Arnitan :
À Krieg, l’hiver avait passé. Plus doux que toutes les années précédentes, disaient les anciens — et ce n’était pas bon signe.
Certains s’en moquaient. Pas Arnitan. Il se souvenait encore trop bien des paroles de l’homme mystérieux.
Rien ne c'était produit depuis. Ni vision, ni loup géant. Mais un pressentiment s’accrochait à lui, comme un poids invisible.
Il espérait encore que tout cela n’existait pas vraiment… surtout depuis que Gwenn l’avait embrassé.
Il rêvait encore de cet instant, qui avait tout changé.
Lui offrir la statuette de l’Hirondelle lui avait paru un choix juste. Aujourd’hui, il doutait.
Je la mets en danger… si mon destin est réel.
L’avoir à ses côtés lui donnait une force immense, mais il avait peur. Peur qu’elle ne soit en sécurité nulle part avec lui.
Il faut que je lui parle, pensa-t-il, encore allongé.
On frappa à la porte.
— On est réveillé, là-dedans ? cria la voix de Céleste.
— Si je ne l’étais pas, je le suis maintenant, grommela Arnitan.
Il se leva, enfila une chemise légère à manches courtes et un pantalon brun.
En ouvrant les volets, la lumière du printemps l’éblouit.
Les arbres, dénudés par l’hiver, retrouvaient leurs couleurs.
— Dépêche-toi, Tan ! Il ne reste plus que toi. Comme d’habitude, ricana sa sœur.
Il ouvrit la porte. Céleste lui adressa un sourire trop fier d’elle.
— Allez, viens. J’ai faim, dit-elle.
Ils descendirent ensemble. Dans la salle à manger, tout le monde était déjà installé.
Atlan, leur père, n’avait plus quitté Krieg depuis la blessure d’Arnitan.
Piré aussi était revenu : il avait terminé les épreuves, devenant guerrier à son tour.
Une grande fête avait eu lieu au village, comme chaque année pour célébrer les nouveaux guerriers de la forteresse.
— Prêt pour l’entraînement de ce matin, petit frère ? lança Piré.
— J’ai hâte de te montrer ce que j’ai appris avec Brelan, répondit Arnitan, l’œil brillant.
— D’abord, on mange, trancha Myriam.
Les deux frères baissèrent la tête. Céleste étouffa un rire, et Atlan sourit :
— Votre Man a raison. On ne va pas se battre le ventre vide.
— Oui, Pa, dirent-ils en chœur.
Sur la table : viennoiseries dorées, fruits frais, et surtout… des fraises.
Arnitan en prit plusieurs, sans dissimuler sa gourmandise.
— C’est que tu prépares un gros combat, plaisanta Atlan.
— Évidemment. J’ai renforcé ma technique et ma force, se vanta Arnitan.
— Tu fais le costaud, mais battre un guerrier de Krieg, c’est autre chose que mettre au tapis un vieux chasseur, répliqua Piré.
— Brelan est plus fort que n’importe qui, défendit Arnitan.
— Je le défierai à nouveau. On verra bien qui sera le meilleur guerrier de Krieg, lança Piré, un clin d’œil à son frère.
Qu’est-ce qu’il peut être agaçant, pensa Arnitan. Mais il se retint : ses parents les observaient d’un œil vigilant.
— Je viendrai vous surveiller, annonça Myriam.
Céleste passera la journée avec Gabrielle, et votre Pa sera à l’échoppe.
Une fois le repas terminé, Arnitan monta se préparer. Céleste le suivit à la trace.
— Alors ? demanda-t-elle.
— Quoi, « alors » ? fit-il, sans comprendre.
— Oh, tu sais très bien ce que je veux dire. Tu vas la voir, aujourd’hui ?
Son frère pouvait être insupportable mais il ne l’avait pas avec lui tous les jours au contraire de Céleste.
Depuis qu’elle avait vu Arnitan embrasser Gwenn, sa sœur ne le lâchait plus d’une semelle.
— Laisse-moi tranquille. Je dois me concentrer.
— Ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vue à la maison. T’as qu’à l’inviter à déjeuner, proposa-t-elle, faussement innocente.
— Tu l’as vue hier, grogna Arnitan.
— Oui, moi. Mais Pa et Man, non, sourit-elle.
Il comprit aussitôt où elle voulait en venir.
Dans ses rêves, Gwenn apparaissait souvent… dans une robe de Krieg, lumineuse, magnifique.
— On va pas se marier ! protesta-t-il. Même si, au fond… il espérait bien que cela arriverait un jour.
Céleste arqua un sourcil, amusée.
— C’est toi qui devrais commencer à y penser. Moi, je suis encore bien trop jeune, déclara Arnitan, en bombant le torse.
L’air joyeux de Céleste disparut soudain.
— Je n’ai pas la chance d’avoir quelqu’un à aimer comme toi, Tan…
Arnitan haussa les sourcils, surpris.
— Pourtant, j’ai souvent l’impression qu’on te regarde, dit-il avec un petit sourire.
Ce n’était pas un mensonge pour la rassurer. Il avait bel et bien remarqué les regards insistants de certains garçons de l’âge de sa sœur. Et cela l’agaçait, bien plus qu’il ne l’admettait.
— Ce ne sont que des porcs. Tu as de la chance, Tan. Vraiment. Prends soin d’elle.
Elle retrouva son sourire lumineux, et cela soulagea Arnitan plus qu’il ne l’aurait cru.
Céleste repartit vers la salle à manger, le laissant seul avec ses pensées.
Prendre soin de Gwenn… comment le pourrais-je, avec ce qui m’attend ?
Sa sœur n’en savait rien. Seule Gwenn connaissait la vérité.
Il avait songé un temps à tout révéler à sa famille, mais il s’y était refusé.
Je ne peux pas les mettre en danger, eux aussi.
Dans sa chambre, il s’équipa : l’armure d’entraînement, son épée en bois, et sa dague — celle que son père lui avait offerte, désormais gravée d’une tête de loup, taillée avec soin sur le manche.
En redescendant, il ne trouva plus que sa mère dans la salle à manger.
— Piré est déjà dehors. Ne vous blessez pas, je vous en prie, dit-elle, l’air inquiète.
Elle a sûrement dit la même chose à Piré, pensa-t-il, amusé.
À l’extérieur, Patan poursuivait les poules dans tous les sens, comme à son habitude.
Mais cette fois, personne ne le rappela à l’ordre : les deux frères étaient trop concentrés.
Ce n’était plus un simple entraînement. C’était une question d’ego.
Lequel des deux était le plus fort ?
Piré avait l’avantage de l’expérience. Il avait terminé ses épreuves, gagné sa place à la forteresse.
Mais Arnitan ne comptait pas perdre. Il s’était entraîné avec Brelan, le meilleur guerrier de Krieg.
Cette fois, il comptait bien prouver ce qu’il valait.
Avant que Piré ne parte, il perdait toujours.
Souvent, il terminait au sol, humilié.
Aujourd’hui, c’était différent.
Aujourd’hui, il devait gagner.
Pas seulement pour son honneur.
Mais pour prouver qu’il pouvait défendre ceux qu’il aimait.
Et peut-être… le monde tout entier.
Je ne peux pas échouer. Même dans un simple duel d’entraînement.
Il voulait aussi éviter de subir les moqueries de Piré à table pendant des jours.
Les deux frères s’avancèrent, armés d’épées en bois.
Le torse protégé par une armure légère, ils se faisaient face.
Seul Arnitan portait sa dague, protégée pour l’entraînement. Une sécurité… au cas où. Il n’avait aucune intention de blesser son frère.
— Tu es prêt, petit frère ? lança Piré.
— Je suis prêt.
Ils se toisèrent, concentrés.
— Que l’entraînement commence ! cria Piré, en attaquant immédiatement.
La lame de bois fondit sur Arnitan. Pris de court, il parvint à peine à dévier le coup.
Piré enchaîna avec une série d’attaques rapides et puissantes.
Arnitan peinait à suivre. Il parait du mieux qu’il pouvait.
Tiens bon. Il va se fatiguer.
C’était l’un des premiers conseils de Brelan : face à un adversaire plus fort, mise sur l’endurance.
Laisse-le s’épuiser. Garde ton calme. Ne cherche pas à frapper en premier.
Et Piré tombait parfaitement dans le piège : ses attaques étaient puissantes, mais trop nombreuses.
Déjà, ses gestes ralentissaient.
Puis vint le moment de contre attaquer. Voyant l’épée de son frère aller moins vite, il la contra rapidement, et lui donna un coup de coude pour le repousser. Maintenant qu’il y avait quelques mètres entre eux, Arnitan pouvait réfléchir à comment utiliser la zone à son avantage.
Enfin un peu d’espace.
Les deux frères recommencèrent à tourner l’un autour de l’autre.
Arnitan analysait le terrain. Utilise la zone. Cherche un angle. Réfléchis.
Soudain, il réalisa un silence étrange.
Plus de cris de poules.
Du coin de l’œil, il vit Patan, immobile, assis devant Myriam, observant le combat.
Ce bref instant d’inattention lui coûta cher.
Piré surgit, plus rapide qu’Arnitan ne l’avait cru possible.
Il tenta de bondir en arrière, mais l’épée de bois le toucha à l’épaule.
Il grimaça, la douleur lui arrachant un souffle.
— On se déconcentre en plein combat ? railla Piré.
Foutu idiot, pensa-t-il. Brelan me l’a répété cent fois : ne regarde jamais ailleurs que ton adversaire.
Il serra les dents, reprenant position.
— Le combat n’est pas fini, lança-t-il, rassemblant son courage.
Piré l’avait peut-être eu sur une seule erreur, mais il pouvait être certain qu’Arnitan ne la referait plus.
Désormais, toute sa concentration était braquée sur sa garde et sur une seule chose : le toucher.
Ils reprirent leur ronde, se jaugeant du regard, tournant lentement.
Cette fois, ce fut Arnitan qui lança l’offensive. Il enchaîna plusieurs coups vifs, mais tous furent déviés par la défense solide de son frère.
Mais il n’attendait qu’une chose.
Et Piré lui offrit ce qu’il espérait.
Son frère riposta enfin, tentant à son tour de le toucher.
Au moment où la lame en bois s’approchait de lui, Arnitan se décala d’un pas fluide, frappa l’arme du plat de sa propre épée.
Le choc déséquilibra Piré, emporté par son propre élan.
Arnitan en profita aussitôt : il se glissa sur son flanc, la voie libre.
Il attaqua rapidement, et sa lame en bois toucha les côtes de son frère.
Piré grimaça, mais sourit aussitôt :
— Tu t’es amélioré.
Ces mots, dans la bouche de son frère, firent gonfler le cœur d’Arnitan.
Myriam, elle, n’avait pas bougé. Toujours debout, les mains serrées devant elle, l’air inquiet.
— En garde. Il faut un vainqueur, déclara Piré.
Arnitan hocha la tête, et tous deux reprirent position.
Les assauts s’enchaînèrent. Chacun cherchait l’ouverture, sans succès.
Leurs lames s’entrechoquaient, glissaient, frappaient les jambes, les épaules, sans jamais porter le coup décisif.
La fatigue se faisait sentir.
— Ça suffit, les garçons, intervint Myriam. Vous êtes tous les deux de très bons guerriers.
Mais aucun des deux ne voulut céder.
Arnitan aimait ce combat.
Pas parce qu’il voulait vaincre son frère, mais parce qu’il pouvait enfin lui montrer ce qu’il valait. Qu’il avait grandi. Qu’il était devenu fort, lui aussi.
Après un long silence, Piré reprit l’attaque.
Ses gestes étaient plus lents, mais la puissance restait intacte.
Arnitan peinait à maintenir sa garde. Son bras commençait à s’alourdir. Chaque coup le faisait reculer un peu plus.
Un dernier assaut lui fit lâcher son arme : l’épée en bois tomba au sol, entre eux deux.
Piré bondit, lame tendue vers la gorge de son frère.
— Et tu es mort, dit-il avec satisfaction.
Mais Arnitan, à terre, souriait.
— Et toi, tu es trop proche de moi.
Il fit signe à Piré de baisser les yeux.
Sur sa poitrine, protégée par l’armure, la pointe émoussée d’une dague reposait.
La dague a tête de loup d’Arnitan.
— Je crois qu’on est tous les deux morts, déclara-t-il, triomphant.
Brelan lui avait dit un jour : "Si tu ne peux pas gagner, alors meurs en emportant ton adversaire."
C’était ce qu’il avait fait.
Piré s’était approché trop près, croyant avoir gagné.
L’expression de surprise sur le visage de son frère le ravit.
Ils s’étaient neutralisés. Mais Arnitan se sentait victorieux.
Les deux frères se serrèrent la main. Piré le tira même dans ses bras, ce qui arracha un hoquet à Arnitan.
— Je suis fier de toi, petit frère. Tu t’es bien entraîné. Toi aussi, tu deviendras un guerrier de Krieg, lui souffla-t-il.
— Me… merci, murmura Arnitan, la gorge serrée.
Il sentit les larmes lui monter aux yeux.
L’entraînement terminé, ils ôtèrent leurs armures et rejoignirent leur mère, qui leur tendit deux gourdes d’eau.
La moitié de l’eau finit sur son visage et ses vêtements.
— Vous allez devenir de grands guerriers. Aucun doute là-dessus, dit Myriam en les regardant tous les deux, les yeux brillants.
Patan, qui jusque-là était resté allongé, se releva d’un bond et sauta sur Arnitan, juste au moment où ce dernier portait la gourde à ses lèvres.
— Je crois qu’il dit que tu es sale, rit Piré.
— Ce n’est pas en me barbouillant de léchouilles que je serai plus propre, Patan, répondit Arnitan en riant lui aussi.
Leur mère les regarda, l’air excédé, les yeux levés au ciel :
— Vous êtes blessés ? demanda-t-elle, le ton redevenu sérieux.
Les deux frères se regardèrent un bref instant, puis haussèrent les épaules :
— Rien qui pourrait nous tuer, répondit Piré avec un sourire.
Myriam soupira :
— Bien. Puisque vous êtes en grande forme… faites-moi le plaisir d’aller vous laver.
Piré, j’aurai besoin de toi ensuite.
— Oui… mère, répondit-il, traînant les pieds.
Arnitan se garda bien de commenter, de peur d’être lui aussi embarqué dans une tâche ménagère — ou pire.
Il avait quelque chose de bien plus important en tête. Il devait voir Gwenn. Et patienter encore lui était devenu insupportable.
En silence, il se dirigea vers la bassine installée au fond du jardin.
Il se déshabilla, rejoignant son frère. Tous deux commencèrent à se laver dans l’eau fraîche.
Mais très vite, Piré lui jeta un grand jet d’eau à la figure.
— Tu veux jouer à ça ? lança Arnitan, mi-agacé, mi-amusé.
Piré répondit par un sourire insolent.
La bataille éclata. Jets d’eau, éclaboussures, coups d’éponge improvisés.
Même Patan s’y joignit, sautillant dans tous les sens pour attraper les gerbes d’eau.
Le jardin résonna de leurs éclats de rire.
Quand enfin ils s’arrêtèrent, trempés mais heureux, ils s’habillèrent avec les vêtements secs que Myriam avait déposés en prévision.
— À tout à l’heure, Tan… dit Piré en grimaçant.
— Bon courage, répondit Arnitan avec un clin d’œil.
Piré rentra à la maison pour aider leur mère. Arnitan, lui, avait une destination précise en tête.
Patan trottina à ses côtés.
— Tu veux voir Rif ? demanda-t-il au chien.
Patan aboya deux fois, comme s’il comprenait parfaitement.
Parfois, Arnitan se demandait s’il n’était pas plus intelligent que bien des villageois.
Ils prirent la route de la ville.
Déjà, les odeurs mêlées d’épices, de pain chaud et de fumée s’élevaient des échoppes.
Dans l’allée commerçante, il aperçut Céleste et Gabrielle penchées sur l’étal d’un marchand itinérant. Heureusement, sa sœur ne le vit pas.
Puis, plus loin, Calir.
Son regard croisa celui d’Arnitan, comme s’il l’attendait.
Le messager ne bougea pas.
Arnitan pressa le pas, détournant la tête.
Il est gentil… mais vraiment étrange, pensa-t-il.
Soudain, une pensée surgit.
L’homme mystérieux lui avait parlé d’un serpent, dont il fallait se méfier.
Et jusqu’à maintenant la personne la plus étrange envers lui, c’était Calir.
Non… Ce n’est pas lui. Il a la confiance du comte, tenta-t-il de se rassurer
Il quitta la rue commerçante.
L’air marin lui caressa le visage, chargé d’embruns salés.
Il approchait.
Je dois lui parler. La protéger, c’est tout ce qui compte.
Il porta la main à son cou.
Son doigt effleura le médaillon en forme de lavande.
Celui que Gwenn lui avait offert le jour de son anniversaire.
Celui qu’il avait gardé, comme une promesse silencieuse.
Celui qu’il portait depuis qu’il l’avait choisie pour être son hirondelle.
Et ce jour-là, elle l’avait embrassé.
C'était un beau combat, j'aime bien la relation entre les deux frères qui reste saine malgré l'ego de chacun. J'imagine que Arnitan finira également par suivre une formation pour devenir guerrier à un moment, du moins ca serait intéressant à suivre.
Sur la forme :
- Rien depuis ne c’était produit ( j'aurais plutot mis rien ne c'était produit depuis, je trouve que ca sonne mieux).
-je vous en prie, dit-elle, l’air inquiet. ( je pense que j'aurais mis inquiète car c'est la mère qui parle)
- Puis vint le moment de contre attaquer. Voyant l’épée de son frère aller moins vite, il la contra rapidement, et lui donna un coup de coude pour le repousser. Maintenant qu’il y avait quelques mètres entre eux, Arnitan pouvait réfléchir à comment utiliser la zone à son avantage.
Arnitan saisit sa chance. Il contra un coup, et riposta d’un coup de coude bien placé, qui repoussa Piré de quelques pas. ( le combat semble se repeter, deux fois que Piré attaque et que Arnitan le repousse avec un coup de coude).
Je continue
Fallait quand même pas qu'ils s'entretuent aha
Mais il fallait un moment entre eux pour la suite :)
Et oui c'est prévu pour Arnitan, mais surtout dans le 2 pour qu'il deviennne un vrai guerrier. Sachant qu'il s'entraine toujours avec Brelan.
Merci pour les erreurs. Je vais modifier ça :)