Chapitre 25 : Gwenn

Par Talharr

Gwenn avait fini de préparer les poissons pêchés tôt ce matin par sa famille.
Ils étaient désormais bien alignés sur les étals.
La plupart avaient déjà été vendus, les habitants venant dès l’aube pour obtenir leur part de poisson frais auprès de sa Man.

Depuis ce tremblement de la mer, qu’elle était sûre de ne pas avoir imaginé, sa famille ne restait que peu de temps en mer.

Ils l’ont senti aussi. Alors pourquoi ne veulent-ils pas m’en parler ?
Est-ce qu’ils savent ce que c’était ?
se demanda-t-elle.

Elle aida sa mère à vendre une partie de la pêche, puis se chargea de nettoyer les ustensiles.

À l’arrière de l’échoppe, concentrée sur sa tâche, elle repensa au tremblement.
Elle avait déjà retourné la question dans tous les sens, sans trouver de nouvelle piste.
Peut-être était-ce un phénomène naturel. Ou alors… une créature.
Quelque chose de gigantesque, dormant depuis des siècles et qui, ce jour-là, se serait réveillé.

Après tout, un loup géant avait attaqué Arnitan. Et personne à Krieg n’avait jamais vu une telle bête auparavant.

Ajoutez à cela l’histoire d’un homme mystérieux et d’un destin...
Pour Gwenn, tout cela — le tremblement, le loup, et le rôle d’élu d’Arnitan — était lié.
Et que tout cela se produise en même temps ? Une trop grande coïncidence.

Arnitan a raison. Quelque chose se prépare... mais quoi ?

Elle repensa au jour où il lui avait demandé d’être son hirondelle, sa protectrice.
Et à ce moment où, submergée par l’émotion, elle l’avait embrassé.
Elle n’avait pas réfléchi. Son cœur avait parlé.

Depuis, chaque instant passé avec lui lui semblait précieux.
Elle le protégerait, quoi qu’il en coûte.
Mais nul ne pouvait prédire l’avenir. Alors, autant profiter tant que les jours restaient lumineux.

Alors qu’elle venait de finir de nettoyer le dernier ustensile, une voix familière la tira de ses pensées.
Celle qu’elle espérait entendre. Celle à qui elle pensait chaque jour.
Son cœur s’emballa.

Il était là, devant elle.
Et ses yeux bleus la capturèrent aussitôt.

    — Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle, surprise, mais ravie.

    — J’avais besoin de te voir, répondit Arnitan, le regard planté dans le sien.

Gwenn lui sourit, le cœur léger :

    — Tu voulais me voir... éviscérer des poissons ?

    — Ça aurait pu être instructif, rit-il.

Elle s’avança lentement :

    — Tu ne serais pas resté aussi près de moi, dans ce cas, plaisanta-t-elle, toujours plus proche.

    — Oh, ça ne m’aurait pas gêné… murmura-t-il.

    — On peut y remédier, si tu veux, répondit-elle doucement.

Il l’embrassa alors.
Et elle prolongea le baiser autant qu’elle le put, ancrée à ses lèvres, à sa chaleur.

    — Je crois que je préfère quand même sans l’odeur de poisson, plaisanta Arnitan.

Ils rirent tous les deux :

    — Dommage... souffla Gwenn, taquine. Tu voulais me voir pour quelque chose ?

Elle vit passer sur le visage d’Arnitan une expression familière, qu’elle avait appris à reconnaître.

    — Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle, une légère inquiétude dans la voix.

    — Il faut que je te parle de…

Il jeta un regard vers l’arrière, hésitant.

Gwenn comprit immédiatement :

    — Man ! Je sors un peu ! lança-t-elle vers l’échoppe.

Abigail apparut à la porte, hochant la tête avec un grand sourire :

    — Reviens m’aider à ranger, d’accord ?

    — Oui, Man. Merci ! répondit-elle.

Gwenn et Arnitan quittèrent la poissonnerie et prirent la direction du port.
Les quelques navires présents étaient en réparation. On entendait les coups de marteau des charpentiers au travail.

Draiss doit être là, pensa Gwenn.

Depuis qu’ils avaient partagé ce moment étrange à l’écurie, et vécu le conseil ensemble, elle ne l’avait pas revu.
Il devait être très occupé, lui aussi, par son nouveau statut d’apprenti.

    — Tu as vu Draiss récemment ? demanda-t-elle.

    — Il est venu à la maison il y a quelques jours. Pourquoi ?

    — Ça fait un moment qu’il est venu me voir, dit-elle.

    — Tu n’as qu’à venir chez moi. Céleste me harcèle avec ses questions… comme ça, elle te les posera directement.

Gwenn ne put s’empêcher de rougir.
Certes, elle avait l’habitude de se rendre chez lui, connaissait sa sœur, sa mère…
Mais là, c’était une invitation officielle.
Et cela rendait les choses plus vraies. Plus sérieuses.

    — Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Arnitan, plantant ses yeux dans les siens.

    — Rien… Je… j’accepte avec plaisir, répondit-elle, ne sachant quoi dire d’autre.

Arnitan rit.

    — Tu te moques de moi ? fit semblant de s’offusquer Gwenn.

Le garçon passa doucement une main dans ses cheveux, ce qui la fit frissonner.

    — Au contraire. Merci d’accepter. Ça me sauvera au moins d’une soirée avec ma sœur.

    — Tu n’es pas possible, pouffa-t-elle.

Arrivés au bout du port, ils s’assirent sur un rocher chauffé par le soleil.
Devant eux, l’eau miroitait sous la lumière, et la brise marine réchauffait leurs épaules, collées l’une à l’autre.

    — Tu voulais me parler de ton destin ? demanda-t-elle, bercée par le calme de la marée basse.

    — Du mien… et du tien, répondit Arnitan.

Du mien ?

    — Je t’ai dit que tu serais ma protectrice, en devenant l’Hirondelle. Tu étais mon choix, et je te choisirais encore, si je devais recommencer. Mais depuis que tu m’as embrassé, je… je doute. Je ne sais plus si j’ai bien fait...

Gwenn resta muette. Touchée par ses mots, mais désarçonnée par ses doutes.

    — J’avais tellement envie de t’avoir à mes côtés, après ce que j’ai vécu… que je n’ai pas réfléchi. J’aurais dû. J’ai pris cette décision à ta place, Gwenn.

    — J’ai accepté ton choix, Tan. Tu ne m’as rien imposé. Quand tu m’as tout expliqué, j’ai dit oui. Parce que je voulais être là. Pour toi. Pour te protéger.

    — Tu seras en danger… Et je ne sais pas si je serai capable de nous protéger, tous les deux...

    — Et tu crois que moi, je me sens capable de protéger le héros de Krieg ?
Non. J’ai peur, Tan. Mais je ferai tout ce que je peux. Je remplirai la mission que tu m’as confiée. Et je te garderai près de moi.

L’émotion faisait trembler sa voix.
Arnitan prit sa main dans la sienne, son regard tourné vers le reflet du soleil sur l’eau.
Ils restèrent ainsi, en silence, leurs doigts noués.

    — Je t’en demande tellement… murmura-t-il. Céleste m’a dit que j’avais de la chance de t’avoir...

Elle pense qu’il a de la chance de m’avoir ?
Gwenn sentit son cœur se serrer. Elle n’avait jamais été aussi touchée.

    — Elle a raison, reprit Arnitan. Gwennie, jamais je ne pourrais te remercier d’être… toi.

Elle voulut se retenir. Ne pas pleurer. Ne pas fondre dans ses bras.
Mais ce fut Arnitan qui la serra contre lui, posant un baiser sur son front.
Gwenn s’y abandonna, ses bras autour de lui, ses doigts jouant machinalement avec le collier qu’il portait toujours.

Celui qu’elle lui avait offert.

Elle souhaita que cet instant dure jusqu’au coucher du soleil.
Mais elle savait que sa Man l’attendait pour l’aider.

    — Ensemble, nous réussirons. Même si nous ne savons toujours pas ce qui nous attend. Peut-être cela arrivera dans plusieurs années… mais nous serons prêts, tous les deux, dit-elle.

Gwenn se résigna :

    — Il faut que je retourne à la poissonnerie… dit-elle à contrecœur, en se levant.

    — Tout est si calme, si paisible. Que pourrait-il nous arriver ? répondit Arnitan, en se redressant à son tour.

    — La forêt était calme et paisible… avant que ça n’arrive, dit-elle, en montrant du doigt sa poitrine.

Un silence tomba. Le clapotis des vagues sur le sable reprit ses droits.
Et avec lui, les souvenirs.

    — Tu as raison. Il faudra qu’on soit prêts, le moment venu… Merci, Gwenn.

    — De rien. Je ne suis pas ta protectrice pour rien, sourit-elle.

    — C’est vrai. Je n’aurais pas pu rêver meilleure Hirondelle, dit Arnitan, caressant tendrement sa joue.

Ces frissons… Quel bonheur, pensa-t-elle.

    — Bon. Il faut que je file. À plus tard, lança-t-elle en tournant les talons.

    — À plus tard, Gwennie.

Ce surnom, qu’elle avait tant détesté enfant, sonnait désormais comme une caresse à ses oreilles.
Elle voulait l’entendre toute sa vie.
De la bouche de celui qu’elle venait de laisser au bord du port.

Un corbeau vola au-dessus d’elle, croassant dans le ciel.

Je le protégerai, pensa-t-elle, en réponse.

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Scribilix
Posté le 25/07/2025
Re,
Chapitre plus lent, mais attendrissant. On imagine bien l'amour enfantin qu'éprouvent les deux, même si l'on sait que ça ne va pas durer. D'ailleurs, c'est ce qu'évoque Gwen en disant qu'il faut profiter des beaux jours avant qu'ils disparaissent.
Je continue :)
Talharr
Posté le 25/07/2025
Re,
Aha je pouvais pas finir sans ces moments :')
Et oui à voir la fin ;)
Si les émotions fonctionnent c'est que le passage est réussi déjà :)
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