Chapitre 25 : La sorcière

Tout en traversant un pont au dessus d’une rivière tumultueuse, Valiente tenta de résumer les informations dont il disposait. Ash, son père, était tombé amoureux de Fynn, un barde talentueux. Lyra, sa mère, avait trompé Ash avec cet homme, adultère donnant naissance à Kaïna. Dès qu’elle lui eut donné un héritier, Ash profita que Lyra ait appris la musique auprès de Fynn - chose interdite pour une magicienne - pour la dénoncer, espérant l’éloigner du trône. L’empereur avait agi mais Fynn fut mis à mort en même temps que la reine, détruisant le cœur de Ash.

Valiente tenta de déterminer en quoi cela pourrait l’aider. Ash craignait l’empereur. Ce dernier savait-il que Ash aimait Fynn ? L’avait-il mis à mort en même temps que la reine pour asseoir son autorité sur le nouveau roi de Valdoria ? Si c’était le cas, l’effet avait été réussi, sur le roi, en tout cas, pas sur le reste de la famille Valdorienne qui continuait à assassiner des magiciens malgré l’interdiction impériale.

Que risquait Valiente à confronter l’empereur à ses obligations ? D’après Ash, l’empereur assignait Kaïna à résidence. L’empereur allait-il s’en prendre à elle pour faire taire le prince Valdorien ? Valiente frémit tout en passant dans un sous-bois. Il remarqua à peine l’écureuil sautillant non loin de lui, ni même l’odeur d’humus et de mousse l’enveloppant.

Afin de calmer ses pensées ramifiées, il se recentra en repensant aux leçons de son père. « L'Empire, dans sa sagesse séculaire, se compose de neuf royaumes souverains, auxquels s'ajoute Cyrenthia, la province impériale. En son cœur trône Sylvaris, joyau de l'Empire et demeure de l'empereur. ». Il semblait à Valiente entendre la voix de son père énoncer le savoir, lui demandant de répéter. « Il est crucial de comprendre que l'Empire transcende la notion de royaume. Le trône impérial, dans sa grandeur, ne suit pas la lignée du sang, mais celle du mérite et de l'équité. ».

La révélation avait beaucoup surpris Valiente. Le garçon n’avait cependant pas interrompu son père pour lui poser une question. Pendant les leçons, Valiente devait attendre d’y être invité pour parler. Charge à lui de se souvenir des interrogations lui étant venues durant la leçon. Ash proposait des moments d’interaction, qui devenaient moins nombreux au fur et à mesure que son fils grandissait.

« L'empereur, bien qu'héritier légitime de son royaume d'origine, s'élève au-dessus de ces considérations terrestres en accédant au trône impérial. Ce faisant, il renonce à ses droits dynastiques, embrassant un destin plus grand. La couronne impériale passe ainsi de royaume en royaume, telle une flamme sacrée illuminant chaque coin de l'Empire. Cette rotation du pouvoir, fruit de la sagesse de nos ancêtres, assure que chaque voix soit entendue, chaque besoin considéré et chaque aspiration encouragée. Ainsi, l'Empire perdure, fort de sa diversité et uni dans sa vision. »

Si la leçon n’apporta aucune information digne d’intérêt aux yeux du prince, elle lui offrit de recentrer ses pensées, lui permettant de se figea à quelques doigts d’une présence humaine devant lui. Tout juste ne lui rentra-t-il pas dedans. Il leva les yeux vers le voyageur qui restait là, immobile, en plein milieu du chemin. Il recula d’un bond en reconnaissant Kremilla, ses longs cheveux blonds admirablement bien coiffés se répandant autour de son visage.

- Je m’en doutais, sourit-elle méchamment. Je leur avais dit que tu allais voir l’empereur.

- Ma queue t’a manqué à ce point, Kremilla, que tu traverses la moitié de l’Empire pour la retrouver ?

- Où crois-tu aller ? gronda Kermilla en retour, la bouche arquée dans un rictus mauvais.

Valiente resta droit, les bras croisés, toisant son interlocutrice. Kremilla insista :

- As-tu idée du mal que tu feras en allant voir l’empereur ? Il destituera Ash ! Des générations d’effort réduites à néant !

- Je ne veux que la justice, la même pour tous. Vous êtes des meurtriers.

- Ash n’a pas le droit d’être sur le trône. Si tu te plains que la loi ne s’applique pas à tous de la même manière, alors ton père quittera le trône et toi aussi, puisqu’à ma connaissance, ni lui ni toi n’êtes les porteurs de glyphes.

Deux pièces du puzzle s’assemblèrent dans l’esprit du prince. Pour que Ash ait eu l’autorisation de monter sur le trône sans pour autant être le porteur de glyphes, et que ce dernier continuait à vivre, prisonnier au palais, vendant son art au nom de Valdoria, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose.

- Ma mère est vie, souffla-t-il, abasourdi.

- Comment ? Que ? Je ? C’est ?

Kremilla éructa plusieurs mots sans cohérence puis bafouilla :

- Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

Elle ne niait pas. Il venait de la prendre par surprise et la réaction prouvait qu’il avait visé juste. Ash régnait non pas parce qu’il était le descendant légitime ou grâce aux quelques glyphes courant sur sa peau. Il n’était sur le trône que parce qu’il avait épousé le porteur de glyphes, la porteuse de glyphes, dans ce cas. L’empereur avait feint sa mort pour mieux l’asservir. Valiente sentit une profonde nausée monter.

Le prince sentit le sol se dérober sous ses pieds. Sa mère, vivante ? Une vague d'émotions contradictoires le submergea - joie, colère, confusion. Il serra les poings, luttant pour garder son sang-froid face à Kremilla.

Sa mère prisonnière au palais impérial. Sa famille, des meurtriers, libres de leurs mouvements. L’injustice frappa le jeune homme de plein fouet, le révoltant jusqu’au plus profond de son âme.

S’il hésitait à poursuivre sa route vers le palais, cette révélation lui donna plus que jamais envie de confronter l’empereur. Libérer sa mère. Mettre hors d’état de nuire ces salopards. Redorer le blason de Valdoria. Sa volonté s’endurcit. Il leva sur Kremilla un regard mauvais. Mieux valait qu’elle ne se mette pas sur son chemin.

La jeune femme dut sentir la tension dans le corps de son interlocuteur car une flamme apparut dans sa main droite. Valiente la fusilla du regard. Elle osait le menacer, lui, le prince, l’héritier légitime ! Il la méprisait. Sa bouche se tordit dans un demi-sourire.

- Tu sais ce qui est nécessaire pour lancer un sort ? demanda-t-il, plus décidé que jamais.

- Un tatouage, proposa Kremilla.

- De la concentration, répondit Valiente avant d’activer sa propre glyphe, forçant l’esprit de sa vis-à-vis, titillant son esprit, juste assez pour la gêner, pas trop pour que la douleur ne soit pas trop vive et ne la cloue sur place.

La flamme s’éteignit tandis que Kremilla gémissait en remuant la tête. Pour la première fois de sa vie, Valiente regretta de ne porter qu’une rune et pas une glyphe. Au niveau supérieur, son pouvoir lui aurait permis d’implanter une idée dans la tête de Kremilla, telle une obsession. Celle de devoir absolument aller au palais impérial, par exemple, ou que la mort la frapperait si elle lançait un sort.

Le prince n’ayant pas cela à disposition, il se contenta de maintenir Kermilla sous contrôle en la blessant, regrettant la méthode mais ne voyant pas d’autre solution. Valiente ressentit un mélange de puissance et de dégoût en utilisant son pouvoir contre Kremilla. Une part de lui savourait cette domination, tandis qu'une autre s'en horrifiait. Était-ce ainsi que commençait la corruption du pouvoir ?

- Sors de ma tête ! ordonna Kremilla.

- Tu as essayé de me tuer, rappela Valiente.

- Je voulais juste te faire peur ! se dédouana Kremilla. Jamais je ne te ferais de mal, tu le sais bien !

Elle battait des cils en souriant. Elle minaudait, tentant de le séduire. Il secoua la tête de mépris.

- Tu vas m’accompagner au palais, annonça-t-il.

Hors de question de laisser la peste derrière lui et puis, elle lui serait peut-être utile une fois sur place. Elle pourrait témoigner, confirmer ses propos.

- Tu rêves ! répliqua Kremilla.

Valiente accentuant la pression sur l’esprit sa cousine qui tomba à genoux en hurlant. Lorsqu’il relâcha, Kremilla haletait et des larmes coulaient sur son visage, détruisant son maquillage soigné. Valiente sentit une vague de culpabilité l'envahir en voyant Kremilla souffrir, mais il la repoussa aussitôt. La fin justifiait-elle vraiment les moyens ? Cette pensée le troubla, mais il se força à l'ignorer.

Sans même prendre la peine de lui parler, il se mit en marche. Dès qu’il eut avancé un peu, il augmenta la dose et Kremilla bondit sur ses pieds pour le suivre. Dès qu’elle fut près de lui, il diminua l’intrusion, la rendant juste suffisante pour empêcher la sorcière de lui lancer une boule de feu dans le dos.

- Tu as tort de faire ça, gronda Kremilla. Tu n’as pas idée des conséquences !

Valiente choisit le silence en retour. Sa décision était prise. Rien ne saurait le faire flancher.

- Sais-tu à quoi ressemblait Valdoria avant que nous n’en reprenions le contrôle ? L’empereur n’en a rien à faire de nous, un royaume pourri au milieu de son Empire rutilant. Il délaissait notre peuple. Les famines se succédaient et personne ne venait aider les nôtres. On peut reprocher beaucoup de choses à Ash mais pas son investissement !

- C’est pour ça que vous l’insultez au quotidien, contra Valiente. Peut-être devrais-tu lui montrer un peu plus de respect et de soutien si tu apprécies autant ce qu’il fait.

- Il n’a jamais repris épouse.

- Sa femme est en vie ! s’écria Valiente, plus énervé que jamais.

- Pas officiellement, répliqua Kremilla.

- Mais tout le monde sait qu’elle est là, quelque part, prisonnière, obligée de vendre son art. Vous la méprisez, vous l’insultez mais vous ne crachez pas sur l’argent vous permettant d’obtenir nourriture, vêtements, bijoux, maquillage…

Kremilla baissa les yeux en grimaçant. Valiente poussa son avantage :

- La parvenue… Elle se sacrifie pour Valdoria et vous ne trouvez rien de mieux que de salir sa mémoire. Qui est-elle, Kremilla ? Qui est vraiment ma mère ?

- Je ne sais pas, avoua Kremilla. Je n’ai entendu que des rumeurs, des on-dits, toujours des insultes, des moqueries, des railleries, des crachats. J’ignore où elle est et ce qu’elle vit.

- Quelle était sa relation avec Ash ?

- Je ne sais pas, assura Kremilla. Mari et femme…

- Ash n’aime que les hommes, rappela Valiente. Comment ai-je été conçu ?

- Je ne sais pas, pleura Kremilla.

Valiente se rendit compte que sa colère lui faisait augmenter la dose de douleur dans l’esprit de sa cousine. Il respira plusieurs fois pour se forcer à se calmer et la sorcière soupira en gémissant.

L’empereur avait mis à mort Fynn pour asservir le roi et la reine de Valdoria. Valiente en cracha par terre de dégoût. Le prince leva les yeux vers le nord et poursuivit sa route d’un pas rageur. Ce connard d’empereur avait intérêt à avoir de bonnes réponses à ses questions car Valiente ne laisserait rien passer. Tout empereur qu’il soit, il allait devoir répondre de ses actes.

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