Chapitre 25 - Duel des cœurs

Notes de l’auteur : Aujourd'hui, je vous poste deux chapitres, car malheureusement je ne serais pas disponible pendant les prochaines semaines ! Promis, cet été je serais fidèle au poste et je reprendrais le rythme de poste normal :)

[Point de vue de Lya]

-Je n'avais pas prévu de t'affronter !, lança Emrys d'un ton faussement léger, à quelques mètres de Lya, son sourire accroché au visage comme une armure.

-Il faut être prêt à tout dans la vie !, répliqua-t-elle sans hésiter, les yeux brillants d'une détermination farouche.

Le vent soufflait entre les arbres, apportant avec lui les échos lointains des autres combats. Des cris, des chocs, des détonations magiques résonnaient comme un chœur guerrier. Pourtant, dans leur cercle d'affrontement, tout semblait suspendu, comme si le temps avait ralenti rien que pour eux.

Un silence pesant précéda l'explosion du premier mouvement. Lya se jeta en avant, aussi rapide qu'une flèche décochée à bout portant. Sa silhouette se fondit dans le décor, ne laissant derrière elle qu'un sillage de poussière soulevée par ses pas.

Mais Emrys, malgré sa carrure imposante, esquiva sans effort, fluide comme l'eau. Il bougeait avec une nonchalance presque insolente, les mains enfouies dans ses poches, le regard tranquille, amusé. Chaque attaque de Lya passait à quelques centimètres de son corps sans jamais l'effleurer.

Elle serra les dents, frustrée.

-Mais qu'est-ce que tu fous ?!, s'emporta-t-elle, haletante. Tu joues ou tu te bats ?

-Tu ne te souviens pas de la promesse que je t'ai faite le soir du bal ?, répondit Emrys d'un ton calme, presque doux.

-La promesse ?, répéta Lya, interloquée, en se grattant distraitement la tête, sans cesser de tourner autour de lui.

Emrys lui répondit, dans un souffle, un brin blessé :

-Vraiment ? Tu l'as déjà oubliée ? Pourtant, je croyais ne pas être un beau parleur à tes yeux.

Elle plissa les yeux, cherchant dans sa mémoire. Puis, comme un éclair, le souvenir revint.

-Tu m'avais promis de ne jamais me faire de mal... Mais Emrys, là, ce n'est pas pareil. C'est un combat !

-Une promesse reste une promesse, Lya.

Elle haussa le ton, exaspérée par son calme.

-C'est absurde ! Soit tu te bats, soit tu t'élimines !

-Je ne peux pas me permettre de perdre. Mon équipe compte sur moi, répondit-il en haussant les épaules, imperturbable.

-Alors choisis !, siffla-t-elle, les poings serrés.

Mais Emrys ne bougea pas. Toujours campé sur place, il fit un pas sur le côté, évitant un autre assaut avec une fluidité qui frôlait l'insolence.

-Je peux aussi attendre que tu t'épuises toute seule. Vu ton rythme, ce ne sera pas long.

Lya sentit le feu monter dans sa poitrine. Son cœur battait comme un tambour de guerre. Une colère sourde vibrait dans ses veines, alimentée par la frustration et le sentiment d'être prise à la légère.

Mais une voix familière fendit l'air comme une lame.

-Lya !, hurla Archi depuis l'autre bout du terrain. Tu dois battre Emrys, et vite !

Elle se figea net. Le cri d'Archi était plus qu'un encouragement : c'était un avertissement. Il ne doutait jamais d'elle. S'il insistait de cette manière, c'était qu'un danger plus grand se profilait.

Son regard s'assombrit. Lya inspira profondément, chassant sa colère comme on chasse une ombre. Elle observa les alentours, mais rien ne semblait anormal à première vue. Tout autour d'eux, les autres affrontements continuaient, magies éclatantes et cris confondus dans une cacophonie belliqueuse.

Puis elle revint à Emrys. Toujours ce sourire, ce calme, ces mains... toujours dans ses poches. Quelque chose n'allait pas.

Elle se remit en mouvement, lente cette fois, calculée. Elle feinta une attaque frontale, visa ostensiblement le torse. Comme prévu, Emrys recula d'un pas, inclinant le buste vers l'arrière. C'est à cet instant qu'elle changea de trajectoire, se baissant brusquement pour effectuer une balayette au niveau de ses jambes.

Il vacilla, obligé de sortir une main pour se rétablir.

Et là, elle le vit : Ses poings étaient serrés.

Il incante quelque chose.

Une onde glacée lui remonta la colonne vertébrale. Ce n'était pas une posture anodine. En magie de combat, on ne serre pas les poings pour le plaisir. C'était un geste précis, contrôlé. Un canal.

Mais quel sort ? Et surtout, pourquoi?

Il ne l'avait pas attaquée directement. Il ne la regardait même pas comme une ennemie. Ce sourire, ce calme... Ce n'était pas seulement du respect. C'était de la retenue.

Elle se redressa d'un bond, recula d'un pas.

Son regard balaya le champ de bataille. Un doute, terrible, l'envahit. Son instinct hurlait. Le temps s'accélérait soudain. Elle avait peut-être très peu de secondes pour comprendre, pour agir, pour protéger.

 

*****

 

[Point de vue d'Archi]

Le combat entre Matt et Amanda faisait rage. Nata était derrière eux. Archi chercha à se rapprocher de lui, mais les coups des deux anciens amants étaient trop imprévisibles. Le blondinet ne comprenait pas ce que faisait son adversaire. Ils étaient censés s'affronter, mais au lieu de cela, Nata restait à genoux, en retrait. Il ne le regardait même pas.

-Tu ne vas pas essayer de te battre avec moi ?, lui cria Archi.

Il n'eut aucune réponse, piquant son ego.

Finalement, Archi prit la décision d'approcher, malgré les risques. Les battements de son cœur résonnaient jusque dans sa gorge, mais il serra les poings, balayant ses doutes. Il se mit à courir, silencieux et rapide, slalomant entre les projectiles de magie, les éclats de lumière et les silhouettes en duel, veillant à ne pas troubler les autres affrontements. 

Arrivé à portée, il frappa.

En un éclair, il fit jaillir des ronces noires et épaisses du sol, tranchantes comme des crocs, qui s'élancèrent sur Nata en sifflant. Elles s'enroulèrent autour de lui dans un tumulte végétal, le recouvrant entièrement. Une pluie de feuilles tranchées et de poussière retomba sur le sol. Archi eut un bref soupir de soulagement. L'affaire lui semblait conclue.

Mais une seconde plus tard, les ronces éclatèrent violemment, projetées dans toutes les directions comme si une explosion invisible les avait repoussées. Les débris volèrent autour de lui. 

Archi se protégea instinctivement les yeux, puis quand il les rouvrit, ce qu'il vu le sidéra : Nata se tenait là, indemne, exactement là où il se trouvait avant. Il n'avait pas bougé d'un millimètre.

-Quoi... ?

Pris d'une colère fulgurante, Archi se lança à l'attaque, son corps porté par l'instinct. Il bondit, les poings en avant, prêt à frapper, mais à peine eut-il franchi la limite du cercle invisible autour de Nata qu'une force le repoussa violemment en arrière. Il roula sur le sol, les bras endoloris et le souffle coupé.

C'est à ce moment-là que Nata releva enfin les yeux vers lui, calme, froid, presque amusé.

-Désolé Archi, mais ça ne va pas être aussi simple, ricana-t-il.

Le blondinet se redressa d'un bond, les bras tremblants. Des picotements couraient sur sa peau. Il releva la tête et comprit.

-Ce n'est pas possible...

Autour de Nata, un dôme d'énergie palpitait doucement, translucide mais vibrant de magie, comme une membrane vivante. Des pulsations bleutées le parcouraient à intervalles réguliers, comme le rythme d'un cœur. Archi était fasciné. Cette défense, c'était bien plus qu'une barrière magique.

Il connaissait les sorts de protection, leur structure, leur fragilité et ce genre de sort était impossible à générer pour un mage de soin comme Nata.

Il chercha une explication.

Un artefact ? Non, formellement interdit par leur professeur. Une magie commune ? Impossible, il aurait reconnu le sort. Une invocation ? Peu probable. À leur niveau, ils étaient encore loin de maîtriser une magie aussi complexe, et cela ne ressemblait en rien aux descriptions qu'il avait lues dans les manuels.

-Ton cerveau va finir par prendre feu si tu continues à te torturer l'esprit !, lança Nata, moqueur, le sourire aux lèvres.

La machoir d'Archi se crispa.

-Arrête de te foutre de moi !

-On t'a déjà dit que t'étais mignon quand tu t'énerves ?

-Arrête tes bêtises. Comment tu fais ça ?!

-Je te croyais plus intelligent que ça..., répondit Nata d'un ton faussement déçu.

Archi serra les dents. Être celui qui comprenait toujours tout avant les autres était une source de fierté pour lui. Sa clairvoyance et sa logique étaient ses plus grands atouts. Insinuer qu'il manquait de perspicacité était un affront qu'il ne pouvait tolérer.

-Peut-être que tu ne te poses pas les bonnes questions, ajouta Nata, toujours ce sourire énigmatique accroché au visage.

Ses paroles restèrent en travers de la gorge d'Archi.

Pas les bonnes questions...

Il s'arrêta de bouger, ses yeux scrutèrent le dôme, puis au-delà. Quelque chose clochait.Et soudain, une intuition le frappa.

Ce n'était pas le "comment" aui importait, mais le "qui".

Il redressa brusquement la tête. Son regard balaya le champ de bataille. Là-bas, Amanda et Matt s'affrontaient avec intensité. Trop concentrés pour s'occuper de ce qui se passait ailleurs. Lya, de son côté, paraissait agacée, les muscles tendus, mais ce fut Emrys qui retint son attention.

Contrairement aux autres, il ne bougeait presque pas.

Fixe. Les mains dans les poches. Une expression de calme surnaturel sur le visage. Comme s'il maintenait quelque chose.

-Ce n'est pas vrai...

Archi se redressa d'un coup.

-Lya ! Il faut que tu battes Emrys, rapidement !, hurla-t-il.

Le visage de Nata s'illumina d'un coup.

-Ah ! Voilà le Archi que je connais !, s'exclama-t-il en éclatant de rire.

-Ce n'est pas très fair-play, répliqua Archi, esquissant malgré lui un sourire crispé.

-Rappelle-toi ce qu'a dit le professeur : la seule règle, c'est de ne pas tuer !

Archi plissa les yeux, scrutant le dôme translucide.

-Ce genre de combine consume une énergie folle. Quand le bouclier qu'Emrys t'offre tombera, tu seras à ma merci.

Nata perdit un peu de son insouciance. Son regard devint plus grave.

-Ne le sous-estime pas, Archi. Jamais.

-Je ne le sous-estime pas. J'ai juste confiance en Lya, c'est très différent. Mais je dois reconnaître une chose : je ne vous pensais pas aussi stratèges. Il va falloir qu'on se méfie de vous.

-L'idée vient d'Amanda. Elle en mérite tout le crédit. Elle deviendra une grande meneuse un jour. 

-Je n'en doute pas une seconde, répondit Archi avec un sérieux nouveau.

Le regard de Nata se fit plus doux. Sa voix baissa.

-Moi, j'ai peur de ne jamais être un aussi bon conseiller que toi...

Archi sursaurta légérement. 

-Pourquoi tu dis ça ?

-Parce que tu vois les choses différemment. Avec clarté. Tu sais déjà ce qui se joue quand nous autres on cherche encore. Je t'envie, tu sais.

Archi le fixa, surpris par tant de sincérité. Puis il sourit.

-Alors pour la suite, tâchons de nous entraider. Devenons la meilleure version de nous-mêmes.

À peine eut-il fini sa phrase que le dôme d'énergie frémit, puis se fissura dans un murmure cristallin.

Une brume lumineuse s'éleva autour de Nata, comme un dernier souffle de magie et s'évanouit.

Le moment tant attendu était arrivé.

Sans perdre une seconde, Archi abaissa les mains vers le sol. Ses doigts effleurèrent à peine la terre que déjà, une vibration sourde s'en échappait. Le ruisseau voisin frémit, puis répondit à son appel comme un fauve libéré : une vague d'eau jaillit, projetée avec une puissance sauvage. L'onde bondit, grondante, frappant droit vers Nata.

Pour la première fois depuis le début de l'affrontement, Nata dut esquiver dans l'urgence. Il bondit en arrière, l'eau éclaboussant le sol là où il se tenait l'instant d'avant. Son visage, jusque-là serein, trahit une lueur d'inquiétude. Il était clair que ce combat serait loin d'être à son avantage. Comme la plupart des mages de soin, il n'était pas taillé pour le corps-à-corps ni les échanges soutenus. Les siens brillaient à l'arrière, dans la lumière douce d'un soutien, loin des assauts destructeurs.

Mais Archi ne lui laissa aucun répit.

Il enchaîna, impitoyable. Son double don, rare et redouté, s'exprimait dans une harmonie parfaite entre stratégie et violence élémentaire. L'eau ruisselait autour de lui comme une extension de sa volonté, tandis que la terre s'élevait à chaque pas, se transformant en pieux, en murs, en projectiles. 

Nata se défendait tant bien que mal. Il esquivait, reculait, ses mouvements devenant plus lourds, son souffle plus court. Archi le sentait : la fatigue gagnait du terrain. Il n'était plus question de domination, mais d'endurance et Nata perdait du terrain à chaque seconde.

Puis, soudain, tout changea.

Alors que le combat semblait figé dans une mécanique prévisible, Nata brisa le rythme. D'un seul coup, sans prévenir, il se jeta en avant, tête baissée, corps tendu comme un arc prêt à rompre.

Il est fou ! Il n'a aucune chance au corps à corps !, pensa Archi.

Mais c'était déjà trop tard.

Nata fondit sur lui, et dans une ruée désespérée, attrapa les chevilles de son adversaire. Archi, surpris, leva la main pour achever le combat. En un claquement de doigts, il invoqua des lianes, fines et rapides, cependant, rien ne se produisit.

Rien.

Un silence brutal, aussi tranchant qu'une lame, s'abattit sur la scène.

Archi resta figé, les yeux écarquillés. Le monde sembla ralentir, l'air devenir plus dense. Une sensation étrange naquit dans son corps, d'abord sourde, insidieuse, puis grandissante. Ses jambes se firent lourdes, ses bras engourdis. Il voulut reculer, mais cela lui était impossible. Il voulut faire appel à sa magie, mais rien de se produisit.

Une torpeur rampante dévora ses nerfs.

-J'ai temporairement brouillé ton système nerveux, souffla Nata, haletant, la voix râpeuse. De tes pieds jusqu'à tes doigts.

Archi le fixa, incrédule. Ses muscles cédèrent sous lui. Il tomba à la renverse, heurtant le sol dans un nuage de poussière. Un fourmillement acide parcourait ses membres, comme des dizaines de milliers de fourmis folles courant sous sa peau. Son esprit vacillait entre choc et confusion.

Puis, comme une sentence divine, son bracelet passa au rouge.

Il avait perdu.

Un goût de fer lui monta dans la bouche, amer et dégoûtant. Comment ? Comment avait-il pu perdre alors qu'il dominait ? Il comprit alors que sa propre certitude avait été son point faible. Il avait trop cru en son avance, trop vite, et son adversaire en avait profité.

Il tourna la tête, cherchant à comprendre, à digérer et vit Nata. Il était allongé, lui aussi sur le dos, le torse soulevé par une respiration rauque, épuisée, et à son poignet... une lumière rouge.

-Comment... ?, souffla Archi, la voix brisée.

-Cette dernière attaque... m'a coûté trop d'énergie, répondit Nata, son sourire tremblant.

Archi plissa les yeux, oscillant entre colère et admiration.

-J'aurais pu te tuer à cette distance..., murmura-t-il. C'était un risque insensé.

Nata redressa la tête, lentement, difficilement. Son regard accrocha le sien. Il y avait dans ses yeux plus que de la provocation. Quelque chose de profond. De presque vulnérable.

-Parfois, faut se mettre en danger... pour accomplir l'impossible, dit-il avec un sourire espiègle, celui qu'Archi haïssait presque autant qu'il le redoutait.

Un silence tendu s'installa, épais comme un orage. Le cœur d'Archi battait trop fort. Il détourna les yeux, mais l'image de ce sourire s'imposa à lui, encore et encore. Et toujours cette foutue chaleur dans sa poitrine, impossible à ignorer.

-Tu es insupportable..., marmonna-t-il, plus pour lui-même.

-Et toi, t'es toujours mignon quand tu es énervé.

Le rouge lui monta aux joues, identique à son poignet. Archi détourna encore une fois les yeux, espérant que la sueur dissimulerait l'éclat de sa gêne. Ce n'était pas le moment, pourtant tout chez ce garçon semblait fait pour l'ébranler.

Puis la voix de Nata s'adoucit, presque en un murmure.

-Tu sais... si j'ai pris ce risque, c'est parce que je savais que tu ne me ferais jamais vraiment de mal.

Archi tourna lentement la tête vers lui, surpris par le timbre sincère de ces mots. Leurs regards se croisèrent. Plus de moquerie. Plus de défi. Juste une franchise désarmante.

-Tu es vraiment inconscient..., souffla-t-il. 

-Peut-être. Mais ça valait le coup, répondit Nata, son sourire doucement fatigué.

Quelque chose remua dans le ventre d'Archi. Une chaleur étrange. De la colère ? Du soulagement ? De l'affection ? Il n'aurait su le dire. Il ferma brièvement les yeux, puis les rouvrit, un demi-sourire naissant malgré lui.

-Alors quoi ? On appelle ça un match nul ?

-Un match nul, ouais, admit Nata, avant de partir dans un rire brisé, éraillé par l'épuisement.

Leurs rires résonnèrent doucement dans la forêt. Et malgré les courbatures, la magie brûlée et les muscles endoloris, ils se sentaient légers, comme portés par quelque chose de plus grand qu'une simple victoire.

 

*****

 

[Point de vue de Lya]

Où est son sort ?

Lya scruta les alentours, les sens en alerte. Rien. Aucune vibration, aucune manifestation magique. Pourtant, elle était certaine qu'Emrys avait activé quelque chose.

Son cœur battait plus vite alors qu'elle se rappelait les enseignements de Talford. 

Respire. Canalise. Visualise. 

C'était une technique qu'il leur avait inculquée lors de longues séances de méditation, entre brise légère et bruissements d'herbes hautes, pour les aider à détecter les flux d'énergie. Grâce à cette méthode, elle avait appris à lire ses propres débordements, mais jamais ceux des autres.

Et si je pouvais élargir ce champ ?, pensa-t-elle. Et si je pouvais sentir les autres ?

Elle croisa les doigts, ferma les yeux. Le bruit des combats en arrière-plan formait une symphonie chaotique. Pourtant, elle s'en détacha lentement, comme en apnée, jusqu'à ne plus ressentir que les battements réguliers de son propre cœur.

Elle balaya d'abord son propre corps : rien d'alarmant. Sa puissance déclinait doucement, sans instabilité. Puis, elle projeta sa perception à l'extérieur. C'était comme nager à contre-courant dans un fleuve d'énergies mêlées. Des éclats de feu, des murmures de vent, la lourdeur de la terre. C'était trop flou, trop dense.

Mais elle insista. Se concentra uniquement sur Emrys, et soudain, un courant se détacha de la masse. Une vibration claire, stable. C'était lui.

Une surprise la saisit : son énergie ne s'échappait pas autour de lui, mais coulait vers Nata. Et en retour, l'énergie de ce dernier revenait vers Emrys et Amanda.

Ses yeux s'ouvrirent d'un coup.

-Tu protèges Nata, et lui vous soigne en continu, n'est-ce pas ? C'est brillant !

-Merci, merci, répondit Emrys avec une fausse modestie, son sourire taquin flottant sur ses lèvres. Mais tout le mérite revient à Amanda. Elle a toujours des idées farfelues... mais efficaces. En vrai, Nata ne nous soigne pas à distance. Il transmet son énergie, pour qu'on puisse continuer à se battre sans s'épuiser.

Un système parfaitement huilé et elle venait d'en trouver le maillon faible.

-Donc, pour que Matt et Archi puissent réussir, il faut que je te fasse tomber.

Sans un mot de plus, elle se jeta sur lui, le sol vibrant sous ses pas. Elle enchaîna les frappes avec une férocité inattendue. Emrys esquivait avec une grâce déconcertante, ses pieds glissant sur l'herbe comme s'il dansait.

-C'est marrant, tu te bats comme un mage de combat, remarqua-t-il, presque distraitement.

Cette réflexion agaça profondément Lya. Il était extrêmement difficile de résister à l'utilisation de cette magie, et c'était compréhensible, car elle était la plus adaptée, comme son nom l'indiquait. Pourtant, elle faisait de son mieux pour ne pas le montrer. Emrys était trop perspicace ! Bien qu'elle l'apprécie beaucoup, à cet instant précis, tout ce qu'elle souhaitait était d'effacer son petit sourire en coin. 

 Sa colère bouillonnante la poussait à frapper encore plus fort, chaque coup vibrant de rage et d'énergie brute. Mais cette force démesurée lui jouait des tours : à chaque assaut manqué, elle se retrouvait projetée parmi les végétaux alentours. Emrys, avec une agilité presque insolente, esquivait chacun de ses mouvements à la dernière seconde, jouant avec ses nerfs comme un toréador face à un taureau en furie. Une fois, deux fois, trois fois ! Les arbres alentours portaient les stigmates de ses attaques, et ses poings, désormais écorchés, saignaient légèrement.

Les branches cédaient, les buissons se froissaient, l'air lui-même semblait fuir ses assauts. 

-Lya, calme-toi ! cria finalement Emrys, sa voix se brisant d'inquiétude. Tu vas finir par te faire mal ! Et regarde la réalité en face, tes coups ne m'atteignent pas !

Essoufflée, la blondinette s'arrêta, les mains sur les genoux, ses épaules se soulevant à chaque respiration. 

Elle détestait l'admettre, mais il avait raison. 

Bien qu'elle soit beaucoup plus athlétique qu'à son arrivée à l'école, elle peinait encore à maîtriser sa puissance. Elle avait cette mauvaise habitude : investir toute son énergie dans des attaques inutiles, au détriment de la stratégie. 

 Néanmoins et contre toute attente, elle redressa la tête, un sourire espiègle illuminant son visage.

-Merci, Emrys !

Il fronça les sourcils, désorienté.

-Hein ? Merci ?

-Grâce à toi, je viens de me rappeler que j'ai plusieurs dons.

Elle s'agenouilla soudainement, et posa ses mains sur le sol encore vibrant de leur combat. Une onde magique s'en échappa, silencieuse, fluide. Les branches qu'elle avait brisées, témoins épars de sa rage, frémirent, puis s'élevèrent lentement dans les airs. Un murmure végétal courut dans la clairière.

En un battement de cils, les éclats de bois s'assemblèrent en une cage vivante autour d'Emrys. Les barreaux se croisèrent avec une précision implacable, s'entortillant et se soudant comme si la forêt elle-même conspirait contre lui. Des pointes jaillirent vers son visage, menaçantes mais contrôlées.

De la magie de construction, pure et dure.

-Ok, ok, je capitule !, s'exclama alors Emrys en levant les bras, amusé et impressionné.

Un flash rouge pulsa directement à son poignet.

-J'AI GAGNÉ !!!, hurla Lya en sautillant de joie, ses cris se répercutant dans les frondaisons comme un chant de victoire.

L'émotion la submergea. Une chaleur monta dans sa poitrine, douce et vive. Elle n'avait jamais connu une telle fierté. Elle se sentait invincible et libre.

Emportée par l'élan, elle courut vers son adversaire vaincu et se jeta dans ses bras, sans réfléchir.

Surpris, Emrys resta figé une seconde, avant de l'enlacer à son tour. Son étreinte était tout aussi  douce que rassurante.

-Bravo, mademoiselle, murmura-t-il au creux de son oreille.

Elle s'écarta légèrement, les bras encore autour de lui.

-Je suis désolée...

-De quoi ?

-Je sais pas... de t'avoir enfermé comme ça, peut-être ?

Il secoua la tête, un rire léger dans la gorge.

-Tu n'as pas à l'être. Tu m'as surpassé, tout simplement. Une mage de construction qui bat un mage de combat, ce n'est pas courant. Je vais devoir redoubler d'efforts !

Ses mots la touchèrent en plein cœur. Elle plongea son regard dans le sien, et ce qu'elle y vit la troubla plus que n'importe quel sort : une sincérité nue, lumineuse.

Elle sentit le rouge lui monter aux joues. Elle était bien... trop bien.

Emrys baissa les yeux vers elle.

-Tu comptes rester là toute la journée ?, plaisanta-t-il doucement.

-Peut-être..., répondit-elle dans un souffle, les yeux brillants.

Le vent fit frémir les feuilles au-dessus d'eux. Les rires et les cris des autres combats paraissaient soudain lointains. Le monde s'était réduit à cette étreinte, ce regard, ce moment suspendu.

 

*****

 

[Point de vue de Matthew]

-Parce que moi... j'ai toujours des sentiments pour toi et je veux nous donner une chance... une nouvelle chance.

Les mots de Matthew se perdirent dans la forêt et le temps sembla suspendu, comme si les arbres eux-même retenaient leur souffle.

Amanda resta immobile. Ses yeux fixaient un point invisible quelque part devant elle, mais son esprit était ailleurs, happé par l'écho de cette déclaration. Ces mots, si simples en apparence, résonnaient pourtant avec une force qu'elle n'avait pas anticipée. Une onde silencieuse se propagea en elle, brisant les digues qu'elle avait érigées depuis longtemps.

Mais elle ne dit rien.

Une lueur, fugace et incertaine, passa dans son regard, un mélange de trouble et d'émotion contenue, avant d'être balayée par la froide détermination qu'elle maîtrisait si bien. Sans un mot, elle reprit sa posture de combat.

Un pas. Puis un autre.

Mais au troisième, elle vacilla. Ses épaules s'affaissèrent. Son souffle devint court, haletant. Une fine pellicule de sueur perlait sur son front, captant la lumière filtrée par la canopée.

-Amanda ?, s'étonna Matthew, inquiet.

Elle semblait vaciller sur le fil de sa propre endurance.

-Nata..., souffla-t-elle, si bas que seul le vent aurait pu l'entendre.

Puis, soudainement, une flamme s'alluma dans son regard. Elle se redressa, redressant aussi l'air autour d'elle.

-Bon, il va falloir finir ce combat rapidement !

Matthew recula, perplexe. Ce qu'il voyait défiait la logique. Sa fatigue aurait dû la ralentir, mais c'était l'inverse. Amanda avançait désormais avec la férocité d'un orage. Son énergie crépitait autour d'elle, électrisant l'atmosphère.

-Amanda c'est quoi ça ?!, s'écria-t-il, une pointe de crainte dans la voix.

Mais elle ne répondit pas. Ses gestes se firent plus amples, plus fluides. Chaque mouvement était une fusion parfaite entre la rigueur de la magie de combat et la spontanéité de la magie élémentaire. Des éclairs invisibles semblaient danser autour de ses poings, et chaque impact laissait des traces lumineuses dans l'air, comme des griffures de lumière.

Matthew trébucha, le cœur battant à tout rompre, manquant de s'empaler sur une branche brisée à ses pieds. Il n'avait plus le luxe de réfléchir.

-Ok... ce sera toi ou moi, alors, grogna-t-il en empoignant le bout de bois.

Il canalisa sa magie à travers lui, le transformant en une lance rustique. Elle était instable, brute, mais il n'avait pas le choix de son arme.

Dans un hurlement rauque, il chargea. La lance fendit l'air dans un sifflement aigu. Cependant, Amanda, droite comme une statue, détourna le coup avec une aisance déroutante, une simple torsion du poignet suffisant à dévier l'arme.

Ils s'affrontèrent alors comme deux astres en collision. Chaque frappe résonnait dans la clairière, mêlant claquements secs, vrombissements magiques et échos métalliques. Des arcs de lumière dansaient entre eux, éclairant la végétation tremblante. Des feuilles s'envolaient, prises dans les remous de leur duel.

Matthew peinait à suivre. Il sentait ses muscles crier, ses réflexes ralentir. Amanda, au contraire, semblait galvanisée, comme intouchable, intenable.

Et finalement, dans un geste à la fois gracieux et implacable, elle désarma Matthew. La lance décrivit un arc dans les airs avant de s'écraser lourdement.

Matthew chuta à la renverse, le souffle court, le dos heurtant le sol tapissé d'herbe humide et de terre tiède. Amanda s'approcha, chacun de ses pas résonnant comme une sentence.

Elle s'arrêta juste au-dessus de lui, silhouette sculptée par la lumière. Son aura pulsait, vive, souveraine. On aurait dit une déesse en colère.

Il la regarda, fasciné, troublé. Était-ce la peur ? L'admiration ? Ou simplement... l'amour ?

-C'est fini, Matt, dit-elle d'une voix basse, presque douloureuse.

Il sourit faiblement, les paupières lourdes.

-Je sais. Mais si je dois perdre... je préfère que ce soit contre toi.

Leurs regards s'accrochèrent, un fil invisible se tissant entre eux. Un fil fragile, mais incandescent. Il y avait tant de choses dans ce silence-là : du respect, de l'histoire, de la douleur, et cette tendresse maladroite qui refusait de mourir.

Amanda détourna les yeux, gênée.

Matthew sourit un peu plus.

Le combat était terminé.

Mais sous les bruissements apaisés de la forêt, entre deux battements de cœur, une nouvelle bataille venait de commencer. Une bataille muette. Une bataille de sentiments.

 

 

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