Chapitre 24 : Tu pouvais pas faire plus cliché ?

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

 

Playlist Alex :

Fire and the Flood – Vance Joy

 

 

***

 

 

Un peu plus de deux semaines s’étaient écoulées et j’avais l’impression de les avoir passées dans une bulle.

Le monde autour de moi me parvenait comme au travers d’un épais rideau de pluie. Je trouvais la situation d’autant plus injuste que l’orage était passé et qu’un ciel bleu parfaitement dégagé m’accueillait à chacune de mes sorties pour aller voir Alex à l’hôpital. Comme si le monde continuait de tourner alors que j’avais l’impression de me noyer dans ma peine.

L’état d’Alex n’avait pas bougé. Je lui rendais visite chaque jour, passant à son chevet autant d’heures qu’on me le permettait. Parfois j’y retrouvais Max ou l’un de ses parents, dans ces moments-là, nous restions silencieusement à son chevet jusqu’à ce qu’une infirmière nous informe qu’il est l’heure de partir ou que Nick vienne me chercher. Parfois Romy ou Tom passaient nous rendre visite, apportant de quoi nous ravitailler quand nous oublions de manger, demandant des nouvelles. Mme Anne vint également plusieurs fois, offrant un peu de réconfort aux parents de Max qui paraissaient avoir pris dix ans en l’espace de quelques jours.

Mais à chaque fois, Alex demeurait allongé dans son lit, comme endormi.

À chacune de mes visites, je lui prenais la main, lui murmurais des paroles pour qu’il sache que nous étions là alors même que j’ignorais s’il pouvait seulement m’entendre. J’espérais voir frémir ses paupières, s’agiter ses doigts ou pincer les lèvres. Mais rien. Il restait là, immobile sans autre signe qu’il était en vie que la ligne du moniteur cardiaque auquel il était relié et le bruit régulier de sa respiration.  

Le seul évènement particulier dans cette routine déprimante se manifesta aux alentours de dix heures le matin du 15 août, cinq jours à peine après l’accident. J’étais sur le point de rejoindre Alex à l’hôpital quand Nick m’avait arrêté dans l’entrée. Il venait de recevoir un appel de la police l’informant avoir retrouvé la voiture du chauffard et me demandant de me rendre au poste pour confirmation. Mon sang s’était glacé.

Nick m’y avait accompagnée et serrait encore mon épaule au moment de faire face au policier. On me présenta des photos, me demandant s’il s’agissait bien de la voiture qui avait percuté Alex avant de prendre la fuite. Même avec des souvenirs aussi flous, j’étais incapable de l’oublier.

— C’est elle, confirmai-je la gorge nouée.

Je pointai du doigt l’étrange couleur verte qui décorait l’une des portières côté conducteur.

— Elle avait la même.

— Avez-vous pu voir le conducteur ? m’avait ensuite demandé le policier.

Je secouai la tête négativement et serrai les dents. Il prit note et dans la demi-heure qui suivit, j’étais de retour au chevet d’Alex.

Le lendemain, on m’apprit que le chauffard avait été appréhendé. De nombreux témoins corroboraient mes dires, l’un d’eux avait même vu le conducteur abandonner la voiture après l’avoir encastrée dans un arbres quelques rues plus loin. Apparemment, il s’agissait d’un touriste alcoolisé qui aurait fui un contrôle de routine. Mais cette révélation ne me soulagea pas, bien au contraire. Une profonde amertume m’envahit, et cet après-midi-là, assise à côté d’Alex, je ne pus m’empêcher de lui relater toute l’histoire, raillant des heures sur la dangerosité de ces maudits touristes qui ne prennent rien au sérieux pendant leurs vacances.

Seul le silence me répondit.

Les jours suivants furent tout aussi ternes et brumeux. En vérité, je voyais à peine les jours passer tant ils se ressemblaient. J’ouvrais les yeux un samedi pour découvrir une heure plus tard que nous étions le mardi d’après et ainsi de suite jusqu’à approcher dangereusement de la fin du mois d’août.

Cet après-midi-là, comme depuis une vingtaine de jours à présent, j’étais auprès de lui. Assise dans un fauteuil à côté du lit, je venais de prendre le relais de M. et Mme Carlier, partis se changer. Le Billie’s n’avait plus ouvert ses portes depuis deux semaines malgré les propositions des employés de s’en occuper.

Recroquevillée dans le siège à côté de moi, Max somnolait à moitié. La pauvre n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle était presque aussi pâle que son frère, des cernes pendaient à ses yeux, si lourds et violacées qu’on aurait pu la prendre pour un vampire qui n’aurait pas eu sa dose de sang depuis des siècles.

Au moins elle a meilleure mine que lui, songeai-je tristement en me renfonçant dans mon siège. Alex avait eu énormément de chance. Sa blessure la plus importante était à la tête, là où il avait heurté le plus violement le sol. Il risquait fort d’en garder une cicatrice. À part cela, il s’en sortait avec de nombreuses contusions légères, des égratignures, une épaule démise et une fracture du tibia qui ne nécessiterait apparemment que le port d’une attelle pendant quelques semaines.

Selon les médecins, son état s’améliorait doucement.

Alors, pourquoi ne se réveillait-il pas ?

Je me mordis les joues et replongeai dans les notes que j’avais apportées. Ce projet de roman, c’était la seule chose qui parvenait à m’occuper un peu l’esprit. Je ne parvenais plus à me concentrer sur quoi que ce soit d’autre. Mes plus belles créations me donnaient la nausée. Je ne supportais plus la vue de couleurs chatoyantes, encore moins de choses lumineuses ou joyeuses. Mes propres mèches roses m’exaspéraient, à tel point que je n’avais pas quitté cet affreux chignon informe depuis des jours rien que pour ne plus les voir. Quant à mes vêtements, je les avais tout bonnement laissés au fond du placard et ne portait plus que les couleurs les plus fades possibles, piquées dans les affaires de Tom qui, je le savais, avait ostensiblement détourné les yeux en me voyant faire. J’étais devenu monochrome, tout ce que je déteste.

Max remua. Je levai les yeux un instant, juste pour la voir se pelotonner un peu plus dans son fauteuil. Je ne crois pas qu’elle ait dormi plus de quelques heures la nuit dernière, pas plus que les nuits précédentes. Dans son demi-sommeil elle laissa échapper un sanglot et enfouit un peu plus son visage dans l’oreiller que Mme Anne lui avait tricoté.

Jules n’était plus réapparu devant elle depuis l’épisode désastreux à l’Adonis. Je le croisais parfois à la maison, quand Tom l’invitait. Il n’y restait jamais très longtemps, du moins, de ce que je pouvais en voir. Et il avait l’air presque aussi déprimé que Max. J’eu un peu de peine pour lui. De ce que Tom avait pu me dire, il demandait souvent de ses nouvelles, s’il y avait du changement côté Alex. Les réponses négatives l’assombrissaient chaque fois un peu plus.

Il doit vraiment être épris, me fis-je la réflexion en revenant paresseusement à mes notes. Je m’apprêtais à relire la même page pour la cinquième fois lorsque quelque chose attira mon regard, un mouvement sur le lit d’Alex. Je relevai aussitôt les yeux et fixai sa main posée sur les couvertures. Je l’avais tenue si souvent ces derniers jours que c’était presque étrange de la voir sans la mienne autour d’elle.

J’étais en train de me persuader avoir rêvé – après tout, je ne dormais pas beaucoup non plus, mon esprit aurait bien pu me jouer des tours – quand je vis son index tressauter. Je me redressai d’un bond, le souffle coupé. J’attendis encore un instant, m’interdisant de sauter sur Max pour la réveiller. Il fallait que je sois sûre. Si je la réveillais pour un simple reflexe nerveux, je m’en voudrais pour le reste de ma vie.

Un deuxième doigt tressauta, puis il y eut une perturbation dans son souffle. Je remontai les yeux vers son visage, seulement pour voir ses paupières s’agiter. Mon cœur fit un bond en le voyant remuer faiblement des lèvres.

Je bondis pratiquement de mon fauteuil, envoyant voler mes papiers pour me précipiter vers Max que je secouai sans ménagement.

— Max ! Max !

Elle ouvrit une lourde paupière, l’air un peu perdu.

— Max, je crois qu’il se réveille !

L’information mit une seconde de plus à remonter son esprit avant qu’elle n’ouvre de grands yeux. L’instant d’après nous nous penchions toutes les deux sur lui, le cœur battant. Lorsque nous le vîmes ouvrir faiblement les yeux, nous eûmes un hoquet. Les larmes affluèrent de plus belle alors qu’il papillonnait faiblement des paupières et fronçait les sourcils, ébloui.

Max me serra dans ses bras. Nous pleurions de joie.

— Je vais chercher le médecin ! s’exclama-t-elle en se précipitant dehors en reniflant.

Pour ma part, je pris sa place et passai une main timide sur la joue d’Alex. Son regard se posa bientôt sur moi et un lent sourire étira ses lèvres, encore un peu engourdie. J’émis un bruit, à mi-chemin entre le rire et le sanglot. Cela le fit sourire davantage.

— Salut… murmura-t-il faiblement.

— Salut, lui souris-je tout bas.

Les larmes refusaient de s’arrêter, elles dégoulinaient en cascade sur ses couvertures.

Alex leva une main pataude vers moi, essayant vainement d’en essuyer quelques-unes. Voyant que c’était impossible, il abandonna et laissa retomber sa main que je pris aussitôt entre les miennes.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il dans un souffle.

— Tu as eu un accident, sanglotai-je sans pouvoir m’arrêter. Une voiture t’a fauché devant le cinéma.

Il fronça les sourcils, cherchant à se souvenir avant de reposer des yeux brillants sur moi.

— On a raté la séance ? demanda-t-il simplement et je ne pus retenir un éclat de rire.

— C’est tout ce qui t’inquiète ? répondis-je aussi indignée qu’amusée.

— En partie, admit-t-il et j’en profitais pour lui raconter tout ce qu’il s’était passé ces derniers jours.

À la fin de mon récit, il poussa un profond soupir et grimaça aussitôt de douleur.

— J’ai mal partout, geignit-il en essayant de changer de position.

— C’est en général ce qui arrive quand on passe sous une voiture, lui fis-je remarquer, pince-sans-rire.

Il fit la moue.

— Rappelle-moi de ne plus jamais traverser la route sans armure.

Je pouffai un rire avant de poser des yeux pleins d’amour sur lui. Ma main trouva sa joue et je la caressai tout doucement, évitant les petites coupures qui la barraient. Il me rendit mon regard et je me rendis brusquement compte du soulagement qui m’envahit. Alex était en vie. Il s’était réveillé, respirait et plaisantait déjà.

— Tu pouvais pas faire encore plus cliché ? le taquinai-je, des trémolos dans la voix.

— Désolé, souffla-t-il douloureusement en prenant ma main dans la sienne, l’amnésie n’était pas dans le pack accident que j’ai pris.

Pour toute réponse, je l’embrassai.

Qu’est-ce que je l’aimais cet idiot.

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