Chapitre 24 - Premiers ennuis

Noémie était restée longtemps accroupie derrière la clôture de la deuxième villa, Éfflam à ses côtés. La propriété qui s’ouvrait devant elle était un territoire inconnu. Elle ne parvenait pas à se repérer dans cet enchevêtrement de bosquets et de parterres de plantes décoratives qui s’entremêlaient jusqu’aux bords d’une petite piscine et d’une maison moderne dissimulée par la végétation. C’était tellement différent de la cour de chez elle et même du jardin tout simple de la maison de Aube. Bien qu’elle ait une excellente vue, elle ne se sentait pas capable de voir à travers les obstacles et l’inconnu. Les rongeurs, les hérissons et l’écureuil avaient filé vers leur cible. Très vite, ils avaient disparu dans le paysage. Éfflam tenait la petite fille au courant de leur progression.

— Ils disent que la maison est vide, expliqua-t-il. Et que les portes et les fenêtres sont fermées.

— Alors qu’est-ce qu’on fait ? questionna-t-elle.

— Je leur demande de regarder mieux, d’observer à travers les vitres et de chercher des ouvertures dans les murs ou sous la toiture, continua de commenter l’enfant-chat.

— D’accord.

Noémie était désorientée, pas certaine de ce qu’elle faisait là. Elle était toujours subjuguée par le petit être qui se tenait à côté d’elle. Par sa manière de communiquer à distance avec les animaux. Il lisait dans les pensées comme Aube. La petite fille trembla. Éfflam pouvait donc voir en elle. L’angoisse. Il devait savoir qu’elle ne serait pas à la hauteur.

— Rassure-toi, lui dit-il. Tu n’es pas seule.

Il avait compris et se comportait comme un ami. Noémie lui sourit. Elle se détendit un peu, mais ne parvint pas pour autant à percevoir où étaient les animaux. Elle voyait les pies tournoyer de temps en temps autour du toit. C’est tout.

— L’écureuil a escaladé un mur et trouvé un trou sous une corniche, reprit Éfflam. Il essaie d’entrer. Les pies vont l’aider.

L’écureuil se faufila dans un interstice de la toiture. Une pie le suivit et arracha des morceaux d’isolants pour agrandir le passage.

— Ils sont dans un espace vide, commenta l’enfant-chat. Il n’y a pas de lumière ici, que de la poussière. Où est-ce qu’ils doivent aller ?

Il s’était tourné vers Noémie dans l’espoir d’un conseil. Mais la fillette était perdue.

— Je ne sais pas, répondit-elle. Il faut qu’ils trouvent un chemin vers les pièces de la maison.

— Cherchez les fils électriques, proposa son complice. Suivez le courant et décrivez-nous les appareils que vous trouvez.

Il prit la main de Noémie. Celle-ci ressentit à nouveau la chaleur et la confiance qui émanaient de lui.

— Les animaux ont besoin de toi pour reconnaître les appareils à débrancher.

— Mais je ne vois rien, protesta-t-elle.

— Alors, viens ! dit-il en se redressant. On va s’approcher de la maison et tu pourras regarder par les fenêtres.

— Tu crois que je réussirai ?

— Je suis avec toi.

— OK.

La petite fille et l’enfant-chat bondirent ensemble. Ils se faufilèrent de cachette en cachette jusqu’à une porte vitrée qui donnait sur la piscine à l’arrière de la villa. Noémie constata que les pièces intérieures étaient sombres et vides, ce qui la rassura.

— Ils ont trouvé un appareil à l’étage, prévint Éfflam. C’est un boîtier noir avec des inscriptions rouges qui clignotent. Qu’est-ce que c’est à ton avis ?

— Je n’en sais rien !

L’écureuil et la pie étaient parvenus à tirer sur un câble dans un faux-plafond. Ils s’étaient ménagé un accès à la pièce dans laquelle ils se trouvaient à présent, prêts à attaquer le seul engin électrique qui s’y trouvait.

— Ils disent qu’ils sentent les traces d’ondes radio.

— C’est un réveil ! s’exclama Noémie.

Elle était ravie d’avoir résolu une énigme, de trouver des indices à l’aveuglette.

— Ce n’est pas important, précisa-t-elle. Ils doivent trouver un endroit avec plus d’appareils.

— Trop tard ! constata Éfflam.

La pie s’était attaquée au radio-réveil à coups de bec déclenchant une sonnerie répétitive, un bip-bip strident qui effraya les deux animaux. L’écureuil sauta par terre tandis que la pie battait des ailes. Le boîtier en plastique avait glissé de la table de nuit et s’était éteint en touchant le sol. Surpris, mais satisfaits, ils entreprirent de trouver d’autres sources d’ondes à réduire à néant.

— Par ici !

Éfflam s’était aventuré sur le côté de la villa. Il surplombait les escaliers qui menaient vers une entrée latérale. Il fit signe à Noémie, l’invitant à le rejoindre. La fillette hésitait à aller plus loin.

— Les musaraignes sont entrées dans une autre pièce, expliqua-t-il pour la convaincre. On les voit d’ici en bas. Ils ont trouvé plein d’appareils.

Noémie céda à la tentation et à l’insistance de son ami. Ensemble, ils descendirent l’escalier en béton qui débouchait d’une part sur l’allée menant au parking et d’autre part sur l’entrée de la cuisine. Ils se penchèrent sur la fenêtre.

— Oh non ! soupira-t-elle. Ce n’est pas ce qu’on cherche.

La fillette observait dépitée, mais amusée, une troupe de souris, musaraignes et autres petits animaux des bois trottiner sur les meubles d’une cuisine luxueuse. Ils escaladaient les mixeurs, les presse-fruits et le grille-pain.

— Ils doivent aller en haut, dit-elle à Éfflam. J’ai vu une télévision dans la pièce principale. Pas loin, il doit y avoir un téléphone ou un ordinateur.

— Attends !

L’enfant-chat s’était figé, concentré, l’attention visiblement ailleurs et l’air plutôt inquiet.

— Ils ont encore trouvé quelque chose en haut, continua-t-il. Plusieurs appareils...

— Est-ce qu’ils ont des boutons, des écrans ? voulut savoir Noémie.

Elle s’impatientait, s’agaçait d’être ainsi aveugle.

— Non, répondit-il. Mais il y a un problème. Ils ont cru voir d’autres animaux, mais sans sentir leur présence.

— Je ne comprends pas de quoi tu parles.

— Ils disent que cela ressemble à des images froides, un reflet dans l’eau.

— Un miroir ! comprit Noémie. Ils sont dans la salle de bains. Ce n’est pas bon.

— Non, confirma Éfflam. Ce n’est pas bon. La pie s’énerve. Elle attaque tout ce qu’elle trouve. On perd du temps.

À la salle de bains, l’oiseau excité avait attrapé un rasoir électrique entre ses pattes et l’avait précipité dans la baignoire. L’appareil s’était brisé en claquant contre la surface blanche et lisse. Elle saisissait à présent une brosse à dents électrique à qui elle réservait le même sort.

— J’y vais, dit Éfflam. Ils ont besoin de mon aide. Je dois les calmer.

— Mais...

— Ne bouge pas d’ici, ajouta-t-il en passant sa main sur l’épaule de son amie. Je reviens vite.

L’instant suivant, il avait disparu, volatilisé. La petite fille regarda autour d’elle, peu rassurée. Dans la cuisine, elle vit une dernière souris qui s’attardait sur l’évier tandis que toutes les autres sortaient en direction de l’étage.

— Allez ! Suis-les ! lui dit-elle avec des gestes.

Mais elle regretta aussitôt d’avoir réussi à se faire comprendre du petit animal qui s’était glissé le long du meuble avant de disparaître.

— Non, reviens ! Ne me laisse pas...

À présent, elle était seule. Sans moyens de savoir ce qui se passait autour d’elle. Sans les yeux et les oreilles d’Éfflam. Elle entendit du bruit derrière elle. Noémie se retourna inquiète. Elle sourit. Il ne s’agissait que des hérissons. Ils étaient restés à distance, incapables de s’introduire dans la maison. Ils semblaient attendre ses instructions.

— Vous vous demandez ce qu’on fait là, non ? leur dit-elle. Je n’aime pas comme ça traîne. Puis rester là à attendre sans savoir si ça va marcher. Vous avez vos picots, vous n’avez peur de rien, mais moi...

Soudain, les hérissons s’agitèrent. Ils se mirent en boule, conscients de l’arrivée d’un danger avant Noémie. Celle-ci sentit leur inquiétude l’envahir. Derrière elle, le portail s’était ouvert, un moteur grondait et une grosse voiture s’engagea dans l’allée. Aussitôt, plusieurs ampoules s’allumèrent en même temps. Le long du chemin qui menait à la cuisine et au-dessus de la porte où se trouvait la fillette. Elle resta pétrifiée. Elle se sentait découverte. Montrée du doigt. Sous les feux des projecteurs. Un homme sortit du véhicule et s’avança vers la maison. Noémie se tapit contre les marches de l’escalier, mais sans espoir de s’échapper. Quoi qu’elle fasse, elle était prise. L’homme allait tomber sur elle. Même si elle tentait maintenant de fuir en courant, il ne pourrait manquer de la voir. Elle resta tétanisée.

— Mais qu’est-ce que tu fais là toi ?

Le cœur de Noémie fit un bond. Ce n’est pas à elle que l’homme parlait. Elle ouvrit les yeux pour voir ce qui avait détourné son attention. À qui s’adressait-il ? Chaussette Noire se frottait dans ses jambes et miaulait. Il l’empêchait de passer et mimait le matou mendiant des caresses. L’homme s’était penché vers lui.

— C’est bien la première fois que je te vois ici, continua-t-il. Je n’ai rien pour toi, tu sais. Allez, file !

« Toi aussi, file ! Maintenant ! »

Noémie avait été secouée par cette voix qui résonnait encore dans sa tête. Elle lui était destinée.

« Je couvre ta retraite. »

Elle découvrit alors Chaussette Blanche qui la regardait et l’attendait en haut des escaliers. La petite fille, courbée en deux, fonça pour rejoindre le chat, chercher le couvert de la végétation et s’enfuir en repassant devant la piscine.

— Qu’est-ce que c’est encore ? s’étonna l’homme.

Il s’était retourné, avait délaissé les avances de Chaussette Noire pour aller à nouveau vers la maison. Il découvrit Chaussette Blanche en haut des marches avant que ce second chat ne s’éclipse à son tour.

— Parce qu’en plus vous êtes deux !

Plouf !

Le bruit fort et caractéristique d’un corps tombant dans l’eau claqua dans l’atmosphère. Cela réveilla aussi sûrement les soupçons de l’homme que s’il avait été sorti du lit par un seau d’eau glacée. Il bondit.

Bang !

Le deuxième bruit lui figea le sang et l’arrêta net. Cela venait de sa voiture. Il tourna la tête. Il découvrit que le vieux matou, qui lui faisait la fête un instant plus tôt, avait tout à coup bondi sur le capot de son 4x4 flambant neuf. De tout son poids, le chat avait fait gondoler et vibrer la carrosserie.

— Oh non ! cria le propriétaire inquiet. Pas ça !

Il se précipita. Chaussette Noire était en train de marquer son territoire, d’uriner sur le pare-brise de la voiture.

— Arrête tout de suite ! hurla l’homme en courant à la rescousse de son automobile sans défense. Sale bête ! Ça va puer dans tout l’habitacle !

Son méfait accompli, le chat n’attendit pas l’humain en colère et disparut derrière le véhicule. La diversion avait laissé le temps nécessaire à Noémie. Elle s’était penchée au bord de la piscine pour découvrir qu’un hérisson pris de panique y était tombé. Elle désespérait de pouvoir le sauver sans se jeter elle-même à l’eau et sans se piquer à ses épines effilées. Alors, Éfflam avait surgi, attrapé l’infortuné hérisson et d’un même bond l’avait déposé tremblant aux pieds de la fillette.

— Oh Éfflam ! J’ai eu si peur, éclata-t-elle.

— OK ! Tout le monde est sain et sauf, la rassura-t-il.

« Mais filez, maintenant, je vous dis ! »

La voix du chat était forte, mais calme.

— Mais Chaussette...

— Viens, la coupa Éfflam en l’entraînant par la main. Les chats couvrent notre retraite. Ils se débrouilleront très bien.

Toute la petite bande s’enfuit en se glissant entre les buissons pour se mettre à l’abri dans le sous-bois derrière la haie. Noémie entendit les pies continuer à lancer leurs cris autour de la maison. Les chats restaient invisibles. Sans doute s’étaient-ils enfuis dans d’autres directions pour brouiller les pistes. Elle respirait enfin. Mais elle aurait voulu caresser les deux Chaussettes. Ils avaient pris des risques pour elle, pour la sauver. La douceur de leur poil, de leur ronronnement l’aurait apaisée. Et puis, leurs voix dans sa tête, c’était une découverte. Aube avait raison. Elle voulait les entendre encore. Elle sentait le cœur d’Éfflam battre contre le sien. Cela l’aidait à se calmer. L’enfant-chat lui sourit.

— Éfflam, dit-elle. Les chats, ils m’ont parlé.

— Je sais.

— Et je les ai entendus dans ma tête.

— Tu peux entendre tous les êtres vivants, si tu veux leur prêter attention, précisa-t-il.

— Mais c’est la première fois, répondit-elle en tremblant.

— Est-ce que tu y crois ? lui demanda son ami.

La petite fille observa attentivement le visage de l’enfant-chat, sa bouche presque humaine, ses joues douces et lisses, ses couleurs merveilleuses, son museau, ses yeux brillants et intelligents de félin.

— Oui.

— Pourquoi ? insista-t-il.

— Parce que Aube est mon amie.

— Si Aube n’était pas là, est-ce que tu y croirais ?

— Sans Aube ? répondit Noémie. Certainement pas !

— Alors, tu dois apprendre à croire pour toi, par toi-même.

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Baladine
Posté le 23/01/2023
Joli chapitre ! On comprend la peur de Noémie et son inquiétude, la scène avec le matou est amusante (mais il pèse combien, pour réussir à faire gondoler la carrosserie ? :D), Efflam est toujours adorable, avec un joli portrait de nouveau tracé en fin de chapitre. Ce sont bien quelques ennuis mais ils sont menus, pour l'instant, plus de peur que de mal. On dirait que l'équipe pie-écureuil est moins efficace que Aube et la fouine !
Toujours un plaisir,
A bientôt !
MichaelLambert
Posté le 23/01/2023
Bonjour Claire ! Chaussette Noire et un gros chat de gouttière, impossible à mettre sur la balance, mais plus de 4,5kg c'est sûr ! Merci pour tes encouragements !
Baladine
Posté le 23/01/2023
Oh le gros pépère ^^ Il va falloir y aller mollo sur les croquettes!
MichaelLambert
Posté le 23/01/2023
J'en ai connu un chez moi : il mangeait dans toutes les maisons du quartier !
Elly Rose
Posté le 21/11/2022
Bonsoir Michael,
Que de beaux messages dans ce chapitre! Une morale très adroite, des mots très bien choisit pour amener le lecteur là où il faut. Certes rentrer par effraction chez les gens n'est pas bien mais quand c'est fait pour la bonne cause, c'est un peu moins honteux non? J'adore la façon dont les chats interviennent, leur réputation de sournois n'est pas prêt de s'éteindre, je vais de ce pas demander aux miens si cela les dérange ahah!
tu l'auras compris, j'étais totalement à fond derrière Noémie, Efflam et tous leurs petits amis!
Merci pour ces moments de lecture palpitants!
MichaelLambert
Posté le 21/11/2022
Bonsoir Elly Rose !
Merci pour ta lecture fidèle ! Et tes supers commentaires ! Oui, j'ai voulu traiter beaucoup de sujets compliqués et délicats pour le jeune public mais qui me tiennent tellement à coeur : qu'est-ce qu'on peut faire pour changer les choses ? Jusqu'où peut-on s'engager pour une bonne cause ? Comment agrandir nos perceptions ? Comment se mettre à la place des autres, humains comme animaux ? Comment faire confiance ?
Puis, les chats et moi, c'est une longue histoire d'amour ! Ce sont mes maitres de sagesse... et d'humour ! Et de sournoiserie ? Mais non ! ;-)
A demain pour la suite !
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