— Noé ! cria Aube. Noé ! Éfflam ! Où êtes-vous ?
Elle avait senti le souffle du danger dans la lumière du jour qui déclinait. Ses amis avaient des soucis. Elle n’était pas parvenue à saisir distinctement leurs pensées à distance, à deviner ce qui se passait. Elle était dépassée par des éléments qu’elle n’avait pas su anticiper. Elle avait négligé des forces à la périphérie de leur champ d’action. Une autre volonté semblait se réveiller et vouloir leur mettre des bâtons dans les pattes. La petite fille était à nouveau submergée par cette impression de ne pas pouvoir tout contrôler.
— Aube !
La voix de sa mère ! Au plus mauvais moment, alors qu’elle espérait retrouver son amie.
— Aube !
Éléonore l’appelait et se rapprochait à travers bois.
« Oh non ! Noé ! Éfflam ! Où êtes-vous ? » pensa-t-elle. « Si ma mère me surprend, je devrai rentrer à la maison. »
— Aube ! insista sa mère qui arrivait.
Autour de la fillette, les animaux étaient aux aguets. La fouine se dressa sur ses pattes arrière. Le geai lança son cri d’alarme. Les musaraignes foncèrent sans tarder se cacher dans la première cavité à leur portée.
« Tout va bien, Aube ! »
« Oh, Éfflam ! » fut-elle soulagée de lui répondre par la pensée.
« Retrouve ta mère, rassure-la et rentre chez toi » lui conseilla-t-il.
« Mais je peux encore me cacher » objecta-t-elle. « Où êtes-vous ? Où est Noé ? Je veux savoir comment tout s’est passé pour vous. »
« Je ramène Noémie chez elle. Rassure ta mère, elle a besoin de toi » répéta l’enfant-chat. « Rendez-vous ce soir. Je te raconterai nos aventures quand tu seras au lit. »
« Éfflam ! »
La fouine disparut d’un coup comme une flèche vers une cible invisible. Le sous-bois parut soudain vide et silencieux. Plus d’animaux, plus d’esprit ami dans sa tête, tel un rêve qui s’arrête et dont le souvenir vous échappe.
— Aube ! cria sa mère, toujours plus proche.
— Maman ? répondit-elle en sortant de l’ombre et de l’abri des troncs et des ronces pour la surprendre.
— Qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi est-ce que tu ne répondais pas ?
— J’allais rentrer.
Aube pensa qu’elle disait la stricte vérité. Elle avait promis à Éfflam de la rassurer. Elle tenait sa promesse.
— Où étais-tu ? s’entêta sa maman furieuse. Je t’avais interdit de sortir. Je te croyais dans ta chambre en train de lire.
— J’aurais voulu que Jeanne m’apprenne.
La petite fille venait de se rappeler que cette idée lui avait traversé l’esprit, que c’était une raison valable qui lui aurait plu.
— Je suis passée chez Jeanne, rétorqua sa mère. Il n’y avait personne.
— Elle n’a pas répondu parce qu’elle dort, lui expliqua sa fille. Elle ne se sentait pas bien, je crois. J’espère qu’elle va mieux.
— Ah ? s’arrêta Éléonore déstabilisée.
Sa fille ne semblait pas comprendre. Aube lui répondait sans se démonter, comme si elle était sortie tout naturellement pour une promenade de santé, en oubliant juste de la prévenir.
— Allez, viens ! reprit-elle. On rentre à la maison tout de suite !
Aube sentit les doutes de sa mère, la colère qui obscurcissait son raisonnement. L’épisode de Jeanne n’avait pas fait diversion longtemps. Et soudain la fillette vacilla. Dans l’orage qui agitait sa mère, un éclair l’avait frappée, elle était au courant pour le téléphone cassé.
— Il faut qu’on parle, continua celle-ci. J’ai deux mots à te dire.
— C’est Max qui t’a dit ?
— Max ?
— C’est lui qui t’a prévenue que je sortais ? voulut savoir sa fille qui se décomposait.
— Parce que ton frère était au courant en plus !
— Non ! blêmit Aube. Je ne sais pas, il a dû m’entendre sortir, ou peut-être pas. Je croyais...
— Ah, Aube ! la coupa sa mère qui fulminait. N’essaie pas d’impliquer ton frère dans tes bêtises. Tu en as déjà fait assez comme ça.
La fillette soupira. Elle s’était trompée. Son frère n’avait rien avoir dans l’histoire. Elle avait failli aiguiller sur lui les soupçons de sa mère. Elle s’en serait mordu les doigts. Mais alors, comment sa mère était-elle au courant ? Elles traversèrent le jardin sans plus un mot. Chacune ruminait. Sa mère la fit entrer dans la cuisine et l’arrêta en lui montrant un objet au milieu de la table.
— Est-ce que tu peux m’expliquer ce que c’est que ça ? demanda-t-elle glaciale.
Elle désignait les morceaux du combiné de téléphone que Aube avait cassé et caché.
— Tu as fouillé ma chambre ?
— Ce n’est pas la question.
— C’est dégueulasse !
— Aube ! Ça suffit !
La tension était maintenant palpable. Elle collait aux doigts et aux lèvres de la mère et de sa fille comme de la barbe à papa. Leurs paroles auraient pu prendre forme au milieu de la pièce. Comme ces taches de sucre qui collent et ne s’effacent pas. Elle savait que sa mère ne lâcherait pas tant qu’elle n’aurait pas obtenu une explication valable.
— Je n’ai pas fait exprès, tenta-t-elle, reprenant sa stratégie qui consistait à ne dire que des parties de la vérité.
— Ne me mens pas !
— Je ne mens pas, plaida-t-elle. Il est tombé par terre et il s’est brisé en mille morceaux. Je ne pouvais rien faire.
— Sans le faire exprès ? répéta sa mère. Et c’est sans faire exprès que mon portable s’éteint toutes les nuits ? Et c’est sans faire exprès que tu es sortie sans ma permission ce soir ?
— Maman ? Tu ne me crois pas ?
— Je crois surtout, répliqua-t-elle, que tu as autre chose en tête et je n’aime pas ça. Je te connais mieux que tu ne le crois, ma fille.
— Qu’est-ce que tu vas imaginer ? balbutia Aube qui commençait à être perdue.
— Je n’ose pas penser à ce qui se serait passé si quelqu’un d’autre t’avait surprise. Je ne veux pas d’ennui avec le quartier.
La fillette était rouge de rage et d’impuissance. Elle ne parvenait pas à mesurer l’étendue de ce que savait sa mère. Réussissait-elle à lire dans sa tête ? Mais alors, était-elle au courant pour les sabotages chez les voisins ? Comment encore cacher la vérité si elle avait accès à ses pensées ? Tant pis, il était trop tard pour reculer.
— On ne peut pas rester sans réagir, s’emballa-t-elle. C’est à cause de la pancarte. Il faut aider Jeanne. Ce n’est pas assez avec les pétitions.
— Ça suffit ! tonna sa mère en frappant du plat de la main sur la table à l’instant où son père entrait dans la pièce.
— Aube ?
— Papa ! dit-elle en se précipitant vers lui. Dis-lui à maman que c’est à cause de l’antenne et des téléphones qu’on ne peut pas baisser les bras.
— Ma chérie, commença-t-il en ramassant les débris de l’appareil. Ta mère a raison. La situation ne justifie pas qu’on détruise ce qui appartient à autrui.
— Mais...
— Bon, il est irrécupérable, continua-t-il en jetant un rapide coup d’œil sur les morceaux dans ses mains. C’est bien ce que je pensais. Je viens de le remplacer par un modèle standard. On peut à nouveau téléphoner, mais en restant dans le couloir.
— Tu l’as remplacé par un téléphone à fil ? s’étonna son épouse.
— Oui, répondit-il.
— Ce sera moins pratique.
— C’est vrai, mais ce n’est pas plus mal pour notre environnement.
— Oh, papa ! intervint Aube. C’est super !
— Pas si vite, jeune fille, l’arrêta-t-il en la tenant par les épaules pour mieux la regarder dans les yeux. J’estime que quand on casse quelque chose, il s’agit de participer à sa réparation. Et comme à ton âge, je ne peux pas te demander d’apprendre l’électromécanique...
« Quoique tu en serais capable ! » ajouta-t-il en riant intérieurement.
Aube était tellement soulagée qu’elle fut surprise par la suite.
— ... je propose, continua-t-il que tu participes pendant une semaine à toutes les tâches ménagères. Voilà une belle contribution au bien-être de la famille.
— Papa !
Elle l’observait. Jean souriait d’un air entendu à Éléonore, tentant d’adoucir sa colère tandis que celle-ci ricanait accumulant les reproches non-dits envers son mari.
« À toi aussi, ça ne te ferait pas de tort de prendre en charge quelques tâches supplémentaires » pensait-elle.
Aube espérait que la pression retombe. Elle ne voyait pas comment contester la punition de son père. Elle avait bien saisi qu’il attendait plutôt une réparation. Mais ce qui se jouait devant elle la dépassait. Elle comprit trop tard que, pour rassurer sa mère, son père ne s’en tiendrait pas là.
— Et évidemment, l’interdiction de sortie est toujours de mise, conclut-il en revenant vers sa fille. Et prolongée d’une semaine suite à l’escapade d’aujourd’hui.
— Non ! cria-t-elle. Ce n’est pas juste !
« Ma chérie, la prochaine fois, tu écouteras ta maman » lui fit-il savoir en plongeant son regard dans le sien. « Essaie de la comprendre plutôt que de lui mentir. »
— Mais Jeanne, reprit-elle d’une toute petite voix. Et la fête-réunion pour empêcher l’antenne ? Comment on va faire ?
— Qu’est-ce que c’est encore que ça ? s’étonna Éléonore.
— La fête-réunion ? reprit Jean. Oui, Max m’en a parlé. C’est une bonne idée. Parler avec les voisins, c’est bien. Je vais l’aider à organiser ça sérieusement.
« Et moi, papa ? Je veux participer ! » implora Aube en plissant les yeux.
— Jeanne a eu là une excellente initiative, continua-t-il. Mais j’ai cru comprendre qu’elle était souffrante. On ne peut pas la laisser seule. On pourrait l’inviter à la maison. Aube s’occuperait d’elle. Voilà une autre manière constructive de se rendre utile. Puis, je suis certain que la vieille dame serait heureuse d’aider notre fille à lire. Je crois que Aube en a besoin.
Le silence se fit après cette longue tirade. Un léger sourire n’avait pas quitté les lèvres du père. Aube retenait son souffle. Sa mère mit fin à la discussion.
— Bon, dit-elle. En attendant, Aube, commence par mettre la table. Ensuite, tu iras chercher ton frère. On va bientôt pouvoir manger.
— Je mets les assiettes, ajouta son père. Tu prends les couverts ?
— D’accord, répondit sa fille.
Dans son lit, Aube ressassait les événements de la journée. Éfflam lui avait tout raconté. Les exploits des deux Chaussettes. Le retour de Noémie en sécurité.
« Et cette nuit, » ajouta-t-il « nous retournerons débrancher des antennes et des téléphones. Grâce à vous, les animaux en savent assez pour se débrouiller seuls. Dors sur tes deux oreilles. »
« Fais attention, Éfflam. Je ne sais pas comment, mais ma maman a découvert ce que nous trafiquons. »
« Elle l’a deviné justement parce qu’elle est ta maman. »
La petite fille se retourna dans ses couvertures. Comment arriverait-elle à dormir ?
« Oh ! Ce n’est pas juste que je sois coincée ici ! »
« Tu as fait ta part. Tu peux en être fière. Maintenant, c’est au tour des animaux de défendre leur colline. Tu sais, ils sont beaucoup plus nombreux que tu ne le crois à vivre la nuit. »
« C’est bien ce qui m’inquiète. »
« Pendant que les humains dorment, ce qui leur porte conseil, paraît-il ! »
« Oh, Éfflam ! Si tu pouvais avoir raison ! »
- Et soudain la fillette vacilla. Dans l’orage qui agitait sa mère, un éclair l’avait frappée, elle était au courant pour le téléphone cassé. => J'aime beaucoup ce passage.
A bientôt !
Merci pour ton commentaire ! Je suis content que ça continue à te plaire ! Et c'est encourageant de sentir que la complexité que j'essaie d'introduire gentiment fonctionne ! Merci !
A très bientôt !
Outre le fait que je trouve vraiment Jean adorable avec Aube, je me demande si rajouter Jeanne dans la maison sera bien apprécié par Eléonore!
Mais la petite morale est là, en place! Chaque acte à ses conséquences! Que se passera-t-il quand tout aura été débranché? Quelles seront les conséquences? Je pense que notre petite Aube n'est pas au bout de ses surprises!
Comme toujours, je suis admirative et passionnée par cette histoire!
Oh non Aube n'est pas au bout de ses surprises ! Ceci dit, j'ai conscience que je mets les choses en place très lentement ! Patience, Jeanne arrive !