Chapitre 24 - Liam

Liam observait les colonnes blanches qui se dressaient au bout de la plaine, défiant impertinemment la mer de leur hauteur. Devant lui s’étendait Ornate, la majestueuse cité côtière où il avait grandi. La capitale s’élançait en une multitude d’immenses tours albâtres, comme si elles voulaient percer le ciel. De là où il se trouvait, il pouvait presque percevoir les centaines de passerelles qui s’étiraient entre les tours, créant de merveilleux labyrinthes aériens. Celle que l’on surnommait la Cité Blanche était une étrange somptuosité qui semblait se plonger dans la mer, tel un mirage fragile. Près de lui, ses hommes s’agitaient, impatients. Ils rentraient enfin chez eux.

Après le Conseil auquel ils avaient assisté, Liam et Mikhaïl s’étaient séparés. Le jeune prince était reparti en compagnie de son père et de son frère avec l’escorte d’Ombres qui avait accompagné le roi jusqu’au monastère. Liam, lui, avait rejoint Naerys grâce au portail ouvert pour la reine et le roi de Carreau, et reprit la route avec ses soldats. Ils étaient directement retournés sur les lieux de l’attaque du Kreiis pour examiner les alentours, à la recherche du moindre indice qui aurait pu les éclairer sur l’étrange comportement du monstre. Ni les restes calcinés de la bête ni les kilomètres sillonnés dans le périmètre ne leur avaient appris quoi que ce soit. Liam avait fini par renoncer et ils étaient finalement revenus chez eux, à Ornate, dans l’espoir que des Ombres y seraient déjà arrivées en renfort. Avec un peu de chance, il se disait qu’elles auraient peut-être en leur possession des renseignements cruciaux qui expliqueraient ce qui était arrivé à la créature qui les avait attaqués.

Liam s’engouffra dans les portes de la cité après s’être présenté au poste de garde. Comme il s’y attendait, les soldats de faction guettaient son arrivée et l’informèrent immédiatement que le roi requérait sa présence. Il confia son cheval aux écuries, libéra ses hommes et continua seul son chemin. Plus il se rapprochait des tours, plus l’odeur salée de la mer s’amplifiait. Un quart de la capitale était constitué de canaux et de ponts, formant un entrelacs de passages partant du port, dans la partie sud de la cité. Certains de ses canaux s’étendaient pour permettre aux barques de ravitailler les autres quartiers, mais ils étaient beaucoup moins nombreux au nord des tours.

Liam se dépêcha de rejoindre le palais. Dès son arrivée, il fut conduit à ses appartements où un bain chaud l’attendait. L’homme qui les avait informés de son retour avait fait vite pour réussir à arriver avant lui. Il se glissa dans l’eau, appréciant le contact apaisant de l’élément qui chassait la raideur de ses articulations après son long voyage, mais ne s’y attarda pas. Le roi l’attendait.

Les cheveux à peine séchés, Liam revêtit le long manteau blanc aux discrètes spirales brodées d'or, typique de la haute société du Royaume de Cœur, et se dirigea vers la salle de réception privée où il savait qu’il était attendu. Même si elle en avait le nom, la pièce ressemblait plus à un salon inondé d’une multitude de canapés et de fauteuils au velours rouge vif. Les murs blancs étaient recouverts de tableaux aux différentes inspirations avant-gardistes, comme on pouvait en trouver beaucoup dans le palais, et, ça et là, quelques présentoirs mettaient en valeur des sculptures abstraites de toute taille. De génération en génération, la royauté de Cœur avait toujours eu un goût prononcé pour ce type d’art que certains des royaumes voisins jugeaient d’extravagant. Il délaissa les œuvres des yeux et s’avança vers les deux occupants de la pièce. Le roi et le prince Mikhaïl étaient installés face à face et discutaient avec animation. Liam s’inclina devant eux.

— Mon roi, mon prince, les salua-t-il.

— Liam ! s’exclama le monarque avec entrain. Cesse donc de faire tant de cérémonie et rejoins-nous.

Le jeune commandant se redressa sans réussir à retenir son sourire et passa machinalement une main dans ses mèches rouges. Avant même qu’il puisse faire un seul pas, il fut percuté violemment par une petite fille. Celle-ci le serra si fort entre ses bras qu’elle aurait pu menacer de l’étouffer.

— Eh bien, Myläna ! Je suis déçu, tu ne m’as pas réservé un tel accueil, railla Mikhaïl en croisant les bras d’un air boudeur.

Liam baissa les yeux sur la petite tête blonde qui le fixait de ses grands yeux verts, le visage fendu d’un immense sourire. Il la souleva comme si elle ne pesait pas plus lourd qu’une plume et la fit tournoyer dans les airs. Bientôt, la pièce fut emplie de son rire et de celui de l’enfant. Lorsqu’il la reposa pour s’installer dans le canapé de velours, elle se précipita à sa suite et se posa à côté de lui. Mikhaïl les observait toujours, l’air faussement peiné.

— Tu es jaloux parce que ta sœur me préfère à toi ! Lui lança malicieusement Liam.

— Moi ? Jaloux ?

Le jeune prince semblait outré, mais Liam savait qu’il n’en était rien. Mikhaïl se lança dans une avalanche de mots incompréhensibles, tentant de trouver des arguments pour se défendre, mais ne réussit qu’à provoquer un fou rire au roi. Évidemment, Mikhaïl ne tarda pas à l’imiter. Cela faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas retrouvés ainsi, à profiter d’un moment d’insouciance. C’étaient les moments que Liam regrettait le plus quand il devait s’absenter loin de la cité. Mais c’était son devoir et il ne pouvait rien leur refuser. Il posa un regard bienveillant sur le monarque et ses enfants, sa famille adoptive. Le roi s’était montré si généreux en le recueillant, lui, un orphelin des bas quartiers. Ce jour-là, Liam avait contracté une dette qu’il s’était promis de passer sa vie à rembourser, aussi accédait-il toujours à toutes leurs demandes, même si cela impliquait parfois qu’il s’absente pendant longtemps. Heureusement, cet éloignement n’était pas toujours une mauvaise chose, puisque ça lui avait permis de voir Annyaëlle régulièrement durant des années, contrairement à Mikhaïl qui quittait rarement la capitale.

Face à Liam, le roi reprenait peu à peu contenance et finit par se pencher vers lui.

— Désolé de devoir te demander ça dès ton arrivée. J’aurais souhaité des retrouvailles plus détendues, mais quelles sont les nouvelles ?

— Comme vous me l’avez ordonné, mes hommes et moi sommes retournés sur le lieu de l’attaque. Nous avons quadrillé la zone pendant des jours, mais il n’y avait rien.

— Alors c’est une bonne chose, s’exclama le monarque.

— Peut-être. Ou le Kreiis venait de beaucoup plus loin.

Son frère adoptif se redressa dans son fauteuil.

— Il pourrait aussi s’agir d’un incident isolé. Nous ne savons même pas ce qu’est la chose que tu as vue sur la créature, c’était peut-être naturel après tout.

— Je ne sais pas Mikhaïl. Il n’y a pas moyen d’en être sûr, mais c’est possible. Je reste persuadé qu’il vaut mieux rester prudent et que nous avons bien fait de prévenir le Conseil.

Le père et le fils acquiescèrent en silence, partageant son avis. Myläna s’agita près de Liam, rebondissant sur les coussins de velours.

— Alors tu vas pouvoir rester avec nous ? demanda la petite fille.

Il lui tapota doucement la tête, amusé par l’espoir qu’il lisait sur le visage de la jeune princesse.

— C’est possible, lui répondit Liam en souriant, avant de se tourner vers le roi. A-t-on des nouvelles des Ombres ?

— Non, pas pour l’instant, mais ça ne devrait plus tarder. J’ai fait envoyer des messagers à travers le royaume comme tu le suggérais. S’il se passe quoi que ce soit d’anormal, nous serons tout de suite informés. Les quelques Ombres en faction ici attendent encore les directives des Grands-Maîtres et l’arrivée de leurs pairs en renfort. Il ne nous reste qu’à attendre.

— Tu vas rester ! s’exclama la fillette, au comble de la joie.

Le monarque posa un regard attendri sur sa fille, puis regarda à nouveau son fils adoptif.

— Liam, s’ils jugent la menace sérieuse, je veux que tu diriges l’équipe de recherche. En attendant, tu as quartier libre, repose-toi et profite d’être rentré au pays.