Encore en plein jour mais cette fois, en pleine ville. Julie s'en trouvait désemparée, déstabilisée. Il comptait vraiment la chasser ici, au beau milieu d'une métropole. Julie se trouvait à un carrefour. Elle le suivait, pensant qu'il comptait la faire monter dans un véhicule. Soudain, il s'était retourné pour lui dire les quatre mots fatidiques :
- La chasse est lancée.
Julie en était restée muette de stupéfaction. Des milliers de gens allaient et venaient. Il ne pouvait décemment pas l'attaquer ici, devant tout ce monde, ces caméras, ces yeux, ces témoins. Il ne pourrait pas tuer autant de gens ! Elle savait que son anonymat lui tenait à cœur.
Elle passa un moment à étudier la situation. En temps normal, elle avait cinq minutes pour aller se cacher avant qu'il ne vienne la chercher. Ici, elle se savait en sécurité tant que la foule l'entourait. Midi n'avait pas encore sonné. Elle avait donc encore beaucoup de temps avant la nuit et sa solitude.
Elle étudia son environnement, se demandant où se rendre, tentant de se rappeler tout ce qu'elle avait jamais vu ou lu sur les Vampires. Ils craignent le soleil, les religions - principalement le christianisme - et l'ail. Elle avait essayé les deux premiers, sans succès. Elle secoua la tête. Non, elle n'allait pas laisser une gousse d'ail la protéger. C'était ridicule.
Elle changea de point de vue. Elle n'était pas chassée par un Vampire d'opéra. Elle était une proie face à un prédateur. Une gazelle pourchassée par un lion. Une souris traquée par un chat. Son adversaire chassait. Pour cela, il utilisait ses cinq sens, rien de plus. Elle tenta de retrouver ses instincts d'animal. Changer d'odeur. Disparaître. Devenir quelqu'un d'autre. Elle secoua la tête. Oui, voilà ce qu'elle devait faire. Le surprendre. Profiter qu'il se croit vainqueur. Il ne la collait probablement pas, aimant chasser. Au contraire, il devait s'éloigner afin de se satisfaire encore plus de la difficulté.
Julie fronça les sourcils. Elle devait rendre la difficulté insurmontable. Traversant un restaurant, elle se retrouva dans les cuisines. Elle n'avait jamais fait ça. Elle se sentit pousser des ailes. Elle s'imagina l'héroïne d'un film d'action. Elle attrapa un reste de poisson dans une poubelle avant de sortir par la porte de service, tout en se savonnant du déchet puant.
Au premier clochard venu, elle échangea sa veste contre la sienne. Elle se débarrassa de ses chaussures hors de prix pour courir pieds nus, sautant dans chaque flaque sale. Quelques billets lui permirent d'acheter un jean, un tee-shirt, une casquette, une paire de chaussettes, des baskets, des sous-vêtements et un briquet. Les anciens habits griffés disparurent dans une poubelle en feu. Un parfum masqua sa trace olfactive.
Julie emprunta ensuite les transports en commun. Du monde, des odeurs, du bruit, elle se sentit en totale sécurité. Le métro l'amena à l'autre bout de la ville. Un autobus la fit changer de ville dans la nuit. Elle s'endormit, surprise de se réveiller au matin à l'arrêt dans une ville voisine et non dans la chambre d'hôtel. Avait-elle réellement réussi ?
Julie découvrit les lieux. La bourgade était jolie. Elle n'avait plus beaucoup d'argent en poche. Pas question d'utiliser la carte bleue illimitée de son prédateur. Il lui serait trop facile de la retrouver avec. Le petit objet avait été délaissé depuis longtemps, tout comme le téléphone portable.
Elle allait devoir rapidement trouver un emploi. N'ayant ni qualification, ni diplôme, ni papier, elle allait devoir se contenter de peu. Son illégalité déplut beaucoup à la première personne qu'elle croisa. La police arriva sur les lieux. La patronne fut surprise de voir un sourire sur le visage de la jeune femme. Julie s'en voulait : comment n'avait-elle pas pu y songer avant ? Bien sûr que la police pouvait l'aider et la protéger !
Elle suivit volontiers les deux hommes en uniforme jusqu'au poste de police. On la fit patienter puis un homme la pria d'entrer dans son bureau.
- Déclinez votre identité.
- Julie Admel, répondit-elle.
Il tendit ses doigts vers le clavier pour y inscrire la réponse lorsque la lumière s'éteignit et l'ordinateur avec. Le policier soupira, attendit quelques secondes et comme la situation ne s'améliorait pas, il se leva et annonça :
- Restez-là, je vais voir ce qui se passe.
Julie hocha la tête mais lui désobéit dès qu'il fut sorti. Ce qu'elle vit correspondait, malheureusement, à ses craintes.
Des cadavres jonchaient le sol, trop pour pouvoir compter. Tout le monde était mort. À cause d’elle. En se réfugiant auprès d’eux, elle les avait condamnés à mort. Non ! Elle se refusa à cette pensée. Il était le seul responsable et il allait payer.
Julie s'accroupit sur le cadavre du policier et attrapa son arme. Elle attendit, bien décidée à tirer sur son agresseur.
Une main lui arracha sans douleur l'arme des mains.
- Chasse en pause, indiqua-t-il en apparaissant devant lui.
Julie se figea. Il n'avait jamais fait cela. Que se passait-il ?
- Sais-tu te servir de cela ? demanda-t-il en montra le revolver dans sa main.
- Non.
- Dans ce cas, je t'interdis de te servir de ce genre d'armes. Je t'apprendrai à t'en servir car cela peut t'être utile mais je n'ai aucune envie que tu te tires par mégarde une balle dans le pied. Compris ?
- Oui, dit Julie.
- Chasse relancée.
Il avait disparu. Il était là, puis plus là, tout simplement. Un clignement d'œil et Julie se retrouvait seule avec les morts.
À cet instant, elle put de nouveau réfléchir. Elle comprit qu'elle n'avait jamais réussi à le berner. Il avait toujours été là. Le prédateur n'était pas un lion ou un chat. Il était au-delà, bien supérieur, bien meilleur. Julie était tout simplement incapable d'échapper à cela. Elle ne pouvait qu'essayer, sans jamais réussir. L'issue des chasses ne changerait jamais. Elle perdrait toujours. Seule échappatoire : le divertir suffisamment bien pour qu'il n'éprouve jamais le besoin de la chasser. Ce fut sur cette pensée qu'elle sentit ses crocs pénétrer sa chair tendre.