Chapitre 24 : Freijat - Ambassadrice

Freijat, désœuvrée, se rendit dans la salle principale pour y rencontrer l’Ancêtre. Source, elle devait s’y rendre matin et soir pour s’agenouiller devant l’Ancêtre, attendant sa permission pour aller vivre et dormir. Son nouveau rang lui permettait de s’avancer sans crainte.

L’Ancêtre se tenait assis sur son trône, un verre à la main. L’odeur lui apprit qu’il s’agissait d’un alcool à base de sirop d’érable. Freijat sourit. Elle comprenait maintenant comment ils faisaient et les choses bizarres observées tous ces hivers prenaient sens. Il n’y avait aucune magie, juste des sens sur-développés.

- Freijat ! Je suis heureux de te voir. J’aime parler régulièrement à mes petits, assura l’Ancêtre. Sahale s’occupe bien de toi ?

- À merveille, assura Freijat. Il m’a appris la base. Il a dit que le reste viendra avec le temps et l’expérience.

- Sans aucun doute, répondit l’Ancêtre. Je vois que tu es détendue et calme. Tu utilises très peu d’énergie pour exister et te mouvoir. C’est très bien.

Il la testa sur plusieurs aspects avant de lui annoncer :

- Je vais essayer de te tuer. Empêche-m’en juste en m’évitant, pas en m’attaquant.

Freijat acquiesça. L’Ancêtre fut si rapide que Freijat n’eut même pas le temps de broncher que la main de l’assaillant se trouvait sur son épiderme, au-dessus du cœur.

- Perdu, dit-il en souriant. Entraîne-toi avec tes frères. Le danger est partout et imprévisible.

- Je n’ai pas de sœur ? demanda Freijat.

- Seuls Anoki et Nayati ont une fille. Tous les autres supérieurs sont des hommes.

Freijat enregistra l’information, ne sachant pas bien quoi en faire. Devant l’Ancêtre, elle se sentait en confiance.

- Je ne sais pas quoi faire de mes journées, annonça Freijat.

- Tu peux baiser, proposa l’Ancêtre.

Nul doute qu’il venait pour se nourrir, acte réalisable uniquement en ce lieu depuis l’événement avec le receveur de Freijat. Elle-même ne s’était nourrie qu’ici avec le soutien de Sahale puis seule. L’Ancêtre ne dérangeait pas l’acte en venant discuter avec son petit. Il s’agissait seulement de s’assurer que la nutrition ne donnait pas naissance à un petit ou que le supérieur tuait sa proie devenue poreuse.

- Je ne veux pas, répondit-elle poliment.

- Quel dommage, répliqua l’Ancêtre. Tu te prives de quelque chose de fantastique. C’est différent que quand tu étais humaine.

Voilà qui confirmait Freijat dans son choix. Elle ne voulait pas diminuer la beauté de ses souvenirs de ces moments merveilleux avec Kre-mi. Si elle vivait l’extase, ne risquait-elle pas de trouver fades ces rencontres avec son bien-aimé ? Mieux valait ne pas prendre le risque.

- Les femmes supérieures sont rares alors tu risques de beaucoup recevoir cette proposition.

- Mes frères savent que je ne veux pas, précisa Freijat.

- Les autres Ancêtres te demanderont. Refuse poliment.

- Bien, Ancêtre.

- Pas baiser, donc. Tu peux interagir avec nos résidents. Si tu as le nez fin, tu peux devenir trieuse. Il s’agit de…

- Déterminer si enfant est source ou pas et désigner le meilleur couple pour une reproduction idéale, termina Freijat à la place de l’Ancêtre.

Ce dernier ne s’offusqua pas qu’elle lui ait coupé la parole. Au contraire. Il sourit et acquiesça.

- Ils font également le lien entre l’intérieur du domaine et l’extérieur en nommant une source nourriture, termina l’Ancêtre. Cela t’intéresse-t-il ?

- Non, admit Freijat.

- Tu peux apprendre avec Sahale et devenir guérisseuse.

Freijat grimaça en secouant la tête.

- Instructrice pour les sources ? proposa gentiment l’Ancêtre.

- Je n’ai pas envie de prendre soin de la nourriture. La chasser, oui. La bichonner, non.

- Tu n’as aucune obligation de le faire. Tu peux passer tes journées au domaine.

- J’ai envie de m’éloigner. Non pas que ta proximité me soit déplaisante, se sentit-elle obligée de préciser. J’ai juste envie de visiter, de découvrir le monde.

- C’est compréhensible. Tu peux devenir ambassadrice, si tu veux.

- Ambassadrice ? répéta Freijat.

- Tu vas rencontrer les autres clans afin d’échanger avec eux. Sources contre sirop d’érable. Nous avons les meilleures. Tu en sais quelque chose. Notre cheptel est d’excellente qualité.

- À n’en pas douter, répondit Freijat en souriant.

Freijat avait explosé les records en survivant aussi longtemps. Ses enfants suivaient le même chemin. Seuls trois enfants avaient été vendus, aux trois clans proposant le plus. Les autres avaient été jalousement gardés afin de créer la génération suivante.

- Je ne crois pas qu’une femme ait jamais été ambassadrice. Si tu te rends au sein des autres clans, tu vas crouler sous les propositions.

- Ils vont devoir apprendre à ne pas m’approcher, grogna Freijat.

- C’est dommage. Le sexe est un bon moyen d’obtenir gain de cause lors d’une négociation.

- Je ferai autrement.

- À ta guise, répondit l’Ancêtre amusé.

Combien de propositions Freijat dut refuser ? Elle cessa rapidement de compter. Cela prit du temps mais finalement, les supérieurs de tous les clans furent au courant de son vœu de chasteté et l’acceptèrent. Certains tentaient malgré tout, sans jamais obtenir gain de cause. Freijat vivait dans le souvenir de Kre-mi.

Elle découvrit des clans aux mœurs différentes mais fut vite douée en relations. Les échanges se firent avec respect et tolérance, toujours dans un gain mutuellement bénéfique. Freijat s’épanouit sans ce rôle. Seul bémol : elle ne voyait que fort peu Sahale, rendant les retrouvailles tendres et câlines, même si les deux amoureux se contentaient toujours de simples caresses et de mots doux.

Freijat trouva sa place et fut reconnue par ses frères, souvent félicitée par l’Ancêtre. Elle aimait cette vie douce et calme, très active, à bouger, sans jamais tenir en place, proche de ses chiens et de la nature.

 

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Freijat sortit de la salle du trône. Elle venait de faire son compte-rendu à l’Ancêtre. Sa dernière négociation n’avait rien donné. Il ne lui en avait pas tenu rigueur. La mission était presque impossible. Il s’attendait au refus.

Elle se figea en constatant la présence de Sahale. Elle lui sourit, ravie qu’il soit là. C’était si rare ! D’habitude, il passait ses journées auprès des humains, à la soigner. Son ton grave lui fit perdre tout enthousiasme. Elle eut soudain très peur. Pourquoi se trouvait-il là ?

- J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer, indiqua-t-il sombrement.

Freijat en resta figée. Il lui prit tendrement les mains. Son visage affichait une intense gravité. Il n’était pas triste mais angoissait visiblement de la réaction de son amie.

- Kre-mi est mort, annonça Sahale.

Freijat se fichait de la vie humaine, conséquence de sa transformation en Vampire. Elle avait déjà tué une dizaine de sources et n’en avait cure. Sauf que cet humain-là comptait. Freijat se sentit mal à l’intérieur, comme si son cœur venait de se faire transpercer d’une aiguille de feu.

- De vieillesse, précisa Sahale. Il a eu une belle vie, heureuse, comblée. Ils vont l’enterrer. Veux-tu participer à la cérémonie ?

Freijat hocha positivement la tête. Il l’emmena et elle le suivit. Ils restèrent un peu à l’écart. Les humains les virent et si leur présence les gêna au départ, ils oublièrent vite les deux supérieurs qui les observaient en silence, immobiles, main dans la main, l’homme le visage fermé et la femme en larmes.

Une fois la cérémonie terminée et l’endroit vidé, Freijat s’avança, Sahale restant en arrière afin de la laisser dire adieu à son bien-aimé de manière intime.

Freijat déposa un collier d’os sur la tombe et pria les ancêtres, la nature et la vie, selon les rituels de son village, de celui qui avait été le sien, quand elle était humaine, vie lointaine et en même temps proche.

Finalement, elle revint vers Sahale qui resta silencieux. Il la raccompagna à la maison et resta avec elle tout le reste de la journée.

La sensation était étrange. Freijat pleurait un amour perdu, pas un humain décédé, vie sans importance, dénuée d’intérêt à ses yeux de Vampire. Elle pleurait un espoir à jamais broyé.

Sahale recueillit sa peine sans montrer la moindre once de jalousie ou d’agacement. Il n’en exprima pas davantage lorsqu’elle refusa encore un quelconque rapprochement physique. Il semblait s’en moquer et prendre les choses avec philosophie.

Le lendemain peu après l’aube, Sahale partit s’occuper des humains. Freijat se nourrit dans la salle du trône puis monta tout en haut du haut bâtiment de pierre. Elle observa l’horizon et soudain, le domaine lui parut trop petit. Elle voulait aller voir ailleurs.

Elle harnacha ses chiens et partit. Nul ne l’en empêcha. Les supérieurs pouvaient aller et venir. De plus, Freijat, ambassadrice, se déplaçait très souvent pour rejoindre les clans voisins.

Elle partit plein est, ne s’arrêtant que pour nourrir ses chiens et leur offrir du repos. Elle ne sut quand elle passa la frontière. Ce fut en plein après-midi qu’elle aperçut un campement à l’horizon. Elle l’approcha sans chercher à se cacher. Une dizaine de tentes, un feu, des outils au sol. Les occupants avaient fui à son approche. Pourquoi ?

Un craquement la fit se retourner. Une lance se ficha dans son torse, frôlant le cœur d’un cheveu. Le propriétaire de l’arme – une femme – s’approcha prudemment, accompagnée d’autres femmes de son clan, lances prêtes à tirer.

Freijat regarda son torse. Un doigt à droite, et elle ne serait plus là. Sahale l’avait pourtant mise en garde : les humains de dehors savent les reconnaître et sont belliqueux. Ils attaquent à vue.

Freijat respira, plus pour s’aider mentalement que parce qu’elle en avait besoin, attrapa la lance et la retira avant de la poser au sol avec douceur. Elle se recula d’un pas avant de regarder les femmes qui tremblaient.

Freijat comprenait que ces humaines puissent avoir peu. La blessure s’était refermée sans laisser perler une goutte de sang.

- Je ne vous veux aucun mal, assura Freijat.

Les femmes se regardèrent, interloquées, puis l’une d’elle parla. Des sons sortirent mais Freijat ne comprenait pas. Elle ignorait qu’il put exister une autre manière de s’exprimer que celle ayant lieu aux domaines. Elle écouta ces femmes échanger. L’une d’elle arma son bras et la lance fila. Freijat l’évita sans difficulté.

- Je ne vous veux aucun mal, répéta Freijat dans leur idiome, que sa mémoire parfaite lui avait permis d’appréhender rapidement.

- Tu es un filou ! l’accusa une femme.

Freijat connaissait et partageait ce mythe de la création. La comparaison l’amusa. Dans son village, personne n’aurait eu idée d’associer filou et supérieur mais Freijat dut admettre que cela se tenait. Les filous possédaient de nombreux pouvoirs. Logique que ce peuple ait pu les lier.

- Oui, mais un gentil filou, précisa Freijat qui n’ignorait pas que les deux puissent exister. Je vais à l’ouest, avec d’autres comme moi. Nous sommes gentils. Nous ne vous ferons aucun mal.

Les femmes échangèrent des regards inquiets. Il était évident qu’elles ne la croyait pas.

- Si vous voulez, je peux vous protéger des méchants filous, proposa Freijat. Si vous savez où il y en a un, je peux vous en débarrasser.

- Au lac brillant, murmura une gamine.

Une adulte lui ordonna d’un ton sec de se taire.

- Le lac brillant ? J’ignore où ça se trouve. Montrez-moi !

La gamine fila entre les jambes de ses sœurs, mères et tantes et fit signe à Freijat de la suivre. La supérieure le fit volontiers, sous les sourcils froncés du reste féminin du clan.

La gamine désigna l’étendue d’eau dans le lointain. L’endroit rayonnait. Les eaux limpides reflétaient les nuages passant dans le ciel. Les arbres verts, orange et jaunes semblaient, par effet miroir, toucher le fond du lac.

- J’adorais me baigner là-bas. Je ne peux plus, chouina la gamine.

Freijat acquiesça avant de faire signe à l’enfant de se taire. La fillette obtempéra. Elle s’accroupit et devint totalement silencieuse. Freijat reconnut là l’habitude d’une apprentie chasseuse. Très beau potentiel, constata la supérieure.

Freijat huma le vent et écouta les écureuils. Des moucherons dérangés l’informèrent d’une présence qui se voulait invisible. Raté. Freijat connaissait son emplacement. Sahale lui avait appris à se défendre. Elle se souvint des combats amicaux, moments de pure complicité.

Cette fois, ça n’était pas pour rire. Son adversaire ne se laisserait pas faire. Freijat s’écarta et pour disparaître sous les arbres. La fillette ne bougea pas. Freijat se figea derrière un arbre. Cette gamine serait un appât bien appétissant, elle n’en doutait pas.

L’attente paya. Le Vampire apparut, toutes dents sorties. La gamine bondit en hurlant mais le monstre était déjà sur elle. Freijat lui arracha le cœur alors qu’il se nourrissait. Il disparut en fumée, ne laissant que ses vêtements de cuir derrière lui.

- Il ne vous empêchera plus de venir vous baigner, annonça Freijat.

- Tu l’as laissé me faire du mal ! Tu es méchante ! pleurnicha la gamine.

- Il est mort, insista Freijat. Tu peux prendre ses vêtements en contrepartie de ta souffrance.

La gamine lui lança un regard noir.

- Je suis un filou, rappela Freijat avant de s’éloigner.

Elle retourna au domaine.

- Où étais-tu ? demanda Sahale. Voilà des jours que personne ne t’a vu ! L’Ancêtre est très mécontent ! Tu n’es pas censée partir aussi longtemps sans être missionnée !

- J’ai le droit d’aller où je veux, répliqua Freijat.

- Non, la contra Sahale. Pas sans permission de l’Ancêtre. Tu es triste, je le conçois mais cela ne te donne pas le droit de disparaître de la sorte. Tu appartiens à notre communauté.

- Tu ne m’as jamais dit que je n’avais pas le droit de m’éloigner, répliqua Freijat qui se sentit soudain emprisonnée.

Sahale grogna. Il prenait sur lui pour ne pas s’énerver.

- Je ne t’ai pas non plus dit de ne pas pisser dans la salle du trône et pourtant, ça ne te viendrait pas à l’esprit de le faire.

- J’ai déjà pissé dans la salle du trône, répliqua Freijat. Quand j’étais source, poursuivit-elle sous le regard atterré de Sahale, dans un pot. Il fallait bien ! Je n’avais pas le droit de m’éloigner d’Ayaxoatl.

Sahale lui lança un regard brûlant avant d’exploser de rire. Freijat resta anxieuse. Elle ne savait trop qu’en penser.

- Sans déconner, poursuivit-il une fois un peu calmé. Tu étais où ?

- Je suis allée me promener. J’avais besoin d’air. J’ai rencontré les femmes d’un clan qui prononçaient des sons différents des nôtres pour s’exprimer. Je les ai libérées d’un Vampire qui les embêtaient.

- Tu as… quoi ?

- Elles m’ont prises pour un filou. Je n’ai pas nié. Tu m’as bien dit que les Vampires nomades envahissaient souvent notre territoire et s’attaquaient à nos résidents ? Ça en fera un de moins à nous faire chier. Ces humains savent nous reconnaître… fort bien ! En nous alliant à eux, nous nous épargnerons un travail fastidieux. De leur côté, ils limitent les risques. C’est gagnant-gagnant.

Sahale resta silencieux, les yeux exorbités.

- Sahale ? appela Freijat, inquiète. Ça va ?

- Va voir l’Ancêtre. Maintenant, siffla-t-il.

- D’accord, dit Freijat avant de se diriger vers la salle du trône.

Sahale lui emboîta le pas.

- Tu n’as pas besoin de m’escorter. Je comptais m’y rendre de toute façon. J’ai besoin de manger. La lance a frôlé mon cœur. J’ai besoin d’énergie.

- La lance ? Quelle lance ? s’exclama Sahale.

- Tu avais raison : ils sont drôlement perspicaces. Ces femmes m’ont attaquée sans sommation. Heureusement qu’elle visait mal.

Sahale secoua la tête, ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois avant de ronchonner dans sa barbe.

- Tu as pris des risques bien inutiles, ma fille, dit l’Ancêtre dès qu’elle fut devant lui. Tu n’es pas censée quitter nos terres.

- Je l’ignorais, précisa-t-elle honnêtement.

- Sahale aurait dû te le dire.

Le guérisseur grogna. Il murmura une suite de sons dans laquelle Freijat ne perçut que « pisser ». Elle dut se retenir d’exploser de rire.

- S’allier avec les humains ? Ma foi, c’est une idée à explorer, poursuivit l’Ancêtre. Jusque là, nous les avons toujours ignorés. Ces femmes ont accepté de discuter avec toi.

- Une gamine crevait d’envie de nager dans son lac préféré mais un Vampire l’empêchait d’y accéder. J’ai libéré l’endroit.

L’Ancêtre hocha la tête.

- Je te donne l’autorisation de poursuivre et d’accentuer cette alliance. Viens me faire des rapports réguliers.

Sahale en resta bouche bée. Freijat rayonna de joie. Elle se nourrit, passa un peu de temps avec le guérisseur, se nourrit encore puis repartit vers l’est. Elle retrouva le clan en soirée et cette fois, les hommes se trouvaient sur place.

- La nage a été agréable ? demanda Freijat à la gamine en apparaissant devant le feu.

Les hommes armèrent leurs bras.

- Non ! hurla une femme. Elle nous a libérés du filou au lac brillant.

- C’est un filou ! répliqua un homme.

- Un gentil filou, précisa la femme.

- Ça n’existe pas, contra l’homme qui, pourtant, retenait sa lance.

Freijat sourit avant de s’asseoir. Elle arracha une cuisse de l’oiseau qui cuisait sur le feu, se moquant de la légère brûlure, et commença à déguster avec bonheur la viande délicieuse.

- Vous mangez ! s’exclama l’homme.

- Oui, pourquoi ? s’étonna Freijat. Merci d’ailleurs. C’est très bon !

Les villageois la regardèrent avec des yeux ronds.

- Jamais filou n’a mangé. Vous ne buvez pas de sang ?

Freijat observa ses interlocuteurs. Pour s’en faire des alliés, mieux valait mentir sur ce point.

- Pas besoin, assura-t-elle. Ceci me suffit amplement, dit-elle en remuant son morceau de viande.

Des murmures s’échangèrent, nombreux. Freijat aurait pu les suivre tous mais elle s’en désintéressa. Ce groupe accepta de discuter avec elle. Ils la présentèrent aux voisins, et les voisins aux voisins. Bientôt, Freijat fut bien connue, assez pour qu’elle fut mise au courant des grands événements, heureux comme tragiques. Épidémie, mouvements de troupeaux, rassemblements religieux, les clans la prévenaient, requerraient même sa présence afin de protéger les fêtes.

Freijat apprit à se camoufler. Auprès des humains, elle clignait des yeux, respirait, bougeait. Elle perdait de l’énergie mais ses alliés la nourrissaient. Ainsi, les Vampires nomades ne repéraient pas sa présence et les tuer s’avérait être un jeu d’enfant. Elle les contournait, devenait parfaitement invisible, supérieure en chasse, le nez au vent et l’ennemi redevenait poussière.

Les clans humains lui en furent infiniment reconnaissants. Ils lui offrirent de nombreux présents. Lorsqu’il s’agissait de nourriture, elle se servait. Les bijoux, vases, assiettes et armes furent tous amenés à l’Ancêtre qui l’en félicita à chaque fois.

Sahale n’approuvait pas. Il craignait pour la vie de son amie. Freijat le rassurait : les nomades n’y connaissaient rien. Elle n’avait aucune difficulté à les tuer.

- Il suffit d’un plus malin que les autres, répliquait Sahale.

Freijat éloignait la remarque d’un geste de la main.

Un jour, pourtant, Freijat eut peur… mais ce ne fut pas d’un Vampire. Des humains à la peau claire firent leur apparition. Plutôt bienveillants, ils transportaient du bétail et réalisaient des échanges avec les clans, dans une nouvelle langue qu’elle ne mit pas longtemps à maîtriser. Ceux-là étaient nombreux et surtout, ils utilisaient des armes qui tiraient loin en faisant de gros dégâts. Elle apprit à utiliser ces fusils et pistolets à poudre mais aussi à les craindre.

Freijat prévint l’Ancêtre de la venue ces envahisseurs venus de l’autre côté de l’océan.

- Ils ne sont pas une menace, assura l’Ancêtre.

- Les clans se font décimer, répliqua Freijat. Ces hommes apportent des maladies contre lesquelles les humains d’ici ne sont pas immunisés. Ils tombent comme des mouches. Les survivants doivent se soumettre aux nouveaux venus ou mourir. Les nouveaux venus volent les terres, pillent la nature, s’approprient les lacs et les prés.

- Ils ne franchiront pas nos frontières. Va prévenir les autres Ancêtres. La surveillance aux limites doit être renforcée. Une fois ton tour terminé, retourne vers les humains, trouve les chasseurs de Vampires et allie-toi avec eux comme avec les précédents. Je compte sur toi.

Freijat s’inclina avant de remplir sa mission. Les autres Ancêtres l’écoutèrent avec attention et le nombre de supérieurs chargés de la surveillance des frontières augmenta.

Freijat se rapprocha des humains. Les nouveaux venus considéraient les Vampires comme une légende. Chez eux, il n’y en avait pas, de simples rumeurs de simples d’esprit. Ils avaient été très surpris de découvrir que la réalité ici était toute autre. Les balles leur avaient permis, sans trop de difficulté, de se débarrasser des buveurs de sang.

Ils écoutèrent cependant l’offre de Freijat avec intérêt. Ils acceptèrent la coopération. Ne pas pénétrer dans un petit territoire en échange d’une protection ne se refusait pas. Freijat apprit à les connaître et leur technologie lui fit froid dans le dos : élevage, charrette, maison en pierre et bois, maniement du fer, de l’acier, de la poudre, machine à vapeur, ils s’amélioraient à une vitesse ahurissante.

Bientôt, les natifs devinrent largement minoritaires. D’immenses navires portaient des hommes blancs, toujours plus nombreux. Ils firent même venir d’autres hommes, à la peau noire, pour les faire travailler à leur place. Freijat observa cela d’un œil indifférent. Tant qu’ils ne pénétraient pas leur territoire…

Ainsi, dans les domaines, la vie continua, entre tannage des peaux, roulement de tambours, sources naissantes et mourant après être devenues poreuses.

Tandis que dehors, les trains découpaient les paysages, les habitants des domaines restaient de simples chasseurs agriculteurs, dormant dans des tentes en peaux de bêtes et dansant autour du feu en priant les anciens, et s’en contentant très bien.

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