Chapitre 25 : Julie – Chassée (4)

Les mêmes mots, toujours aussi atroces à entendre. Pourtant, la surprise lorsqu’elle ouvrit les yeux fut telle qu’elle ne put s’empêcher de crier. La même route, sous le même soleil de plomb, devant le même désert vide et inhospitalier. Si elle suivait la route, elle retomberait sur le même village, celui-là même où elle avait été forcée de tuer l’homme d’église de ses propres mains. Elle recula, se retourna, et s’enfonça dans le désert.

Elle ne pouvait pas s’imaginer remettre les pieds là-bas. Regarder ces gens qui sauraient forcément ce qu’elle avait fait. Risquer leurs vies. Non ! Chaque pas sous le soleil brûlant l’affaiblissait. Elle butait sur les cailloux, plissait les yeux d’éblouissement, soulevait une poussière fine de sable et de terre sèche.

Sans montre, elle ignorait totalement combien de temps s’était écoulé avant qu’elle ne s’écroule, la gorge asséchée, l’esprit rêvant d’une simple goutte d’eau. Elle ne perdit cependant pas son courage. Elle ne voulait tuer personne et ne voyait pas d’autre solution. Elle devait se sacrifier. C’était le seul moyen.

Elle trouva la force de se relever et de continuer mais bientôt des hallucinations apparurent et un terrible mal de tête la força à s’arrêter, à genoux, respirant difficilement.

- Je ne te savais pas suicidaire.

- Je ne le suis pas, répondit-elle difficilement.

- Alors je suis heureux. J’ai réussi à t’amener à te suicider malgré toi.

Julie indiqua d’un geste qu’elle ne comprenait pas.

- Tu as choisi de t’enfoncer sans eau, ni nourriture, vêtue d’une robe courte et de chaussures à talons dans un désert brûlant, alors que tu aurais pu suivre la route qui, tu le savais, t’amenait à un village à moins d’une heure de marche. J’appelle ça se suicider.

- Vous auriez tué ces gens.

- Tu n’en sais rien. Je t’ai laissé un choix. Tu as choisi la mort. Ce n’est pas la façon la plus agréable de mourir mais c’est ta volonté et je la respecte.

- Aidez-moi, s’il vous plaît ! supplia-t-elle.

- Tu es censée me fuir, pas compter sur moi pour te sauver la vie. Tu t’es mise toute seule dans cette situation. Je suis heureux d’en avoir été le vecteur. Je vais tout simplement te regarder mourir et m’en délecter.

Il disparut à ces mots. Elle s'écroula, le nez dans la poussière aride, brûlante et sèche. Elle allait mourir ici. Il n'allait même pas daigner la mordre. Elle avait essayé de contourner le jeu. Elle le paierait de sa vie. Elle eut envie de pleurer mais son corps le lui refusa par manque d'eau. Les hallucinations s'amplifièrent. Les maux de tête se décuplèrent. Les vertiges, les nausées l'empêchèrent de se lever. Elle rampa quelques mètres.

Elle cligna des yeux et ils s'ouvrirent. Elle s'éveillait d'un rêve étrange, lointain. Était-ce un cauchemar ? Où était-elle ? La même route, le même désert, le même choix. Elle se regarda : les mêmes vêtements, les mêmes chaussures. Était-on le même jour ? Avait-elle rêvé sa traversée du désert ? Elle était seule. Personne à l'horizon. Elle se sentait bien. Pas de soif, pas de faim, pas de fatigue. Sa désorientation était totale.

Elle observa le désert et décida que non, décidément, non, elle n'irait pas là-bas. Quant à la route, c'était inimaginable. Le choix imposé était impossible. Elle secoua la tête. Elle ne voulait pas, ne pouvait pas. Elle devait bouger. Elle était censée le fuir. Elle voulait le fuir. Elle voulait qu'il disparaisse, loin, qu'il l'oublie. Ressentir ses dents dans sa gorge ? Plus jamais !

Julie avança sur la route, dans la direction opposée à sa première fois en ce lieu. Un camion la prit en stop et la déposa trois heures plus tard. Elle avait choisi de ne pas descendre au premier village venu. Dans ce bourg, les gens semblaient sympathiques et accueillants. Comment se débarrasser du monstre qui lui collait aux basques ? Elle se promena en ville, se mêla aux buveurs du bar, écoutant, guettant.

Elle entendit parler d'une vieille rebouteuse. Elle n'y croyait pas mais n'avait rien de mieux en stock. Une fois la boutique trouvée, elle entra dans un local à peine plus grand que des toilettes. La vieille devant elle n'inspirait aucune confiance et sentait la pisse de chat.

- Assieds-toi ! Je vois que tu es poursuivie et que tu cherches ta liberté.

Julie fut épatée. Comment pouvait-elle savoir cela ? Avait-elle réellement des pouvoirs magiques ?

- Tu veux être libre ? insista la vieille.

Julie hocha la tête.

- Il n'y a qu'une seule façon pour que ça se produise, annonça la vieille en chuchotant.

- Vous voulez de l'argent ? demanda Julie.

- Je n'ai que faire de pièces. Je me nourris du vent, précisa l'ancienne.

Julie soupira et fronça les sourcils. Comment cette femme gagnait-elle de quoi se nourrir ? De quoi vivait-elle ?

- Je vous écoute, dit Julie d'un ton las et peu convaincu.

- Tu dois danser nue sous la lune pleine.

Julie explosa de rire tant l'idée était stupide. La vieille ne broncha pas, gardant son regard mystérieux et secret.

- Veux-tu que je t'enseigne les pas de la danse de la liberté ?

- Non, merci beaucoup, dit Julie. Vous avez éclairé ma journée en me faisant rire et c'est déjà énorme. Je vous souhaite une bonne continuation. Croyez-bien que si j'avais de l'argent, je vous en donnerai. Prenez bien soin de vous.

Julie sortit en souriant. Décidément, ce monde était plein de gens bizarres.

- Un jour, mon père a vu un Vampire, dit un garçon en passant à côté d'elle.

- Pardon ? lança Julie.

- Un jour, mon père a vu un Vampire, répéta le garçon.

- Un Vampire ? reprit Julie, incrédule.

- Il a réussi à le faire fuir avec un trèfle à quatre feuilles. Si tu veux, je t'amène dans le pré de monsieur Lucien. Il y a plein de trèfles là-bas. Avec un peu de chance, tu en trouveras un à quatre feuilles.

- Qu'est-ce qui te fait croire que j'en ai besoin ? interrogea Julie.

- Il n'est pas loin, chuchota le garçon. Si j'étais toi, je me dépêcherai.

Julie fronça les sourcils et s'éloigna de l'enfant. Quelque chose était très bizarre. Julie se demanda un instant si elle se trouvait dans la vie réelle. Peut-être n'était-ce qu'une hallucination causée par la déshydratation. Se trouvait-elle toujours dans le désert, à l'agonie ? Ceci n'était-il qu'une création de son esprit ?

- Qu'est la réalité ? Ce que tu sens, vois, entends.

Julie se tourna pour voir la vieille rebouteuse. La lumière du jour ne la mettait pas en valeur. Elle était encore plus laide en pleine rue.

- Ceci est donc réel, conclut la vieille.

- Si vous n'êtes qu'une création de mon esprit, alors vous n'existez pas. La réalité vit en dehors de moi, répliqua Julie.

- Je ne suis pas une création de ton esprit, rétorqua la vieille d'un air outré.

- Vous semblez savoir tout ce que je pense et le garçon aussi, fit remarquer Julie. Comment cela est-il possible si vous n'êtes pas là ?

Elle montra une tempe.

- Quel garçon ? demanda la vieille.

Julie soupira avant de s'éloigner, sans même chercher le garçon. Ces gens fantôme ne l'intéressaient pas. Elle voulait juste trouver un moyen de disparaître à ses yeux sans causer de tort à personne.

- Je connais un moyen de le faire partir, dit un homme en se décrochant du mur contre lequel il était appuyé.

- Qui ? demanda Julie.

- Votre agresseur, votre prédateur, précisa l'homme.

Julie recula, autant interloquée que curieuse. L'homme s'approcha. Son regard, sa posture, ses gestes mesurés et précis, la main passée dans les cheveux, le sourire, tout indiquait qu'il la draguait.

- Je ne suis pas intéressée, précisa Julie.

- Couchez avec moi et il disparaîtra.

- Bien sûr, dit Julie. Et cent balles et un mars, ça marche aussi ?

- Je vous promets le résultat, assura l'homme en approchant toujours.

Julie regarda autour d'elle, sans s'occuper de l'homme qui venait vers elle. Elle ne le craignait pas. Elle soupira puis lança :

- Vous vous amusez bien au moins ?

- Non, grogna le prédateur en apparaissant derrière elle.

Julie constata que l'homme avait disparu, la vieille et le garçon aussi.

- Tu ne joues pas, lança-t-il d'un ton boudeur.

- N'écrivez pas de scénario de film. Vous êtes mauvais.

- Tu es méchante, dit-il comme un enfant vexé.

- C'est nul. Je m'ennuie probablement davantage que vous. Je vous vois venir à des kilomètres. Vous pensiez vraiment pouvoir me faire gober ça ?

- J'ai bien réussi à t'amener au suicide, répliqua-t-il d'un ton cinglant.

Julie grimaça. Cela, elle ne pouvait pas le lui retirer.

- Merci de m'avoir sauvé la vie, murmura-t-elle.

Il sourit.

- Je crois qu'il y a encore du potentiel en toi. Tu commences à me comprendre, à me cerner. Tu me distrais de mieux en mieux.

- Là, tout de suite, ça n'est pas une réussite !

- Tu refuses de jouer, rappela-t-il.

- Le jeu est inintéressant, pour vous comme pour moi.

- Fais mieux.

Elle sourit et hocha la tête. Il lui offrait la possibilité de se racheter. Pas de morsure. La chasse se clôturerait bien si elle lui offrait un jeu de meilleure qualité. Elle releva le défi. Il oublia de la mordre.

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