C'est en reprenant les cours, une semaine plus tard, que Gabriel apprit l'existence d'une vidéo où il figurait, bien que partiellement. Jusqu'à maintenant, il n'avait eu droit qu'aux détails de ce qu'il s'était passé. Et il éprouvait un certain embarras à se faire défendre de la sorte par une femme qu'il ne connaissait pas.
Clara Duquesnes. Cette fille, aux allures superficielles, possédait en réalité un véritable sens de l'héroïsme. Armée de sa louche, elle avait assommé l'individu qui l'avait attaqué sans aucun motif. Et il l'en remerciait.
Aujourd'hui, il ne restait que qu’une marque jaunâtre sur sa peau. Au moins, cette blessure-là ne resterait pas, pensa-t-il en touchant l'endroit sensible. Grâce à ce cocard, ses parents lui avaient accordé quelques jours de répit. De toute façon, il n'aurait jamais voulu sortir en public avec un oeil au beurre noir de la taille de son poing.
En réalité, il avait été pressé de reprendre les cours. L'ambiance à la maison s'était alourdie depuis cette soirée. Et avec son frère, ils s'essayaient à un nouveau jeu, le "évite-moi si tu peux". Ils étaient tous les deux victimes de culpabilité : Gabriel pour avoir ruiné la fête et Raphaël pour sa négligence. D'ailleurs, leurs parents l'avaient désigné comme unique coupable. Résultat, la rénovation de sa carrosserie avait été annulée. Devant cette décision, l'aîné n'avait même pas osé rechigner. Il le méritait après tout.
- Tu sais, je me sens coupable de ne pas avoir été là, aborda Charlotte entre deux morceaux de pomme. J'aurais dû t'aider...
Elle s'en voulait beaucoup. La jeune fille n'avait que de vagues fragments en tête de cette soirée. Elle se souvenait des lumières, de la musique. Toujours selon des images approximatives, elle se souvenait avoir dansé avec sa sœur pendant un long moment. Puis l'alcool avait altéré la suite des événements. La gueule de bois qu'elle avait reçu le lendemain certifiait de son état d'ébriété. Un coup du karma probablement...
Mais Gabriel ne lui en tenait pas rigueur. Il voulait rapidement oublier cet épisode. Quand il aura remercié Clara comme il se doit, il laissera cette soirée dans les tréfonds de sa mémoire, rangée spécifiquement dans un tiroir qu'il ne rouvrira jamais.
Vers midi, curieux de ce qu'il se racontait sur les réseaux, il se créa un compte Twitter. Il tapa le prénom de la jolie brune et tomba directement sur la vidéo buzz. Son pouce glissa directement jusqu'aux commentaires où il y aperçut des commentaires négatifs pour la plupart, qualifiant Clara de "personne toxique". D'autres tweets se moquaient de l'arme qu'elle avait utilisé, employant maintes parodies. Il rit pour certaines d'entre elles.
Cependant, l'embarras le tint quand il tomba sur des mots désobligeants, voire blessants pour la victime de ces moqueries.
Non, sa robe n'est pas trop courte.
Non, elle ne ressemble pas à un pot de peinture.
Et non, elle n'est pas une droguée.
Gabriel voulait crier sur ces inconnus qui possédaient la critique facile alors qu'ils n'avaient même pas le courage de dévoiler leur visage sur leur photo de profil. Il soupira. Il devait aussi présenter ses plus plates excuses à Clara. Le jeune homme devait juste trouver le moyen le plus approprié pour le faire. Par message, peut-être ? C'était la solution la plus simple et la plus logique selon lui. Ils ne se connaissaient pas assez pour qu'il demande à la rencontrer afin de la remercier. La seule connexion qui les liait était Pikachu. Il utiliserait donc cette unique attache pour la contacter et lui dire tout ce qu'il avait à lui dire.
L'adolescent réajusta sa capuche et remonta ses lunettes avant de jeter un coup d'œil à son environnement. Une bonne partie du lycée s'était rendue dehors pour la pause du midi, et avec Charlotte, ils n'y faisaient pas exception.
Plus tôt, ils avaient mangé du riz et du poisson à la cantine. Loin d'avoir l'estomac plein, Gabriel mangeait désormais les biscuits, prévu pour l'après-midi. Il en avait proposé à la rouquine qui avait sitôt refusée. Il avait pourtant été sûr d'avoir entendu son ventre gargouiller.
Installés à une table extérieure, ils profitaient des vitamines diffusées par les rayons lumineux. Le jeune homme aimait beaucoup cette sensation de chaleur. Il n'avait pas eu l'occasion de profiter du soleil, caché à l'intérieur de sa chambre. Il appréciait d'autant plus ce moment en compagnie de sa nouvelle amie. Malheureusement, l'instant fut interrompu par l'arrivée d'un groupe qui ne se souciait en aucun cas du monde autour d'eux. Leurs voix couvraient toutes celles aux alentours. Alors, quand ils se firent plus discret, son ouïe se calqua sur la bonne fréquence :
- Jules t'a parlé de son rendez-vous ?
- Pas tant que ça.
- Mauvaise nouvelle alors...
- Vu son état, il ne sert plus à rien d'espérer quoi que ce soit. S'il pouvait marcher, il l'aurait déjà fait, répondit l'inconnu en haussant les épaules.
Son attitude puait le dédain. Sa remarque irrita Gabriel. Comment pouvait-il se mettre à la place de son ami ? Il ne le pouvait pas dans l'instant, et il ne le pourrait jamais. Ce genre d'individu ne savait rien. Il ne savait rien de l'insécurité que l'on pouvait ressentir quand on était différent.
Bien sûr, l'adolescent ne pourrait jamais se prononcer à la place de Jules. Ils n'étaient pas fait du même bois. Ils n'avaient pas non plus la même attitude envers le monde. Mais à la minute où il avait rencontré son regard, il avait perçu la fragilité qui l'habitait. Une fragilité dans laquelle il baignait depuis l'incident. Ils étaient similaires. Et ce fut d'autant plus difficile d'entendre le reste de la conversation.
- Ne dis pas ça. Si tu étais à sa place...
- Je préférerais mourir que de passer le reste de ma vie sur un fauteuil roulant.
- Pareil. Je ne sais pas comment il fait pour supporter ça, ajouta l'un de ses compagnons.
La remarque fit mouche puisqu'une majorité du groupe acquiesca. Les poings du jeune homme se serrèrent. Du dégoût. Voilà tout ce que lui inspirait ce groupe d'amis. Parler de la mort de manière si détaché... Il en avait trop entendu.
Gabriel se leva brusquement de table pour rejoindre le bâtiment, non sans lancer un regard rempli de dédain à ces soi-disant "amis". A travers ses yeux, il leur fit bien comprendre qu'il avait tout entendu, et qu'il n'hésiterait pas à tout déballer le moment venu. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est qu'il ne ferait jamais rien de cette menace voilée. Il ne connaissait pas assez Jules pour se permettre de se mêler de ses affaires.
- Quelle horreur ce groupe. Une belle brochette d'hypocrites.
L'adolescent n'aurait pu mieux les décrire. Il avait de la peine pour le jeune homme. Être considéré de la sorte par des gens que l'on portait en haute estime... Gabriel comprenait tout à fait ce ressenti. Il se réfréna cependant de tout lui balancer.
- Tu as fait le devoir d'histoire-géo ? Demanda Charlotte alors qu'ils montaient les escaliers.
- Je n'ai rien commencé. Je ne savais même pas qu'il y avait un devoir à rendre.
- Je te l'avais envoyé par message pourtant !
Il ne répondit pas. Maintenant qu'il y pensait, il avait bien reçu une notification de ce genre. Mais bon, à chaque fois qu'il s'agissait de travaux scolaires, il ignorait royalement le sujet.
- On peut le faire ensemble si tu veux.
Gabriel lui signifia son accord d'un hochement de tête. A deux, ils finiraient plus vite.
- Quand est-ce qu'on fait ça ?
-Ce week-end si tu veux. On pourra demander de l'aide à Clara, elle s'y connaît pas mal en histoire.
- Chez toi ? Questionna-t-il d'une petite voix, histoire de bien comprendre.
- Yep. En plus, ma mère a rendez-vous chez le coiffeur, on sera tranquille.
Gabriel avait du mal à croire ce qu’il entendait. La jeune fille l’invitait chez elle. Lui. Elle l’invitait lui. Il essaya de se souvenir de la dernière fois que c’était arrivé. Un goûter d’anniversaire. Il devait avoir 10 ans. Cette année-là, il avait vécu la pire expérience de sa vie. L’adolescent effaça aussitôt cette image.
Il sourit maladroitement à Charlotte qui attendait une réponse de sa part. Il avait envie d’accepter. Il était curieux de voir l’habitation dans laquelle les sœurs vivaient. Et c’est ce qu’il fit.
- Passe plutôt l’après-midi. Ma soeur fait souvent la grasse mat’. Je t’enverrais l’adresse.
Le soir, sa mère sauta littéralement de joie en apprenant la nouvelle. S’il en croyait son sourire et l’étincelle dans son regard, elle était déjà en train de s’inventer un mariage imaginaire entre les deux jeunes. Et le moindre de ses arguments ne faisaient qu'alimenter un peu plus l'imagination débordante de Gloria.
Au moins, son frère ne se mêlait pas à ce genre de "festivité". La petite fratrie était toujours en froid. Gabriel ne savait pas comment arranger les choses. Le jeune homme devait se faire pardonner. Même s'ils n'étaient pas proche l'un de l'autre, cette situation ne pouvait durer. Il comptait s'y mettre dès maintenant.
D'abord, il sélectionna une photo dans un album réservé tout particulièrement à Pikachu puis l'envoya à Clara avec un mot d'excuse. Cela ne réparerait pas tous les torts qu'il lui avait causé mais au moins, il espérait que ce cliché de sa chienne recouverte de mousse la fasse rire.
A peine eut-il appuyé sur le bouton envoyer qu'il se dirigea d'une marche dynamique vers le garage. Il devait se jeter dans l'arène avant de faire machine arrière.