Chapitre 25

Ah, Kévin en avait marre. Même sans être très douée pour décrypter les expressions faciales des gens, Camille le devinait. Il avait un petit air bougon et le sourcil froncé typique de la personne qui en a marre ou qui boude. Mais dans quel cas de figure se plaçait-il ? Une seule solution pour le savoir.

– Tu boudes ou t'en as marre de moi ?

– J'en ai marre de toi Camille, you useless lesbian !

– Belle référence des internets. Mixte et sauce blanche s'il vous plaît, dit-elle au kebabier.

– Vous êtes sûre ? C'est pas bon de manger trop gras avec le bébé, glissa un client qui récupérait sa commande.

– C'est pas bon pour vous de partager vos avis non-sollicités sur ma grossesse, tête de cul, répondit-t-elle sans ciller.

Elle prit place à une petite table avec Kévin qui plongea la tête entre les mains. C'était samedi, ils ne travaillaient pas, et Kévin s'était brutalement rappelé que l'anniversaire de sa petite sœur était le jour même. Il avait donc demandé de l'aide à Camille pour aider à lui choisir un cadeau. Cette dernière avait profité de l'occasion pour lui expliquer tout ce qu'il s'était déroulé lors du week-end précédent ainsi que pour présenter ses pronostics concernant le potentiel pays vainqueur de l'Eurovision de cette année. La finale était le samedi suivant : tout le monde avait rendez-vous chez Nour pour regarder ça tout en mangeant du ghormeh sabzi. Il finit par ébouriffer ses courts cheveux avant de lui lancer :

– Comment tu peux t'accrocher à l'idée que Noémie n'a pas de penchant pour toi alors qu'elle rit à tes blagues les plus pourries et te demande de l'accompagner chez ses parents pour une fête en famille ? On invite pas une simple collègue à l'anniversaire de sa sœur.

– C'est bien ce que je me suis dit. Après, comme on fait un métier pas commun et qu'elle a eu des problèmes auparavant, c'est peut-être juste pour rassurer ses parents et-

– Camille. On-n'invite-pas-une-simple-collègue-à-une-fête-de-famille ! répéta-t-il en détachant chaque mot. Et on ne leur prend pas la main dès qu'on peut.

– Sur un malentend-

– Y'a pas de malentendu Camille ! Elle est gay. Gay. Elle t'envoie des signaux Camille. Plus que des signaux ! Elle envoie des fusées de détresse ! Elle fout des banderoles à des avions ! Elle-

– Mais c'est pas tout les jours qu'une meuf enceinte se retrouve à vouloir amorcer une relation lesbienne alors que sa grossesse est déjà un truc improbable en elle-même.

– Si, ça arrive dans le film brésilien chelou que tu m'as emmené voir y'a quelques années là.

– Mais la meuf enceinte meurt car elle accouche d'un loup-garou (3)... C'est quoi le rapport Kévin ? dit-elle en haussant le ton.

– Je sais pas, je te dis juste qu'on peut être enceinte et vouloir se trouver une meuf !

– Pourquoi elle voudrait être avec moi ?

– Mais demande-lui merde ! Qu'est-ce que j'en sais ! s'écria-t-il avant de se calmer. Sinon, j'avais pensé à une BD de Liv Strömquist pour ma sœur, t'en dis quoi ?

– Ah bah oui, bonne idée.

Leur discussion redevint posée. Alors qu'il quittait la rue Nationale pour se rapprocher de La chouette librairie faire son achat, le téléphone de Kévin sonna. Il sortit de son sac un premier téléphone qui ne sonnait pas puis un autre, son téléphone professionnel qu'il gardait sur lui en toutes circonstances. Sans regarder qui l'appelait, il décrocha avant de s'immobiliser, les yeux ronds, visiblement à court de mots. Camille s'approcha. Kévin lui tendit le téléphone pour qu'elle puisse entendre ce qui se disait à l'autre bout du fil :

– … de pédés et de connasses qui croient mieux savoir ce qu'on vit ! Vous vous planquez derrière votre image de « on aide les gens » et autres merdes alors que vous en laissez plein galérer sans même pouvoir crever ! Vous pouvez crier à la discrimination dès qu'on vous dit vos vérités en face ! Vous êtes des-

Le souffle court, Kévin avait raccroché. Son visage virait au vert tandis qu'il tentait de bloquer le numéro, sans succès puisqu'il s'agissait d'un numéro masqué. Dans sa précipitation, il décrocha une seconde fois et il put entendre :

– Je vais venir vous éclater vos sales gueules comme vous le m-

Kévin préféra éteindre son téléphone puis le jeter au fond de son tote bag avant de se tourner vers Camille qui elle-même ne se sentait pas très bien. Elle avait envie de vomir son kebab, et ce n'était pas à uniquement cause du bébé qui faisait des saltos dans son utérus.

– Putain, mais c'est qui ? demanda-t-il d'une voix blanche.

– Je sais pas. Un mec qui nous aime pas car on a l'air d'avoir refusé son dossier on dirait.

– On a cet effet sur pas mal de gens et ils viennent pas nous harceler et insulter au téléphone.

– Va falloir qu'on se penche sur ces dossiers là et- Et merde ! jura Camille qui se frappa le front frénétiquement. Merde !

– Quoi quoi quoi quoi ?

– Théo Machin. L'étudiant dépressif là...Tu te rappelles ?

– C'est pas le mec qui vous a coursées avec un marteau ?

– Si. Ça doit être lui aussi le post-it.

– Mais ce mec est dangereux ! On fait quoi ? J'appelle Mad ?

– Ouais. On va voir les flics ? proposa Camille.

– Écoute, vu leur réaction face au coup du post-it, je suis pas sûr qu'ils soient super enclins à nous aider car un mec nous menace au téléphone...

– C'est des menaces directes là.

– Le post-it était déjà une menace directe. Camille. Madeline a du appeler le procureur elle-même pour que votre plainte soit enfin enregistrée. Tu peux tenter de les appeler mais moi, je parie rien à ce sujet.

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– Mais puisque vous je vous dis que c'est la deuxième fois qu'on nous menace très spécifiquement ! J'ai déjà parlé à vos collègues le mois dernier à cause du post-it sur une de nos voitures. Oui, le numéro est disponible facilement, c'est en cas de question urgente, pour la permanence du week-end. Non, le numéro est masqué. Non, on ne sait pas qui c'est. On a des soupçons, oui. Non, on a pas de preuve, on vous appelle pour que vous enquêtiez et en trouviez Monsieur. On accuse pas sans preuve, oui Monsieur. Mais on ne menace pas les gens au téléphone pour un refus d'euthanasie non plus. Quoi ? « Faut le comprendre » ? Et nous, on peut pas nous comprendre alors qu'on a failli se pisser dessus de peur ? Quoi, « pas la peine d'être vulgaire » ? Je vous appelle car ça fait deux fois qu'on se fait menacer par un mec qui sait où on bosse et que ça serait suffisant pour ouvrir une enquête et c'est moi qui fais chier, c'est ça ? Je serai vulgaire si je veux Monsieur ! Une main courante ? Je me fais menacer de mort avec toutes mes collègues et vous me proposez une putain de main courante ? JE M'ÉNERVERAI SI JE VEUX ! Va te faire foutre, maugréa-t-elle après avoir raccroché au nez du 17. Fait chier. Pas la peine de dire « Je te l'avais dit » Kévin.

– Je me contenterai de le penser très fort.

– Que dit Madeline ? soupira-t-elle en essayant d'être moins tendue.

Elle se frotta le dessous du nez et sentit la peau sous ses narines commencer à brûler.

– Que vous ferez la permanence de samedi prochain à plusieurs directement au bureau.

– C'est pas plus dangereux d'être toutes ensemble au même endroit ?

– C'est plus facile de faire face à une menace à plusieurs que seule. En plus, Mad a dit qu'elle se chargeait de notre sécurité cette semaine.

– Elle va faire quoi, embaucher des ninjas ?

– Je sais pas, elle a murmuré un truc à propos de Starmania.

– Oula ! T'as pas l'impression qu'elle bosse trop ces derniers temps ?

– Elle passe tous ses temps de pause à demander à l'administration régionale d'enfin changer sa plaque et pour qu'elle soit enfin identifiée en tant que Madeline sur leurs papiers. Tu m'étonnes que ça lui bouffe les nerfs, la pauvre.

– À propos de bouffer, j'ai faim.

– T'as faim ? On s'est fait insulter, menacer de mort, Jean-Michel Connard t'a pas écoutée et toi, t'as faim ? Après le kebab monstrueux qu'on a avalé en plus ?

– Je suis enceinte ! J'ai envie de Pims.

– Des Pims ? répéta Kévin sur le plus grand ton de dégoût jamais entendu.

– Je suis enceinte, Kévin.

– Tu bouffes des Pim's même quand t'es pas enceinte donc ça marche pas là. Mais OK, allons acheter ces aliments maudits par les Dieux. Après la librairie. Faudrait pas que tu foutes de la marmelade sur leurs bouquins. Des Pims ! murmura-t-il en hochant la tête en signe de désapprobation.

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(3) Oui, je spoile une partie du film Les bonnes manières, que je recommande vivement.