Chapitre 25 - Des informations

Par Froglys

Après avoir appris que je n’aurais plus d’entraînement avec Léoni et Léandre avant longtemps, j’avais été de mauvaise humeur tout le reste de la journée. J’avais même raté l’occasion de me donner à fond lors de mon dernier combat avec Léoni en fin d’après-midi.

Non, vraiment, je n’avais eu le cœur à rien. J’en voulais à mon frère de partir si tôt. Je lui en voulais pour ce qu’il ressentait à l’égard du palais et de notre famille. Je savais que c’était injuste, mais je continuais de lui en vouloir.

Assise à table avec tout le monde, je soupirai. Le repas, bien qu’aussi succulent que d’ordinaire, était fade dans ma bouche. Je saisis mon verre pour essayer de faire passer le goût.

L’attablée était toujours aussi bruyante et animée. Ce soir, seul notre oncle par alliance, Siméon de Dvareine, était absent. Même Hector, le premier prince et bâtard du roi, nous avait fait l’honneur de sa présence. Par ailleurs, j’avais remarqué que je l’avais déjà aperçu sur le terrain d’entraînement principal en train de coordonner les chevaliers.

Tous discutaient et passaient un bon moment ensemble. Je me sentis coupable de ne pas en être.

Heureusement, le dîner se finit tôt et je pus enfin sortir de la pièce. Me frayant un chemin discrètement à travers la dizaine de personnes qui sortaient elles aussi, je me rendis sans plus attendre dans ma chambre.

J’attrapai un livre et continuai ma lecture pendant une bonne heure avant que des bruits ne m’interrompent. Plusieurs personnes entraient bruyamment dans la partie commune que je partageais avec Thalion.

— T’abuses, Léo ! Faire ça devant Lisabeth, râlait d’ailleurs ce dernier.

— Avoue quand même que c’était bien drôle ! rétorqua l’interpellé, semblant, d’après sa voix, pris d’un fou rire.

Plusieurs autres rires retentissaient.

— Thalion, mon chou ! J’ai affreusement besoin de tes mains expertes, s’exclama une voix aiguë dont le timbre s’approchait de celui de Léoni.

De nouveaux rires s’élevèrent tandis que je fis abstraction de ce qu’ils disaient. Je me relevai. De toute façon, ce livre ne m’intéressait pas et, avec le vacarme à l’extérieur, il m’était impossible de me concentrer.

Leurs rires me faisaient mal au cœur. Des larmes se formèrent au coin de mes yeux. Je les essuyai aussitôt.

J’avais besoin de prendre l’air. Je me dirigeais près de l’unique fenêtre de la pièce pour vérifier si je pouvais descendre.

Je l’ouvris en tâchant de faire le moins de bruit possible. De toute façon, j’étais presque certaine que Thalion et les autres dans la pièce d’à côté n’entendraient rien.

Je me penchais par-dessus le petit rebord de l’ouverture. Il y avait un petit rebord à un demi-mètre, puis une chute d’environ trois mètres.

— C’est faisable, murmurai-je pour me convaincre que ce que je faisais n’était pas juste une énorme bêtise.

Je courus vers l’armoire et attrapai une veste noire que je revêtis. Je pris aussi le couteau de Léoni et tressais mes cheveux en deux nattes. J’agrippai ensuite la poignée du battant pour me hisser sur le rebord. Je lançai un dernier regard vers la porte de ma chambre. Les rires retentissaient toujours autant. Je pestai et retournai dans la chambre pour placer une chaise devant la porte. Peut-être que cela ne servirait à rien, mais bon, déplacer un meuble lourd ferait beaucoup plus de bruit.

Une fois tout en place, je retournai à la fenêtre. Regardant en bas, je fixai le toit avec appréhension.

Je commençai ma descente en me tournant dos au vide. J’atteins l’encoche avec mon premier pied. C’était beaucoup plus bas que prévu. Avec difficulté, je posai le second, tenant toujours fermement le rebord. Il me restait presque trois mètres à sauter.

Mes jambes tremblaient. J’avais peur.

Ah bordel… Mais quelle idée avais-je eue ?

J’écoutais le tapage de la pièce voisine. Thalion avait pu trouver d’excellents amis durant ces deux ans. Quant à moi, si j’en avais eu, je les avais oubliés. En sortant, j’espérais retrouver Fallon, l’unique vestige, à ma connaissance, me reliant à ma vie passée.

Je soupirai une énième fois et, prenant mon courage à deux mains, je sautai.

Zilé… murmurai-je en usant de mes deux mains amortir ma chute.

Tombant sur mes pieds et mes mains, ma fugue ne fut pas aussi silencieuse que je l’avais espéré.

Heureusement, aucun son provenant du groupe d’amis ne m’indiqua que j’avais été découverte.

Je m’aventurais alors un peu plus loin sur les toits, en prenant bien soin de rester dans l’ombre. Quelques minutes plus tard, je finis par trouver un endroit où m’installer avec une jolie vue sur la ville.

A peine assise, contemplant seule ce beau tableau, des larmes coulèrent sur mes joues.

Je n’entendais plus l’agitation provenant de ma chambre, mais la douleur dans mon cœur était toujours présente. C’était vrai. J’avais oublié les personnes que j’avais rencontrées durant ces deux dernières années. Je jalousais mon frère qui était bien entouré. Depuis notre départ de Roaris, je me sentais comme une étrangère, la cinquième roue du carrosse. Je m’étais incrustée parmi les amis de mon frère et, bien que je les appréciais beaucoup, je ne pouvais m’empêcher de me sentir seule. Ils n’étaient pas mes amis, ils étaient les siens.

Je repliai mes jambes pour caler ma tête dessus. Je n’empêchais pas mes larmes de couler. De toute façon, mes pensées étaient trop noires pour le pouvoir. Mon pantalon était déjà trempé au niveau des genoux lorsqu’un doux murmure d’une voix familière me parvint.

— Je t’aurais bien demandé si ça allait, mais tu m’aurais rétorqué un truc du genre : « Bien sûr que oui, ça ne se voit pas ? ».

Je relevai la tête vers mon ami.

— Je n’étais pas sûre que tu viendrais, formulai-je, essayant de sourire.

Les yeux orangés du demi-homme ressortaient bien dans le noir. Il vint s’asseoir à mes côtés et me surprit en me prenant dans ses bras. Ma tête tomba sur son épaule.

— Je ne sais pas ce qui te tourmente, mais je peux t’écouter si tu le souhaites.

— Je suis contente que tu sois là.

Je reniflai. De nouvelles larmes menaçaient de couler à nouveau. J’étais triste de ne pas me souvenir de lui.

— Dis, Fallon, j’avais des amis… avant ? fis-je dans un murmure si bas que je doutais qu’il l’ait entendu.

— Oui. Mais…

Je le sentis prendre une inspiration. Il hésitait.

— Beaucoup sont morts.

Alors j’avais eu des amis qui n’étaient plus de ce monde et dont je ne me souvenais même pas. Des gouttes salées roulèrent sur mes joues pour finir leur course sur mes lèvres.

Dans une plainte, je serrai d’autant plus mon ami. Je pouvais sentir sa main caresser mon dos et tenter de me calmer.

J’aurais tant aimé lui parler du flash que j’avais eu deux jours plus tôt, mais je n’avais clairement pas la tête aux énigmes. De même concernant toutes les questions qui fusaient dans ma tête à son sujet.

Au lieu de ça, je fermais les yeux et me concentrais sur ma respiration. Lorsque je fus calmée, j’informai Fallon de mon départ chez un ami de mon frère le lendemain.

— Je passerai dans quelques jours. Fais attention et assure-toi de rester en sécurité.

Il me lâcha et se releva. Il sourit avant de se retourner et de s’en aller. J’aurais aimé qu’il reste plus longtemps. Mais les mots restèrent prisonniers de ma gorge, et je le laissai partir, regrettant déjà mon silence.

Tournant mon regard vers la ville, je laissai mes pensées s’égarer sur ce panorama fascinant. Depuis cette hauteur, la capitale dévoilait toute sa grandeur. Les cercles illuminés donnaient l’impression d’un monde vivant, mais mystérieux. Les lumières dansantes des habitations brillaient comme autant de secrets à percer. Un calme presque irréel m’entourait, et pour un instant, je me laissai happer par cette beauté captivante.

Le froid brutal d’une lame contre ma peau brisa mon moment de rêverie. Mon souffle se coupa net, remplacé par une terreur glaciale qui s’empara de chaque fibre de mon corps. Le souffle chaud derrière moi contrastait cruellement avec l’acier glacé sur mon cou. Mon instinct me poussa à tourner la tête, mais une main rugueuse s’abattit sur mes yeux, m’aveuglant.

— Si tu bouges, je n’attendrai pas pour te trancher la gorge, déclara une voix écorchée et grave digne d’un monstre.

Mon corps se tendit violemment, figé par une peur qui me paralysait complètement. Je n’osais pas respirer trop fort, pas même avaler ma salive. Les battements de mon cœur résonnaient dans mes oreilles comme un tambour assourdissant. Chaque muscle de mon corps criait à la fuite, mais je savais qu’un seul geste pourrait signer ma fin.

— Qu… que voulez-vous ? me risquai-je à demander.

— Mon chef, commença-t-il, souhaite avoir quelques réponses concernant ce que vous avez découvert à Oress.

Je n’étais jamais allée à…

Oh…

— Je ne… je ne sais rien du tout !

— Ne me fais pas rire, rétorqua-t-il d’une voix toujours aussi grave. Nous savons très bien que c’est toi qui t’es occupée de récupérer toutes les données. C’est toujours ton rôle.

Mon rôle ? Ces informations qu’il possédait, cette assurance avec laquelle il parlait de moi… Cela m’ébranla. Il savait des choses que j’ignorais sur ma propre vie, des vérités enfouies que je n’avais pas encore découvertes moi-même. Cette idée fit naître en moi un mélange de peur et de frustration, comme si j’étais une marionnette dont on connaissait les ficelles mieux que moi.

Le couteau pressé contre ma gorge n’avait pas disparu, mais quelque chose dans son ton et ses gestes me fit comprendre qu’il ne comptait pas me tuer tout de suite. Saisissant cette opportunité, je tentai de l’amener à parler.

— Que voulez… vous ?

Il devait avoir remarqué le changement dans mon attitude, car la pression sur ma gorge se relâcha légèrement, et sa main se retira de mon visage. Une légère bouffée d’air, de soulagement, mais pas assez pour apaiser le tumulte dans mon esprit. Il ne me laissait toujours aucune chance de fuir, et je savais que je n’avais qu’une seule option. Garder mon calme et essayer de comprendre.

— Les Rebelles, que préparent-ils ? Nous avons entendu que leur chef avait quitté le royaume.

Chaque mot qu’il prononça résonna comme un coup de tonnerre. Les Rebelles. Un nom de plus, une menace supplémentaire. Mon esprit s’emballa, jonglant entre la peur et une confusion oppressante. Trois groupes… trois groupes liés à ma vie, à ce passé que je ne comprenais pas. L’Ombre, ce nom qui s’imposait dans mes souvenirs brumeux. La rousse, qui semblait jouer dans le même camp que l’assassin. Et maintenant, ces Rebelles. Qui étaient-ils ? Et que voulaient-ils de moi ?

Mon cœur battait à tout rompre, chaque pulsation résonnant douloureusement dans ma poitrine. La lame contre ma gorge accentuait l’urgence. Son froid implacable me rappelait que je n’avais pas droit à l’erreur. Une réponse. Il attendait une réponse. Et je n’avais qu’une chance.

Je rassemblai précipitamment les fragments d’information que j’avais en ma possession. Une seule hypothèse me semblait tenir debout

— Leur coup d’État, m’empressai-je de dévoiler d’une voix étranglée par la peur, ils cherchent de l’aide.

Le silence qui suivit fut insoutenable. Je m’attendais à sentir la lame se refermer sur ma peau à tout instant. Mais au lieu de cela, elle s’éloigna. Un soulagement intense mêlé d’un vertige me saisit, et je compris qu’il me croyait.

Sans réfléchir, je repoussai son bras et me jetai dans une fuite désespérée. L’adrénaline envahissait chaque fibre de mon corps, me propulsant vers ma chambre comme si ma vie en dépendait. Et c’était le cas. Chaque pas résonnait comme un écho de ma peur, un battement frénétique qui me rappelait à quel point j’étais proche de la fin quelques instants plus tôt.

A peine eus-je fait quatre pauvres pas, qu’une lame passa près de moi et tomba à mes pieds. Je ne m’arrêtai pas. Mon cœur battait comme il n’avait encore jamais battu jusqu’alors.

Le sol sous mes pieds semblait vouloir se dérober à chaque instant, et courir sur un toit devenait une lutte constante entre la peur et l’instinct de survie. Chaque pas était un défi, chaque glissade un rappel brutal de ma vulnérabilité. Mon cœur battait à tout rompre, l’adrénaline me maintenant debout malgré le vertige qui menaçait de m’envahir. Lorsque mon pied ripa une énième fois, mon souffle se coupa brièvement, l’idée de tomber m’effleurant avec une intensité terrifiante.

Je sautai un nouvel obstacle, et ce ne fut qu’en atterrissant que je réalisai un détail crucial. Les bruits de pas derrière moi avaient cessé. Je jetai un regard rapide par-dessus mon épaule. Rien. L’homme avait disparu, comme une ombre fondue dans la nuit. Un soupir, mélange de soulagement et d’épuisement, s’échappa de mes lèvres. Cette escapade nocturne était une idée stupide. Terriblement stupide.

Alors que je me tournais vers le mur à escalader, une vague de faiblesse me frappa. Ma tête tournait, et mes jambes fléchirent légèrement. La douleur lancinante au niveau de mon cou, ignorée jusqu’alors par la frénésie de ma fuite, se fit brusquement plus présente, comme un rappel cruel de ce que je venais de vivre. Mon souffle devint court et haché, chaque inspiration semblant plus difficile que la précédente.

M’appuyant contre le mur, je rassemblai mes forces et entrepris de grimper. La montée, bien que plus facile que la descente, me parut interminable. Mon corps tremblait, épuisé, chaque mouvement me demandant un effort démesuré. Arrivée au bord de la fenêtre, mes pieds vacillèrent. Je faillis basculer en arrière, mais, par réflexe, mes mains agrippèrent le rebord avec force. Ce dernier sursaut me permit de me hisser tant bien que mal à l’intérieur. Enfin, en sécurité, je relâchai toute la pression. Ma vision se brouilla, mes genoux fléchirent et mon corps bascula vers l’avant.

Tout devint noir.

Eh merde…

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