Chapitre 25 : Hans

Par Zoju
Notes de l’auteur : Après un silence beaucoup plus long que d'habitude, voici le nouveau chapitre. J'ai du prendre une pause pour cette histoire durant ces dernière semaines. J'espère que ce chapitre vous plaira. N'hésitez pas à me donner votre avis ! Bonne lecture ! :-)

C’est en silence que nous progressons au sein des bois. Bien que méconnaissant les environs, je me rends bien vite compte que nous ne nous dirigeons pas vers la base. Même s’il était fort peu probable que Tim ose s’aventurer dans les alentours du camp ennemi, j’avais malgré tout envisagé cette éventualité quand il m’a proposé de l’accompagner. C’est donc avec une certaine curiosité qui ne cesse de grandir que je colle de près mes deux guides. Alors que mon regard se porte sur eux, je suis une nouvelle fois fasciné par leur agilité et leur vitesse à évoluer dans ce terrain escarpé sans émettre pratiquement aucun bruit. Je m’estimais plutôt bon pour rester le plus discret possible, mais comparé à eux, je fais un vacarme monstre. On devine rapidement pourquoi il excelle dans ce domaine. Cela se voit qu’ils ont l’habitude d’être traqués. Ne souhaitant pas être à la traine, je me mets à observer leurs mouvements avec la plus grande concentration, tentant de reproduire au mieux leurs moindres appuis, leurs moindres gestes. Lorsque je pense avoir saisi l’astuce, je calque mon attitude à la leur. Immédiatement, la différence m’apparait, même si agir de la sorte est encore loin d’être naturel. Orso jette un coup d’œil par-dessus son épaule et me sourit. L’instant d’après, il a reporté son attention droit devant lui. Nous enchainons les kilomètres sans diminuer la cadence. C’est Tim qui finit par s’arrêter en haut d’une pente et sortir une gourde. Ce n’est que proche de lui que je remarque son front luisant de sueur et sa respiration quelque peu irrégulière. Une légère inquiétude émerge au fond de moi. Tim a beau être plus âgé que moi ou Orso, il ne devrait pas être épuisé à ce point après le type d’effort que nous venons de fournir. Orso semble l’avoir aussi noté et son expression se durcit.

- On fait une pause, déclare ce dernier catégorique.

Pour toute réponse, son chef lui sourit tristement avant de s’affaler plus que s’asseoir par terre et de se désaltérer. J’en profite pour faire de même et accueil la fraicheur de liquide sur ma langue avec bonheur.

- Le Projet ? m’enquiers-je après avoir bu une bonne rasade d’eau.

Son regard se fait las.

- Personne n’y échappe.

Orso de son côté fouille dans son sac et ressort l’instant d’après plusieurs barres céréales qu’il fourre dans les mains de Tim.

- Mange, cela te fera du bien.

Tout en s’esclaffant, le rebelle s’exécute.

- Toujours aussi mère poule à ce que je vois. Magda a trop déteint sur toi, le taquine-t-il. Si cela peut te rassurer, j’ai bien retenu la leçon.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? demandé-je intrigué.

Les mots sont sortis tout seuls et pendant un instant, je regrette ma curiosité mal placée. Tim ne semble pas s’en formaliser et me répond sans hésitation :  

- J’ai fréquemment des chutes de tension brutales et autres complications. Un jour, après avoir surestimé mes forces, j’ai fait un malaise qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques. Depuis, Tiphaine contrôle scrupuleusement mon alimentation. Elle a chargé Orso de me surveiller quand je pars en mission.

Un regard en coin suivi d’un sourire un brin moqueur accentue ses dernières paroles.

- De m’assurer que tu ne prennes pas des risques inconsidérés, le corrige le principal concerné.

- Cela revient au même, ricane son supérieur.

Ses dents s’enfoncent dans l’aliment et au fur et à mesure qu’il mâche, il retrouve des couleurs. Satisfait, Orso se détourne de son chef et me lance une autre barre. Maladroitement, je la réceptionne au vol.

- Prends-en une toi aussi.

- Merci, mais je n’ai pas faim, lui assuré-je en la lui tendant. Ne la gaspille pas po…

Comme s’il ne guettait que ça, mon ventre émet un gargouillement sonore. Je n’ai pas besoin de croiser le regard de mes deux voisins pour deviner leur amusement, préférant ne pas terminer ma phrase et mordre dans ma nourriture. M’attendant à quelque chose de sucré, je suis surpris par l’absence de goût du produit. De consistante pâteuse et pas très agréable, cette barre doit être de loin l’une des pires choses que j’ai avalées ces derniers temps. Jamais, je n’aurais pensé un jour affirmer que les repas de la cantine de la base étaient bons comparés à ça. Espérons au moins que cet encas me cale pour les prochaines heures. Je n’ai que moyennement envie de reprendre une dose. Mastiquant sans entrain, j’en profite pour survoler du regard l’endroit où nous nous trouvons. S’il y a bien quelque chose que j’apprécie énormément dans cette nouvelle vie, c’est cette existence dans la forêt. À force d’être enfermé dans la base, j’en avais oublié le simple plaisir d’écouter la nature. Le calme des bois, le chant des oiseaux, le bruit des insectes, tout ça a le don de m’apaiser. Je reporte mon attention sur mes coéquipiers qui se sont relevés. Je m’empresse de les imiter après avoir englouti le reste de ma collation.

- Il est plus que temps d’y aller, déclare Tim en s’étirant. Nous ne sommes plus très loin, probablement une bonne demi-heure.

Sachant qu’il ne sert à rien de l’interroger sur notre destination, je me contente d’opiner du chef. Sans un mot, nous reprenons notre marche.

 

Comme annoncé par Tim, nous cheminons encore un petit moment avant qu’il ne marque un nouvel arrêt pour me signaler que nous y sommes. Je survole le lieu du regard et je ne peux que constater que nous nous trouvons au beau milieu de nulle part. Je jette un coup d’œil intrigué à mes deux accompagnateurs qui échangent à voix basse. Devant ma perplexité, ils me font signe de me rapprocher. C’est alors que j’aperçois le bout de tissu qu’Orso tient dans ses mains. Une légère crainte pointe au fond de moi. À quoi, cela va bien pouvoir lui servir ? Décidément, je comprends de moins en moins. L’ancien soldat voyant où mon regard s’est posé s’empresse de me rassurer :

- Cette fois-ci, c’est toi qui vas devoir nous accorder ta confiance, Hans.

- Que faisons-nous ici ? m’enquiers-je, méfiant.

- Nous sommes presque arrivés à notre destination, m’informe-t-Tim. Toutefois, nous ne pouvons nous permettre de te montrer la manière d’y accéder. Orso va te bander les yeux et te guider.

Le regard qu’il porte sur moi devient ensuite particulièrement dur.

- Sous aucun cas, je dis aucun, tu ne retires cette étoffe. Compris ?

Pendant un instant en voyant Tim aussi autoritaire, j’ai la désagréable impression de me retrouver face au maréchal Darkan lorsqu’il m’avait ordonné d’apprendre à tirer à Elena. Calme et posée, son attitude n’en reste pas moins menaçante. S’il devait m’éliminer, il n’hésitera pas. Ce contraste avec l’homme qu’il est habituellement me met particulièrement mal à l’aise. Tim aura beau affirmer qu’il a coupé les ponts avec sa famille, il n’en demeure pas moins un Darkan. On n’oublie pas aussi facilement ses origines. N’apercevant aucune réaction de ma part, il réitère sa demande. Aussitôt, je hoche la tête. Orso se campe alors derrière moi et me prive de ma vue. À peine plongé dans le noir, mes muscles se tendent et ma concentration augmente d’un cran. Je sursaute au moment où Orso m’annonce que cela va tourner un peu. Dès l’instant où il a fini sa phrase, il me force à pivoter plusieurs fois sur moi-même. Mes repaires disparaissent et je dois me cramponner fermement à l’épaule du rebelle pour éviter de m’étaler au sol quand il cesse son manège. Il me faut d’ailleurs encore un certain temps après pour pouvoir à nouveau marcher droit. Lentement, nous nous remettons en route, la main de mon guide enserrant mon bras. La forêt que je trouvais jusqu’alors plutôt calme se relève en réalité terriblement bruyante. Le moindre son me parvient aux oreilles avec force. Mes pieds se prennent dans une racine et je manque de peu de tomber. Malheureusement, je ne réussis pas à éviter un autre obstacle et mon front heurte douloureusement un tronc quand je tente vainement de retrouver mon équilibre. Une pathétique excuse d’Orso est émise et j’ai bien grand mal à ne pas l’envoyer balader. Tu parles d’un guide ! Il ne m’aide en rien. Ce n’est que dans cette situation que je me rends compte à quel point, je me repose beaucoup trop sur mes yeux. Dans cette obscurité, je me sens fragile, gauche, en danger perpétuel et je déteste ça. Mes doigts me démangent et je dois prendre sur moi pour m’empêcher d’arracher ce bandeau qui je ne supporte déjà plus. C’est donc, mon irritation toujours plus forte, que nous poursuivons notre chemin. Toutefois, à mon soulagement, Orso semble enfin avoir compris son rôle et me dirige désormais avec plus de soin. Tandis que nous avançons, la température se refroidit d’un coup et les semelles de mes chaussures rencontrent une surface rocheuse. L’atmosphère qui m’entoure devient pesante et un écho se forme à chaque pas que nous faisions. Je devine rapidement d’où me vient ce sentiment d’étouffement qui me gagne de plus en plus. Nous évoluons probablement dans un tunnel. Aucune personne de notre groupe n’échange un mot. Après encore plusieurs minutes de marches, Orso finit par m’intimer d’un geste de stopper toute progression. Un cliquetis provenant d’une entrée que l’on déverrouille résonne, puis, alors que je m’y attends le moins, une bruyante clameur me percute les oreilles de plein fouet. Des cris joyeux d’enfant, des voix de femmes, des rires d’hommes et ensuite plus rien, le silence. On retire l’entrave qui me cachait la vue. Mes paupières doivent cligner à plusieurs reprises pour se réhabituer à la clarté. Inconsciemment, mon corps a un brusque mouvement de recul quand je découvre à ma grande surprise un immense hall circulaire où des dizaines d’individus de tous les âges me dévisagent. Cela dit, loin de la méfiance que j’éprouve chaque fois au camp rebelle, il s’agit ici davantage d’une curiosité aimable. Je me détends quelque peu sans toutefois parvenir à taire la crainte qui a émergé en moi. Une femme plutôt élancée avec des cheveux d’un blond vénitien attachés en un chignon haut flottant dans une robe ample se détache du groupe.

- Bon retour parmi nous. Tu nous ramènes un nouveau, Tim ? s’enquiert-elle en lui faisant une accolade chaleureuse.

- Pas exactement, Laurine, lui répond ce dernier après lui avoir rendu son étreinte. Il reste avec nous au camp principal, mais je souhaitais qu’il fasse votre connaissance.

La dénommée Laurine porte son attention sur moi et un sourire sincère étire ses lèvres. Elle me tend sa paume ouverte.

- Enchantée, sois le bienvenu ici. Je m’appelle Laurine, et toi ?

J’empoigne sa main.

- Hans. Enchanté Laurine.

Celle-ci semble vouloir rajouter quelque chose, mais se retient au dernier moment. Elle se tait un instant, avant de revenir à Tim.

- Combien de temps, comptez-vous rester ?

- Pas longtemps, je le crains. Nous devons être de retour au camp ce soir.

Un homme l’interpelle alors le chef rebelle pour lui parler d’un problème de canalisation. Laurine pour sa part s’est tournée vers Orso qui ne tarde pas à l’enlacer avant de l’embrasser avec fougue. La main de ce dernier glisse ensuite sur le ventre de sa partenaire qu’il caresse tendrement, mettant en avant les rondeurs de celle-ci. Ne souhaitant pas m’immiscer plus qu’il ne faut dans leur intimité, je détourne le regard et le porte sur Tim toujours en grande conversation. Mon attention est interpellée par un petit garçon habillé dans des vêtements beaucoup trop larges pour sa taille qui me fixe une expression mi-craintive, mi-curieuse sur le visage. Il ne doit pas avoir plus de dix ans et ce n’est pas le seul enfant de cet endroit. Mais où est-ce que Tim m’a amené ? Je repense alors à ses paroles quand il a proposé à Isis de rejoindre un camp à l’arrière des lignes. Ce serait ce site ? Le gamin m’observe toujours sans rien dire. Je décide de faire le premier pas et m’approche de lui. Il sursaute en me remarquant faire. Je m’accroupis à sa hauteur.

- Comment t’appelles-tu, mon grand ?

Ses joues virent subitement écarlate avant qu’il s’exclame d’une voix forte :

- Max !

Un sourire se dessine sur mes lèvres.

- Ravi de faire ta connaissance, Max, moi c’est Hans.

Sa main hésitante sur referme sur la paume que je lui tends et c’est avec vigueur qu’il la secoue. Estimant que je ne suis pas aussi dangereux que craint dans un premier temps, les autres enfants viennent s’agglutiner autour de moi et Max pour me poser mille et une questions sur tout et n’importe quoi. Quelque peu déstabilisé par cet accueil et n’ayant plus vraiment l’habitude de gérer autant de gosses à la fois, je tente tout de même de les satisfaire. C’est finalement Tim qui stoppe nos échanges tandis qu’une petite fille me présentait le sourire aux lèvres son ourse en peluche complètement délavée et écorchée à plusieurs endroits. Je m’empresse de me relever et après un dernier signe de main à mes nombreux interlocuteurs je rejoins Tim qui m’attend un peu plus loin.

- Ils t’ont déjà adopté, me dit-il satisfait lorsque je me place à ses côtés.

- Qui sont ces enfants ? demandé-je. Des…

Je ne parviens pas à poursuivre le fond de ma pensée, craignant de voir mes doutes confirmer. Je souviens de Laly dont Elena m’avait un jour parlé. Rien que de m’en rappeler, j’ai mes entrailles qui se retournent. Mon interlocuteur semble avoir compris où je voulais en venir.

- Non, ils sont nés ici. Ce ne sont pas des cobayes, me rassure-t-il avant de rajouter à regret. Contrairement à leurs parents.

Le sourire de Max s’impose dans mon esprit. Mes poings se serrent.

- J’espère que jamais, ils ne connaitront les mêmes tourments, murmuré-je.

L’expression de Tim se fait particulièrement sombre.

- Moi aussi, Hans. Moi aussi, je l’espère de tout cœur.

Il pose sa main sur mon épaule dans un geste amical.

- C’est pourquoi nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que cela ne devienne pas le cas.

Il s’écarte de moi et désigne du doigt un couloir adjacent au hall central.

- Suis-moi, je vais te montrer la raison de notre venue en ces lieux.

- Ce n’était pas pour me présenter au groupe ? m’étonné-je.

- Entre autres, reconnait-il, puis poursuit plus grave. Mais si tu veux combattre à nos côtés, il y a une réalité dont tu dois prendre conscience.

Sans rajouter quoi que ce soit, il détourne de moi et s’engouffre dans le passage indiqué. Je l’observe s’éloigner, une crainte toujours plus grandissante nichée au creux de ma poitrine. Que souhaite-t-il à ce point me montrer ? Remarquant que je ne lui suis pas, il me fait signe d’un coup de menton d’approcher. C’est le cœur battant quelque peu irrégulièrement que je me mets dans son sillage.

 

En silence nous nous enfonçons un peu plus profondément à l’intérieur de cet étrange site qui me rappelle à bien des égards la base. J’y retrouve les mêmes types de couloirs et une sobriété similaire. Mais quel est cet endroit ? Un ancien repaire de l’armée ? Cela expliquerait la configuration des lieux. Toutefois, il y a quelque chose qui me dérange dans cette supposition. Comment les rebelles ont-ils réussi à s’en emparer ? Le gouvernement n’aurait jamais abandonné un site pareil ou du moins pas sans surveillance. Les portes se succèdent sans que Tim y prête la moindre attention. Les mains dans les poches, le regard rivé au sol, il est perdu dans ses pensées. Inutile de le questionner pour l’instant, il semble loin d’être propice à converser. Ce n’est qu’à un tournant qu’il finit par s’arrêter. Une porte blindée nous fait face. Le chef rebelle pivote vers moi. Je remarque qu’il a légèrement pali.

- C’est ici. Je tiens à te prévenir, cela va être dur, très dur. J’aurais vraiment voulu t’épargner ça, mais tu dois savoir. Je suis désolé.

Mes mains moites frottent mon pantalon. J’appréhende de plus en plus ce que je m’apprête à découvrir. Mon interlocuteur contemple à nouveau l’entrée devant nous. Son poing se lève, mais alors qu’il prend son élan pour frapper, il se retient la seconde d’après, un sourire amer sur les lèvres.

- Décidément, je déteste cet endroit, murmure-t-il.

Puis comme piqué à vif, il se redresse et cogne sur le métal avec force. Les secondes passent avant que quelqu’un ne déverrouille de l’intérieur. Nous nous faufilons de l’autre côté. Tandis que l’on referme derrière nous, un cri est soudainement poussé. Je me paralyse net. Ma gorge s’assèche et des cauchemars du passé refont surface. Tellin dans la forêt ramenant avec d’autres soldats une forme gisant mollement au sol. Tellin devant moi dans un couloir de la base me fixant particulièrement menacent. Un coup de coude me rappelle brutalement à la réalité. C’est alors que je remarque Tim accompagné d’un homme en blouse blanche qui me couve d’un regard compatissant.

- Hans, je te présente Gleb, le médecin en chef de cet endroit.

Celui-ci me salue d’un signe de la main. Malgré son âge proche de la trentaine, je suis surpris par le nombre de mèches grisonnantes qui blanchisse déjà ses cheveux bruns. Encore sous le choc parce que ce je viens d’entendre, je ne parviens qu’à hocher la tête dans un geste mécanique. Gleb ne semble pas s’en formaliser et tourne les talons pour se diriger vers le fond du couloir. Un nouveau cri est poussé et je déduis rapidement l’estomac noué que c’est dans la même direction que nous devons prendre. Une vérité s’impose à moi. Je ne veux pas y aller. Je ne veux pas voir ce qui se trouve ici. Remarquant que je ne bouge, Tim passe une main dans mon dos et sans me brusquer m’intime à suivre notre guide. À contrecœur, c’est d’un pas hésitant que j’obéis. Tandis que nous avançons, je jette des coups d’œil dans les pièces que nous dépassons où plusieurs bureaux sont installés. Dans un d’entre eux, deux femmes également en blouse blanche sont en train d’échanger entre elles. Je reporte mon attention droit devant moi. Gleb patiente un peu plus loin tout en consultant une feuille accrochée au mur juste à côté d’une porte. Nous sommes désormais à ses côtés.

- On peut y aller ? nous demande-t-il d’une voix grave.

- Oui, confirme Tim.

Sans rajouter quoi que ce soit, le médecin abaisse la poignée et nous fait pénétrer dans un autre couloir avec des portes. Un jeune homme probablement de mon âge poussant un chariot sort d’une des salles adjacentes. Ses yeux se posent sur nous. Après avoir fermé derrière lui, il se rapproche.

- Comment va Adèle depuis ce midi, Nathan ? s’enquiert Gleb.

- Bien mieux, elle vient de s’alimenter correctement devant moi, lui apprend le dénommé Nathan.

- Très bonne nouvelle, autre chose ?

Le regard de son collègue atterrit furtivement sur moi et je comprends qu’il hésite à parler. Gleb remarquant l’attitude de Nathan l’autorise d’un sourire à poursuivre.

- Gabriel est toujours en pleine crise. Comme convenu, nous l’avons placé à part, mais son état ne s’est pas encore stabilisé. Mélanie le surveille.

- Tiens-moi au courant de la situation. Je termine avec eux, l’informe-t-il en nous désignant moi et Tim. Et puis, je m’en occupe. Demande à Viktor de te remplacer et rejoins Mélanie.

Nathan opine du menton avant de gagner les bureaux que nous venons de quitter. Notre guide poursuit sa marche et lâche après un court silence.

- Tim, Gabriel commence à atteindre ses limites. Son état s’est brusquement détérioré ces derniers jours. Je suis vraiment désolé. Nous n’avons rien pu faire.

Le regard du chef rebelle ne reflète que tristesse.

- Je sais, Gleb. Tu n’as pas à t’excuser. Serait-il possible de le voir ?

- Tu as entendu, Nathan, soupire-t-il. Il est en pleine crise.

- S’il te plait, ce sera peut-être la dernière fois que je le verrais.

Nouveau soupire.

- Suivez-moi, nous dit-il en bifurquant dans un autre couloir.

Les cris qui nous avaient accueillis lors de notre arrivée s’intensifient et gagnent en puissance à chaque pas que nous faisons. Je n’ai qu’un désir, tourner les talons et m’enfuir le plus vite possible d’ici. Une femme est assise sur une chaise un peu plus loin. Probablement l’un de ses collègues est en train de lui bander son avant-bras. Ils relèvent la tête en nous remarquant.

- Je vous déconseille de vous approcher de lui, docteur, même à deux, nous avons eu beaucoup de mal à le contenir, déclare la femme qui je présume doit être Mélanie.

- Ne t’inquiète pas, on se contentera de l’œil-de-bœuf.

Tim s’est déjà collé à la porte d’où proviennent les cris et contemple sans rien dire l’intérieur de la pièce.

- Combien de temps ? finit-il par demander.

Gleb secoue la tête, navré.

- Trop peu malheureusement.

Son interlocuteur se détache lentement de la petite ouverture. Je ne l’ai jamais trouvé aussi vieux qu’à cet instant. Il porte son attention sur moi.

- Je veux que tu regardes, Hans, m’ordonne-t-il. Tu dois savoir le sort qui nous attend tous, nous victimes du Projet.

Il a parlé d’un ton sec où la rage est à peine voilée. Mon corps réagit de lui-même et je m’exécute tremblant. Au départ, je ne vois rien si ce n’est une salle que l’on a matelassée de partout. C’est alors que mon attention se pose sur une forme recroquevillée au sol se tordant en tous sens. Mes doigts se crispent sur le métal de la porte où je les avais collés à plat. Je ne connais que trop bien la souffrance que l’on subit lors d’une crise. Ma respiration devient laborieuse. Pourtant malgré les souvenirs de mes propres tourments, je ne parviens pas à détacher mon œil de cet homme. Soudain, il relève la tête et je croise son regard injecté de sang. Un regard de haine, de démence à l’état brute. Je recule brusquement, manquant de peu de trébucher sur Mélanie qui se trouve derrière moi. J’ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. J’étouffe de plus en plus. Ma main s’agrippe au col de ma veste que j’arrache pratiquement. J’ai besoin d’air. Cela tourne trop autour de moi alors que je tente vainement de mettre de l’ordre dans mon esprit. C’est n’est pas possible, pensé-je, horrifié. Je ne peux pas finir de cette manière. Je ne veux pas ! Les yeux de Gabriel sont ancrés dans ma tête, encore plus menaçants qu’en vrai. Le monde autour de moi semble avoir disparu et seule une vérité compte : le prochain, ce sera peut-être moi.

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Sklaërenn
Posté le 17/04/2021
Coucou ! J'ai beaucoup aimé le passage où il était "aveugle". On sent bien l'impact que ça a sur lui, sur ses sens. Le sentiment de fragilité qui s'empare de lui. C'est plutôt réaliste.

Le passage où il voit ce qui l'attends est un peu dur, tant pour nous qui apprécions Hans que pour lui-même. Etre mis en face de la réalité, comme ça, sans aucune préparation, c'est plutôt violent.

Par contre, je me demande pourquoi autant de précaution ? Pour les enfants ? Dans ce cas pourquoi les enfants sont-ils au même endroit que les autres qui ont des crises (et plus encore) ? Ça m'intrigue.

Cela dit , maintenant que Hans a vu ça, j'ai peur qu'il ne veuille plus se battre et qu'il ne se laisse dépérir :s J'espère qu'il ne va pas se laisser abattre.
Zoju
Posté le 18/04/2021
Merci beaucoup pour ton commentaire ! Cela me fait toujours très plaisir de voir que tu continues à lire cette histoire malgré les publications qui se sont un peu espacées ces derniers temps. L'histoire est dans ma tête, mais le temps que je souhaite y consacrer est trop court.

Je suis contente que l'on ressent bien les émotions de Hans dans ce chapitre. Pour le fait de lui montrer ce qui risque de lui arriver sans vraiment de préparation, Tim avait sous-entendu que ce serait éprouvant, mais à l'évidence Hans ne s'était pas attendu à ça. Contrairement aux autres rebelles qui ont vécu dans la section médicale ou Elena qui a combattu ces personnes, Hans n'a jamais été vraiment confronté à l'un d'eux. Tim a préféré le faire dès le départ, même si c'est violent. Reste à savoir comment il va réagir face à cette réalité.

Pour expliquer les précautions prises. Cet endroit représente le camp de seconde ligne dont Tim avait parlé à Isis. Comme le camp principal ne peut se permettre de s'occuper des malades qui arrivent au dernier stade de la maladie ou qui s'en approche, ceux-ci sont envoyé dans ce lieu. Les précautions, c'est surtout pour éviter qu'un malade sous le coup de la folie quitte le centre de soin. Les rebelles ne veulent en aucun cas traité leurs malades les plus touché comme ils seraient traité chez Assic. Ils essayent de leur donner la meilleure fin de vie possible.

J'espère avoir répondu à tes questions, surtout n'hésite pas à en poser, j'essayerai de te répondre le mieux possible ! A très vite pour la suite ! :-)
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