Chapitre 25 - Iro - La Couronne

Le battement des oiseaux, pavanant à son balcon, réveil Iro, en douceur de sa torpeur. Aucune bête ne lui a rendu visite, cette fois-ci. Sans repos, ni énergie, le nez engourdi. La lumière, réfléchissante sur le balcon de cristal, pique ses pupilles. D’une boule, elle roule jusqu’au milieu du lit, puis médite à ses actions passées, le deuil de son oiseau, et futures… D’un fil de pensées, elle perd celui du temps. Aux brouhahas du quartier, l’anxiété la rattrape. Le cours ! Une rapide toilette. Elle bondit de sa chambre.

 

Rarement les couloirs étaient aussi occupés. Plusieurs apprentis discutent sur les marches murales longeant leurs chambres, parfois au rideau ouvert à l’invitation. D’autres bouquinent, adossés aux étagères de livres longeant le cœur du quartier. Aussi plein soit-il, l’ambiance qui se dégage du quartier est légère. Comme promis, le Professeur avait reporté son cours.

 

Dans un coin, Iro constate qu’une familière pile de papier s’est reconstruite. Elle s’avance vers celle-ci, sans chercher à attirer l’attention, et accorde un simple hochement de tête pour saluer gardes, apprentis, ou architectes. Par trois murmures, imitant les sonorités étouffées de petit coups sur du cristal, Puk, Puk, Puk, Iro toque sur la pile, puis comme un titan pointant sa tête aux crêtes d’une muraille, elle en survole le creux.

 

Cloîtrée confortablement en son nid, Wazo fronce des yeux sur l’invité, puis dans une volonté de mise au point pour identifier la présence, son mécontentement se transforme en surprise.

 

« Iro ? se réjouit Wazo.

– Plus que jamais ! enchérit-elle, avant de s’asseoir à côté du nid.

– Tout va bien ? demande Wazo à travers la paperasse, fixant sa stature, après avoir mis en pause sa lecture.

– Tout peut aller mieux, mais l’essentiel est là.

– Ah ! Tant mieux. On va pouvoir se reposer tranquillement, et…

– Je vais à la couronne ! interrompt Iro.

– … Mais… hésite Wazo, qui pointe le bout de sa tête à son tour. Cette fois-ci, elle fronce avec volition, mais se heurte au regard bienveillant d’Iro.

– Je sais que c’est dangereux, mais je dois le faire. Pour la première fois, depuis mon retour, j’ai pu m’endormir. Sans peur, ni crainte, ni anxiété… Je ne suis plus en train de tourner en rond. À chaque fois que je m’acharne, je sens que je me rapproche de la vérité, ou bien, le fait que tu veilles sur moi, m’encourage, et me fait pousser des ailes.

– Alors, je viens aussi, réponds fermement Wazo, dévisageant Iro qui commençait à prendre une pose arrogante pour désamorcer ses émotions. Je sais que c’est interdit de quitter le Croc, pour moi, mais je veux arrêter de tourner en rond dans ce couloir. S’il t’arrive quelque chose… je me sentirai responsable.

– Eh bien, ça change tout ! Viens ! »

 

Iro invite de la main Wazo à quitter son nid, qui la saisit timidement avant de la relâcher. Pensant être épiée, Wazo se détourne, bousculant le tas de papier. Iro rit un petit coup, lui envoie une grimace interrogatrice, et continue en direction de sa chambre. Elles se rejoignent au niveau des marches.

 

« C’était quoi ça ? Tu as des admirateurs à tes trousses ? questionne Iro, sous le regard gêné de Wazo. J’en reviens pas que après tout le temps que j’ai passé au Croc, je ne t’ai jamais remarqué, et encore moins cette pile de papiers, qui te sert de nid. Par ailleurs, tu as vu Raivo ?

– Pas depuis que je suis arrivé, murmure-t-elle.

– Tu faisais le guet ? »

 

Wazo baisse la tête pour noyer le sujet, et elles entrent toutes les deux dans la chambre. Visiblement dérangée, aucun intrus, mais juste un reliquat de la fatigue prolongée de son hôte.

 

« C’est rangé ? demande Wazo perplexe, et… c’est quoi cette odeur. »

 

Sur la différence d’un avis extérieur, comme un simple jeu des sept erreurs, Iro prend soudainement conscience de tout ce qui ne va pas en son lieu. Brusquement, elle se met à jeter ses affaires à la volée aux quatre coins.

 

« Tout va bien, j’étais justement entrain de ranger, ici et là, fais comme chez toi, s’essouffle-t-elle, tandis que Wazo reste dos au rideau tiré, toujours retenue par l’odeur.

– C’est quoi ton plan ?

– Ça ! exclame Iro, en levant la cape, portant les dernières traces de sang séché, au nez de Wazo, qui tire sa boucle de cheveux afin de resserrer sa natte pour bloquer l’influx nauséabond.

– Jamais !

– Allez ! Sollicite-t-elle, tandis que la commissure de ses lèvres sont prises d’un rictus sournois.

– Je dois mettre la cape ? et Toi ?

– En fait… Tu ne vas pas mettre la cape… Tu vas être caché dans un baluchon de linge salle. Avec la cape ! Pour te camoufler, ou plutôt… empêcher les gardes de fouiller, et te trouver.

– Tu vas me soulever ?… traîner ?

– Tu pèses combien ? »

 

Le rideau de la chambre est habilement écarté, dissimulant l’intérieur aux possibles yeux curieux. Habillé d’une cape propre, Iro émerge, tirant laborieusement un baluchon ballonné arrivant à hauteur de ses genoux. Elle salue l’intérieur de la chambre avec l’éloquence d’un jeu d’acteur amateur.

 

« Mets-toi à l’aise, Wazo ! Je reviens vite ! »

 

Soudain, une pincée sur sa cuisse rappelle Iro à l’ordre. Du sac, s’échappe les murmures de Wazo, accroupie, emmitouflée.

 

« À quoi tu joues ? On est censé être discret !

– Je détourne l’attention, fais confiance, chuchote Iro, qui manque de perdre l’équilibre, donnant un coup de genou dans le sac. Surprise par le poids, ses mains le lâche dans une cascade glissante sur les marches de cristal, heureusement de faible altitude.

– Aaah ! s’écrie Wazo dans la chute.

– Aaaaah ! canonne comiquement Iro pour masquer la voix. Elle dévale les marches, à la poursuite du sac, pour limiter les dégâts, et de justesse l’immobilise sur la dernière. Tout va bien ! dit-elle en s’essuyant la sueur perlant sur son front, sous le regard perplexe des autres passants, ne saisissant pas l’importance d’un sac visiblement rempli de linge salle. Ce sont mes préférés ! improvise-t-elle, à genoux, en caressant le sac de linge, pour justifier ses actions, tandis qu’un commentaire brûle à ses oreilles.

– Je vais te faire bouffer ton linge salle, chuchote Wazo »

 

Iro se dresse droite, au garde à vous. Elle balance le sac entre ses deux jambes, et avance à petit pas en direction de l’ascenseur. Sur le trajet, elle s’excuse en boucle, la tête baissée, avec les fins bruits de glissement du tissu sur le cristal.

 

« Qu-est-ce que c’est cette fois-ci ? interroge l’un des gardes de la plateforme, en désignant le sac.

– Ah ! sursaute Iro. Je vais descendre mon linge salle.

– Qu’est-ce que tu racontes ? Tu peux pas attendre comme tout le monde, la prochaine levée. Ne me dis pas que tu as déjà sali tout ton linge propre en un cycle ?

– C’est l’odeur, réponds calmement Iro, le visage résistant au regard perçant du garde, qui est vivement bousculé par un de ses pairs, d’une tape à l’arrière de la tête.

– Arrête de jouer les mécaniques ! dit son pair, en échangeant un regard complice avec Iro. Sens par toi-même ! invite-t-il en ouvrant sans sommation le sac, libérant des effluves meurtrières, presque insoutenables, fermentées à huis clos. Au-delà de l’odeur, la présence de Wazo, apeurée.

– Pouah ! s’humilie le garde, tandis que son pair rigole. C’est bon, passe ! Passe ! Et jette le sac aussi !

– Merci ! »

 

Iro s’empresse de refermer le sac et se glisse sur un coin de la plateforme, loin du passage, avant que le garde sonne le départ, et que la descende commence.

 

 

 

« Vous pouvez débarquer, crie le garde, qui continue à surveiller Iro s’éloigner, traînant du pied, avant de s’adresser à son pair. C’était quoi cette odeur ?

– T’occupes, répond-il sèchement.

– Mais c’est pas inhabituel ? reprend-il avant de constater que Iro a disparu de sa vision. Hein ! Son sac s’est fait pousser des jambes, on devrait prévenir…

– T’occupes, renchérie son pair avec la même fermeté. N’oublie pas. Nous sommes les bras du Croc, ses jambes, son corps, mais la tête, les yeux… ce sont les Architectes, conclue-t-il en pointant du doigt le sommet du pylône. »

 

Déjà loin, Iro a donné sa cape propre avec Wazo, et pris une moins sale qui servait de coussin dans le baluchon. Slalomant les passants, elles courent sur le pont, en direction de la Couronne. L’excitation les extirpe de l’attirance des abîmes de la fosse, absous aux cris des oiseaux virevoltants entre les cordes. À quelques pas de la terre ferme, Wazo hésite. À quelques pas d’une nouvelle terre, elle s’engage. D’une banalité évidente, à l’écart des démarches de silhouettes blasées, elle se démarque de sa présence. Sous la capuche, son visage s’éblouit d’une joie incommensurable. Dos au Croc, dos à une lumière radiante, elle suit l’élan d’Iro, et bondit à son tour. Laissant derrière elle les vestiges d’une peur sans fondements, et embrassant un nouveau monde dans l’insouciance. En son for intérieur, elle rit aux éclats.

 

« On va où maintenant ? demande Wazo, souriante, au beau milieu d’un carrefour de passants, qui s’engagent sur le pont.

– Je… sais pas, marmonne Iro, avec précaution, en voyant le visage de Wazo se transformer. Mais ça va me revenir ! Viens ! Suis-moi ! le quartier des tisserands, c’est… peut être… c’est par là ! »

 

Iro saisit son bras, et elles se faufilent dans la périphérie de la Couronne. D’étal en étals, au rythme des découvertes sensationnelles de Wazo, leurs pas ralentissent, entrecoupés par les crachats de flammes des bouches de la forge et ses caresses ardentes. Même si rien ne lui était inconnu, d’une image, d’un nom, d’une fonction, d’une vision lointaine, Wazo reste admirative, étonnée, curieuse, animée. L’odeur, le bruit, le touché. Tant de choses ne pouvait être retranscris sur du papier, et encore moins à l’oral. À leur passage, les marchands les interpellent. Trompés par la mascarade de leurs tuniques d’architecte habilement cachées sous leurs vétustes capes, ils leur proposent délices, et apparats de fortune. Le petit baluchon sale leur octroie une aura orpheline, tandis que leurs visages rayonnent d’insouciance, insufflant la bienveillance. Elles testent tout, et en profitent.

 

Entre les vagues silhouettes des passants apparaissent deux gardes. Ils scrutent les lieux, à la recherche de quelque chose, ou quelqu’un. Iro saisit la main de Wazo, pour la secouer de son émerveillement, tandis qu’une autre main attrape son épaule.

 

« Alors ! dit une voix, le ton ferme. On fuit les cours ? »

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