Chapitre 24 - Anna : Jusqu’aux étoiles

Attablé, j’écoute, sans vraiment y prêter attention, mes parents débattre de leur journée respective. Les images de cette journée n’arrêtent pas de défiler dans ma tête : l’arrivée de Kyle sur le perron, tenant à la main ce superbe bouquet de fleurs qu’il offre à ma mère, dans une infime indécision. Son trépignement d’impatience de la voir s’en aller de la cuisine. Son empressement à me parler lorsque nous nous retrouvons seuls, et finalement mon père entrant dans la pièce avant même qu’il ait eu le temps de me dire quoi que ce soit. Au moment de son départ, sa frustration est à son comble.

Le repas terminé, inquiète, je téléphone chez eux pour apprendre qu’il est au complexe. J’ai tellement envie de savoir le fin mot de cette histoire que je prends mon courage à deux mains et pour la première fois depuis longtemps, je sors la voiture du garage et roule à travers la ville pour aller le rejoindre.

L’intérieur de la salle de sport est plongé dans le silence, et le manque de lumière me font prendre conscience de l’heure tardive. Mike m’aperçoit, je le rassure en lui précisant que c’est Kyle que je suis venue voir. L’associé de mon père doit s’en aller et me fait savoir que l’intéressé est dans les vestiaires. Je découvre l’objet de mes pensées immobile, l’eau ruisselant sur son corps d’athlète dans une position à combler tous les fantasmes des femmes de cette planète. Sans faire aucun bruit, je me glisse nue sous la douche. J’entends sa confession qui me met dans un bel état et lui avoue pour la seconde fois mes sentiments.

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Une semaine est passée et depuis sa déclaration je ne touche plus terre. Tout ce qui existe en dehors de nous me semble bien futile. Entre deux baisers, Kyle me parle du prochain combat clandestin en me suppliant de l’accompagner. Je suis partagée. Mon père et Mike sont les entraîneurs d’Elijah et je n’apprécie pas l’idée de cacher ce genre d’informations.

D’un autre côté, Derek nous annonce que ce crétin d’Elijah a invité Lexi à venir assister aux rixes. Furax, il jure que si cette fille fait tout foirer, il lui roulera sur les pieds. Comme il le crie assez fort pour que tout le monde l’entende, la réponse est immédiate : Lexi lui promet de le pousser dans une descente à la première occasion. Les affrontements vont sûrement être intéressants et pas seulement sur le ring. Tant pis pour ma culpabilité, je n’ai aucune envie de rater ça.

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Le jour J, nous partons pour l’entrepôt. Dès notre arrivée, Elijah part de son côté. Vu de loin, des hommes ont l’air de l’attendre. Leurs allures de gangster sont loin de me rassurer. Des liasses impressionnantes passent de main en main. J’aperçois même un flingue dans la ceinture d’un pantalon. J’écarquille les yeux et me rapproche de mon petit ami. Je me demande si Kyle et ses frères ont bien conscience de tous les dangers auxquels ils s’exposent. Même si je suis allée dans des tas de lieux malfamés accompagnés de mes parents, où la misère n’était pas qu’une simple image sur du papier glacé, à aucun moment je ne me suis sentie menacée. Ici, une peur insidieuse me tord les tripes, pour me rassurer je serre la main de Kyle un peu plus fort, mais trop occupé à trouver une place, il me calcule à peine.

Finalement, Lexi repère un espace vide en bas des gradins, en bout de rangée. On s’installe comme on peut, serrés les uns contre les autres.

— Regarde un peu qui se dirige droit sur nous, s’exclame Kyle à l’intention de Derek.

— Sullivan !

— C’est un de vos amis ? questionnais-je.

— Sûrement pas, me réplique Kyle.

— Dégagez ! C’est nos places ! s’exclame l’intéressé au crâne rasé accompagné d’un autre gars.

Ils nous regardent avec un air agressif.

— Non, je ne crois pas. Je n’ai pas remarqué vos noms quand j’ai posé mes fesses. Alors, débarrassez le plancher. Allez, oust ! Vous nous bouchez la vue ! répond Lexi du tac au tac.

Puis, comme à son habitude, elle les ignore superbement, en rejetant ses cheveux en arrière.

— Qu’est-ce que t’as fait à tes cheveux, t’assumes pas ta calvitie ? Et au fait, comment vont tes couilles mon salaud, Kyle m’a tout raconté. Alors comme ça la galanterie c’est pas ton truc, et du con tu m’écoutes ?  Si j’étais pas dans un fauteuil, je te pèterais la gueule, s’énerve Derek.

Je ne connais pas leur passif avec ce type, mais cela n’augure rien de bon !

Bombant le torse, crâne rasé reluque Lexi, en évitant soigneusement le regard de Kyle.

Je murmure :

—  On devrait leur laisser la place…

—  Pas question qu’on bouge d’ici, dégage enfoiré, s’insurge Derek.

— T’as entendu mon frère, barrez-vous, enchaîne Kyle en se redressant.

Ne voulant pas perdre la face, Sullivan reprend, d’une voix altérée :

— Toi la brune tu peux rester.

Il fait un pas vers elle et ajoute :

— On pourrait s’amuser tous les deux. Ton handicapé de mec peut mater, si tu en as envie, dit-il en surveillant Kyle du coin de l’œil.

Lexi, tout sourire, se lève et s’avance vers lui d’un geste sensuel. Ses mains glissent vers l’arrière du crâne chauve.

— Laisse-moi te montrer ce que j’aime faire avec les gars dans ton genre, dit-elle en ronronnant.

D’un mouvement brusque, elle lui bascule la tête en avant et lui balance un coup de genou dans la face. L’homme recule, plaquant ses paumes contre son visage.

— Nom de Dieu, elle m’a pété le nez la salope, je pisse le sang !

Son pote lève les mains en signe de reddition et commence à battre en retraite, entraînant son ami avec lui.

— Oh ! Putain de merde ! Du calme, on s’en va.

Derek, sidéré, la dévisage.

— Mais, où as-tu appris à faire ça ? C’était… waouh !

— Cours d’autodéfense. Mais c’est toujours plus impressionnant lorsque personne n’est au courant de rien.

— Merde alors, on avait une authentique guerrière avec nous et l’on n’en savait rien.

Lexi lui sourit.

— Tu pourrais peut-être nous briefer sur ce qui nous attend.

Derek se penche vers nous, comme si rien ne s’était passé.  

— Entre ces murs, tous les coups sont permis, les rencontres se terminent par KO, et il n’est pas rare de voir des mecs partir aux urgences ! Deux types à bastonner par combat, et dix minutes de pause entre les matchs. D’autres questions ?

Je reste interloquée :

— Deux, mais c’est impossible !

Kyle me prend la main :

— C’est vrai pour la plupart d’entre eux, mais Elijah l’a toujours fait ! C’est comme s’il était habité, je ne vous dis pas les ressources qu’il a en lui, vous n’allez pas en revenir les filles.

— Et comment justifie-t-il les nouveaux hématomes quand Mike ou mon père le voient ?

— Il s’arrange pour prendre des coups pendant l’entraînement, la veille de chaque match, et pour les bleus sur le corps, il ne se met ni en short ni torse nu, mais reste en survêt’ et tee-shirt, nous explique Derek.

— Vous avez tout prévu en fait ! c’est assez flippant quand même.

— T’inquiète pas ma puce, il ne lui arrivera rien, me réconforte Kyle.

Ils ont l’air tellement convaincus par ce qu’ils racontent et si impliqués, qu’ils ne voient même plus les véritables enjeux. Il serait peut-être temps de les faire redescendre sur terre, pour autant je sais d’avance qu’ils ne m’écouteront pas, et je ne veux pas les trahir. Merde, je suis dans de beaux draps !

—  Y a déjà eu des morts ? demande Lexi, une lueur d’excitation dans les yeux.

—  Non, pourtant ils prennent de gros risques, rétorque Derek aussi déchaîné qu’elle.

Je souffle de soulagement. Contrairement à mon amie, je n’arrive pas à me détendre. Une minute plus tard, tout le monde se lève dans un vacarme fracassant qui me vrille les tympans, le premier match est sur le point de commencer.

Les combats se déroulent dans une ambiance des plus animée, mais à la minute où Elijah entre sur le ring, c’est l’embrasement. Le bruit devient si assourdissant que je me bouche les oreilles. Dans les gradins, les spectateurs se redressent. Les filles poussent des cris, les sifflements se propagent. Les paris battent leur plein. Quand le gong retentit, la cohue se calme peu à peu et comme un seul homme, tout le monde se rassoit. Chaque coup donné par Elijah déchaîne la foule. Il allonge ses adversaires, tout en esquivant la majorité des attaques. L’un après l’autre, il les envoie au tapis avec une aisance et un savoir-faire que je reconnais pour avoir vu mon père sur un ring. Sa grâce naturelle, malgré sa taille, est bluffante. Chaque coup qu’il reçoit m'impressionne, c’est comme s’il devenait plus déterminé, plus sûr de lui, et ça le rend, à mes yeux, presque invincible.

Il finit par éliminer ses deux adversaires, l’un repart sur une civière, l’autre soutenu par des gars après avoir été ranimé. Il est le dernier boxeur et l’on s’attend à tout moment à ce que les gens se ruent dans l’arène.

Une voix s’élève. Puis plusieurs. Et enfin, ce sont tous les gradins qui scandent le titre qu’ils donnent à Elijah : « LE TIGRE, LE TIGRE, LE TIGRE ». De ses deux poings levés, il salue le public. Puis il les tend vers quelqu’un pour enlever ses gants. Il scrute la foule et nous aperçoit. Sans nous quitter des yeux, il saute du ring, marche d’un pas souple et assuré vers nous, prend Lexi par la main, passe ses bras autour d’elle, la soulève, la plaque contre son corps, et lui donne enfin son tout premier baiser. Les gens surexcités se mettent à applaudir, des sifflets retentissent, des paroles d’encouragement s’élèvent. Si certains n’étaient pas conquis, maintenant, c’est fait. Le côté romantique ajoute à sa célébrité une touche sexy, que toutes les femmes et tous les hommes de cette salle espèrent vivre au moins une fois dans leur vie.

Peu à peu, l’entrepôt se vide. Calées contre la voiture, on attend les garçons. Lexi n’a pas prononcé un mot ; de temps en temps, je la vois laisser courir un doigt sur ses lèvres et soupirer. Son cerveau s’est complètement déconnecté du monde réel. Elle sort de sa transe quand elle aperçoit le mâle de ses rêves. Un sac sur l’épaule, beau comme un dieu, Elijah s’avance vers nous. J’observe Kyle aider Derek, nos yeux se croisent, son regard est intense, j’ai du mal à déglutir. On choisit de se rendre Chez Mario pour évacuer la pression, mais à la façon dont Kyle scanne mes courbes, je sais que la soirée va largement dépasser la température corporelle autorisée.