Notre cortège funèbre avançait lentement. Adélaïde et sa mère en tête. Les épaules de la Princesse tremblaient au rythme de ses sanglots silencieux, qui me déchirait le cœur. Observant Nawel, je surpris à nouveau son regard.
— J’ai découvert ce qu’est la faveur, laissai-je entendre à voix basse. Elle n’existe plus chez vous, n’est-ce pas ?
La Kahas jeta une œillade vers la reine Odile et Adélaïde, avant de s’approcher de moi, pour me répondre dans un chuchotis à peine audible :
— Les grands sages disent que ce sont les dieux qui avaient accordé cette faveur aux hommes qui avaient le cœur pur. De tels hommes sont devenous rares, et chez nous, les dresseurs ont disparou depuis longtemps. J’en venais même à douter de leur existence !
Sans m’arrêter de marcher, je repensais aux craintes dont Alphonse m’avait fait part. « Il avait raison à propos de cela au moins… ».
— Pourquoi ne pas m’avoir expliqué tout ceci, lorsque je vous ai questionnée ?
— Je ne voulais pas vous faire de tort… Mais j’avais le sentiment que vous cherchiez à faire annouler ce mariage. Je ne pouvais pas vous aider, car en Kargha nous avons besoin de cette ounion. La Montagne va nous sauver de la famine… Je m’inquiète pour ma famille, tout comme vous vous inquiétez pour la Princesse. Et pouis, j’ai appris à connaître la princesse Adélaïde… Elle saura nous venir en aide. Elle ne nous rendra pas notre liberté, ça personne ne le peut, mais elle pourra peut-être faire en sorte que notre vie soit moins pénible.
Compréhensive, je gardai le silence et acquiesçai. En vouloir à Nawel n’aurait rien changé, les jeux étaient faits…
Notre marche prit fin devant les portes du Lieu Saint, situé au plus haut du Cœur de la Montagne, et en son centre exact. Les deux battants en bois étroits et aiguisés donnaient une forme de pointe à l’ouverture, tandis que sur chacun d’eux un anneau en métal plein, au milieu duquel était gravé le dessin de la Montagne, pendait lourdement.
Adélaïde essuya une dernière larme, avant que son expression ne change. La peur laissa place à la défiance. S’approchant de sa fille, la Reine déposa un baiser sur son front, nouveau témoignage de son affection pour son enfant. La souveraine se tourna vers nous, et nous indiqua d’un signe de tête la porte. Comme une seule femme, Nawel et moi approchâmes et chacune saisit un anneau. Je regardai Adélaïde dont les joues étaient toujours rougies par les larmes, avant de tirer sur mon disque de métal. Les battants de bois s’ouvrirent à l’unisson, et dévoilèrent le Lieu Saint des entrailles de la Montagne.
La petite pièce circulaire des murs au plafond était éclairée par des lampes dont les flammes, piégées dans des sphères de verre rouge, apportaient une clarté rosée qui se reflétait sur les parois de pierre peintes en blanc. Le sentiment d’oppression fut immédiat. Malgré le si peu d’espace, toutes les personnes importantes de notre Royaume et de celui des Kahas étaient agglutinées autour du petit autel en marbre : le Roi et son Conseil au complet, le prince de Kargha, sa première épouse ainsi que quatre de ses hommes de main.
Lorsqu’Adélaïde et sa mère entrèrent, je pus observer la robe blanche immaculée de notre Princesse se muer progressivement en un rose pâle. Nawel et moi refermâmes les portes derrière nous et nous postâmes le plus en retrait possible, face à l’autel au marbre gris devenu rose lui aussi. Au centre de celui-ci était placé un interminable ruban de soie dorée ainsi qu’une statuette de même couleur dont la forme représentait un élégant cygne au fin et long cou incurvé. J’étais toujours plongée dans la contemplation de l’oiseau, quand je sentis un regard s’appesantir sur moi.
Il m’observait comme lors de notre première rencontre. Cachés au milieu de ses pairs, ses petits iris verts me fixaient, tandis que sa moustache s’étira. Je détournai instinctivement les yeux du conseiller Melchior, comme pour me protéger de cet homme qui ne m’inspirait que du dégoût et de la peur.
Mon regard glissa sur la Reine qui, positionnée aux côtés du Roi comme l’exigeaient les convenances, laissait deviner tout le mépris qu’elle ressentait pour sa personne et le reste de son entourage.
Adélaïde, elle, était placée au centre de la sphère, dos à l’autel, et fixait obstinément les portes par lesquelles elle était entrée. Le prince Apophis se tenait fièrement à ses côtés, ignorant la notion de pudeur, pourtant si importante dans la culture des Rocheux. Ses cheveux noirs ondulés lui balayaient le front et leurs ombres encadraient son regard ténébreux. Il maintenait son dos droit, les deux mains jointes devant lui. Vêtu d’un unique pantalon blanc dont le tissu souple retombait mollement sur ses pieds nus, son torse aux muscles saillants était recouvert de colliers d’or de différentes tailles, formes, et aux pierres précieuses nombreuses. Dans ses yeux dansait le reflet des flammes, qui lui conféraient l’allure d’un démon. Une bouffée d’angoisse s’empara de moi. La chaleur était suffocante, comme si nous nous trouvions au plus près du soleil, alors que nous étions, au contraire, dans les confins du ventre de la Terre.
« Boum boum, boum, boum boum ». Ressentant ma détresse, Shangaï me happa pour m’offrir un moment de quiétude. L’odeur des box emplit mes narines, et l’eau fraîche que but mon étalon me désaltéra comme si elle se frayait un chemin dans ma propre gorge. La sérénité des écuries, baignées d’une douce lumière blanche résonnait du bruit lent de la respiration des chevaux. Je me sentais en sécurité dans le creux des pensées de mon animal totem, et aurais souhaité ne jamais repartir.
Des voix s’élevèrent tout autour de moi, et une douloureuse sensation de déchirure fendit mon esprit qui se débattait pour rester dans sa cachette. Aussi brusquement qu’elle s’était égarée, ma conscience reprit place dans mon corps courbaturé, au milieu de la chaleur étouffante du Lieu Saint.
— Ce fin ruban représente le lien sacré qui unira leurs âmes.
À la recherche de mes repères, je me demandai combien de temps je m’étais absentée. J’observai les fiancés qui se tenaient à présent collés l’un en face de l’autre. Comme le voulait notre tradition, repliés contre leurs deux poitrines, les bras de l’homme encadraient ceux de la femme. Leurs mains enlacées pointaient la voûte du Lieu Saint comme s’ils priaient. Le vieillard du Conseil qui avait parlé, présenta le ruban de soie avant de le nouer, effectuant plusieurs cercles des poignets jusqu’aux coudes des mariés, et récita avec lenteur et froideur le texte cérémonial :
« Aftés tis léxeis
Sfragíste to peproméno sas.
Paidiá theón
Oi zoés sas schetízontai.
Aftés tis léxeis
Sfragíste to peproméno sas.
Apó to pnévma
Apó ti sárka.
Aftés tis léxeis
Sfragíste to peproméno sas.
Dýo
eínai móno éna. »*
* Traduction en fin de chapitre.
Ayant fini son récital, le conseiller exerça une pression sur l’arrière du crâne des deux promis, et rapprocha leurs visages jusqu’à ce que leurs fronts viennent à se toucher. Il colla encore un peu leurs corps, pour que se tutoient leurs genoux, tandis que les mains du prince Apophis, qui emprisonnaient celles de la Princesse, lui intimaient de conserver leur étroite proximité. La musculature imposante du Prince faisait apparaître d’Adélaïde une silhouette frêle, qui ne lui ressemblait guère. La Princesse avait les yeux obstinément rivés sur ses pieds, tandis que le Prince, lui, la fixait sans jamais cligner des paupières.
— Leurs âmes sont maintenant liées, reprit le conseiller d’un âge avancé. L’homme protégera la femme et la femme servira l’homme. De deux clans naît une famille. Les Rocheux et les Kahas consentent-ils ?
À l’unisson et de manière unanime, le roi Edwin et ses conseillers ainsi que le prince Apophis et ses hommes de main donnèrent leur réponse :
— Nous consentons.
Le rituel de mariage venait de prendre fin. Je fus surprise de voir le conseiller se tourner lentement vers l’autel et y saisir la statuette. Je l’observai avec attention. Le cygne semblait lourd et je crus un instant qu’il n’aurait pas la force de le porter. Les bras tremblants le vieillard apporta l’objet jusqu’au couple :
— Comme le veut la coutume du peuple Kahas, le sang chaud du cygne sacrifié donnera vitalité et intelligence à leur futur enfant.
Tant bien que mal, il hissa la statuette au-dessus de leurs crânes et la pencha. Je la fixais, refusant de comprendre ce que le conseiller venait de dire. Plus le cygne s’inclinait et plus son bec s’élevait, tandis que s’ouvrait son cou comme s’il avait été tranché. Sur les têtes unies du Prince et de la Princesse, un liquide épais et noir se déversa. Adélaïde, surprise, écarquilla les yeux et eut un mouvement de recul. Le Prince plaqua son front contre le sien, empoigna plus fermement ses mains et resserra ses bras, pour lui interdire de bouger davantage. Les paupières et la bouche closes, la Princesse n’eut d’autre choix que de supporter de sentir couler le sang le long de son visage et de sa nuque.
Ses cheveux blonds devinrent rouge sang. De grosses larmes noires et sanglantes se répandaient le long de leurs corps. Les gouttes visqueuses glissaient sur la peau nue du Prince, s’insinuant entre ses bijoux, et devenaient écarlates sur l’étoffe blanche de la robe d’Adélaïde. Le sang continuait d’affluer de la carafe, comme si celle-ci ne se tarirait jamais. Il continuait de ramper, et tachait le pantalon du prince Apophis à son tour, pour finalement se déverser sur ses pieds nus. Il s’infiltra entre leurs fronts, et perla sur le bout de leur nez, avant de venir éclabousser leurs mains. Le dessin de la Montagne sur les bracelets noirs fut rapidement illisible, alors que les dernières gouttes de sang glissaient le long des coudes d’Adélaïde pour s’écraser au sol.
La carafe enfin vide, le conseiller la reposa, et se dirigea chancelant auprès du reste de ses confrères. La nausée s’emparait de moi, alors que l’odeur ferreuse d’hémoglobine chatouillait mes narines. Je n’osais imaginer ce que pouvait ressentir Adélaïde. Nawel perçut mon malaise, et attrapa l’une de mes mains pour la serrer avec affection. Sur ma joue une larme roula, tandis que continuaient de se dérouler sous nos yeux les affres de la torture.
Le Prince se redressa, et écartant les bras se débarrassa sans mal du lien, qui déchiré tomba au sol dans une mare de liquide écarlate. Il releva le menton d’Adélaïde dont le regard fixait le vide, alors que ses larmes se mélangeaient au sang qui avait coloré la peau de ses joues. Sans autre forme de délicatesse, il écrasa sa bouche sur celle de la Princesse pour un baiser brutal, avant de s’écarter en léchant le sang récolté sur ses lèvres. La princesse Oupset se mit à applaudir, ses yeux flamboyants de jalousie, et se tourna un très court instant vers moi. Le reste de la salle suivit le mouvement malgré le malaise que l’épreuve du sang avait fait naître dans l’esprit des Rocheux.
~
Éteinte, je balayais la salle de réception bondée du regard. La Salle aux Mille Miroirs, pourtant si vaste, ne pouvait accueillir à la fois tout le peuple Rocheux et l’intégralité de ses invités Kahas. Un grand nombre attendait dans les couloirs que d’autres cèdent leur place, pour pouvoir entrer et aller féliciter le roi Edwin. Ce dernier surplombait la pièce, assis sur son trône, et accueillait les marques de respect de son peuple avec la pointe de suffisance que chacun attendait de lui.
Trônant à ses côtés, le regard assassin perdu au loin, la reine Odile offrait le portrait d’une femme anéantie. Faisant fi des convenances, elle offrait ce spectacle inhabituel à tous sans exception, du plus riche au plus pauvre, et ne mit pas longtemps à se faire remarquer. Déjà, on pouvait entendre un murmure se répandre dans la salle.
Je le suivis des yeux, passer de bouches à oreilles. Les visages se tordaient sous l’effet que pouvait provoquer un tel commérage. Les hautes coiffures des femmes bourgeoises s’approchaient les unes des autres, tandis que des sourires narquois et malsains se dessinaient sur leurs visages. Un air dédaigneux se reflétait dans les yeux des hommes les plus influents, pendant que le petit peuple la dévisageait d’un regard mêlé de tristesse et de satisfaction.
C’est en continuant de survoler la pièce de réception du regard que je les vis tous. Leurs silhouettes, qu’ils soient Rocheux ou Kahas, se reflétaient dans la surface métallique du sol. Leurs visages et leurs corps ainsi déformés les rendaient plus laids encore, mais semblaient révéler leur véritable nature. À la fois si différents, par leurs habits et leur couleur de peau, tellement similaires dans leurs attitudes les uns envers les autres. « La vie mondaine dans la Montagne ou dans le désert ne doit pas être si différente que cela après tout… », commentai-je pour moi-même alors que la Salle aux Milles Miroirs se mit à résonner de la mélodie cérémoniale de mariage.
Au son de l’orchestre, Adélaïde pénétra dans la pièce au bras du Prince. De nouveaux murmures, bien plus chaleureux, se répandirent tout autour de moi. « Que la princesse Adélaïde est jolie. ». « Quel beau couple ! ». L’illusion de bonheur de la Princesse avait conquis tous les curieux ici présents, et pourtant son menton haut, son regard froid ainsi que le tremblement de ses lèvres ne pouvaient tromper aucune des personnes qui la connaissaient véritablement. Elles étaient, malheureusement pour elle, peu nombreuses ce soir-là et Adélaïde devait donc supporter les félicitations et formules de politesse des individus qui se pressaient autour du couple.
Bien que revêtue d’une élégante robe de couleur crème, au col rond et aux manches longues, agrémentée d’une fine parure de perles blanches, je m’étonnais que le pigment rosé de ses cheveux blonds n’interpelle personne. Ses ongles, teintés de la même couleur rose sang, tranchaient avec le blanc immaculé de la manche de chemise du Prince, sur laquelle Adélaïde reposait sa main avec une légèreté exagérée. J’imaginais avec souffrance ce que devait ressentir mon amie, en se tenant ainsi aux côtés de son bourreau.
Le prince Apophis avait, lui aussi, changé son habit pour quelque chose de plus conventionnel. Son torse avait été couvert d’une large chemise d’un coton épais et décoré de divers motifs dorés. Il arborait un visage avenant, qui faisait s’agiter les éventails de toutes les Rocheuses qu’il frôlait.
À l’inverse du soleil qui tirait sa révérence au loin et plongeait peu à peu la Salle aux Milles Miroirs dans la pénombre, le Roi se leva de son trône et se mit à applaudir bruyamment le couple princier qui s’avançait vers lui. Sans attendre tout le reste de l’assemblée l’imita, et recouvrit le son de l’orchestre, qui ne cessait de striduler la même mélodie cérémoniale, de leurs applaudissements. Le regard de la Reine se posa sur ma personne un court instant, unies pour la seule et unique fois dans notre refus de rendre hommage à ce qui se déroulait sous nos yeux.
Me sentant tout à coup grotesque dans cette belle robe aux reflets vert menthe (celle-là même qu’Adélaïde m’avait offerte, il y avait quelques semaines), je réalisai l’hypocrisie de ma présence ici. Il était temps pour moi de quitter cette grande assemblée et de tenir ma promesse.
À la recherche de la sortie la plus proche, je fis volte-face, et mes yeux tombèrent sur Alaric. Vêtu d’un élégant veston aux teintes noisette, il observait la scène d’un air maussade accoudé, comme à son habitude, contre le chambranle d’une porte dérobée. Mon cœur fit un bond. Nous ne nous étions pas parlé depuis notre altercation du couloir. L’hésitation de me lancer dans sa direction ou de me sauver par une autre issue me tiraillait encore, quand son regard croisa le mien.
Une lueur de surprise traversa ses pupilles. Il m’observa un moment de haut en bas, accentuant mon sentiment de mal-être vis-à-vis de ma toilette bien trop sophistiquée pour moi, et se redressa l’air gêné. Il baissa les yeux avant de s’engouffrer dans l’embrasure de la porte, et répondit ainsi à ma question silencieuse. Il n’était pas prêt à m’accorder son pardon. Pas ce soir.
— Alaric ! m’écriai-je tout de même, tandis que je tentai de le rejoindre malgré la foule.
Une main m’empoigna le bras, et mit fin à ma progression, au beau milieu de cet amas de spectateurs.
— Jeune Sybil, je vous cherchais, souffla une voix à mon oreille. Quelle robe !
— Lâchez-moi, conseiller Melchior, grinçai-je entre mes dents.
— Ne soyez pas fâchée, continua-t-il sans me libérer, mais votre ami ne semble pas avoir envie de vous parler.
— Que me voulez-vous ?
— Oh ! Rien de spécial, quelle drôle d’idée, ricana-t-il en broyant mon bras. Il ne s’agit là que d’une conversation amicale. Que pensez-vous de la cérémonie ?
— Je la trouve abjecte, grognai-je telle une louve prête à mordre.
Le conseiller Melchior haussa un sourcil, alors qu’un sourire lugubre se dessina sur ses fines lèvres. Il approcha son visage un peu plus encore du mien, et m’offrit ainsi tout le loisir de profiter des effluves d’alcool de son haleine. Son autre main agrippa soudainement mon haut de cuisse, et m’arracha un petit cri de stupeur.
— N’oubliez jamais que vous n’êtes qu’une femme au milieu d’un monde d’hommes. Vous serez broyés ou rendus dociles, que vous le vouliez ou non, vous et votre poney !
Il lâcha mon aine et me fit pivoter vers le Roi, devant lequel le couple princier s’inclinait sous les applaudissements. Agrippant mes deux bras, il se glissa étroitement contre mon dos et vint coller sa moustache à mon oreille, sans que personne ne se rende compte de ce qui se passait. J’étais seule au monde, au milieu de la foule.
— Voyez, que vous soyez princesse ou soubrette, nous faisons de vous ce que bon nous semble. Je vous conseillerais donc de garder votre langue dans votre poche ! susurra-t-il tout contre moi, tandis que la peur affolait mon souffle. Ne soyez pas triste pour elle. Elle vous aura complètement oubliée d’ici peu de temps. Comme n’importe qui en ce lieu si vous disparaissiez, continua-t-il de siffler à mon oreille.
La respiration saccadée, le conseiller pressa encore un peu plus son corps contre le mien. Il huma mon odeur avec grand bruit, et se délecta de ma peur. Sans prévenir, il lâcha mes bras, me laissant chanceler sur mes jambes devenues coton. Il s’écarta pour mieux se pencher une dernière fois à mon oreille :
— Mon neveu, apprenti chuchoteur lui aussi, vous attend avec impatience. Tout comme moi, ce jeune homme possède un goût prononcé pour le sexe faible, d’autant plus lorsque celui-ci a grandi dans la crasse… Toutefois, n’oubliez pas cette jolie robe, elle vous va à ravir ! s’exclama-t-il avant de s’éloigner dans l’assemblée.
Respirant par de profondes inspirations, je tentais de me calmer et de ne pas attirer l’attention sur moi. Quelle idée avais-je eu de le provoquer ? Mon amour pour Adélaïde et ma colère pour ce qu’on lui infligeait ne cessaient de me pousser vers des situations périlleuses. Les menaces du conseiller Melchior avaient été très claires cette fois-ci.
Adossée contre l’embrasure d’une porte, je pris quelques minutes pour calmer mes tremblements. La nuit était bel et bien tombée, et annonçait le début imminent du buffet. Il ne me resterait plus beaucoup de temps pour agir, mais ne faisant pas confiance à mes jambes, toujours cotonneuses, j’observais le Roi d’un œil distrait. Debout, dans son somptueux uniforme rouge orné de nombreuses médailles, il effectuait des gestes d’apaisement avec ses mains, pour calmer les applaudissements et faire revenir le silence.
— Chères Rocheux et Rocheuses, peuple de Kargha ! Afin de clore cette merveilleuse journée qui liera à jamais nos deux nations, permettez-moi de vous offrir cet humble buffet.
J’observai la foule, vêtue de robes aux jupons bouffants et de queues-de-pie, se tourner vers l’interminable table qui regorgeait des meilleurs mets de la Montagne, quand mon regard rencontra celui de monsieur Arcane. Il me sourit de l’autre bout de la pièce, et sur son épaule, Kira me transperça de ses deux petits iris jaunes.
— Mais avant d’aller vous servir, rappelons à nos très chers Kahas qu’avec la Montagne comme alliée leur problème de faim sera définitivement réglé. Leurs magnifiques chariots ont été approvisionnés en nourriture et d’autres après eux suivront, continua le Roi, au milieu des applaudissements. Le peuple de la Montagne souhaite également présenter ses respects au Pharaon Siptah, Seigneur des Kahas, qui n’a malheureusement pas pu être présent avec nous durant ce court séjour.
Un majordome apporta un écrin en bois, de taille moyenne, scellée par une armature en métal sur laquelle était gravée l’image de notre noble Montagne. Le roi Edwin s’en empara et la présenta à la foule.
— Je remets ce présent, aux yeux de tous, entre les mains du prince Apophis qui le lui restituera en personne.
Les applaudissements redoublèrent d’intensité, lorsque le Prince saisit la boîte et s’inclina face au Roi, avant de se tourner pour se courber cette fois devant la foule.
Adélaïde se tenait à ses côtés, le regard et l’âme vides. La première femme du Prince, Oupset, que je n’avais pas remarquée jusqu’alors, s’approcha d’elle d’une allure féline. Ses cheveux de jais brillaient à la lueur des bougies, tout en dansant au rythme de ses pas, et encadraient son visage condescendant. Vêtue d’une magnifique robe longue or et bleue, qui s’accordait à merveille avec son maquillage, la femme caressait d’une main distraite la tête de son serpent d’or qui se faufilait dans son décolleté, plus indécent encore qu’à l’ordinaire. Un court instant, je crus le voir fermer ses yeux émeraude de plaisir, et lorsque je clignai des paupières pour ajuster ma vision, la Kahas aux allures de reptile était arrivée auprès d’Adélaïde pour lui glisser quelques mots à l’oreille.
Reprenant sa place sur son trône, le Roi finit son discours.
— Souhaitons une bonne route, une longue vie et surtout de magnifiques enfants à ma charmante fille, la princesse Adélaïde, et à son époux. Puisse l’existence vous combler ! tonna-t-il avec un large sourire.
— Quel imbécile, grinçai-je entre mes dents.
Comme si Adélaïde m’avait entendue, ses yeux trouvèrent les miens. Un sourire presque invisible se dessina sur ses lèvres, avant que, d’un geste discret, elle ne m’envoie un baiser.
* « Ces mots
scellent votre destin.
Enfants de dieux
Vos vies sont liées.
Ces mots
scellent votre destin.
Par l’esprit
Par la chair.
Ces mots
scellent votre destin.
Deux
ne font qu’un. »
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J'espère que la fin te plaira ! J'ai aussi hâte d'avoir un avis global pour éventuellement améliorer tout ça :D
A bientôt !
Je repense à quelque chose, si tu ne souhaite pas qu'on associe les Kahas aux égyptiens, il serait peut-être bien de simplement changer le nom du roi Apophis, qui est clairement, et rapidement associé à l'Egypte, et dans ce chapitre il y a aussi un « pharaon Siptah »
Je ne sais pas encore si je veux changer ces détails sur l'aspect égyptien... C'est en réflexion, mais merci :)