Ça y est. Rhazek était devenu le seigneur de Malhdryl.
Il avait versé quelques — fausses — larmes pour son père, organisant un cortège somptueux à travers la cité. Le peuple, rassemblé en masse, avait rendu hommage à Rhazlir III… puis prié pour Rhazek, leur nouveau maître.
Du haut du balcon de la chambre du Conseil, dominant les rues de la capitale, Rhazek s’était adressé à ses sujets. Il leur avait dit la vérité sur la mort de son père… ou du moins, une partie.
D’un ton grave, il avait annoncé que Rhazlir III avait été assassiné par sa propre épouse, Elira, sa mère. La foule avait éclaté en exclamations choquées. Il y avait de quoi.
Rhazek raconta alors que son père, des années plus tôt, avait fait enfermer Elira dans une cellule secrète, accessible seulement au seigneur. Officiellement, elle était morte. Mais en réalité, elle avait été accusée de trahison… sans que Rhazek sache jamais pourquoi.
— Elira, avait-il déclarer, s’est échappée grâce à des esclaves… puis a poignardé Rhazlir dans son sommeil.
Quelques applaudissements s’étaient élevés. Rhazek ne s’en était pas offusqué. Plus vite son père serait oublié, plus vite son propre règne serait accepté.
Il leur avait également donné le sort qu’il avait réservé à sa mère, pour son meurtre qui ne pouvait rester impuni, peu importe les circonstances. Il annonça que, pour ce crime, sa mère serait à nouveau enfermée à vie. Ni exécution, ni clémence.
La foule s’était divisée. Certains réclamaient la mort, d’autres la grâce. Mais Rhazek avait imposé son jugement d’un ton ferme. Il ne voulait pas qu’Elira devienne une martyre, ni qu’elle soit un exemple de pitié. Juste un secret, dans l’ombre.
Pour apaiser les colères, il fit offrir cinq esclaves à l’arène : ceux accusés d’avoir aidé Elira. Plusieurs gardes avaient été tués lors de l’attaque, avait-il affirmé.
Rien de tout cela n 'était vrai. Et pourtant, de faux cercueils traversèrent la ville, sous les applaudissements.
Puis, il parla de l’avenir.
Quelques heures après la mort de Rhazlir III, Rhazek avait convoqué les commandants, les conseillers, et les chefs de garnisons. Ensemble, ils avaient convenu de ce qui devait suivre : la conquête du royaume de Drazyl. Une armée devait partir immédiatement.
Trop longtemps que ce royaume se déchirait. Il était temps qu’une seule main reprenne le contrôle.
Sur le balcon, il s'était exclamé d’une voix puissante :
— Peuple de Malhdryl ! Aujourd’hui débute l’âge de gloire de notre cité. Dans quelques jours, notre armée atteindra les portes des autres cités de Drazyl. Ce royaume a été trop longtemps abandonné. Il est temps de reprendre ce qui nous revient. Drazyl sera nôtre !
Cette fois, les acclamations furent totales. Nourries par Prasto, son nouveau conseiller, qui se tenait à ses côtés, le visage rayonnant.
Le peuple est avec moi, s’était-il dit, satisfait.
Durant tout ce discours, il n’avait pas vu Erzic. Mais Rhazek était certain qu’il se cachait quelque part dans la foule, à l’observer.
Depuis la mort de son père, Rhazek n’avait revu le mage qu’une seule fois, brièvement. Il lui avait annoncé le début de la conquête. Erzic n’avait pas paru surpris. Il s’y attendait, évidemment.
Puis il avait disparu, sans explication.
Ils ne pouvaient apparaître ensemble, Rhazek le savait. Un étranger inconnu aux côtés du nouveau seigneur aurait semé la suspicion. La guerre approchait : il fallait l’unité.
Mais cela n’inquiétait pas Rhazek. Il se sentait libre. Plus libre que jamais. Comme s’il contrôlait désormais son propre destin.
Était-ce vraiment le cas ?
Il s’en fichait. Tant qu’il pouvait devenir le roi le plus puissant que la Terre de Talharr n'ait jamais connu.
Il savait qu’Erzic reviendrait vers lui en temps voulu.
Désormais, il chevauchait loin de Malhdryl, à la tête d’une armée encore modeste, mais cohérente, disciplinée.
Depuis des décennies, on n’avait pas vu mille hommes marcher ensemble sous une même bannière dans les terres de Drazyl.
Des nuages de sable s’élevaient sur le passage de la cavalerie. Le soleil cuisait tout.
Quand allons-nous sortir de cet enfer ? pensa Rhazek, juché sur son Kelrim beige.
À Malhdryl, le désert était une force. Ici, c’était un fléau. Cinq jours de marche sans croiser âme qui vive. Pas d’eau, pas d’abri. Les hommes tiendraient-ils ?
Ils n’avaient pas le choix. Rhazek ne tolérerait aucun échec. Pas maintenant.
Les premières cités à conquérir étaient bâties comme Malhdryl, fortifiées et fières. Mais la plupart se trouvaient plus loin, sur les côtes ou aux frontières, dans des climats radicalement différents.
Le cartographe vint à sa rencontre, chevauchant un Kelrim au poil sombre.
— Mon seigneur. Il faut continuer tout droit jusqu’au soir. La cité de Yrzil devrait alors apparaître.
Un sourire féroce étira les lèvres de Rhazek.
Enfin, pensa-t-il. Enfin…
— Parfait. Commandants ! Préparez vos hommes ! ordonna-t-il.
Quatre cavaliers s’élancèrent vers leurs sections, faisant voler des nuages de sable derrière eux.
Satisfait, Rhazek se tourna vers le cartographe :
— Montre-moi les plans de la cité.
L’homme lui tendit un parchemin. Une représentation grossière de Yrzil, cerclée de désert. Quelques taches vertes indiquaient une rare végétation.
Bientôt, ce ne sera plus le sable qu’il faudra craindre, songea Rhazek, une impatience sourde battant à ses tempes.
Son regard s’arrêta sur des courbes à l’ouest de la cité :
— Qu’est-ce que c’est, ça ?
— Des dunes, seigneur.
Des dunes… Un atout stratégique ou un piège mortel.
— Je verrai ça avec mes commandants, grogna-t-il.
Il rendit le parchemin. Le cartographe s’inclina et partit vers l’arrière de la colonne, où les bruits des sabots, des cris et des armes résonnaient dans l’air brûlant.
Rhazek porta une main à son front ruisselant. La chaleur écrasante limitait sa vision à quelques mètres. Il plissa les yeux… et crut voir une silhouette se mouvoir dans la brume de chaleur.
Il cligna des yeux. Plus rien. Juste du sable.
Puis elle apparut. D’un coup. Devant lui.
— Mère… ?!
Elle ne répondit pas. Un sourire de défi se dessina sur son visage.
— Comment est-ce possible ? Vous étiez enfermée !
La femme ne répondit pas, mais son visage s’illumina d’un sourire de défiance.
— Parlez, ou je vous fais tuer sur-le-champ !
Des cavaliers s’approchèrent, alertés par sa voix :
— Tuez-la ! ordonna Rhazek.
— Seigneur… il n’y a personne, dit un soldat, hésitant sous son casque beige.
— Elle est là ! rugit Rhazek. Vous êtes aveugle ou vous souhaitez mourir à votre tour ?
— Non, seigneur… murmura le soldat.
Un commandant s’approcha au pas de course :
— Le soldat a raison, seigneur. Il n’y a rien.
Je suis donc le seul à la voir ?
Pris de doute, Rhazek dégaina son épée et frappa. Sa lame trancha l’air… mais ne heurta rien. Pourtant, la silhouette bougea, comme si elle ondulait. Puis elle reprit sa place. Intacte.
Rhazek sentit une sueur glacée couler le long de son dos. Il osa un regard vers ses hommes. Ils le fixaient avec une inquiétude sourde.
Erzic. C’est forcément lui. Ce genre d’illusions… seul lui peut en être capable.
Mais quelque chose clochait. Jamais le mage n’avait fait apparaître ce genre de vision. Et pourquoi maintenant ? Pour le tester ? L’humilier ?
Rhazek n’y croyait qu’à moitié. Il buvait ses propres mensonges.
— Mon seigneur, dit le commandant avec calme. Vous devriez boire un peu. La chaleur… provoque parfois des visions. Des mirages. Ils montrent ce qu’on désire ou ce qu’on redoute.
Rhazek grogna. Il saisit sa gourde, s’aspergea le visage puis but à grandes gorgées. Lorsqu’il rouvrit les yeux… Elira avait disparu.
Il remit son épée dans son fourreau.
— Assez perdu de temps ! cria-t-il. En route ! Ce soir, nous célébrerons notre victoire !
Les soldats l’acclamèrent, mais Rhazek savait qu’il avait parlé pour se convaincre lui-même. Pour effacer la peur. Il allait bientôt devenir l’homme le plus puissant de Drazyl. Rien ne pouvait l’arrêter. Surtout pas une femme fantôme.
Pourtant, il se souvenait. Des descentes nocturnes dans le dôme. De ses visites à Elira, enchaînée dans la cellule. Il ne lui avait jamais parlé. Juste fixé son visage. Et chaque fois, en remontant, les larmes lui venaient malgré lui.
Tant de faiblesses… si peu de force.
Mais ce soir, il changerait tout. Ce soir, il prouverait au monde ce dont il était capable.
Quelques kilomètres après avoir repris la route, Rhazek avait réuni ses commandants et son cartographe pour planifier l’attaque à venir.
— Nous devrions frapper de front. Ils ne s’attendent pas à notre arrivée, déclara Niir, le commandant à la toque rouge.
— Et s’ils ferment leurs portes ? Nos hommes seront cloués devant les murailles et taillés en pièces, rétorqua Wosir, croisant les bras.
— Nous avons des armes de siège, Wosir. C’est pour ça qu’on les traîne dans ce désert, non ? dit Niir, d’un ton sec.
Un troisième homme intervint, plus posé :
— Messieurs, vous avez chacun raison, coupa Grislan. Une attaque frontale pure serait suicidaire, mais négliger les murs serait tout aussi dangereux. Leur cité est encerclée de dunes. De nuit, nos troupes pourront s’approcher sans être repérées, tant qu’elles restent hors de portée des torches.
Les regards se tournèrent vers lui. Rhazek fronça les sourcils. Cette idée lui plaisait.
— Une attaque en tenaille, suggéra Mirla. La moitié de notre armée frappe les portes principales. L’autre escalade les remparts depuis les dunes opposées. Ils ne s’attendront pas à ça. Quand a-t-on vu une véritable guerre sur les terres de Drazyl pour la dernière fois ?
Ils ont raison, songea Rhazek, qui jusque-là avait écouté les recommandations des guerriers affirmés.
— Je mènerai l’assaut sur les murs, déclara Rhazek, le regard dur.
Un silence s’installa. Un des commandants osa prendre la parole :
— Seigneur… il serait plus sage que vous restiez en retrait. Juste le temps de—
— Non. Je combattrai aux côtés de mes hommes, trancha Rhazek. Je ne me cacherai pas derrière une tente pendant que d’autres risquent leur vie pour mon royaume.
Ses commandants s’inclinèrent, sans insister.
La nuit tombait lentement, drapant les dunes d’un voile bleu sombre. Au loin, les premières ombres de la cité de Yrzil se dessinaient dans la chaleur résiduelle du désert.
Grislan, le visage à demi dissimulé sous son heaume beige, leva son épée :
— Que nos armes nous protègent… et sèment la terreur !
Un rugissement s’éleva aussitôt.
— Que nos armes nous protègent et sèment la terreur ! répondit l’armée d’une seule voix.
Rhazek, droit sur son Kelrim, sentit le feu de la conquête battre dans ses veines. Il imaginait déjà les toits en flammes, les cris d’effroi résonnant dans la nuit, et le peuple à genoux, prêt à jurer allégeance à leur nouveau roi.
Il attendait ce moment depuis trop longtemps.
Il voulait que l’Histoire grave son nom. Non comme un roi tapi dans l’ombre… mais comme un conquérant.
C'est une bonne idée le mirage dans le désert, ca rends Rhazek plus fanitique et instable.
J'ai trouvé cela un poil rapide. Dès son couronnement, il part en guerre contre une autre cité dont on ne connait ni le nom ni le souverain et sans casus belli hormis la conquête. Je pense que j'aurais rajouté une ou deux phrases de Rhazek expliquant au peuple que ces terres leur appartenait de droit en mémoure d'un traité, d'un ancien royaume ou que sais-je.
J'ai également une idée concernant la justification du meutre. Etant donné que l'histoire c'est que la mère s'est échappée de sa prison pour tuer le roi et compte que la violence est chose courante à Malhdryl, je pense que j'aurais fait executer des gardes pour avoir faillit à leur mission, quitte à prendre d'autres prisonniers et à les faires passer pour des gardes vu que ces derniers étaient dans le coup. Cela étancherait la "soif de sang" du peuple et serait crédible comme punition étant donnée que le roi en personne est mort à cause de leur négligeance. Voilà, c'est juste une idée à toi d'en tenir compte ou non.
Sur la forme deux petits retours :
- Il avait versé quelques, fausses, larmes (je ne pense pas que les virgules soient nécéssaires).
- Tant qu’il pouvait devenir le roi le plus puissant que la Terre de Talharr ait jamais connu. ( j'aurais plutot mis n'ait jamais connu).
Voilà, à la prochaine,
Scrib.
C'est parti !!!
Oui je trouvais l'idée sympa. Pour montrer qu'il en quelque sorte coupée en deux.
Pour l'idée de pourquoi ils veulent partir en guerre, je crois que je l'ai expliqué dans les chapitres précédents. ça fait depuis plusieurs siècles que chaque cité est à son "compte". Il y eut quelques batailles entre eux mais sans plus. Et Erzic donne à Rhazek la possibilité de conquérir Drazyl et qu'un nouveau roi règne sur tous le royaume (c'est un résumé aha). Mais je vais essayer de voir pour peut-être rajouter une ou deux phrase comme tu as dit :)
Pour les exécutions j'y avais pas pensé du tout et ça me semble très pertinent aha je vais ajouter ça. Je te remercie de ta proposition :)
Merci aussi pour la forme, je me remets dessus :)
A plus ;)
- Plusieurs gardes avaient été blessés ou tués lors de l’attaque . ( je pense pas qu'il faille mettre le ou. On dirait que l'on ne sait pas si les gardes sont vivants ou morts).
voilà, à la prochaine ;)