Chapitre 24 : Vous m’avez trop pris.

Par Cléooo

Chapitre 24 : Vous m’avez trop pris.

 

Lorsque Thibault s’éveilla, il fut saisi d’un violent haut-le-cœur et eut tout juste le temps de se pencher avant de recracher la bile acide que contenait son estomac. Des tremblements parcouraient tous ses membres, sa tête, son cœur. Il frotta ses lèvres avec vigueur et se redressa brusquement alors qu’on l’approchait. Il eut un violent mouvement de recul en découvrant le visage de Zoë. Elle le scrutait, les yeux remplis d’appréhension. Ses sourcils retombaient sur ses yeux. Elle n’avait jamais tant ressemblé à Donovan que dans cette expression de chien battu. Leur aîné se trouvait là, aussi. Juste derrière la jeune fille. Le visage tordu par la même grimace de douleur. Thibault sentit sa poitrine se serrer.

— Gabi…

Zoë eut un sanglot, et se retourna vers Donovan, comme en quête de soutien. Il approcha alors du lit, s’assit tout près de Thibault, et posa une main sur son épaule.

— Je suis désolé, Thibault…

— Non.

Il sentit ses lèvres trembler. Non, c’était inacceptable.

— Où est-il ? OÙ EST-IL ?!

Donovan raffermit la pression sur son épaule. Zoë s’approcha alors de lui et passa les bras autour de son cou. Elle pleurait. Pourquoi pleurait-elle, alors qu’elle ne connaissait pas Gabi ? Il n’était rien, pour elle. Son geste, de la serrer contre lui, fut presque inconscient. Mais s’il ne se raccrochait pas à elle, alors pour quoi tiendrait-il ?

Elle lui caressa doucement la tête alors qu’il se noyait dans ses propres larmes. À son tour, Donovan passa le bras autour de lui. Plus rien n’existait. Le gris des murs, la tristesse des lieux, tout ça transparaissait à peine à travers la barrière brouillée de ses yeux. Sa respiration, sifflante, entrecoupée, était le seul bruit qu’il entendait encore. Son cœur se serrait, comme si l’on avait tenté de l’arracher. Ou bien peut-être avait-il disparu, car tout semblait si vide en même temps.

 

***

 

Quand il se réveilla la fois suivante, Zoë était là. Elle tenait doucement sa main. Elle eut un demi-sourire en le voyant ouvrir les yeux. La douleur était toujours si intense qu’il aurait préféré ne jamais se réveiller. Le temps était flou. Avait-il réellement dormi ?

— J’ai quelque chose pour toi, déclara la jeune fille d’une voix pleine de tendresse.

Thibault se sentait faible. Il s’efforça de se redresser en position assise, sans lâcher la main de Zoë. La chaleur qu’elle dégageait était la seule chose qui lui donnait le courage de vivre. Il attrapa le verre d’eau posé à côté de son lit et but quelques gorgées. Cette eau qui comportait un détestable goût de vie. Il la reposa avec brusquerie, sous le regard inquiet de sa sœur.

— Thibault… Tiens.

Elle ouvrit sa main libre, et Thibault y découvrit une petite fiole, haute de quelques centimètres. Elle contenait une poudre grise, légèrement plus foncée que la couleur uniforme de sa cellule. Il se saisit délicatement de l’objet, le fit rouler entre ses doigts.

— Ce sont… commença Zoë.

Thibault exerça une légère pression sur la main de la jeune fille. Il avait compris. C’était inutile de le dire. C’était au-delà des mots. Elle lui montra alors un collier, qu’elle fit passer dans la boucle dorée qui surmontait la fiole. Il la laissa l’accrocher autour de son cou, et ses mains retrouvèrent instinctivement le verre reposant désormais sur sa poitrine.

— Merci…

De nouvelles larmes. Il ne cherchait même pas à les retenir. Il se recoucha, la main crispée sur la fiole et son précieux contenu.

 

***

 

Tobias était venu le voir. Ils étaient seuls dans la cellule de Thibault, Donovan et Zoë leur ayant laissé un moment d’intimité. À chaque fois que Thibault ouvrait les yeux pourtant, l’un ou l’autre, sinon les deux, étaient présents avec lui. Cette fois-ci, non. Tobias leur avait-il demandé de les laisser ?

— Je sais ce que tu ressens.

Un sursaut de colère traversa Thibault, mais quand il posa les yeux sur son ancien mentor, elle s’évapora. L’expression sur son visage n’était qu’un reflet de sa propre douleur. Bien sûr, qu’il savait. Il avait perdu Sharon. Il avait perdu Teddy. Lui aussi avait vu son monde être réduit à néant.

— Je… J’ai l’impression d’être mort.

— Je sais.

Tobias sembla hésiter.

— Je voudrais pouvoir te dire que ça s’arrange, et qu’on oublie, mais je te mentirais. On n’oublie jamais, et la colère reste. Elle s’estompera, un jour… Mais elle sera toujours là au fond.

— Je ne veux même plus… Je n’ai plus envie de rien.

 

Tobias était resté un moment. Ils avaient partagé leur peine dans le silence.

Quand il était finalement reparti, il avait fallu moins d’une minute pour que Donovan et Zoë reviennent auprès de leur frère.

 

***

 

Pas de Lison. Elle brillait par son absence. Donovan et Zoë évitaient tacitement de la mentionner. Thibault se rappelait bien la sauvagerie avec laquelle il s’en était pris à elle, mais il ne pouvait qu’éprouver un soulagement bestial à ce souvenir, et une colère chaque fois plus forte à son encontre. Dans ces moments-là, il s’efforçait de revenir à la réalité. À Zoë, qui dormait désormais dans son lit, et à Donovan, qui avait installé son matelas à même le sol, à côté du leur.

 

Les jours et les nuits passaient. Ici où le temps s’était arrêté, Thibault ignorait combien s’en était écoulé. La température de la pièce ne variait jamais d’un degré. Les repas étaient insipides. L’eau était du poison. La lumière, toujours fausse. L’obscurité, jamais pleine. L’absence de Gabriel, constante.

 

***

 

— Lison va venir te voir…

C’était Tobias, qui était revenu pour la première fois depuis longtemps. Il n’avait pas l’air ravi de délivrer l’information, et jeta un regard insistant vers Donovan, qui prit la parole à la place de son frère.

— On lui a dit que ça n’était pas le moment.

Thibault l’observa. Il avait froncé les sourcils, lui habituellement si calme. Il n’avait pas vraiment élevé la voix, mais le visage de Tobias se crispa.

— Tu sais comment elle est. Elle a dit qu’elle viendrait, et la moindre des choses c’est de prévenir Thibault.

— Je ne veux pas… répondit ce dernier d’une voix faible.

Il parlait si peu désormais que sa propre voix lui était devenue étrangère. Une expression triste passa sur le visage de Tobias, qui s’approcha du lit, enjambant le matelas de Donovan, et s’assit à côté de son ancien protégé.

— Je sais. Mais je pense qu’elle… Elle veut te dire des choses.

— Je ne veux pas la voir.

La colère. Elle montait graduellement. Tobias soupira.

— Je vais aller la trouver et la prévenir.

Sans ajouter un mot, il quitta la pièce. Thibault trouva instinctivement la main de Zoë et l’écrasa dans la sienne.

— Tu devrais te reposer, lança la voix de sa sœur.

Thibault hocha machinalement la tête et se laissa retomber dans son lit. Ses doigts vinrent entourer la fiole à son cou avant qu’il ne ferme les yeux.

 

***

 

— On t’a dit de ne pas venir !

— Ça suffit maintenant, je veux le voir.

— Tu aurais pu lui parler avant, maintenant à quoi ça va servir ?

Des voix de filles. Elles se disputaient. Thibault entrouvrit un œil et découvrit le dos de son grand frère qui lui masquait la vue.

— Vous le surprotégez, ça n’est pas un gosse !

— Lison, va-t’en !

Le cœur de Thibault cogna douloureusement dans sa poitrine et il se redressa dans un sursaut d’adrénaline. Lison était dans la chambre, faisant face à une Zoë rouge de colère. Thibault scruta le visage de sa jumelle. Les dernières traces d’hématomes jaunâtres sur son visage étaient en train de s’estomper. Sa lèvre inférieure laissait apercevoir une vilaine coupure ayant formé une croûte. Ses yeux tombèrent dans ceux de Thibault, et elle poussa violemment Zoë pour faire un pas en sa direction. Donovan se leva alors à son tour, orageux.

— Ça suffit, Lison. Sors d’ici.

— Vous, sortez ! Je veux lui parler, c’est un ordre : sortez.

Donovan et Zoë se tinrent parfaitement immobiles, soutenant furieusement le regard de la jumelle de Thibault.

— Bien, restez si vous voulez, finit-elle par céder, visiblement irritée.

Elle fit un autre pas en avant et Thibault sentit l’adrénaline se déchaîner dans son corps. Il se leva promptement et amorça un pas rageur vers Lison… avant d’être arrêté dans sa course par Donovan.

— Reste calme, lui souffla son aîné à l’oreille.

Mais Lison semblait s’en moquer.

— Thibault, je regrette que tu souffres…

Thibault ne prononça pas le moindre mot. Il essaya de se dégager mais sa propre faiblesse l’étonna. Ne presque pas s’alimenter pendant des jours avaient donc fini par avoir des conséquences. Il se sentit pris de tournis et Donovan le retint de justesse avant qu’il ne tombe, puis Zoë accourut pour aider à le faire allonger.

— Écoute-moi, Thibault, reprit Lison comme si de rien n’était. Je ne m’en suis pas pris à lui parce que tu le connaissais, mais c’était un intrus et il devait être éliminé, et…

Le corps de Thibault fut animé d’un sanglot provoqué par un mélange de rage et de tristesse, et Zoë lui jeta un regard avant de s’éloigner en direction de Lison qui continuait :

— … s’il fallait le refaire…

Une violente claque sur sa joue l’interrompit au beau milieu de la phrase. Lison ouvrit de grands yeux avant de saisir Zoë par les cheveux, l’air à son tour extrêmement furieuse. Zoë se débattit avec virulence avant que Donovan, excédé, ne se lève à son tour du lit pour tenter de séparer les deux sœurs.

— Ça suffit maintenant, ne vous battez pas !

— Espèce de sale petite peste, ça ne va pas bien dans ta tête ?! hurlait Lison.

— Tu n’es qu’une sale garce ! Quand Ollie est mort, dans quel état tu étais, toi ?!

D’un coup, Lison s’immobilisa. La stupeur marqua ses traits pendant une seconde, puis son visage redevint fermé. D’une pâleur mortelle. Elle lâcha les cheveux blonds de Zoë et recula d’un pas. Fulminante, elle quitta la cellule en claquant la porte derrière elle.

— Tu n’aurais pas dû dire ça, Zoë… la réprimanda Donovan d’un ton plein de reproche.

— Elle l’a cherché. On lui a dit de ne pas venir, non ?

— Quand bien même…

Thibault cligna des yeux, incertain. S’apercevant que la mâchoire lui était un peu tombée devant le spectacle de ses sœurs se battant pour lui, il la referma. Quand Zoë revint auprès de lui, l’air toujours courroucé, ses sourcils exagérément froncés, il attrapa délicatement sa main. Doucement, l’adrénaline se résorbait. Pas la colère. La colère restait là, au fond. Mais il n’arrivait pas à la ressentir pleinement en observant le visage de Zoë.

 

***

 

— Quel jour on est ?

La voix de Thibault était toujours faible. Il frotta son visage, hagard, alors que Zoë se réveillait à son tour. Donovan venait d’entrer dans la chambre, trois plateaux empilés les uns sur les autres dans un équilibre précaire entre les mains.

— Le 26 juillet, répondit-il. Ça va ?

Thibault ne répondit pas. Il se leva en même temps que Zoë pour prendre un plateau-repas des mains de son grand frère, puis ils s’installèrent à même le sol pour manger.

— C’est vraiment dégoûtant, remarqua Thibault après avoir enfourné une bouchée de l’horrible pitance.

— C’est bien vrai, soupira Zoë.

— C’est tout ce qu’il y a, ronchonna Donovan.

Thibault se tut. Il se força à avaler le reste de l’assiette, parce qu’il avait décidé de ne pas se laisser mourir. Il était encore incertain des raisons qui le poussaient à survivre, mais il savait qu’il refusait en partie de laisser Lison gagner.

— Thibault…

Il reposa sa fourchette sur le plateau et releva la tête vers Donovan, qui paraissait un peu embarrassé.

— Je… Écoute, on voulait te dire quelque chose avec Zoë.

Il tourna la tête vers sa cadette, qui semblait elle aussi un peu gênée.

— Quoi ?

— On hésitait parce qu’on ne veut pas que ça te fasse de peine, mais…

— Quoi ? répéta-t-il, un peu plus brusquement qu’il ne l’aurait voulu.

Zoë et Donovan échangèrent un regard, puis la jeune fille soupira.

— Ce soir, il va y avoir un discours de la grande-duchesse. Il sera diffusé à la télévision. On ne savait pas si c’était une bonne chose de t’en parler mais…

— À quelle heure ? demanda précipitamment Thibault.

Son cœur battait à tout rompre. Rebecca allait s’adresser directement au peuple, et il ignorait si ça c’était déjà produit auparavant. Une douleur fulgurante le traversa quand l’image de Gabi se tenant à ses côtés lui vint en tête, mais il s’efforça de ne rien montrer.

— Aux alentours de 20 h 00. Tu veux qu’on le regarde ensemble ?

Thibault acquiesça vivement. Revoir le visage de Rebecca. D’Ajax, aussi, peut-être. Ils devaient ignorer ce qu’il était advenu de lui… et de Gabi. Mais les voir serait un soulagement. Il en était certain.

— Je veux voir. De quoi elle va parler ?

— On ne sait pas, mais on suppose que c’est en rapport avec le dernier attentat…

Thibault hocha la tête. Il y avait peut-être de ça. Et peut-être autre chose. La disparition de Thibault et de Gabriel, ça ne pouvait pas compter pour rien. Rebecca n’aurait pas laissé partir Gabi au Septième de son plein gré, elle devait être morte d’inquiétude. De nouveau, une douleur atroce s’empara de lui. S’il n’avait jamais été proche de Rebecca, il ne pouvait en revanche pas la haïr. Il ne pourrait jamais. Elle avait compté pour Gabriel, et l’inverse était plus que vrai…

— Très bien. Je vais essayer de trouver une page.

 

Durant toute la journée, Thibault fut comme en transe. Il ne pouvait dormir. Il ne pouvait que penser à Rebecca, et se préparer à entendre de nouveau sa voix. Il pensait à Solène. Il aurait voulu qu’elle donne un discours, elle aussi. Il aurait voulu savoir qu’elle allait bien, malgré tout.

À 19 h 00, Donovan n’était toujours pas revenu, et Zoë, après s’être assurée auprès de Thibault qu’il pourrait rester seul quelques instants, quitta à son tour la chambre pour aller le chercher. Ils revinrent tous deux une dizaine de minutes avant le discours, l’air essoufflé. Au regard interrogateur de Thibault, Zoë indiqua avec un demi-sourire qu’elle avait fait ce que Donovan n’avait pas pu se résoudre à faire : voler une page oubliée sur la chaise d’une salle de réunion. Personne n’avait voulu leur en donner, leur indiquant qu’ils n’avaient qu’à se rendre au réfectoire avec le reste du groupe pour écouter le discours de la grande-duchesse. Donovan, l’air mal à l’aise, n’osa faire aucun commentaire quand Thibault approuva la démarche de sa petite sœur. Il ferma soigneusement la porte de la chambre et tritura fébrilement la page pour accéder aux chaînes de télévision. Ils s’assirent alors sur le lit tous les trois, Donovan au centre, Thibault penché sur son côté droit et Zoë à sa gauche, impatients d’écouter les mots de Rebecca.

19 h 58.

19 h 59.

20 h 00.

L’écran passa du noir à une image qui fit bondir le cœur de Thibault. Rebecca, aussi pâle et terrible qu’à l’ordinaire, se tenait debout face à la caméra, dans la serre de Solène. Il pouvait apercevoir les dossiers des chaises de fer blanc sur lesquelles il s’était si souvent assis. Alors que la grande-duchesse les fixait de son regard sévère, il ne put s’empêcher de pointer l’écran du doigt et d’expliquer à la hâte à son frère et sa sœur qu’il s’agissait de la serre dans laquelle il avait rencontré l’impératrice pour la toute première fois. Donovan répondit à la déclaration par un regard interloqué, tandis que Zoë, après lui avoir adressé un sourire, posa un doigt sur ses lèvres. Rebecca allait parler.

 

« Fils et filles de Délos.

« Ce soir, pour la première fois, je m’adresse à vous pour évoquer la crise que nous traversons actuellement, laquelle a pris racine depuis déjà bien des années. L’heure est grave.

« Notre cité a été attaqué au sein même de son institution la plus honorable. Le 1er juillet dernier, une cinquantaine d’hommes et de femmes ont perdu la vie dans des conditions inhumaines, d’une violence rare, et contrevenant à tout ce en quoi nous croyons. Ce n’est pas la première fois. Nos pensées vont, ce soir, à tous ceux qui ont déjà dû souffrir d’attentats commis par le passé. Il n’est plus un seul étage de la cité qui n’ait pas subi de pertes liées aux agissements terroristes.

« Cette semaine, l’impératrice Solène s’est entretenue avec ses ministres. Il a été décidé d’un accord unanime que nous mettrions un terme définitif au terrorisme. La guerre est déclarée.

« La première partie de ce message s’adresse directement aux partisans de Diane, qui ne cessent d’alimenter l’incendie dans lequel ils souhaitent voir notre magnifique cité s’embraser. Sachez-le ce soir, votre règne de terreur touche à sa fin.

« Vous nous avez trop pris. Vous avez pris des enfants et des parents. Des frères et des sœurs. Des cousins, des amis, des oncles, des tantes, et des amants. Vous avez tué sans vergogne pour vos bas idéaux.

« Vous m’avez trop pris. Vous avez pris la vie de mon époux Henry, celles de mes enfants, Charlotte et Maxence. Vous avez pris la vie de ma cousine, Élisa, et de son mari l’empereur Marcelin. Vous cherchez encore et toujours à attenter à la vie de leur fille unique. À celle de son époux, et à celle de son fils, Éos, âgé de seulement trois ans. Mais vous avez échoué.

« Vous ne les atteindrez jamais. Vous ne nous atteindrez plus jamais. L’impératrice Solène est en sécurité, tout comme sa famille. Si votre cruauté ne connaît pas de limite, soyez prévenu que ma colère non plus ne trouvera barrage. Combien de nos concitoyens ont-ils subi des pertes similaires aux miennes, forcés de subir votre courroux ? Combien ont perdu un membre de leur famille, la personne qu’ils aimaient, ou un ami ?

« Vous nous avez trop pris. Vous nous avez trop pris et aujourd’hui notre fureur est grande, à nous tous. Près d’une vingtaine d’attentats, et vous ne trouvez jamais suffisante satisfaction dans vos actes infâmes. Faudra-t-il que la cité brûle pour calmer votre folie ?

« Nous refusons de finir en cendres. Si Délos tombe, vous tombez aussi. Nous refusons de continuer à fermer les yeux et de vous laisser détruire le dernier bastion de l’humanité. Cela fait bien longtemps que nous aurions dû agir. Trop nombreux étaient ceux qui encore nous poussaient à vous ignorer et à vous maudire en silence.

« C’est terminé : vous nous avez trop pris.

Rebecca se tut, et son regard s’attarda sur la caméra devant elle. Thibault se sentait impressionné par le charisme qu’elle dégageait. Il avait l’impression qu’elle était capable, à travers l’écran, de sonder les âmes de ceux à qui elle s’adressait. Il ne doutait pas de la sincérité de ses mots. Il fallait que la rage soit là, pour qu’elle ait accepté de mentionner sa famille décimée devant tout Délos. Il la vit prendre une bouffée de l’air pur du Sommet, puis elle regarda sur le côté, et hocha la tête, avant de reculer pour laisser place à Aaron Typhus, le premier ministre, qui fixa à son tour la caméra.

« Il y a quelques jours, les dix plus grandes familles de Délos se sont rencontrées et sont parvenues à un consensus que le Sommet et le Gouvernement vous présentent fièrement. Dès demain, une milice sera créée au sein des trois étages inférieurs. Nous recherchons aux alentours d’une dizaine de milliers d’hommes pour porter les couleurs impériales et détruire une bonne fois pour toutes l’organisation criminelle Diane. Chacun sera rémunéré à hauteur de 10 000 midas…

— 10 000 ? répéta immédiatement Donovan, les yeux écarquillés.

— Chut ! fit Zoë.

« … après une vérification de votre passif, le but étant simplement d’être certain que les terroristes n’infiltreront pas nos rangs. Car cette milice n’aura qu’un seul but : éradiquer une bonne fois pour toute le groupuscule Diane… »

Aaron Typhus entreprit de présenter plus en détails les conditions pour rejoindre la future milice. Thibault vit du coin de l’œil que Donovan s’était mis à griffonner frénétiquement sur un calepin, et se pencha pour mieux voir ce qu’il écrivait, mais au même moment, il laissa retomber son bras et se tourna vers lui.

— Ça représente cent millions de midas… Ils ont ce genre d’argent ?

Thibault plissa les yeux.

— Pourquoi je te répondrais ? Pour que tu ailles tout répéter ?

Une légère rougeur monta aux joues de Donovan.

— Non c’est juste… Ça fait beaucoup d’argent…

Thibault le dévisagea. Son frère semblait embarrassé. Ça avait été une question innocente, mais la colère de Rebecca s’était propagée jusque dans les veines de Thibault. Il laissa la haine le consumer un instant, puis Zoë parla.

— Tu crois que les gens vont céder pour l’appât du gain ? Ici ? Qu’ils se retourneraient contre nous et viendraient nous tuer ? fit-elle d’une petite voix.

Donovan se retourna et passa un bras autour d’elle, dans un geste rassurant. Thibault la détailla alors. Elle n’avait pas capté l’échange de regard entre ses deux frères. Elle observait Typhus qui parlait toujours, et la peur faisait briller son regard. Il regretta alors sa colère. Il posa une main sur l’épaule de son frère pour que ce dernier se tourne vers lui avant qu’il ne réponde :

— Pas vous. Je ne les laisserai pas vous faire de mal. Je connais Solène, jamais elle ne me ferait…

Thibault s’interrompit au beau milieu de sa phrase. De nouveau, son estomac avait fait un bond, et son cœur battait à tout rompre. À l’écran, une liste de personnes, des portés disparus, s’était affichée. Il voyait son propre visage, tout à côté de celui de Gabriel. Les larmes lui montèrent aux yeux sans prévenir. Il prit la page des genoux de Donovan, et approcha l’image tout près de son visage. Il aurait voulu que la photo ne disparaisse jamais. Il fixa les yeux vairons, haletant, jusqu’à ce que l’écran fasse une nouvelle mise au point sur Rebecca qui quittait la serre, accompagnée par la silhouette familière d’Ajax. Typhus, en retrait, prenait la même direction.

Thibault laissa tomber la page de ses doigts tremblants. Un violent sentiment de culpabilité l’assaillit. Il voulait que Diane soit anéantie… Mais Gabriel n’aurait jamais approuvé ça. Gabriel aurait encouragé Solène à s’opposer à un tel massacre. Pas uniquement pour ceux à qui il tenait. Le garçon n’avait jamais donné son affection facilement, à part celle qu’il portait à Thibault. Pour autant, il n’aurait jamais, jamais pensé qu’envoyer une milice armée au Septième eût été une bonne idée.

— Ça va aller ? demanda Donovan sans masquer l’appréhension de sa voix.

— Non.

Thibault se recroquevilla sur lui-même. Revoir les yeux de Gabriel, son expression neutre qui cachait la personne… C’était difficile de définir la tempête de sentiments qui l’agitait. Il serra le poing sur la fiole qui contenait ses cendres.

— Je ne sais plus quoi penser…

Zoë se pencha pour prendre sa main. Donovan, à son tour, passa un bras autour de lui. Il les laissa le consoler. Il se sentait faible. Les larmes roulaient sur ses joues. La fiole, contre sa poitrine, semblait répondre aux douces pulsations de son cœur.

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Edouard PArle
Posté le 14/12/2024
Coucou Cléooo !
Je n'ai pas pu résister à la tentation, me revoici !
Si le chapitre précédent a été très difficile, j'imagine que celui-ci ne l'était pas forcément moins, je trouve ça tellement dur d'écrire avec justesse les ressentis d'un protagoniste aussi traumatisé. Je trouve que tu t'en sors vraiment très bien, j'ai apprécié l'équilibre trouvé entre le développement du deuil de Thibault et le fait que l'histoire continue malgré tout, grâce au discours de Rebecca. La lecture est plapitante !
En lisant ce chapitre, je me suis fait une réflexion qui englobe au final l'histoire dans son ensemble : le personnage de Donovan apporte plus beaucoup après le chapitre de départ d'en bas. Je trouvais sa dynamique avec Thibault très très intéressante au moment du départ pour être esclave, mais depuis qu'ils se sont retrouvés, je trouve qu'il fait plus de la figuration, derrière une Zoë qui est à mon sens bien plus intéressante. Peut-être as-tu prévu d'autres choses pour lui par la suite ? Sinon, ça pourrait être intéressante qu'il meure / disparaisse (pour ressurgire plus tard ?) pendant les 10 ans où Thibault est au Sommet et que Zoë porte sans lui le poids de rester avec Thibault pendant son enfermement à Diane, surtout que Tobias est aussi là, et joue un rôle différent (top sa scène avec Thibault).
Bref, sinon, Zoë est toujours aussi géniale. La pépite insoupçonnée de ton histoire ! C'est hyper touchant de la voir réconforter Thibault.
Petit coup de coeur pour la scène où elle rapporte les cendres de Gabi. C'est doux et touchant, subtil, sans trop en dire. Bravo !!
Ah, et pour le discours de Rebecca, disons que c'est à quoi on pouvait s'attendre à ce stade de l'histoire. Tout risque de s'accélérer maintenant. Seulement 6 chapitre pour conclure, je suis curieux de voir comment tu vas t'en sortir. Même si je soupçonne une fin ouverte (=
Mes remarques :
"Tobias était resté un moment. Ils avaient partagé leur peine dans le silence." pourquoi ne pas mettre au passé simple ? je trouve que ce serait encore plus fort
"Lison était dans la chambre, faisant face à une Zoë rouge de colère." couper le faisant ?
"— Tu n’es qu’une sale garce ! Quand Ollie est mort, dans quel état tu étais, toi ?!" ouch
"Il aurait voulu qu’elle donne un discours, elle aussi. Il aurait voulu savoir qu’elle allait bien, malgré tout." joli passage !
"« Notre cité a été attaqué au sein même de son institution la plus honorable." -> attaquée
"impressionné par le charisme qu’elle dégageait." -> par son charisme ?
Je continue !
Cléooo
Posté le 15/12/2024
Coucou Edouard ! Je suis ravie que tu ne puisses pas résister à la tentation de lire un nouveau chapitre ^^
Celui-là aussi a été difficile à écrire, pour trouver l'équilibre en effet. Je ne sais pas si l'équilibre est atteint, puisque Gabi mort ne le fait pas vraiment disparaître de l'histoire, du point de vue de Thibault. Mais on s'approche de la fin et il fallait avancer, c'est certain !

J'entends ta remarque au sujet de Donovan ! Il est présent mais pas à la manière dont Zoë est présente. Je pense que c'est dû aux caractères que j'ai voulu donner à chacun. Donovan porte encore lourdement la culpabilité de ce que Thibault a vécu par sa faute (le petit frère qu'il n'a pas protégé), quand pour Zoë (qui était pourtant celle à avoir suggéré qu'il s'en aille à la place de Donovan), elle, a décidé de créer une relation qu'elle n'avait jamais eu avec Thibault. Et elle est beaucoup plus solaire que Donovan.
Mais oui j'ai prévu des choses par la suite pour lui, ne t'inquiète pas :) et contente que Zoë te plaise toujours, elle est aussi ma petite préférée de la partie 2 du roman !

Concernant la fin... J'ai laissé une ou deux choses libres d'interprétation pour le lecteur, mais non, j'ai fait une fin fin ! Je ne suis pas une grande fan des fins ouvertes, c'est une chose qui me frustre quand je lis un roman.

Merci pour tes remarques ! Et de ton retour ! ^^
Edouard PArle
Posté le 15/12/2024
"mais non, j'ai fait une fin fin ! Je ne suis pas une grande fan des fins ouvertes, c'est une chose qui me frustre quand je lis un roman." Okok, d'autant plus curieux alors !!
Iphégore
Posté le 23/08/2024
Difficile, de faire retomber la pression et le rythme après un pareil passage. Tu as choisi les étapes par paliers de décompression, pourquoi pas. Ce n'est pas évident, parce que ça peut aussi faire souffle court, sans repos.

Il manque toujours un psy dans la pièce :D

Va-t-il pouvoir s'excuser auprès de sa sœur ? Lui pardonner ? Vont-ils seulement pouvoir s'écouter ? 

Ah ! Vive Zoë ! Voilà le bon mot ! Hein ! Ça ne sert à rien de te cacher, Lison, tu te feras bouffer par tes propres remords.

Il a l'air dans un piteux état, le Thibault.

Quand y en a marre, il y a Mallabar ! Ah non, c'est pas ça. Donc on propose aux pouilleux des strates inférieures de tuer ceux qui évitent l'esclavage et leur ont permis de respirer contre une somme qui leur permettrait de monter. Quand bien même ils monteraient, ils y seraient mal accueillis, car des tueurs. Vu l'être humain, c'est sûr que ça va marcher. Puis comme la plupart vont périr, le budget sera moindre.

À la fin du chapitre, le rythme est descendu. Par contre, on n'a pas vraiment d'approfondissement des sentiments de Thibault. On en reste à colère ou haine, sans qu'il creuse lui-même le pourquoi. Il ne comprend pas ses sentiments, et ce handicap devrait être explicité, car il risque sinon de t'être reproché comme une maladresse.

Zoë et Donovan gagnent en présence, même si Donovan semble plus effacé bien que très sérieux.


Tribulations :

s’assit tout prêt de Thibault -> près

Ou bien peut-être, avait-il -> sans virgule

si intense, qu’il -> pas de virgule avant le terme de comparaison (si que)

Ils avaient partagé leurs peines -> ça peut se défendre, mais en ont-ils plusieurs chacun ?

si de rien était -> n'était

votre règne de terreur est bientôt terminé -> touche à sa fin ? Il me semble qu'on dit plus souvent ça d'un règne

il n’aurait jamais, jamais pensé qu’envoyer une milice armée au Septième eut été une bonne idée. -> je pense qu'il faut un subjonctif, vu que la situation est hypothétique : eût été
Cléooo
Posté le 23/08/2024
Pour le début du chapitre, je visais un flou temporel, comme si le temps paraissait long mais tellement intangible qu'il s'effaçait. C'est vrai que c'est pas facile (de décrire un état de choc). Mais je ne sais pas comment l'allonger sans... l'allonger trop...

"On en reste à colère ou haine, sans qu'il creuse lui-même le pourquoi." -> il va falloir que j'y réfléchisse. À vrai dire, j'ai gardé l'évolution de Thibault pour le chapitre suivant (les suivants, même), donc je suis plutôt en phase avec ses sentiments dans ce chapitre.
J'ai essayer de lier les phases du deuil à son tempérament et je crois qu'à ce moment il ne pourrait pas encore interpréter autre chose que sa tristesse et sa colère. J'entends ta remarque néanmoins et je vais y réfléchir !

Merci pour toutes les coquilles ! :D
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