Chapitre 25 : Dans la tourmente des souvenirs

J'étais allongé dans mon lit, tentant de trouver le sommeil, en vain. Il était deux heures du matin. Heather était à mes côtés. Elle s'était endormie bien longtemps auparavant. Elle n'était jamais prise d'insomnie comme moi.

Généralement, quand le passé me revenait, le sommeil devenait mon pire ennemi. Je fermai les yeux, c'était suffisant pour me rappeler dans les moindres détails tout ce qui avait pu se produire. Je n'avais pas envie de le vivre une deuxième fois.

Je fixai le plafond, je me perdais dans le fil de mes pensées. Puis je regardai Heather. Elle dormait comme un bébé. Elle était insouciante. Elle devait être emportée par ses rêves. Je caressai délicatement sa chevelure sans la réveiller. Elle était dans un sommeil profond.

Je me levai du lit puis enfilai une tenue décontractée. T-shirt et jeans feront l'affaire. Je ne portais jamais ce genre de vêtements. J'étais souvent habillé d'un costume, c'était bien plus professionnel.

Je regardai une dernière fois Heather. Elle ne se doutait de rien. Je ne pouvais pas la briser.

Je quittai la chambre. J'étais sur le point de boire en espérant que ça aide. Je m'arrêtai alors devant la porte de mon bureau. Ressasser le passé était-il utile ? Aucune idée, pourtant j'entrai dans cette pièce. Je passais la plupart du temps à travailler dans mon entreprise, rarement à la maison. À vrai dire, je ne venais presque jamais dans cette pièce.

Je regardai l'étagère. Au-dessus était posé un vanity. Celui-ci contenait de nombreuses horreurs. J'hésitai à le prendre. J'avais décidé d'enterrer tout ça depuis bien longtemps, de ne plus y toucher. Je le fixais, comme si cette décision dépendait de ma vie.

Sur un coup de tête, je m'en emparai et le déposai sur mon plan de travail. Il y avait un code. Je le connaissais par cœur. Il était un des rares nombres que je n'oublierais jamais.

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J'étais à deux doigts d'ouvrir ce satané vanity. Je finis par abandonner. Je n'avais pas envie de revoir ces horreurs. Je rangeais cette petite valise à sa place. Je l'avais posée là en emménageant. Pas besoin de la ressortir. J'aurais sûrement mieux fait de littéralement l'enterrer.

J'avais vraiment besoin de me changer les esprits. Tous ces souvenirs ne cessaient de remonter à la surface. J'avais besoin d'en parler à quelqu'un. Il n'y avait qu'une personne qui en savait un peu plus que les autres, elle ne me jugerait pas et ne me sermonnerait pas, du moins, tant que je la payais.

J'enfilai rapidement mon manteau, une paire de chaussures, et partis la rejoindre. Il ne me fallut que quelques minutes de trajet en voiture pour rejoindre le bar dans lequel elle travaillait.

C'était exactement le bar que je fréquentais assez souvent, notamment parce qu'il m'appartenait. Chacune de ses femmes se déhanchait au rythme de la musique, collée à ces barres de fer avec le moins de tissu possible pour recouvrir leur corps. Je savais que la plupart des personnes trouvaient ce genre d'endroit déplorable et une honte pour l'image de la femme. Sauf qu'elles avaient toujours fait ce qu'elles voulaient de leur corps.

Jordana me remarqua bien rapidement et s'approcha de moi. Elle était toujours aussi heureuse de me voir. J'ignorais si elle m'appréciait vraiment moi ou mon argent. Peu importe. Elle était quelqu'un de confiance.

— Bah dis donc Cole, ça me change de te voir comme ça. Ça me perturbe un peu, j'ai toujours l'habitude de te voir habillé avec un costard de marque et une sublime cravate. Le meilleur atout de ta tenue au passage.

C'était pour des femmes comme elle que j'avais commencé à porter des cravates quotidiennement. Elle savait les utiliser pour me donner du plaisir.

— Tu as besoin de mes services ? me demanda-t-elle en reprenant son sérieux professionnel.

— Pas de la manière que tu crois. Je suis fiancé désormais, répondis-je comme si c'était un vrai argument.

Comme si je me souciais de la fidélité. En fait, je n'avais même pas la moindre idée de ce que ça pouvait réellement signifier.

Elle me prit par mon avant-bras pour me conduire vers une pièce privée à l'arrière du bar. Peu de gens pouvaient y avoir accès, seulement les privilégiés.

— Tu as ce même regard, lâcha-t-elle dans un murmure compatissant.

— Je me suis justement rappelé de cette nuit, avouai-je d'un ton faible.

Tout commençait à me revenir en détail. Je voyais le sang qui s'égouttait, s'échappant de mon corps et la vie qui s'en allait. Cette nuit-là, j'avais tenté de me suicider pour la première fois.

Chaque souvenir était un douloureux coup de poing auquel je tentais de résister du mieux que je le pouvais. Je refusais de me mettre à pleurer. J'avais déjà suffisamment pleuré dans ma vie.

— Je suis contente que tu sois venu me voir. Si jamais tu veux recommencer...

— Je ne recommencerai pas, affirmai-je même si j'en doutais fortement.

— Tu n'en sais rien et je sais que tu es un excellent menteur.

Elle était l'une des rares à savoir quand je mentais. Elle me connaissait depuis si longtemps. Nous avions une longue histoire nous deux, mais certainement pas une histoire d'amour.

— Je ne sais pas pourquoi j'ai repensé à ça... Ça m'est revenu comme ça. Je pensais que c'était enterré, que je n'y repenserais plus...

— Je sais que tu vas détester ce que je vais te dire, mais je t'avais dit de consulter à ce moment-là. Tu as failli crever cette nuit-là...

Je mis mes mains sur ma bouche. Jusqu'à là je n'avais qu'un vague souvenir, mais au fur et à mesure de la discussion, tout me revenait dans les moindres détails.

Je détournai mon regard du sien. Elle ne cessait de me fixer. Elle pouvait vraiment se comporter comme si je comptais vraiment pour elle.

— Je sais que tu te coupes régulièrement... Un jour, sans que tu t'en rendes compte, tu enfonceras bien trop profondément cette lame. Un jour tu commettras l'irréparable. Je comprends ce que tu ressens. J'ai connu des tas de gens dans ta situation, tu n'es pas le premier ni le dernier. Je peux te comprendre.

Ce soir-là, elle avait été la seule à me comprendre.

D'habitude, ma mémoire me faisait toujours défaut, sauf pour les mauvais souvenirs.

J'avais à peine vingt ans quand tout ça s'était produit. J'étais encore trop jeune pour supporter le poids de ma propre vie. Je m'étais posé dans un coin de la salle de bains de mon appartement de l'époque. J'avais pris un couteau traînant dans ma cuisine, relevé mes manches et avais observé pendant un long instant les nombreuses cicatrices sur mes bras. Les cicatrices de mon passé.

J'avais tellement hésité à ce moment-là. Depuis de longues années, j'avais décidé de ne plus le faire et de ne plus jamais commettre de genre de choses.

La douleur était intense aux premiers abords puis s'effaçait rapidement. Elle devenait supportable en repensant à tout ce que j'avais vécu. Je continuai, je me coupai sans m'arrêter. Mes larmes se mélangeaient à mon sang. Je ne voyais même plus la couleur de ma chair. Que du rouge. Il s'éparpillait, coulait à travers le carrelage blanc de la salle de bain. Mes paupières devenaient lourdes et jamais je n'avais eu autant envie de dormir de ma vie.

J'étais sur le point de mourir quand Jordana entra. J'ignorais pourquoi elle était venue ce soir-là, mais jamais je ne lui en serais suffisamment reconnaissant. Elle avait tenté de me rassurer, avait pris mon visage entre ses mains quitte à se salir à son tour.

« Cole, reste... Je t'en prie... Je vais appeler les urgences... »

À ce moment-là, j'avais voulu lui dire de s'en aller, de me laisser crever. Je n'en avais pas eu la force pour.

Lorsque j'avais ouvert les yeux, j'étais à l'hôpital. Plus jamais je n'y étais retourné et j'avais réussi à étouffer l'affaire du mieux que j'avais pu. Personne n'avait eu vent de cette tentative de suicide ratée.

Jordana s'approcha alors de moi, me tirant de mes pensées puis prit mes mains. Sa peau était douce. Je savais qu'elle prenait mieux que personne soin de son corps.

— Cole, je ne sais pas tout ce qui s'est passé dans ta vie. Je sais que tu ne me le diras jamais, sûrement parce que tu as peur. Peur que ça recommence, mais c'est impossible que ça se reproduise.

Elle tentait de me rassurer du mieux qu'elle le pouvait. Nous ignorions chacun l'histoire de l'autre, pourtant ça ne nous avait jamais gênés. En fait, je ne parlais pas de mon histoire pour qu'elle ne parle pas de la sienne. C'était réciproque. Je me fichais de ce qui l'avait poussée à faire ce métier, même si je savais que ce n'était pas par choix.

Elle prit mon visage entre ses mains puis m'embrassa passionnément comme elle savait si bien le faire. Brusquement je la repoussai. Ce baiser n'était pas comme les autres. Ça n'avait rien à voir avec notre discussion. C'était juste bizarre.

— Je ne penserai pas que tu serais vraiment fidèle, lâcha-t-elle avec une pointe d'ironie.

— Je ne suis pas amoureux, répliquai-je aussitôt.

J'avais comme une profonde envie de sortir ceci à chaque fois. J'ignorais pourtant pourquoi.

Elle s'arrêta alors. Un léger sourire sur les lèvres.

— Je ne pensais pas que tu serais ce genre de personne.

— Comment ça ?

— Tu es amoureux de cette femme, me fit-elle remarquer, amusée. J'ignore qui c'est, mais tu l'aimes.

— Arrêtez tous de dire ça ! m'emportai-je.

— Pourquoi l'épouser alors ? demanda-t-elle d'un air malin.

— Comme ça, ça me donne une meilleure réputation.

— Ce ne sont que des excuses Cole. Cette femme t'a tapé dans l'œil. Je sais que tu ne le reconnaîtras pas, parce que ça, c'est bien ton genre, mais c'est bel et bien le cas.

Je fronçai les sourcils et la regardai d'une manière intriguée. Je ne pouvais pas croire une seconde à ces balivernes. Ma relation avec Heather n'était que du business, si je pouvais y prendre du plaisir entre temps, tant mieux.

— Tu dois vraiment être un de mes clients les plus intéressants, commenta-t-elle, toujours un sourire aux lèvres. Même si la plupart du temps tu ne viens que pour tirer un coup, ça me fait plaisir de te voir. Tu as quand même bien plus de respect envers moi que la plupart des autres hommes...

— Je te considère autant comme un objet que les autres, rétorquai-je d'un ton sec.

— Je peux t'assurer que non, me contredit-elle aussitôt. Tu peux être brusque dans ta manière de baiser, mais pas violent.

Je voyais où elle voulait en venir. Je comprenais toujours ce qu'elle voulait sous-entendre, je ne le reconnaissais pas toujours.

— Franchement, tu devrais te calmer, te reposer un peu, me conseilla-t-elle toujours de sa douce voix envoûtante. Tu te mets trop de pression dans ton travail. Prends un bon bain chaud, ça aide.

— C'est un truc de gonzesse ça, hors de question de faire ça.

— Fais ça avec ta fiancée.

— Même avec elle, je ne fais pas ça, ripostai-je de plus belle.

Elle afficha alors un sourire malin. Je ne voulais même pas savoir ce qu'elle en pensait.

— Tu devrais rentrer chez toi. Je suis sûre que ta fiancée s'inquiète, me suggéra-t-elle en pensant que tout allait se résoudre aussi facilement.

— Je pense qu'elle a l'habitude...

— Cole, ça ne sert à rien de mentir si c'est pour se faire davantage de mal. Je sais que tu le faisais pour éloigner ta douleur, je pense qu'au contraire ça te fait du mal.

— La vérité blesse, murmurai-je.

Elle semblait être en accord. Après tout, elle ne pouvait pas désapprouver. Cependant, elle avait raison, je devais rentrer chez moi. De toute manière, rien ne changerait de sitôt.

Je quittai la pièce privée, abandonnant Jordana. Elle allait sûrement passer à quelqu'un d'autre. Pour elle, ce n'était qu'un cycle. Je ne devais être qu'un homme parmi tant d'autres dans le fond.

Je regardais toutes ces femmes, chacune en train de tenter de vendre du fantasme. La musique était assourdissante, sûrement pour éviter de leur parler. Les billets volaient. Je n'allais pas dénigrer les gens qui me ressemblaient. Pourtant, je n'avais rien à faire ici.

Je quittai le lieu. Il était désormais presque quatre heures du matin. J'hésitais à rentrer à ma maison. Je ne voulais pas affronter le regard d'Heather.

Je décidai de passer quelques instants dans le parc, assis sur un banc, j'observais les alentours. Je ne faisais jamais ça. D'habitude, je restais à l'intérieur de ma demeure en train de boire. À la limite, je pouvais fumer, ce que je fis.

Le soleil se levait petit à petit. Pour certains, c'était magnifique. Je n'étais pas comme la plupart. Je détestais l'aurore, ça voulait dire que j'avais encore une fois passé une nuit blanche.

Peut-être que finalement je devrais retourner chez moi. Jordana avait raison, Heather devait s'inquiéter.

J'éteignis ma cigarette, me levai du banc puis finis par rentrer.

Il était six heures. Heather devait encore dormir. Mes doutes se confirmèrent quand je la vis assoupie dans le lit. Elle était souriante même dans son sommeil. Je m'assis à ses côtés.

Elle fronça les sourcils puis ouvrit subitement les yeux.

— Cole... Qu'est-ce que tu fous ? me demanda-t-elle à peine réveillée.

— Je n'arrivais pas à dormir, admis-je dans un murmure.

— Tu devrais te calmer... Tu es trop tendu.

— Peut-être...

Elle tenta de se réveiller en douceur et s'assit sur le lit à mes côtés. Elle passa brièvement sa main dans ses cheveux qui étaient un vrai bordel tout en plissant des yeux, bien qu'elle m'inspectait d'un regard perdu.

— Pourquoi tu es habillé ? m'interrogea-t-elle avec un brin d'inquiétude.

— Je suis sorti quelques instants dehors.

— Il faut vraiment que tu te détendes. Je peux t'aider. On peut passer tout un après-midi ensemble, je déciderai du lieu, des activités. Je planifierai tout ça. Tu vas voir, ça va te faire du bien.

— Si tu m'emmènes faire du shopping, c'est mort, la contredis-je d'un ton ferme.

Elle se blottit dans mes bras, plutôt amusée de ma remarque.

— J'ai un ami qui vient à San Francisco pour quelques jours, annonça-t-elle doucement. On ne s'est pas vu depuis le lycée...

— Je serai celui de trop. C'est une mauvaise idée.

— Il est très sympa. Je suis sûre que vous vous entendrez bien... On prendra juste un café tous les trois ensemble, si tu ne veux pas traîner avec nous.

Elle tentait de m'aguicher par un tendre regard. Elle voulait que j'accepte. À contrecœur, je dus me résigner à accepter sa proposition.

De nouveau, elle voulait me présenter à ses amis. D'ailleurs, elle en avait beaucoup, bien plus que moi. Elle n'avait rencontré que Mitt et Dolly, ce n'étaient pourtant pas les plus importants.

Elle semblait très enjouée que j'accepte. Comme d'habitude, elle prenait cette relation bien plus au sérieux que moi.

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