses vêtements trempés et souillés tombaient en lambeau autour de son torse.

Quelques gouttes d’eau dégoulinèrent de sa barbe et s’écrasèrent sur le sol poisseux.

— Aram la traite bien.

Clovis ne lui apprenait rien. Malgré l’enfer qu’on lui faisait vivre, Alek n’avait jamais cessé d’être à l’écoute des ressenties d’Olivia : il savait que la tentative de séduction de son cousin rencontrait un échec retentissant ; non seulement elle ne l’appréciait pas, mais mieux encore elle le détestait. Alek en aurait versé des larmes de soulagement, si toutefois il en avait été capable.

— Crois-le ou non, je n’apprécie guère te voir dans cette position. Karza est une ordure de la pire des espèces, mais je n’en garde pas moins un certain respect pour le clan impérial.

D’un petit reniflement dédaigneux, Clovis ne laissa pas de doute sur les personnes que sa critique visait.

— J’aimerais…me laver, parvint à articuler Alek.

Le Commandant hésita, puis le libérera de ses chaînes. Alek caressa ses chevilles : les fers avaient imprimé un cercle de chair. Il se leva péniblement, prenant appui sur le mur ; le monde tanguait dangereusement autour de lui, si bien qu’il crut à nouveau perdre connaissance. Medon le soutint par le bras et l’accompagna tel un estropié au premier point d’eau extérieur, situé à seulement quelques mètres. Prudent, il tenait son sabre dans son autre main. Le jour commençait doucement à baisser et la chaleur saisie Alek de plein fouet, contrastant durement avec la fraicheur humide de la grotte.

Il ôta ses guenilles puantes et nettoya ses plaies avec précaution : Yujie n’y était vraiment pas allé de main morte.

Clovis, qui s’était légèrement détourné, ne put s’empêcher de lui parler :

— J’avais deviné, tu sais. Tu as tellement changé du jour où elle est arrivée.

La bête tapie au fond d’Alek lui hurla de se jeter sur lui et de lui arracher les yeux. Fixant un rocher, il s’obligea à respirer avec calme : il avait souffert…à en devenir fou ; mais l’heure était venue de refaire surface.

A nouveau propre, désaltéré, il avait l’impression de reprendre forme humaine. Il se rasa, se lava les dents puis ramassa le sac de provision et en avala rapidement le contenu : un peu de pain, de la viande séchée, des fruits. Il n’avait eu le droit jusqu’à présent qu’à une bouilli infâme dardées de crachas ; Yujie Gann aurait dû savoir qu’ayant grandi à Stronk, Alek n’était cependant pas à ça près lorsqu’il s’agissait de nourriture.

Clovis brulait sans doute de l’entretenir de ses nombreuses réflexions, mais la décence lui fit heureusement garder le silence. Comment devait-il se sentir après avoir livré une jeune femme innocente aux âmes viles et corrompues de ses cousins ? N’était-ce pas le plus infâme des crimes que de séparer le couple dont la destinée était écrite depuis des millénaires ? L’ex Général tartar avait forcément dû mener un combat contre sa conscience.

Alek avait enfilé de nouveaux vêtements. Clovis sifla trois fois : quelques secondes plus tard, Yujie Gann et deux de ses acolytes surgirent des bois.

— Je vous laisse le rattacher. Bonne nuit.

 

Medon partie, Yujie lui assena un coup de botte sur la cuisse ; Alek dû faire un effort pour ne pas tomber par terre. L’emprunte de la chaussure marquait son pantalon.

— Avance le bossu. Un pas de travers et je te hache menu.

Alek s’enfonça dans le tunnel en boitillant, suivit de l’Avel-lazher. L’odeur des déjections leur assaillirent les narines. 

Ils avaient parcouru la moitié de la distance quand soudain, Gann laissa échapper un grognement qui résonna en écho le long des parois. Il portât la main à sa gorge (ils faisaient tous ce même geste reflexe), laissant tomber son sabre. Alek fit volt face, enserrant son emprise, pendant que son geolier lutait pour respirer, le visage ridiculement cramoisi. Alek s’empara alors de l’arme abandonnée au sol et contempla son ancien tortionnaire avec ironie.

On ne se méfiait jamais assez d’un Etcho.

Gann avait beaucoup de chance qu’il n’ait pas le temps de s’occuper de lui, songea-t-il en l’achevant. Il se précipita vers la sortie : Tilma l’attendait, un des gardes gisant à ses pieds. Alek récupéra un second sabre et pris la suite d’Oclamel au pas de course. Il avait des difficultés à avancer rapidement, le corps meutrie et endoloris. La sabreuse s’en rendit compte et ralenti son allure, lèvres pincées.

— Tu m’avais vu ? lui demanda-telle

— Oui.

— L’autre garde m’a échappé, il va sonner l’alerte ! dit-elle rageusement

— Où est-t-elle ?

La rousse compris instantanément à qui il faisait allusion.

— Olivia nous attend à vingt degrés. Elle a dû neutraliser la sentinelle.

Alek leva les yeux au ciel : Olivia « neutraliser » quelqu’un !

— Fais lui confiance, dit Tilma comme si elle avait lu dans ses pensées.

La sabreuse ouvrait le chemin à travers la montagne boisée en suivant l’itinéraire le plus direct. Alek pria pour que leur plan de fuite ait été suffisamment organisé : elles devaient savoir que ce serait leur seule chance.

De quoi avait-il l’air après des jours enfermés dans l’obscurité ? Olivia serait-elle heureuse de le revoir ? Pour la première fois depuis des jours, il eut envie de moquer de lui-même : qui l’eût cru capable d’avoir pensées aussi futiles dans un tel moment ?

Tilma Oclamel s’arrêta net et poussa un juron : deux combattants leur barraient le passage. L’un était grand, avec un visage anguleux et un nez en bec d’aigle caractéristique du clan Medon : en apercevant Alek, Maine Tsuro fit une grimace, mais ne baissa pas sa garde.

— Il encore temps de vous rendre, grinça-t-il.

— Ecarte-toi mon ami, lança Tilma. Je ne souhaite pas ta mort, mais si tu ne m’en laisse pas le choix, je n’hésiterai pas.

— Tu me tueras peut-être, mais vous ne pourrez pas vaincre la moitié du camp de l’Est, imbéciles !

Alek reconnu le second combattant comme appartenant au clan Frym – un adepte de la hache qu’il n’aurait ordinairement eut aucun mal à battre. Mais il craignait de manquer de force : asphyxier Yujie Gann du clan Gann lui avait demandé beaucoup énergie et il tenait encore à peine debout une demi-heure auparavant. Le jumeau Tsuro continuait de baratiner Fara, cherchant visiblement à gagner du temps.

Il n’y a pas le choix, se dit Alek en posant un genou au sol.

Frym afficha sa surprise et son cohéquipier le mit immédiatement en garde :

— Ce n’est pas une blague, il…

Mais avant qu’il ait pu ajouter quoi que ce soit d’autre, Tilma l’attaqua.

 

Jamais Alek n’avait mené un combat aussi pitoyable. Ses feintes étaient grossières, ses coups aussi légers que ceux d’un gosse de huit ans. Et pourtant, son adversaire n’était pas fichu de prendre le dessus. Dire qu’Aram comptait soumettre l’Empire avec ce genre d’incapables…

Il attentit le bon moment. Son oncle Martin lui avait appris à lire le jeu de ses adversaires, une de ses spécialités.

Une seconde. La hache de Frym s’abat sur le sol à pleine puissance, rate sa cible.

Deux secondes. L’homme reprend sa respiration, capte le mouvement du sabre sur lui.

Trois secondes. Il esquive à gauche. Nouveau coup de hache : manqué.

Quatre secondes. Frym se prépare à parer la prochaine offensive. Cette fois-ci cela viendra par la droite.

Cinq seconde. Le sabre siffle sur la droite. L’adversaire souri : il l’avait anticipé.

Le second sabre d’Alek, suivant une trajectoire sur la gauche, se planta dans sa trachée. Celui-ci, il ne l’avait pas vu venir. Pendant que l’homme, la tête à moitié détachée du corps, s’affaissait au sol, Alek constata que Tilma n’en avait toujours pas terminé avec Maine Tsuro. Ce dernier défendait sa vie comme un beau diable et il connaissait la façon de combattre de la jeune femme. Toutefois, cela n’expliquait pas tout.

— Finis-en ! s’énerva Alek.

Si elle commençait à avoir des réticences à tuer un simple compagnon d’entrainement, comment pourrait-elle atteindre un niveau digne de ce nom ? L’expression d’Oclamel se durcit : elle s’était résolue.

Alek la vit alors enfin utiliser tout son potentiel. Il avait eu du flair en devinant qu’elle ne s’était jamais complètement dévoilée : elle était très forte. Rapide, précise. Elle avait développé une technique hybride, ajoutant des mouvements typiques de la voie Sterne au style Fara issue de la voie Rhone. Les leçons d’Alek avaient donc eut leur utilité. Maine perdit pied : il n’était pas de taille. Elle lui atteignit sévèrement le flanc droit, annihilant toute possibilité de riposte.

Des cris leurs parvinrent en contre-bas : un groupe de sabreur remontait dans leur direction – ils avaient été repérés. Une lueur d’inquiétude s’alluma dans le regard de Tilma.

— Ils ne sont que trois, dit Alek. C’est faisable.

— Oui, mais si d’autres arrivent…

— On va les battre facilement, Oclamel.

— Vu ton état, ça risque de nous prendre un peu plus de temps…

La rousse se retourna.

Le bossu n’était plus là.

 

Alek s’enfonçait dans la végétation, invisible. Il connaissait très bien les environs : Olivia n’était plus très loin, il la sentait. Elle était extrêmement inquiète, mais c’était tout. Le soulagement l’envahit : elle avait réussi à rejoindre le point de rendez-vous.

Il entendit Tilma rugir à travers les arbres :

— BÁ‪S !!!

Son cri de guerre.

Alek eut une dernière pensée pour elle. Il avait utilisé une petite ruse Etcho, un des premiers tours qu’il avait appris gamin pour influer sur la perception du son. Il avait accompagné la vibration de l’air pour que Tilma ait l’impression qu’il se tenait encore près d’elle. C’était tout bête.   

Il avait beaucoup de respect pour elle, mais elle aurait été encombrante pour la suite : c’était le moment idéal pour s’en débarasser.

Il se concentra à nouveau sur Olivia, et pour calmer son excitation, réfléchi à la suite des opérations. Ils connaissaient plusieurs caches discrètes autour du camp : de nuit, ils pourraient réussir à les atteindre. Il mit de côté le fait qu’Aram mettrait des moyens gigantesques pour les retrouver.

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dodoreve
Posté le 16/01/2021
Tilmaaaaaa !
Calmons nous, calmons nous. De toute façon je finis ton histoire aujourd'hui, impossible d'en faire autrement.
Je m'arrête juste deux secondes pour un commentaire : je n'avais pas eu l'occasion de te le dire pour le moment je crois, mais j'aime énormément ta manière de décrire les combats. C'est vif, plein d'énergie, et précis. On v(o)it vraiment ces affrontements, et c'est hyper stimulant à lire.
Quant au reste, on est vraiment au moment où l'histoire nous tient en haleine : je vois qu'il n'y a plus que quelques chapitres avant la fin... Je me demande tellement comment ça va se terminer ! J'avoue n'en avoir absolument aucune idée, mais j'ai hâte de le découvrir !
Ysaé
Posté le 17/01/2021
Oui bientôt la fin, et suspens ^^
C'est marrant car je ne fais pas de longues descriptions de combats, mais tu n'es pas la première à me dire que les scènes sont très évocatrices. Je pense que c'est l'imagination de la lectrice qui fait beaucoup, et c'est tant mieux si le texte permet cela :)
_HP_
Posté le 17/05/2020
Coucou !!

Non mais... J'hallucine là !! Alek !!!!!!! 😲😠
Tilma... 😭
J'espère qu'elle va s'en sortir et les rejoindre T-T
Je me rapproche tellement de la fin et en même temps non, ça marquerait la fin du premier tome des aventures de ces héros que j'adore, et de cet univers si beau et si prenant !

• "Alek reçu un seau d’eau en pleine figure, et se mit à tousser" → reçut
• "Alek n’avait jamais cessé d’être à l’écoute des ressenties d’Olivia" → ressentis
• "la chaleur saisie Alek de plein fouet, contrastant durement" → saisit
• "Tu as tellement changé du jour où elle est arrivée." → j'aurais dit "depuis le jour" ^-^
• "qu’à une bouilli infâme dardées de crachas" → bouillie / dardée
• "Medon partie, Yujie lui assena un coup de botte sur la cuisse" → parti / asséna
• "L’emprunte de la chaussure marquait son pantalon" → l'empreinte
• "dans le tunnel en boitillant, suivit de l’Avel-lazher" → suivi
• "Alek fit volt face, enserrant son emprise, pendant que son geolier lutait pour respirer" → volte face / geôlier / luttait
• "des difficultés à avancer rapidement, le corps meutrie et endoloris" → meurtri / endolori
• "La sabreuse s’en rendit compte et ralenti son allure" → ralentit
• "Où est-t-elle ?" → est-elle
• "La rousse compris instantanément à qui il faisait allusion" → comprit
• "Il attentit le bon moment" → attendit
• "L’adversaire souri : il l’avait anticipé" → sourit
• "Les leçons d’Alek avaient donc eut leur utilité" → avait donc eu
• "un groupe de sabreur remontait dans leur direction" → sabreurs
• "et pour calmer son excitation, réfléchi à la suite" → réfléchit
• "Ils connaissaient plusieurs caches discrètes autour du camp" → il connaissait
Ysaé
Posté le 18/05/2020
Si Tilma revient il y en a sûrement un qui va faire la tronche XD
Merci pour ces compliments, cela me fait très plaisir !
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