Heather avait dans un premier temps retrouvé son ami sans moi. J'avais encore quelques dossiers à finaliser à mon travail avant de les rejoindre. J'envisageais déjà le pire.
Elle m'avait dit qu'ils s'étaient rencontrés au lycée et étaient devenus très proches. Il devait avoir son âge ou un an de plus ou de moins qu'elle à la limite. Je ne savais même pas pourquoi la première chose qui me tapait à l'esprit était son âge. Je m'en fichais, je n'avais jamais fait attention à l'âge des autres.
Il était seize heures quand je m'apprêtais à quitter le travail. Cynthia m'intercepta juste avant mon départ.
— Tu t'en vas déjà ? me demanda-t-elle en plissant des yeux.
— Je dois rejoindre Heather. Elle veut me présenter à un de ses amis, répondis-je naturellement sans me soucier de sa réaction.
— C'est sérieux ?
— Comment ça sérieux ? Je vais juste rencontrer son ami.
— Fais gaffe Cole, j'ai peur que tu t'éloignes de tes objectifs, me prévint-elle d'un ton dur.
— Ne t'en fais pas. Mes objectifs sont clairs et nets, la rassurai-je même si j'en doutais fortement en ce moment même.
Sur ce, je partis précipitamment. Heather m'avait indiqué l'adresse. Je n'y étais jamais allé, mais l'adresse ne m'était pas inconnue.
En quelques minutes j'arrivais à destination. C'était un café plutôt modeste. Je reconnus rapidement Heather parmi la foule par sa chevelure flamboyante. Elle et son ami étaient sur la terrasse, en train de rire. J'allais sûrement gâcher cette bonne ambiance.
Prenant une longue inspiration, je m'approchai d'eux. Dès qu'elle croisa mon regard, elle ne tarda pas à faire les présentations :
— Cole, je te présente Ethan. Ethan, voici Cole, mon fiancé.
Celui-ci se leva pour me serrer la main. Je n'avais aucune raison de me défiler et tentai de rester courtois en lui rendant la pareille.
Comme je le prévoyais, il avait le même âge qu'Heather. Les gens aux alentours devaient se poser des questions. Je savais que j'avais l'air un peu plus âgé que je ne l'étais vraiment. Généralement, les gens me donnaient un peu plus de trente ans quand ils étaient honnêtes. J'avais perdu mon innocence bien trop tôt, contrairement à Heather.
Puis nous nous assîmes. Je commandai un café. Je n'allais pas faire mauvaise impression en prenant un verre de vodka. Quoique, j'aurais pu le faire. Dans le fond, je m'en fichais.
— J'ai été très surpris d'entendre que Heather était fiancée, annonça-t-il pour lancer la discussion. Je ne pensais pas que ça arriverait avec le père qu'elle a.
Mes doutes se confirmèrent. Son père voulait avoir le contrôle sur sa vie sentimentale.
— J'ai su dompter la bête, répliquai-je.
Il afficha un rapide sourire, assez amusé par ma remarque. Visiblement, il avait l'air de bien connaître Nash, sûrement pas de la même manière que moi.
— Son père est assez particulier, lâcha-t-il, peu convaincu.
Il devait ignorer que je travaillais dans le même milieu que Nash. Heather ne lui avait rien dit visiblement. Je jetai un bref regard vers celle-ci, elle avait l'air un peu gênée, à la limite de rougir.
— Je travaille dans le même milieu que son père, expliquai-je d'un ton neutre. Je possède moi aussi une entreprise dans le domaine de l'informatique et des hautes technologies. Mais nous sommes plutôt en concurrence.
Il semblait davantage amusé et se tourna vers Heather qui semblait de plus en plus embarrassée.
— Qu'est-ce que je t'avais dit ? Je savais que même si tu prétendais ne pas vouloir suivre les traces de ton père, tu resterais collée à ce milieu.
Elle ne put s'empêcher de rire, mais un rire tout de même retenu. Elle paraissait ne pas vouloir s'afficher ou tout simplement parce que j'étais ici.
— Je vous trouve pas mal vous deux, dit-il toujours sur le même ton enjoué.
Heather fronça des sourcils d'incompréhension et mon visage ne devait afficher aucune expression. La sociabilité, vraiment pas mon truc.
— On n'en voit pas partout des couples comme vous. Assez atypiques dans le genre... Mais je trouve ça bien, ce n'est pas un reproche.
On n'avait vraiment pas l'air d'un couple banal en effet. Je l'avais déjà remarqué il y a bien longtemps.
— Et sinon, pourquoi tu es revenu ici ? demanda Heather d'une voix affectueuse.
— Une maison de disques s'intéresse à moi. Je vais peut-être signer un contrat.
— C'est génial !
Ils partageaient une amitié que jamais je ne pourrais avoir avec quiconque. Je n'avais presque pas d'amis, on abusait tous l'un de l'autre d'une certaine manière.
Puis je me rendis compte que leur amitié n'était pas aussi sincère que je le croyais. Cet homme était amoureux d'Heather. Je le voyais désormais, ça me sautait aux yeux. Peut-être n'était-il pas revenu que pour son contrat, mais pour elle.
Je bus mon café pour me calmer et les observais en pleine discussion. Comment pensait-il avoir une chance avec elle ? C'était clair et net que jamais elle n'éprouverait le moindre sentiment pour lui.
— Cole, tu joues d'un instrument ? me demanda-t-il en me tirant subitement de mes pensées.
— Si tu comptes le triangle, oui, ironisai-je.
Il rit à ma remarque, d'un rire assez discret. Ce n'était pas aussi drôle qu'il le croyait.
— Ethan joue de la guitare depuis tout petit, précisa-t-elle en se tournant vers moi.
Si j'avais dû parier sur quel instrument il jouait, j'aurais certainement choisi la guitare. La majorité des hommes en jouait pour séduire la gent féminine. Il ne faisait pas exception à la règle.
— Impressionnant, mentis-je.
Qu'est-ce que je m'en fichais de lui et de sa guitare. Peut-être pour ça que j'avais peu d'amis, on devait prétendre s'intéresser à leurs stupides loisirs.
— On compte faire du laser quest après avec d'autres amis, tu veux te joindre à nous ? me proposa-t-il.
Je n'avais aucune idée de ce que c'était, mais ça ne m'intéressait pas. Je tentai de détourner l'invitation poliment :
— J'ai beaucoup de travail, je ne faisais que passer.
— D'accord. Ça a été un plaisir de te rencontrer.
— Moi de même, mentis-je de plus belle.
J'embrassai langoureusement Heather sous ses yeux surpris. Elle l'était tout autant que lui, mais semblait vraiment apprécier ce geste.
— On se retrouve ce soir, lui murmurai-je en caressant brièvement ses joues rougies.
En réalité, on avait à parler. Elle hocha la tête d'une manière enfantine. Elle pouvait vraiment se comporter comme une gamine quand elle était avec ses amis.
J'adressai un dernier regard froid envers Ethan puis partis d'une démarche presque rapide jusqu'à ma voiture.
Je sortis les clés de ma poche puis m'arrêtai dans mon geste. Fixant le regard d'une femme. Je la connaissais. Je l'avais côtoyée des années auparavant. Alyssa Cosman. Elle ne semblait pas me reconnaître. Ça faisait presque vingt ans que je ne l'avais pas revue.
Elle laissa tomber involontairement son écharpe. N'importe quel gentleman irait la lui ramasser et lui rendre. Je n'étais pas un gentleman, juste curieux.
Sur ce, je m'approchai d'elle après avoir ramassé son écharpe.
— Vous avez laissé tomber ceci, l'interpellai-je en la lui tendant.
Elle semblait étonnée de mon geste puis prit son écharpe.
— Merci, dit-elle timidement.
Son regard était dur envers moi et ne semblait pas s'adoucir. Elle s'en alla sans dire le moindre mot.
Elle ne m'avait pas reconnu. Ma propre cousine. Après tout, elle ne me connaissait uniquement qu'en tant que Cole Triaghan.
*
Il était dix-huit heures quand je rentrai chez moi. En réalité, je n'étais pas parti parce que j'avais du travail, bien au contraire, j'aurais pu rester avec eux. Si seulement j'étais le genre de personne à faire ça...
Heather vint immédiatement me voir pour me prendre dans ses bras, me demandant des nouvelles du travail. Puis elle s'attaqua au vrai sujet, celui qui la titillait depuis tout à l'heure :
— Alors, que penses-tu d'Ethan ?
— C'est un prédateur sexuel, affirmai-je sans la moindre honte.
Elle fit bien rapidement la moue, ne pouvant supporter que je puisse dire ce genre de choses à propos de son ami.
— Tu le connais à peine ! s'indigna-t-elle.
— C'est suffisant.
Soudainement, son visage se transforma. Elle afficha un sourire très malin qu'elle avait beaucoup de mal à dissimuler. Je voyais désormais clair dans son jeu.
— Ne me dis pas que tu me l'as présenté uniquement pour me rendre jaloux ! m'écriai-je sur le coup de la surprise.
— Ça avait l'air de marcher, dit-elle ne pouvant plus contenir son amusement. Admets-le, tu es jaloux d'Ethan !
— Je ne vois pas pourquoi je serais jaloux de lui. C'est un mec banal comme un autre.
Elle secouait la tête tout en riant. Je levai les yeux en l'air. Elle était vraiment persuadée de mieux comprendre la situation que quiconque, elle avait tort.
— J'ai réussi à te rendre jaloux, lâcha-t-elle en riant fière d'elle.
— N'importe quoi...
Elle prit ma cravate dans ses mains, l'entrelaçant entre ses doigts.
— Je dois avouer que c'était simple. Ethan a toujours eu un crush pour moi. Mon père le voyait d'ailleurs comme le gendre idéal, il espérait vraiment nous voir ensemble.
Ceci me fit sourire intérieurement. Elle m'avait choisi, le total opposé.
— Enfin... Ethan ne m'a jamais intéressée, ajouta-t-elle.
— Il n'est pas ton genre d'homme alors ?
— Tu n'étais pas mon genre et pourtant, je suis avec toi. Mais je trouve ça mignon que tu sois jaloux.
— Ça n'a rien de mignon et je ne suis pas jaloux, insistai-je en appuyant sur chacun de mes mots.
Elle rit à ma remarque. Elle ne me prenait vraiment pas au sérieux. Je n'avais plus aucune chance de la convaincre.
— Serais-tu en train de te moquer de moi ? lui demandai-je en la regardant intensément.
— Oui, répondit-elle pour me défier.
— Tu veux jouer à ça ?
Elle hocha la tête, attendant mon prochain tour. Elle leva un sourcil, elle était impatiente. Elle voulait me provoquer. Elle y arrivait très bien.
Sortons le fou.
Brusquement, je la soulevai puis la pris dans mes bras. Elle s'accrocha à mon cou puis laissa échapper quelques cris de surprise mélangés à la joie.
— Qu'est-ce que tu fais ? s'inquiéta-t-elle.
— À ton avis ?
Son rire s'intensifia. Je la portai jusqu'à ma chambre et l'allongeai dans le lit. Je la chevauchai, elle semblait soudainement gênée.
— Qu'est-ce qu'il y a ? m'enquis-je en voyant sa mine changer soudainement.
— Je... Tu veux vraiment qu'on le fasse ?
— C'est ce qu'on s'apprêtait à faire...
— Je... J'ai mes règles, m'avoua-t-elle honteuse.
Je ne pus m'empêcher de sourire. C'était bien la première fois que je tombais sur une femme qui refusait une coucherie sous prétexte qu'elle avait ses règles.
Elle évitait mon regard du mieux qu'elle le pouvait. Je pris son visage entre mes mains, la forçant à la regarder.
— Ce n'est pas grave, tentai-je de la rassurer.
— Vraiment ? douta-t-elle en se mordant la lèvre inférieure.
— Ne te tracasse pas pour ça.
— Désolée... C'est stupide... Je ne devrais pas—
Je posai mon doigt sur sa bouche pour la faire taire tout en laissant échapper un petit "chut". Elle n'avait pas besoin d'aggraver sa honte.
— Si tu ne veux pas le faire, je ne vais pas te forcer, dis-je en retirant mon doigt.
— C'est juste que je ne sais pas... Je n'ai pas l'habitude... Comment tu faisais quand ça arrivait ?
— Je ne me tape que des putes généralement. Elles disparaissent pendant cette semaine ou trouvaient un moyen pour ne pas les avoir parce que ça ne m'est jamais arrivé.
— Tu veux dire que je suis la première andouille qui te dit qu'elle ne peut pas parce qu'elle a ses règles ? Désolée, mais là j'ai juste envie de me cacher sous la couette.
— Je t'en prie, ne te cache pas sous la couette, la suppliai-je, assez mal à l'aise.
Je m'allongeai à ses côtés. Elle se blottit dans mes bras même si je sentais qu'elle voulait le faire. Elle grimaça.
— Je t'ai un peu cassé dans ton élan, non ? murmura-t-elle avec hésitation.
— Arrête d'y penser. Je ne suis pas mieux dans le genre. L'occasion ne s'est jamais présentée à moi non plus, je n'ai jamais eu de relation stable.
— Sérieusement ?
— Non, jamais.
Elle voulait me poser davantage de questions, mais se ravisa. Elle avait peur de dériver sur un sujet sensible. Je savais qu'elle espérait que je lui dise tout un jour.
Elle me serra davantage contre elle.
— Je suis contente de t'avoir rendu jaloux tout de même, dit-elle fièrement.
— Je ne suis certainement pas jaloux d'Ethan, persistai-je. Ce type n'a aucun charisme...
— Jaloux, répliqua-t-elle en tirant la langue.
— On va devoir reparler de ce comportement, mademoiselle.
Elle ferma les yeux, posant sa tête sur mon torse. Elle pensait pouvoir s'en sortir de cette manière. Malheureusement, elle y arrivait à la perfection.
Nous restâmes de longues minutes ainsi, chacun dans les bras de l'autre, complètement insouciants.