Chapitre 24 : Les pions avancent
Abzal
– Merci, vous pouvez me laisser, maintenant, dit Abzal en ajustant sa ceinture pour la énième fois.
Le valet sortit de la chambre en emportant ses effets de voyage, tandis qu’il vérifiait encore sa tenue. Il portait toujours un soin particulier à sa mise, mais aujourd’hui, le petit cérémonial de l’habillement avait duré plus longtemps que de coutume. Cela le réconfortait, sans doute. Une partie de son assurance reposait sur son apparence. Pour être tout à fait honnête, sa toilette lui avait également permis de retarder l’échéance de sa démarche. Il ne pouvait cependant tarder davantage. Il était resté loin de Terce très longtemps. À son retour, un rappel à l’ordre l’attendait d’ailleurs dans son courrier. Les princes avaient quinze ans depuis plus de dix lunes, il ne pouvait plus reculer.
Lorsqu’il parvint au cabinet du roi, les jumeaux en sortaient. Ils le saluèrent joyeusement, lui demandèrent des nouvelles de sa mission et prirent congé pour rejoindre Albérac qui les attendait. Ils avaient grandi, remarqua-t-il en les regardant s’éloigner. Leurs traits s’affirmaient sous leurs boucles brunes, et perdaient la rondeur de l’enfance. Il ne s’était pas encore habitué à entendre leurs nouvelles voix d’hommes, d’autant plus déconcertantes qu’elles avaient conservé les mêmes intonations malgré leur profondeur. Ils posséderaient le coffre et la tessiture d’Einold. Des voix de souverains, faites pour s’adresser au peuple du haut d’une tribune... La sienne était plus voilée, moins puissante, comme si la nature avait obéi à la Loi Régalienne. Comme il les aimait, ces enfants. Plus encore qu’il aimait leur père, peut-être. Son affection pour lui, il avait dû l’extraire de la jalousie qui le consumait et faire taire ses démons. Mais pour eux, son cœur s’était ouvert dès qu’il avait posé les yeux sur leur berceau.
Quand il entra, il remarqua immédiatement le changement qui s’était opéré sur Einold. La pensée absurde que les jumeaux lui avaient volé leurs forces neuves le traversa. Son frère semblait vidé de sa substance, amoindri. Même l’espace qu’il occupait derrière sa table de travail s’était réduit. Un vieillard aux cheveux blanchis, aux cernes noirs, au visage distendu lui faisait face.
– Bonjour, Abzal, dit le roi d’une voix éraillée. Assieds-toi, je voulais justement te v...
Il ne termina pas sa phrase, interrompu par une quinte de toux rauque qui lui soulevait la poitrine.
– Bonjour, mon frère, salua Abzal impressionné, quand Einold eut retrouvé son souffle. Es-tu souffrant ?
– La tournée dans le nord a dû me fatiguer un peu et j’ai pris froid pendant l’hiver. Mais parle-moi plutôt de ta mission.
Abzal se redressa. Il avait préparé son compte rendu soigneusement. Il devait à tout prix montrer des qualités de gouvernant, la suite en dépendait. Il exposa clairement la situation, la fréquence des attaques, les pertes et la stratégie militaire mise en œuvre pour y remédier.
– Les incursions sont menées par des bandes de paysans désorganisées. Leur réussite reste faible, mais ils réitèrent de plus en plus souvent. Le gouvernement de Rémance ne cautionne peut-être pas, mais ne réprime aucunement non plus. J’ai risqué plusieurs expéditions furtives au-delà de la frontière, pour tenter de comprendre. J’ai interrogé les fermiers, en m’enfonçant dans les terres. Ils sont beaucoup plus touchés que nous par le blé de cendre. Comme le pays est moins grand, leurs ressources sont très affaiblies. Les seigneurs achètent à prix d’or du grain au royaume de Marmane, mais pour le peuple rémancien, la famine s’installe. Voici pourquoi le souverain ferme les yeux.
– Mes fils ont eu l’idée d’augmenter la culture de l’albrui à Hiverine pour l’exporter vers les autres provinces. À l’heure qu’il est, Conrad fait abattre des arpents de forêt pour en produire davantage. Bien sûr, nous n’irons pas très loin avec ça, mais ça retardera le pire. Je vais envoyer une ambassade en Rémance pour suggérer au roi Wilhelm de faire de même sur leurs terres froides. Je suis même prêt à lui fournir les semences.
Il termina sa phrase essoufflé, le visage blanc comme un linge.
– J’ai croisé Venzald et Themerid en arrivant, lança gaiement Abzal pour alléger l’atmosphère. Ils semblent avoir profité de votre voyage : ils ont belle allure et ils paraissaient joyeux.
Un sourire étira les lèvres d’Einold.
– Je viens de donner mon consentement pour qu’ils se rendent à Arc-Ansange. Ils sont donc impatients de revoir les demoiselles de Hénan. Godmert a séjourné à Terce pendant ton absence et il les a invités dès qu’il a mis les pieds au château, les bras chargés de présents, comme à son habitude. Pour lui, les produits de sa province valent tous les trésors de la capitale.
Il eut un rire attendri en désignant une carafe de vin et un plat de pâtes de fruits, mais celui-ci s’étouffa et un nouvel accès de toux le secoua.
– Veux-tu que j’appelle pour qu’on recharge le feu ? demanda Abzal avec sollicitude.
– Non, non, ce n’est rien.
Abzal ne répondit pas tout de suite. Il se détestait de raisonner de la sorte, mais voilà que la santé d’Einold lui fournissait un argument pour arriver à ses fins.
– Et si... hésita-t-il, si ce n’était pas rien ? Pardon de te tenir de tels propos, mon frère, mais ton rôle et ma fonction de conseiller m’obligent à t’inciter à la réflexion. Tu parais épuisé. Et malade. Peut-être faudrait-il en parler ?
Einold sembla plus surpris par le cran de son cadet que par la possibilité qu’il soit plus mal qu’il le disait. Il se recula dans son fauteuil.
– Tu as raison, avoua-t-il. J’ai consulté Iselmar qui ne se montre guère confiant. Il ne s’explique pas mes symptômes, mais je suis malade, en effet. Les remèdes qu’ils me préparent me maintiennent assez bien, je dois le reconnaître.
Ses yeux étaient plantés dans ceux d’Abzal qui y vit une sorte de soulagement, comme une reddition après un combat de longue haleine. Le cadet baissa le front, admirant comme à l’ordinaire la force de caractère de son aîné.
– Je dois prendre les meilleures dispositions pour le royaume, à présent, déclara Einold. Et pour mes fils. Je pourrais en faire l’annonce au prochain Conseil restreint.
Nous y sommes, pensa Abzal.
***
Themerid
– Tu es sûr que nous devons chercher encore ? demanda Venzald d’une voix lasse alors que Themerid et lui descendaient aux archives. Nous avons déjà fouillé au moins cent heures et nous ne trouvons rien.
Il désigna la fenêtre devant laquelle ils passaient.
– Regarde, le printemps arrive, il fait beau ! Nous serions beaucoup mieux dehors que dans les caves du château !
Themerid leva les yeux au ciel en l’entraînant plus bas. Parfois, son frère lui donnait l’impression d’avoir encore dix ans.
– Arrête de faire l’enfant, laissa-t-il tomber. Je veux absolument en apprendre plus sur le père d’Abzal. Et toi aussi d’ailleurs. Si seulement tu étais capable d’un peu plus de patience...
– Oui, bien sûr, je veux trouver qui c’était. Mais à force de nous enterrer, nous allons ressembler aux maîtres-archivistes avec leur peau de parchemin ! plaida Venzald avec une moue dégoûtée. En plus nous ne savons même pas où chercher ni comment...
Il s’arrêta soudain.
– Père a bien dit que la reine Blanche avait risqué la destitution ?
Il reprit la descente à vive allure, manquant faire tomber son frère interloqué.
Une fois dans la pénombre des archives, il avisa un des maîtres qui travaillaient là.
– Amenez-nous les comptes rendus des séances des maîtres-juristes pour l’année de la naissance du seigneur Abzal, demanda-t-il.
Le vieil homme s’inclina.
– Mes princes. J’aimerais vous aider, mais ces volumes ne sont accessibles qu’aux seuls maîtres-juristes, justement.
– Pas au roi ? interrogea Themerid.
– Si, bien sûr.
– Alors c’est tout comme ! Donnez-nous ces livres, s’il vous plaît ! ordonna-t-il d’une voix ferme.
L’archiviste s’exécuta, sous le regard mi-admiratif, mi-amusé de Themerid.
Ils finirent par trouver ce qu’il cherchait. Les juristes avaient minutieusement consigné tout ce qui se rapportait à l’affaire.
L’époux de la reine Blanche mourut quand Einold avait cinq ans. Pendant longtemps, la souveraine se comporta de manière exemplaire, concentrée sur son devoir et sur l’éducation de son fils. Pourtant, au bout de huit années, il s’avéra qu’elle attendait un enfant hors mariage et qu’il ne serait bientôt plus possible de cacher son état. En reine responsable, elle en avertit elle-même les maîtres légalistes. Ceux-ci la mirent en demeure de tout expliquer, à la fois pour juger si sa faute méritait la destitution et pour parer au scandale qui pourrait survenir si la nouvelle filtrait hors des murs du château. Blanche avoua que le père était le médecin arrivé aux Cimiantes deux ans auparavant pour y exercer son art.
– Erkven Deryn, déchiffra Venzald. Quel nom étrange !
Les juristes avaient été jusqu’à inscrire le plaidoyer de la reine. Elle n’avait partagé qu’indifférence avec son époux. Il vivait sur son domaine en Bartillane et ne venait que rarement à Terce. Ses visites à son fils se comptaient sur les doigts des deux mains. N’avait-elle pas le droit de connaître le bonheur avec son médecin, si leur liaison restait secrète ? Elle n’en serait que meilleure reine. Fit-elle vibrer la corde sensible des maîtres ou estimèrent-ils que le risque était réduit ? Quoi qu’il en soit, les légalistes avaient classé l’affaire. Le guérisseur avait continué à exercer aux Cimiantes et l’on avait plus parlé de destitution. La souveraine avait tout de même dû feindre la maladie jusqu’à sa délivrance et envoyer son nouveau-né loin de Terce.
– J’aurais bien aimé la connaître, la reine Blanche ! conclut Venzald en souriant. Elle devait avoir un caractère bien trempé pour convaincre les maîtres-juristes. Ils n’ont pas la réputation de se laisser attendrir.
– Attends... Il est écrit que le médecin est resté au château. Il ne s’est donc pas volatilisé à cause du scandale. Il a disparu pour une autre raison.
– Au moins, nous avons découvert son nom. Sortons maintenant, je n’en peux plus de ce cachot !
– Non, tant que nous sommes là, je voudrais regarder si je le trouve dans la généalogie du royaume, décréta Themerid.
Venzald soupira si fort que les pages du volume se soulevèrent.
Deux heures plus tard, il gravait les armes des Kellwin dans le bois de la table à la pointe de son couteau sous les regards réprobateurs de l’archiviste, alors que Themerid s’acharnait toujours sur d’énormes registres. À vrai dire, ce dernier commençait à désespérer, mais il continuait à chercher au hasard. Et aussi pour ne pas admettre devant Venzald qu’il avait tort... Peut-être allait-il tomber sur le nom d’Erkven Deryn à la prochaine page ?
Au moment où son frère suppliait pour la trentième fois de quitter les archives, un blason lui sauta au visage.
– Regarde ! s’exclama-t-il. Les armoiries de Kelm ! Ce n’est pas ce que nous cherchions, mais ça nous intéresse aussi !
Venzald lâcha son couteau pour lire en même temps que lui. Le seigneur Lain de Kelm, cousin d’Einold au second degré, avait été le successeur de la couronne. Il était mort à cause d’une chute de cheval l’année de la naissance des princes, reportant ainsi la succession au trône sur son fils aîné Baudri. Mais ce dernier avait disparu un an avant le décès du seigneur Lain. Suite à une enquête, la prévôté du royaume avait appris que les hommes dépêchés par son père pour le rattraper l’avaient vu tomber dans un précipice, mais n’avaient jamais retrouvé son corps. Compte tenu de son importance pour Cazalyne, on l’avait recherché plusieurs années encore, en vain. Baudri de Kelm restait manquant, ni vivant, ni mort.
– Alors que se serait-il passé si père était mort avant nos quinze ans ? Qui lui aurait succédé ? interrogea Themerid.
– Aucune idée, la Loi Régalienne est tellement compliquée... Maître Elric a beau nous l’enseigner, je n’y comprends encore pas grand-chose. Peut-être l’un de ses frères et sœurs, s’il en avait ?
Ils replongèrent dans le volume. En effet, Lain de Kelm avait trois fils. Baudri, Lancel et Romary.
– Mais Romary est mort à l’âge de quinze ans, lut Themerid, le doigt pointé sur les caractères minuscules.
– Et Lancel... Ça alors, il s’est enrôlé dans le Haut-Savoir !
Themerid n’arrivait pas à saisir toutes les implications de cette découverte, mais il avait l’impression qu’un représentant de l’Ordre si proche du trône ne pouvait être une bonne chose. Cette information avait peut-être été consignée longtemps auparavant, quand personne ne voyait encore le Haut-Savoir comme une menace.
– Nous devrions en parler à Père.
– Inutile pour le moment, rétorqua Venzald. Il prépare le Conseil, il n’écoutera pas. Et puis, il a l’air si fatigué... Ça attendra bien trois jours !
***
Flore
À Arc-Ansange, l’étude de l’après-midi prenait fin. Flore glissa à Elvire qu’elle comptait faire une nouvelle visite à Sara et à sa mère le lendemain matin. Depuis qu’elles avaient rencontré Carem, les deux sœurs se rendaient régulièrement auprès d’elle et de Sara. Elles cherchaient comment éviter à la jeune femme de travailler à l’auberge de Tourrière et de laisser sa fille seule.
Elvire semblait mélancolique. Elle restait muette sur le sujet, mais Flore savait qu’il n’était pas facile de remettre en question ce qu’on croyait depuis toujours. Si la haine unanime pour les bouchevreux n’était pas justifiée, sur quelles autres vérités fallait-il revenir ?
– Je viendrai avec toi, annonça la cadette. J’ai pris quelques provisions aux cuisines pour les apporter à Carem. J’ai peut-être une idée pour que Sara ne reste plus seule.
Flore ressentit une bouffée d’amour et de fierté. Elle attrapa la main de sa sœur et la porta à ses lèvres pour en embrasser la paume, comme leur mère l’avait toujours fait avec elles pour leur témoigner sa tendresse.
– Tu m’expliqueras demain, en chemin, chuchota-t-elle en entendant quelqu’un dans la pièce voisine.
Elles demeurèrent silencieuses au dîner, laissant la parole à Alix qui racontait sa visite du jour chez Fourchetou. En l’absence de Godmert — l’autre bavard de la famille —, elle soliloquait sous l’œil attendri de Mélie.
– Où est Père ? interrogea Elvire pendant qu’Alix reprenait son souffle.
– Il a été demandé à Tourrière, répondit sa mère. Apparemment, il y a eu de l’agitation, aujourd’hui.
– De l’agitation à Tourrière ? s’exclama Flore, surprise. Il ne s’y passe jamais rien, d’habitude.
– Ce n’est sans doute qu’une discorde entre commerçants. Il ne tardera probablement pas.
Alors que chacune se préparait à monter se coucher, Godmert entra enfin dans la grande salle. Ses bottes et le bas de son bouffetin étaient crottés de boue. Exténué, il se laissa tomber sur un fauteuil en soupirant.
– Alors, pourquoi avez-vous été appelé ? s’informa Mélie. Vous semblez contrarié.
– En effet ! L’Ordre du Haut-Savoir a encore fait des siennes ! Comme si je n’avais que ça à faire, aujourd’hui !
– À quel propos ?
– Quelques soldats de chez eux — il paraît qu’on les nomme les pélégris — sont arrivés au bourg cet après-midi en hurlant à travers leurs masques qu’ils avaient découvert des bouchevreux vivant tout près d’ici et qu’ils se servaient de leur mange-pensée sur tous les imprudents qui passaient dans le bois.
Ses deux filles aînées échangèrent un regard affolé.
– Ces marauds ont si bien crié et effrayé tout le monde qu’une bande d’enragés est partie vers la forêt à la tombée de la nuit. Ils ont brûlé une cabane avec ses habitants.
Flore se couvrit la bouche d’une main tremblante. Elvire ne put retenir un gémissement que Godmert n’entendit pas, tout à ses récriminations.
– Comme le roi a interdit les exécutions sauvages, j’ai dû condamner au bâton tous ceux qui avaient participé, et je déteste ça !
– Et ceux qui ont été brûlés ? interrogea Mélie. C’étaient vraiment des bouchevreux ?
– Aucun moyen de vérifier ! Pourtant j’ai été jusqu’à patauger dans la boue et la neige fondue pour inspecter les lieux. En pleine forêt ! Ça aussi ça va faire désordre, chiabrena ! La prévôté va me tomber sur le dos ! Il s’agirait d’une femme qui travaillait dans l’une des tavernes de Tourrière, et d’un enfant.
Elvire se précipita hors de la pièce.
– Bonsoir Père, bonsoir Mère, lâcha Flore d’une voix tremblante avant de suivre sa cadette en courant.
Elle la rejoignit dans sa chambre et les deux sœurs s’étreignirent, s’efforçant d’étouffer le bruit de leurs sanglots alors qu’elles auraient voulu hurler de chagrin.
– Quelle injustice, murmura Flore. Elles ont dû avoir si peur...
– Elles ont dû croire que c’était nous qui les avions dénoncées, souffla Elvire en pleurant de plus belle.
Elles s’étendirent sur le lit, toujours serrées l’une contre l’autre, et restèrent longtemps ainsi dans l’obscurité, après que la bougie se fut éteinte.
Elvire finit par s’endormir d’un mauvais sommeil. Mélie, en entrouvrant la porte de la chambre, les trouva enlacées. Voyant que les yeux de Flore n’étaient pas fermés, elle lui caressa les cheveux.
– Le récit de ton père m’a aussi attristée, murmura-t-elle. La mort d’un enfant, même un de ceux-là, laisse toujours une impression de gâchis. Nous en reparlerons demain, si tu le souhaites. Dors, maintenant, ma fille.
Elle sortit en refermant doucement le battant. Flore pensa que le sommeil ne viendrait plus jamais.
Elle eut pourtant beaucoup de mal à soulever ses paupières lorsqu’elle sentit qu’on la secouait. Elvire ouvrit comme elle des yeux gonflés. Une servante agitée se tenait près du lit.
– Demoiselles, habillez-vous, vite ! Il faut sortir, le castel est en feu ! On nous attaque !
Elvire se précipita sur la fenêtre pour écarter l’une des tentures. Elle poussa une exclamation qui incita sa sœur à la rejoindre. La nuit encore noire était traversée de lueurs orangées et mouvantes qui venaient du bas.
– C’est la tour ouest ! s’écria Elvire. Où est Alix ?
– Elle s’habille dans les appartements de votre mère, répondit la servante en jetant sur le lit des vêtements pour chacune d’elle.
– Là-bas ! cria Flore en désignant un point à travers la vitre. Il y a autre chose qui brûle ! On dirait... C’est Boulangue ! Il faut prévenir Fourchetou et sa famille !
– Sara ! souffla Elvire les yeux écarquillés. Elle nous avait parlé du feu.
– Je vous en prie, Demoiselles, enfilez vos habits et éloignez-vous de la fenêtre !
Elles s’exécutèrent rapidement, tous les sens en alerte. On entendait Godmert hurler des ordres depuis le hall, les échanges des serviteurs, la voie de Mélie encourageant sa benjamine. Le grondement sourd de l’incendie gagnait en intensité et l’odeur de fumée commençait à piquer le nez et les yeux.
En descendant l’escalier, elles entendirent un cri venant de l’extérieur :
– Ils se rapprochent !
Godmert ferma vivement la grande porte au moment même où plusieurs projectiles enflammés traversaient les fenêtres du hall.
– Passez vos manteaux et filez vers l’office, leur ordonna de Hénan. Je vous rejoins.
– Mais qui nous attaque, Père ? s’exclama Elvire stupéfaite.
– Je n’en sais rien ! Le royaume est en paix depuis des lustres ! répondit Godmert, rageur. Allez vous mettre à l’abri, vite !
Elles obéirent, suivies par Mélie et Alix et les trois servantes de la maison. Après quelques instants, le seigneur de Hénan entra dans la pièce accompagné de six des gardes du castel.
– Vous allez gagner les écuries le plus rapidement possible. La voie est dégagée de ce côté, dit-il en indiquant la porte extérieure de l’office. Prenez vos chevaux et fuyez vers Terce. Réfugiez-vous aux Cimiantes. Ces soldats vont vous escorter.
– Et vous, Père ? cria Alix en tendant les bras vers lui.
– Je dois rester pour me battre. Partez ! je vous retrouverai à Terce !
Le groupe courut vers le bâtiment qu’on distinguait à ses pierres grises. Les montures furent rapidement harnachées. Les hommes aidèrent les servantes effrayées à se mettre en selle à la lumière des flammes qui gagnaient maintenant les étages du castel. De grandes langues rouges sortaient du toit de la tour ouest.
– Ma chambre ! sanglota Alix. Père !
Un des gardes donna une claque sur la croupe de sa petite jument et la troupe s’éloigna au galop.
J'ai adoré ce chapitre, c'est sans doute mon préféré depuis le début. Alors... par où commencer ?
Bon, Einold prend un sacré coup de vieux, c'est vraiment suspect. Le mystère Abzal continue de s'épaissir et mon envie de découvrir la vérité à son sujet est incroyablement frustrante ^^
Le passage sur la généalogie royale est passionnant, on y découvre le passé du royaume, l'histoire de la reine blanche, ça épaissit ton univers et c'est très appréciable. Je suis vraiment un bon public pour ce genre de chapitres (archives, cryptes...) mais celui-là m'a paru particulièrement excellent. On a une meilleure vue d'ensemble de la famille royale.
A propos, j'avais oublié lancel mais maintenant qu'ils en parlent je me rappelle de lui, il avait refusé de rejoindre son frère, quel rôle joue-t-il celui-là ? Ma petite théorie c'est que l'ordre veut se servir de lui pour prendre le trône et va le faire réapparaître après la mort d'Einold (ça résoudrait certains mystère mais pas tous).
Baudri m'intrigue aussi terriblement ? Il n'a pas pu disparaître comme ça ? Va-t-il venir sauver la situation dans le dernier chapitre du tome 2 en bon deus ex machina ? J'imagine que tu as prévu quelque chose d'un peu plus complexe xD
Quand à l'attaque, je ne m'y attendais pas du tout. Je suis incapable de dire qui la mène et pourquoi. Cet emballement de l'histoire n'est clairement pas pour me déplaire.
Bref, plus que jamais je suis conquis par cette histoire,
A très bientôt (=
Einold décline en effet. Est-ce que quelqu'un l'aide ou est-ce que son heure est simplement venue ? Va savoir... ;)
J'aime bien ce passage sur la généalogie, en effet, et tu verras que ça prend encore plus d'importance dans le tome 2. Quant à l'histoire de la reine Blanche, j'aurais pu faire beaucoup plus court pour introduire le mystère autour du père d'Abzal, mais je trouve que c'est sympa pour l'ambiance de rajouter du background.
Tu as bonne mémoire pour Lancel ! Et justement, l'arc que je pense sérieusement à ajouter tournerait autour de lui et me permettrait de montrer l'intérieur de l'Ordre. A voir ensuite si ça se raccroche bien avec le reste (je ne t'en dis pas trop pour ne pas te spoiler).
C'est normal aussi que Baudri t'intrigue : son nom va réapparaître de plus en plus souvent jusqu'à la fin du tome 2.
Enfin, l'attaque d'Arc-Ansange... il va falloir être très patient pour avoir le fin mot de l'histoire, mais c'est comme le reste : il y a des indices qui permettent de deviner.
PS : ce chapitre n'est pas resté mon préféré très longtemps ceux qui suivent ne cessent de s'améliorer xD
Le tiraillement entre les deux princes est amusant, avec Themerid qui tient à continuer les recherches et Venzald qui voudrait faire autre chose.
Fin cruelle pour Sara et sa mère ! Et aussi pour tous les lecteurs qui espéraient qu’elles soient épargnées. Ce qui est curieux, c’est qu’elles sont piégées dans l’incendie que Sara avait prédit. Mais probablement que sa vision était trop vague pour qu'elles puissent anticiper. D’après la réaction de Mélie, les filles ne se sont pas trahies, malgré l’intensité de leur réaction. J’aime bien Mélie ; c’est une belle figure maternelle.
Si l’amant de Blanche n’avait pas un autre nom, j’aurais soupçonné Iselmar. Il était peut-être plus sympa autrefois et – qui sait ? – il avait peut-être du charme. Après tout, il a peut-être changé de nom… L’idée que l’amant ait « disparu » en intégrant l’Ordre est aussi intéressante.
Les érudits ont attisé la colère de la population. Ils ne sont peut-être pas les auteurs des attaques, ni même les instigateurs directs, mais dans le meilleur des cas, ils en sont partiellement responsables. Seulement, pourquoi attaquer le castel ? Il n’y a pas de bouchevreux dedans. Comme disait une autre plume, c’est une déclaration de guerre et la seule armée d’une puissance suffisante en dehors de celle du royaume est celle de l’Ordre. Oui, je tourne en rond. :-)
Coquilles et remarques :
— Comme il les aimait, ces enfants. [Je mettrais un point d’exclamation.]
— La tournée dans le nord a dû me fatiguer un peu [le Nord ; il s’agit d’une région]
— J’ai risqué plusieurs expéditions furtives au-delà de la frontière, pour tenter de comprendre. [Je ne mettrais pas la virgule.]
— J’ai interrogé les fermiers, en m’enfonçant dans les terres. [Je ne mettrais pas la virgule.]
— Arrête de faire l’enfant, laissa-t-il tomber. [Cette incise ne me semble pas judicieuse parce que le sens figuré ne saute pas aux yeux ; « assena-t-il », peut-être ?]
— Amenez-nous les comptes rendus des séances [Apportez-nous ; à moins qu’il faille un chariot.]
— Ils finirent par trouver ce qu’il cherchait. [ce qu’ils cherchaient ; s’il n’y en a qu’un qui cherche, il faudrait préciser]
— Les juristes avaient été jusqu’à inscrire le plaidoyer de la reine [Je dirais « étaient allés jusqu’à inscrire ».]
— Si la haine unanime pour les bouchevreux n’était pas justifiée, sur quelles autres vérités fallait-il revenir ? [Je mettrais « faudrait-il » parce que les prises de conscience viendront plus tard.]
— en jetant sur le lit des vêtements pour chacune d’elle [d’elles]
On peut bien avancer, quand on a une prise électrique qui fonctionne dans le train. :-)
Mélie est intéressante, mais j'avoue que je ne l'ai pas tellement développée, je ne sais pas pourquoi. Elle est complètement absente du tome 2, par exemple.
Iselmar, je n'ai pas calculé, mais je pense qu'il serait un peu jeune pour Blanche. Quoique... Mais je te détrompe tout de suite : ce n'est pas Iselmar.
"Seulement, pourquoi attaquer le castel ?" : bonne question... qui n'aura de réponse qu'à la fin du tome 2 ;)
Merci encore pour tes relevés de coquilles. Et merci pour ta lecture et tes commentaires. Je suis flattée que tu me consacres tout ce temps !
Donc Abzal n'avait peut-être pas à tuer le roi, mais "juste" à se faire nommer tuteur/régent des princes.
L'amant de la reine a donc possiblement été éliminé lui aussi. Leurs recherches vont payer, j'espère !
En tout cas, pas encore de lien, mais des similitudes.
Et l'Ordre.... l'étranger pour le bouchevreux du début, je suis quasi certaine que c'en était un.
Et là, je pense qu'ils les attaquent aussi.
Sara, pauvre petite.... mourir brûlées vives comme ça c'est horrible.
J'ai cru que du coup le feu était leur mort, et non l'incendie du château, mais paf, coup double !
Hâte de voir ce que la suite nous réserve !
Oui, j'ai tué Sara et sa mère... désolée. Je suis parfois sans pitié pour mes personnages (on me traite assez souvent d'auteure sadique, mais j'assume XD)
Je me régale toujours avec tes hypothèses, mais bien sûr, je ne dis rien ;)
Décidément le feu.. enfin LES incendies.. Putin d'ordre du haut savoir qui lance un chasse au sorcière et ils leur aura fallut peu de temps mais pourquoi aller attaquer jusqu'au Castel... C'est une déclaration de guerre.
Pauvre Sara, j’espérais naïvement qu'elle est survécu, qu'on parlait d'une autre fille mais bon...
Et le père d'Abdzal je ne le sens pas, Abzal non plus d'ailleurs.
Et oui, malheureusement, c'est bien Sara et sa mère, qui sont mortes...
Merci pour ta lecture !
Quelle fin tragique pour elle.... La pauvre !
Et c'est donc les erudits qui ont lancé cette chasses aux sorcières.
Je me demande vraiment quel est leur but
Et si le père d'abzal avait disparu Parcequ'il avait intégré cet ordre ??
En effet, elle t'a marquée Sara : tu te rappelles même de son prénom :)
Les érudits ont effectivement lancé la chasse, mais ils n'ont pas eu trop de mal : les bouchevreux sont détestés par la plupart des gens.
Donc un commentaire plutôt général pour te dire que je suis vraiment heureuse de découvrir cette histoire, dans laquelle je n'ai eu aucun mal à me plonger ! Je me suis très vite attachée à tes personnages, leurs caractères et leurs histoires !
J'adore l'idée de ces princes siamois, je crois bien que c'est la première fois que je lis un texte avec de tels personnages : c'est vraiment captivant et touchant de les voir évoluer ensemble, d'observer tout ce qui les lie mais également ce qui les différencie. Tout ça est vraiment super bien mené de ta part !
Et je tiens à m'excuser d'avance car le reste risque d'être assez décousu ^^"
Comme je suis fleur bleue et pleine d'espérance, j'ai espéré jusqu'au dernier moment que la reine survivrait (il faut dire qu'avec tout ce qui avait été mis en place, l'espoir était de mise !). Le premier choc a été d'apprendre qu'elle avait été empoisonnée : quel retournement de situation ! J'avoue que je ne m'y attendais pas du tout, c'était une vraie surprise.
Mon deuxième choc a été à la fin du chapitre 21 quand Abzal reçoit cette fameuse lettre, ce qui m'a arraché plusieurs "Oh non !" de désespoir. A ce stade, je ne peux juste pas croire qu'il puisse vouloir du mal à son frère ou à ses neveux, c'est impossible ! Avec le recul, je me dis qu'on n'en sait finalement assez peu à son sujet mais je pense qu'il n'a pas forcément eu une vie facile. Et puis il y a le fait qu'il soit un devineur... un "détail" qui finira forcément par avoir son importance, à mon avis. Peut-être même est-ce déjà le cas, une vision qu'il aurait eue et qui expliquerait ses agissements.
Et là, juste maintenant, 3ème choc avec la nouvelle de la mort de Carem et Sara ainsi que l'attaque d'Arc-Ansange. Plein de choses importantes semblent s'enchaîner en ce moment, au point que c'était même presque difficile de m'arrêter dans ma lecture pour t'écrire ! xD
Tout ce qui touche aux devineurs paraît tellement injuste ! En tout cas, en tant que lecteurs, on peut voir qu'ils sont clairement victimes de l'ignorance et de la peur. C'est dur de voir jusqu'où tout cela peut mener, comme pour cette pauvre mère et sa fille...
Et puis il y a tous ces mystères autour de l'Ordre du Haut-Savoir ! Comme tes personnages, on sent qu'il y a un truc qui cloche avec eux mais sans parvenir à mettre le doigt dessus. Ça a un côté un peu frustrant mais c'est surtout inquiétant : parce qu'on a l'impression que quand on comprendra enfin ce qu'ils préparaient, il sera trop tard.
En bref, avec tout cela, je vois mal comment je ne pourrais pas avoir envie d'aller découvrir la suite sans tarder ! C'est partiii !
C'est indéniablement vrai : j'ai opté pour un début assez lent, finalement, où les enjeux ne sont pas forcément très nets. J'ai eu la chance de bénéficier de nombreux retours et la plupart des lecteurs n'ont pas été gênés, mais je suis consciente que mon roman a une structure assez inhabituelle, qui peut-être embêtante si on considère que c'est du jeunesse ou même du IA (ce dont je ne suis toujours pas certaine, en fait :) ).
Ton côté fleur bleue risque d'être un peu mis à l'épreuve, je dois te prévenir... J'ai plusieurs fois été taxée d'auteure sadique, d'ailleurs (j'assume complètement !), à la fois pour les personnages et pour le lecteur ;). Il est possible que tu aies encore quelques chocs... D'autant que tu arrives juste au moment où les événements vont sérieusement accélérer ! J'espère que la suite te plaira autant.
Un énorme merci pour ta lecture et ton commentaire qui fait chaud au cœur !
A bientôt !
Merci beaucoup pour ta réponse ! =D
Non effectivement, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde ! En fait, personnellement, ça ne me dérange absolument pas que l’histoire mette un peu de temps à démarrer comme tu dis. Certes, l’intrigue se dévoile petit à petit, mais ce n’est pas comme s’il ne se passait absolument rien entre temps non plus. En ce qui me concerne, j’aime beaucoup découvrir l’environnement dans lequel évolue les personnages ainsi que les réflexions et l’évolution desdits personnages. Je pense que c’est aussi une part importante de l’histoire, cela aide à mieux visualiser l’univers dans lequel on est plongé et à s’attacher davantage aux personnages.
Enfin, c’est mon avis en tout cas ! ^_^
Et, si je te dis ça, c’est peut-être aussi parce que je suis un peu dans le même cas avec Une vie de château où l’intrigue prend un peu de temps pour se dévoiler. Mais c’est un choix de ma part (et aussi une chose avec laquelle je me sentais plus confortable).
De toute façon, il n’y a pas vraiment de juste ou faux. C’est plutôt une question de ressentis personnels et c’est toujours très subjectif. L’important, c’est que toi tu sois en accord et confortable avec ça !
Quant à classer son texte dans une catégorie ou une autre, je trouve que c’est super compliqué personnellement !
Aucun souci pour mon côté fleur bleue, ne t’en fais pas ! Après tout, c’est aussi ça la beauté du travail d’auteur/trice : pouvoir faire vivre des émotions aux lecteurs. Si ce n’était que des émotions positives, on finirait peut-être par s’ennuyer. Mes réactions prouvent que ton texte me touche, fait résonner des choses en moi, alors merci pour ça !
Oui les choses s’accélèrent effectivement ! Je peux déjà te confier que ton 25ème chapitre lu ce matin m’a fait pousser plusieurs « non, c’est pas possible ! » désespérés ! T^T