Chapitre 24 : Tigre blanc contre démon, première relation et chagrin d'amour.

[ 1 ]

Un mois après les funérailles de Kim Gap-ryeong, M. Choi avait chargé Gun et Goo d'une mission. Ils devaient recruter quelqu'un, mais avant cela, ils devaient tester ses capacités. Ils avaient eu du mal à le trouver. Ils avaient fait le tour de tous les parcs et ruelles du quartier qu'il avait l'habitude de fréquenter. Il l'avait finalement trouvé près d'un parc à chiens, couché sur un banc, insensible aux arceaux en métal anti-squat qui lui comprimaient la nuque et le bas du dos.

— C'est lui, t'es sûr ? demande Gun en baissant ses lunettes de soleil, l'air dubitatif.

— Des mecs comme lui, y en a pas deux.

— Il pue la mort, fit Gun en se bouchant le nez avec dégoût. Et il est crade. Qu'est-ce que M. Choi veut avec ce mec ?

— Peu importe ce qu'il veut, on est là pour lui offrir un marché. Hé, m'sieur Lee. Réveillez-vous. Vous croyez pas qu'il fait un peu froid pour dormir dehors ?

Il enfonça la branche de ses lunettes dans sa joue. L'homme grogna en soulevant le journal qui recouvrait son visage.

— Oh ? fit-il en ouvrant un œil paresseux. Voilà un visage qui m'est familier ! Mon p'tit Goo ! Qu'est-ce qui t'amène ? C'est qui lui ? Un ami à toi ?

— En quelque sorte. Il s'appelle Gun. Et vous, M. Lee, qu'est-ce que vous faites là ? Vous êtes devenu SDF ?

— Oh, disons que je me sentais un peu nostalgique.

— Les affaires vont si mal que ça ?

Lee Do-gyu soupira en se redressant. Il plia soigneusement son journal qu'il posa à côté de lui. Jong-goo avait vu juste. Baekho HRM battait de l'aile. Ils avaient de moins en moins de clients et des missions de moins en moins lucratives. De ce fait, beaucoup de ses employés avaient démissionné, et Do-gyu ne pouvait pas les en blâmer. Ils étaient là pour l'argent. S'il n'avait pas d'argent à leur offrir, ils n'avaient aucune raison de travailler pour lui. S'il ne trouvait pas un moyen de redresser ses affaires, il devrait mettre la clé sous la porte et retourner à la vie de mendiant.

— Si seulement tu ne m'avais quitté, toi aussi, je n'en serais pas là aujourd'hui. Tous mes enfants me désertent... Vous êtes vraiment qu'une bande de petits ingrats.

— Je ne vous ai pas quitté, vous m'avez renvoyé.

— Un détail, un détail, fit-il en balayant l'argument de Jong-goo d'un geste de la main.

— J'ai peut-être un moyen de vous aider. C'est Choi Dong-soo qui nous envoie. Il veut savoir si vous êtes encore à la hauteur.

Le tigre blanc retroussa ses babines. Un sourire féroce révéla ses crocs acérés.

— Donc, si je comprends bien, il vous a envoyé pour me mettre à l'épreuve... Moi ? Lee Do-gyu ? Le prodige du combat ? Ha ha ! Ha ha ha ! Suis-je tombé si bas qu'on envoie deux collégiens pour m'affronter ? Je vais vous botter le cul à tous les deux et vous pourrez dire à Choi d'aller se faire foutre.

[ 2 ]

Le combat se serait terminé autrement si Jong-goo avait été seul à affronter son ancien patron et mentor. Mais avec Gun à ses côtés, les choses étaient différentes. Ce garçon était aussi talentueux que Goo, si ce n'est plus, mais sa façon de se battre était bien différente.

Jong-goo se reposait essentiellement sur son endurance, sa technique et son intelligence. Il se battait de façon sournoise, il était imprévisible et vicieux, de façon à ce que son adversaire ne sache jamais à quoi s'attendre. Il savait compenser ses faiblesses et exploiter celles de ses adversaires. Ainsi, même quand le combat semblait perdu d'avance, il arrivait à prendre le dessus et à remporter la victoire.

Ce Gun était fort. Il était juste monstrueusement fort. Il était rapide et précis, aussi bien dans son esquive que dans son attaque. Son style de combat n'était pas anodin. Kyokushinkai, l'école de l'ultime vérité. C'était un type de karaté développé spécialement pour le combat réel. Il mettait l'accent sur la puissance des attaques. Chaque coup devait être porté avec une force maximale. C'était un art redoutable, destiné à briser l'adversaire aussi violemment que rapidement. Un coup, une victoire.

Lee Do-gyu était face à deux prodiges bien différents, mais tous les deux aussi redoutables l'un que l'autre. Leur seul point faible, c'était leur manque de coordination. S'ils voulaient vraiment avoir une chance contre lui, ils devaient ne faire qu'un, mais au lieu de ça, ils se gênaient dans leurs attaques et leur défense était bancale.

— Hé, les enfants ! rugit le tigre blanc en saisissant Jong-goo par la taille pour le soulever au-dessus de sa tête et le balancer sur Gun. Si vous ne prenez pas ce combat au sérieux, vous allez vraiment vous faire mal ! Pourquoi vous m'attaquez chacun à votre tour ? Si vous voulez avoir une chance de me vaincre, il va falloir faire mieux que ça !

Lee Do-gyu n'était pas surnommé le prodige du combat pour rien. Sa taille et sa musculature imposantes n'étaient que la partie émergée de l'iceberg. Le tigre blanc se battait comme un fauve. Il bondissait sur sa proie qu'il frappait, griffait et mordait jusqu'au sang. Ses mains puissantes et ses ongles tranchants soigneusement limés pouvaient briser une nuque ou arracher une gorge. Plus qu'un combattant, c'était un prédateur. Et c'est ce prédateur féroce que ces deux petits démons avaient pris en chasse.

— Choi, espèce de vieux con... maugréa-t-il dans sa barbe. M'envoyer ces deux enfants... Tu dois vraiment me sous-estimer.

Goo d'abord. C'était le plus pénible à gérer à cause de sa mobilité. Il lui volait dans les plumes comme une mouche agaçante et ses coups venaient des directions les plus inattendues. Un bon coup de tapette devrait mettre fin au harcèlement.

Do-gyu ouvrit sa large main qu'il abattit sur le garçon, mais sa main se referma dans le vide. Il avait réussi à esquiver son coup ? Non. Gun l'avait poussé sur le côté. Il l'avait protégé ?

— Bouge de là, dit Gun à son camarade.

— Hé ! Tu fais quoi là, frère ? Tu viens pas juste de me pousser là, si ?

— Tu me gênes. C'est mon combat. Je vais me le faire tout seul. Va t'asseoir là-bas et attends sagement ton tour.

Cette fois-ci, le coup de poing venait de Goo et il n'était pas pour son patron. Gun porta la main à sa mâchoire endolorie.

— Tu viens de me frapper ?

— Ouais, tête de bite ! Toi dégage, c'est mon ancien patron. C'est à moi de l'affronter ! J'attends ça depuis tellement longtemps. C'est à moi de franchir ce mur !

— Tu me casses les couilles avec ton histoire de mur ! Tiens, bouffe ça et ferme-là !

Gun leva sa jambe haut dans les airs et l'abattit avec force sur son épaule. La douleur qui se diffusait dans son épaule le fit grimacer. Il lui avait fait plier les genoux, mais Goo tenait encore sur ses deux pieds. Gun, par contre, était coincé. Goo le tenait fermement par la cheville et il avait un bel angle d'attaque pour répliquer. Il le frappa en plein dans le plexus solaire, puis enchaîna avec un coup de pied retourné dans la tête.

Lee Do-gyu n'en croyait pas ses yeux. Ces deux petits bâtards étaient vraiment en train de se battre entre eux. Ils l'avaient laissé dans un coin et l'ignoraient complètement. Lui. Lee Do-gyu. Le tigre blanc. Le prodige du combat. Le roi ultime.

— Vous vous foutez vraiment de ma gueule ! gronda-t-il en s'avançant vers eux d'un pas lourd, les poings serrés.

Alors qu'il allait les envoyer valser, les deux garçons s'arrêtèrent un instant. Ils armèrent tous les deux leur poing et le frappèrent comme un seul homme en plein dans les côtes. Lee Do-gyu ne s'attendait pas à un coup aussi puissant. Il recula d'un pas, le souffle court. Ils avaient réussi à le faire reculer, lui, l'homme plus immuable qu'une montagne. Ils ne lui avaient pas brisé les côtes, mais un deuxième comme celui-ci, et il était bon pour un tour à l'hosto.

— Attends ton tour, le vieux...

— ... tu vois pas qu'on a une conversation...

— ... AVEC NOS POINGS ?!

Et les voilà repartis de plus belle. Lee Do-gyu s'était assis en tailleur par terre et les regardait échanger coups de pied et de poing comme deux combattants sur un ring. Gun avait un léger avantage, mais Goo n'était pas armé. Avec un sabre entre les mains, il aurait eu le dessus. Choi, ce vieux renard... Qu'est-ce qu'il comptait faire de ces enfants ? Non, ce n'était pas des enfants.

C'était des fous furieux. Des fous qu'on avait lâchés dans la nature. Ils étaient encore maîtrisables, mais pour combien de temps ? Ils n'avaient que quatorze ans, et ils étaient déjà plus forts que la majorité des hommes d'âge mûr. Y compris des combattants aguerris. Qu'en serait-il lorsqu'ils seraient devenus adultes ? Qui serait capable de les arrêter ? Il n'avait pas vu de telles furies depuis le diable de Séoul. Et ils étaient deux...

[ 3 ]

Lee Do-gyu avait attendu qu'ils s'épuisent tout seuls. Lorsqu'il vit qu'ils tenaient à peine debout, front contre front, et dansaient l'un avec l'autre plus qu'ils ne se battaient, ils les avaient assommés tous les deux d'un coup sur la nuque. Les deux garçons à bout de force s'étaient effondrés aussitôt. Il avait décidé d'aller voir Choi Dong-soo. Il voulait savoir ce qu'il trafiquait et ce qu'il attendait de lui.

Do-gyu et Dong-soo avaient été partenaires pendant de longues années. Ils ne s'entendaient pas sur tout, mais ils se respectaient mutuellement et partageaient le même amour de l'argent. Ils étaient aussi tous les deux des hommes qui savaient parler avec leurs poings. Cette fois, ils s'étaient réunis autour d'une tasse de thé pour avoir une conversation des plus civilisées.

— Je suis venu pour te remercier pour le cadeau que tu m'as envoyé. J'ai passé un bon moment.

— Alors, tu les as rencontrés ? Qu'en penses-tu ?

— Goo a bien grandi. Il a dépassé mes attentes, même s'il a encore de la marge pour progresser. Et ce Gun est un cas intéressant. Où est-ce que tu l'as trouvé ?

— Dans le centre de détention pour mineurs que je dirige. Il y était en même temps que Jong-goo. Il se battait avec ses co-détenus tous les jours, sans relâche, et à la fin de sa peine, plus personne n'osait s'en prendre à lui. Tu as dû remarquer son talent particulier. Ça ne te rappelle pas quelqu'un ?

Lee Do-gyu hocha la tête.

— Qu'est-ce que tu comptes faire d'eux alors ? Tu veux unir tous les gangs et régner sur Séoul comme Gap-ryeong autrefois ?

Choi Dong-soo lui répondit par un rire franc.

— Je suis trop vieux pour replonger dans le monde de la pègre. Même Gap-ryeong a rendu son insigne de gangster pour entrer en politique. Ce vieux fou essayait de se faire élire comme député à l'Assemblée nationale, mais il est mort avant d'avoir pu réaliser son rêve... La politique, c'est trop compliqué. Je veux me lancer dans les affaires et monter ma propre boîte. Mais c'est un monde très compétitif et j'ai besoin d'un peu d'aide. Il paraît que tes affaires ne sont pas au beau fixe non plus. Ce projet pourrait nous bénéficier à tous les deux.

— Et bien entendu, tu n'as rien à voir avec le fait que j'ai perdu tous mes clients et la moitié de mes employés ?

— Tu sous-entends que je suis responsable de la faillite de ta société ?

— Je trouve juste le timing... intéressant.

— Même si c'était le cas, ça ne change rien au fait que tu as besoin de moi et que j'ai besoin de toi. À l'avenir, si les choses tournent mal, j'ai besoin de savoir que je peux compter sur toi. Est-ce qu'on a un accord ? Bien entendu, tu seras récompensé à la hauteur de ton implication.

Lee Do-gyu acquiesça et scella le pacte par une poignée de main. Son regard glissa vers le bras manquant de son camarade dont on devinait l'absence à la manche vide de sa veste qui tombait mollement le long de son corps. C'était un autre de leur point commun. Lors de la guerre qui avait opposé la prégénération, fondée par Kim Gap-ryeong et soutenue par la première génération, au diable de Séoul, Choi Dong-soo avait perdu un bras et Lee Do-gyu avait dû sacrifier une main. C'était le prix à payer pour avoir invoqué ce psychopathe.

— Au fait, qu'est-ce que tu as fait de Goo et Gun ? demanda Dong-soo. Tu ne les as pas trop amochés, j'espère ?

— Tu pensais vraiment qu'ils avaient une chance contre moi ?

— Non, je voulais juste attirer ton attention. Je sais que tu as un faible pour les jeunes prodiges de leur genre. Tu as déjà eu affaire à Jong-goo par le passé, mais j'aimerais que tu reprennes sa formation et celle de Gun aussi. Je ne peux pas me passer de tels talents, mais j'ai besoin de quelqu'un pour les garder dans les clous. Une sorte de muselière, si tu préfères.

— Ils ont du talent, c'est vrai. Mais il leur manque quelques cases. Toi et moi, on se fait vieux, mais ces deux-là, ils ont encore toute la vie devant eux. Tu n'as pas peur de ce qu'ils pourraient devenir ? Ils pourraient nous surpasser.

Choi Dong-soo resta songeur un moment. Il y avait du vrai dans les paroles de son camarade, mais Dong-soo savait gagner la loyauté de ses subordonnés. Il savait aussi les soumettre à sa volonté en exploitant leurs plus sombres désirs. Pour Goo, c'était l'argent. Pour Gun, c'était le pouvoir. S'ils devenaient trop ambitieux, il leur briserait les ailes.

[ 4 ]

Goo et Gun étaient enfin revenus à eux. Ils étaient tous les deux allongés côte à côte au milieu du parc, main dans la main. Un chien lécha la joue de Goo. Il le repoussa avec dégoût. La voix d'une femme appela son toutou avec angoisse tout en leur jetant des regards méfiants. Elle fit un grand détour pour les éviter.

— Merde... souffla-t-il. Gun. Hé, Gun ! T'es vivant ?

— Ouais...

— Qui c'est qu'a gagné ?

— Personne.

— Fais chier ! jura Goo en frappant le sol du poing. Ce vieux pervers a tout gâché. On allait enfin savoir qui de toi ou moi était le plus fort, et il a fallu qu'il s'en mêle.

— Tu crois que t'aurais gagné ?

— Tu crois que j'aurais perdu ?

Gun se redressa sur son séant. Il se massa la nuque. Il avait mal partout. Goo était dans un sale état, lui aussi.

— Ça se voit que je me suis battu ? demanda-t-il à son camarade.

— Qu'est-ce que tu crois ? répondit Gun. Tu ne ressens pas la douleur ? Vu ta gueule, tu devrais le sentir passer.

— Je ressens la douleur, mais je ne la visualise pas.

Jong-goo sortit son téléphone. Il bascula la caméra en mode selfie pour faire un constat des dégâts.

— Putain de merde... Yerin va me tuer. En plus mes lunettes sont cassées...

— Dis-lui que tu t'es fait tabasser par des voyous.

— Elle ne va jamais me croire... C'est moi qui tabasse les voyous, pas l'inverse.

— Me demande pas alors. C'est pas mon problème. T'as qu'à lui dire la vérité. Que tu t'es fait botter le cul par le séduisant et irrésistible Gun. En tous cas, moi, j'ai passé un bon moment. C'est toujours un plaisir de me battre avec toi. Allez, j'y vais. J'ai des choses à faire. À plus !

[ 5 ]

Le cycle des cours, des examens et des vacances se répétait. Le temps passait à la fois vite et lentement et, bientôt, Jong-goo et Yerin étaient entrés au lycée. Jong-goo avait dit qu'il arrêterait l'école après le collège, mais il avait promis de rester aux côtés de son amie. Il venait au lycée juste pour elle. Il se fichait des cours ou des notes, il n'essayait même pas d'avoir son bac. Malheureusement, les élèves avaient été répartis dans de nouveaux groupes de classe. Yerin et Min-ji avaient eu la chance de se retrouver dans la même classe. Elles étaient toutes les deux en 10e5. Min-ji était en 10e1 et Jong-goo en 10e7.

Il passait son temps à dormir sur son bureau pendant les cours et se rendait dans la salle de Yerin à chaque réaction. Il mangeait avec elle le midi et assistait à tous ses entraînements de gym. Il ne la lâchait pas d'une semelle, ce que Yerin commençait à trouver un peu lourd et étouffant, même si elle n'osait pas l'envoyer balader.

Suite au succès de Payback et à l'investissement du PDG Kim Byeong-cheol, l'école avait dû s'agrandir face à l'afflux de nouveaux élèves. Ils avaient ouvert une classe supplémentaire par niveau. Le groupe était encore actif même si les cas de harcèlements se faisaient de plus en plus tard. Ils pouvaient considérer qu'ils avaient réussi à nettoyer l'école des pires éléments. Ces derniers temps, ils réglaient de simples conflits entre élèves plus que de véritables cas de harcèlement. Ils recevaient parfois des demandes qui sortaient du cadre scolaire de la part d'élèves qui se faisaient emmerder par des jeunes dans leur quartier.

D'autres établissements avaient été séduits par le concept et avaient adopté l'application. Jong-goo avait laissé Min-jun en charge de la KGS, et il avait étendu ses activités à d'autres écoles dans lesquelles il faisait parfois des interventions. La plupart du temps, il attendait à la grille de l'école pour choper les fauteurs de trouble et leur mettre une bonne raclée. Il avait aussi augmenté ses tarifs. Désormais, il facturait cinq cent mille wons l'intervention, hors frais supplémentaires, et il avait commencé à se faire un nom dans le monde de la délinquance. Il était rapidement devenu le cauchemar des harceleurs et tout le monde se pissait dessus dès qu'ils entendaient le nom de Kim Jong-goo.

[ 6 ]

Jong-goo était assis dans les gradins du gymnase. Il suivait l'entraînement de loin tout en consultant ses messages sur son portable. Un groupe de garçons en douzième année étaient installés quelques marches plus bas. Ils étaient arrivés avant lui et n'avaient pas remarqué sa présence.

— Putain, c'est quoi ces tenues ? râla un des mecs en se curant le nez. Depuis quand les filles portent des combinaisons pour faire de la gym ? Je suis venu pour voir de belles jambes galbées et de jolis petits culs rebondis, pas des pingouins en combi de plongée.

— Ça c'est encore à cause de cette sainte-nitouche de Kim Yerin. Elle a tapé un scandale aux coachs comme quoi les tenues des filles étaient trop suggestives et que ça les mettait mal à l'aise. Elle leur a fait tout un speech sur le sexisme dans le sport de haut niveau et elle leur a sorti les règles de la fédération internationale de gymnastique, et comme quoi l'équipe allemande avait obtenu le droit de porter une combinaison aux Jeux olympiques et je sais pas quoi. Elle a cru qu'on était en Europe. Quelle prude, cette meuf... Bonne chance au mec qui va devoir la dépuceler ! Faudrait me payer pour que je me tape une meuf aussi chiante.

Le garçon qui venait de parler poussa un cri de surprise et de douleur en portant la main à son crâne. Il venait de recevoir une canette en pleine tête. Le cylindre en métal s'était éclaté au sol, son contenu gazeux arrosant copieusement le groupe de lycéens qui s'étaient levés en panique.

— C'est qui l'enfoiré qui a fait ça ?! s'écria le garçon en se retournant, l'air furibond.

Son visage décomposa dès qu'il reconnut Kim Jong-goo.

— Oups, fit le jeune lycéen, un sourire cruel au visage. J'ai cru que c'était la poubelle. Ramassez-moi ça et dégagez. Vous êtes bannis du gymnase. Si je vous revois ici, je vous défonce.

Son camarade serra les poings. Il avait la rage, mais une bagarre contre Kim Jong-goo, c'était du suicide. Son ami posa une main sur son épaule pour le calmer.

— Laisse tomber. C'est le chien de garde de Kim Yerin. T'as merdé mec. Viens. Avant qu'il te tabasse à mort.

[ 7 ]

Aujourd'hui, les élèves avaient eu le droit à un nouveau cours d'éducation sexuelle. Ils en avaient trois par an. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était mieux que rien. Maintenant qu'ils étaient au lycée, les choses devenaient un peu plus sérieuses et les adultes commençaient à serrer la vis et mettre le paquet sur la prévention.

Mle Suk, leur adorable et très compétente infirmière, tenait particulièrement à ce que ses jeunes protégées soient préparées à toute éventualité. Elle avait insisté sur l'importance pour une femme de connaître son propre corps et de comprendre les mécanismes du plaisir sexuel féminin, afin de pouvoir exprimer clairement ce qu'elles attendaient ou non de leur partenaire. Les filles ne s'attendaient pas à ce qu'elle entre autant dans les détails de ce qu'elle entendait par plaisir sexuel féminin.

Ce cours leur avait donné un coup de chaud. Elles étaient sorties de là toutes chamboulées, mais au moins, elles avaient appris des choses utiles.

— Oh la la ! fit une de leur camarade en s'éventant avec son cahier. Je ne pensais pas que Mlle Suk était comme ça. Elle a l'air toute sage et réservée comme ça, mais elle en sait des choses sur le sexe.

— Encore heureux ! répliqua son amie. C'est son métier. Heureusement qu'elle connaît un minimum l'anatomie féminine et masculine. On n'est pas des moines bouddhistes. C'est important aussi, ces choses-là.

Les filles étaient retournées en classe en gloussant et en échangeant à mots couverts sur le cours pour que les garçons n'entendent pas leur conversation un peu trop intime. De leur côté, ces derniers avaient reçu une leçon sur les maladies sexuellement transmissibles, ce qui était nettement moins glamour. Ce que Jong-goo avait retenu de tout ça, c'est que les préservatifs portaient bien leur nom et il respectait leur existence. Une bonne protection, c'était la base. Sans ça, c'était même pas la peine d'y penser.

[ 8 ]

Les lycéens étaient travaillés par leurs hormones en roue libre. Filles et garçons commençaient à développer de nouveaux intérêts pour des choses qui les laissaient relativement indifférents au collège. Jong-goo était une des rares exceptions. Ce n'était pas qu'il n'y pensait pas de temps en temps, mais il était trop occupé pour en faire une priorité. Il préférait se concentrer sur ses affaires, à savoir tabasser des losers pour se faire un max de fric.

C'était sans doute pour cela qu'il n'avait rien vu venir. Cette année la Saint Valentin avait pris un tournant inattendu. Pour commencer, Jong-goo n'avait rien reçu de la part de Yerin, ce qui était une première. Min-ji non plus ne lui avait rien donné sous prétexte qu'elle ne voulait qu'il se méprenne sur ses intentions. À partir de maintenant, elle comptait offrir des chocolats au garçon qui lui plaisait vraiment et à personne d'autre. Il avait dû se contenter des offrandes de filles dont il n'avait rien à cirer. Ils ne savaient même pas comment elles s'appelaient.

Min-jun aussi était un peu blessé par ce changement d'attitude soudain de la part de ses deux amies. Min-ji passait encore, mais il était toujours heureux de recevoir un cadeau de la part de Yerin. Il savait qu'elle le faisait par simple gentillesse, mais ça lui suffisait. Jusqu'à maintenant, il s'était contenté de son amitié et s'en était accommodé. Il commençait à se lasser de ce statu quo. Il avait toujours eu des sentiments pour elle et il ne voulait plus les ignorer.

Il avait patiemment attendu le mois suivant et lui avait déclaré son amour le jour du White Day. Il lui avait demandé de lui donner une chance. Trois rencards. Il voulait juste sortir trois fois avec elle. Si après cela, elle ne voulait pas continuer à sortir avec lui, il accepterait dignement son rejet. Yerin avait hésité un moment, mais elle avait fini par accepter. Elle aimait beaucoup Min-jun. Elle n'avait rien à lui reprocher. Il était mignon, il avait de bonnes notes, il était gentil et poli, et il prenait soin de ses camarades. En plus, il avait beaucoup mûri ces dernières années. Il n'était plus aussi bougon et susceptible qu'autrefois. Il était beaucoup plus sûr de lui et contrôlait mieux ses émotions.

Min-jun avait tout pour plaire. Yerin le savait et elle avait décidé de se laisser séduire. C'était une tentative vaine de se sortir Jong-goo de la tête et de le chasser de son cœur. Elle essayait de le remplacer par de nouveaux sentiments artificiellement cultivés pour Min-jun. Autant dire qu'à peine commencée, leur relation courait déjà au désastre.

[ 9 ]

Il ne fallait pas être devin pour savoir comme cette histoire allait se terminer. Même Min-ji l'avait vu venir. Elle n'avait pas été étonnée quand son amie lui avait annoncé, en larmes, qu'elle avait rompu avec Min-jun trois mois à peine après qu'ils aient commencé à sortir ensemble. Tout ça parce qu'il l'avait embrassée et qu'elle n'avait pas été capable de lui rendre son baiser. Elle s'était figée. Elle n'avait rien ressenti à part un sentiment de gêne et un profond dégoût envers elle-même. Elle se sentait aussi terriblement coupable. Elle ne voulait pas briser le cœur de son ami qui l'aimait sincèrement, mais elle ne pouvait pas continuer de faire semblant de partager ses sentiments.

Elle n'avait pas trouvé le courage de rompre elle-même, mais elle était devenue plus froide et distante. Elle esquivait Min-jun à l'école et ignorait ses messages et ses appels. Finalement, c'était lui qui avait pris la décision de rompre à sa place. Il voyait bien ce qu'il passait, il n'était pas naïf. Il avait fait de son mieux pour gagner son cœur et il avait échoué. Tant pis. C'était la vie. On ne pouvait pas gagner à chaque fois. Il s'en remettrait.

— Hé ! Min-jun ! interpella Jong-goo que venait de croiser son camarade dans les couloirs du lycée. Pourquoi t'as largué Yerin ?

— T'es obligé de gueuler ça au milieu du couloir ? répliqua Min-jun en lui jetant un regard en biais. Puis c'est elle qui m'a largué.

— J'étais là quand tu lui as envoyé ce message pour lui dire que tu voulais rompre. Elle a pleuré toute la soirée.

— T'es sûr qu'elle ne pleurait pas de soulagement ? J'ai rompu avec elle parce qu'elle n'avait pas le courage de le faire elle-même. Ça faisait déjà une semaine qu'elle ne me parlait plus et qu'elle ignorait mes messages. Je n'ai pas jugé nécessaire de poursuivre une relation à sens unique.

Jong-goo plissa les yeux avec suspicion.

— Qu'est-ce que tu lui as fait pour qu'elle arrête de te parler d'un coup comme ça ?

— Je ne lui ai rien fait du tout. Elle s'est rendu compte qu'elle ne pouvait plus continuer à se mentir à elle-même. Apparemment, elle est amoureuse de quelqu'un d'autre. Quelqu'un contre qui je ne peux pas rivaliser.

— Qui ça ?

— Ça, ce n'est pas à moi de te le dire. T'as qu'à demander à Yerin.

— Je ne vois pas qui ça pourrait être... fit Jong-goo en réfléchissant intensément à la question. Attends ! Ne me dis pas que c'est... Gun ?! Ou alors DG ?! Elle passe sa vie chez lui en ce moment.

— Pff... soupira Min-jun en secouant la tête avec consternation. T'as vraiment de la merde dans les yeux. Tout le monde est au courant sauf toi. J'y peux rien si t'es pas capable de voir ce qui se passe juste sous ton nez. Bref. J'ai plus rien à dire sur le sujet. Si tu veux des réponses, demande à Yerin. Même si je ne suis pas sûr qu'elle te réponde honnêtement...

— Je ne suis pas au courant parce qu'on ne me dit jamais rien ! Enfin, ça n'a pas d'importance... J'ai pas vraiment besoin de savoir. Tant que c'est pas un gros connard, moi ça me va. Elle peut aimer qui elle veut.

— Je plains sincèrement Yerin... Elle n'est pas au bout de ses peines avec toi. Enfin, ce n'est pas mon problème... Fais ce que tu veux.

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