Le 19 juillet, Versailles
Paria.
Étrangère.
Usurpatrice.
Conspiratrice.
Tous ces mots fuyaient de la bouche des courtisans et vagabondaient dans le château de Versailles à vive allure, si bien qu'Édith refusât obstinément de sortir de la chambre qu'elle partageait avec Anne.
Celle-ci était à ses côtés en ce moment-même, lui caressait la main, les yeux humides, souffrant autant qu'Édith de ce que la Cour pouvait jubiler à broyer une personne sur une simple rumeur !
Malheureusement, les paroles du roi avait été une traînée de poudre et avait renforcé tous les dommages...
On la disait perdue, oubliée...
— Ne perdez pas espoir, lui murmurait Anne en tapotant ses doigts, tout va finir par s'arranger, le roi comprendra que les informations qu'il a reçu sont erronées.
Édith, couchée sur son lit, le regard dans le vide, enfouit sa tête dans un carreau et sanglota.
— Hélas, je sens le piège me prendre à la gorge et me réduire à néant.
— N'ayez crainte, votre noblesse sera démontrée ouvertement et nul ne pourra y redire, la réconforta-t-elle.
À ses mots, Édith se redressa sur sa couche, le cœur battant, les yeux chargés d'un éclat de rage et de larmes, et sauta du lit pour courir à un petit meuble, où elle rangeait ses lettres. Elle fouilla dans le tiroir et en attrapa une qu'elle lança à Anne en lui disant : « Lisez-là ! »
Mademoiselle de Meslay fut stupéfaite de cette singulière manière d'agir, mais ne dit rien par amitié. Avec grâce, elle la déplia et la lut. Elle datait du début du mois, avant que la tempête ne s'abattît sur Édith.
« Ma chère fille,
Je suis soucieux de ce que vous m'avez appris dans votre précédente lettre, si ce Val-Griffon est au courant de notre démêlé au sujet de cette suspicion de fausse noblesse, cela est grave, très grave... Toutefois, ma fille soyez forte ! Notre lignée existe et est avérée, seulement des doigts habiles jouent dans l'ombre et font surgir dans la lumière des fausses déclarations pour nous discréditer. Je ne peux hélas vous écrire que cette chicane est du passé, elle reste notre présent...
Un certain d'Hozier(2) a rédigé un avorton de billet sur lequel il remet en cause notre noblesse et cela a jeté de l'huile sur le feu... C'est amèrement que je vous somme de croire en nous, notre famille, si d'aventure vous étiez terrassée dans cette Cour où je vous ai expédié.
Soyez courageuse ma fille, soyez-le car vous représentez notre honneur à Versailles et notre honneur est sans tache, même s'il chancelle !
Je vous embrasse,
Votre père,
Jean de Franc,
Marquis de Montgey, seigneur de Cahuzac »
Anne baissa la lettre d'un air contrit et attendit qu'Édith s'ouvre à elle.
— J'ai tout avoué à Mademoiselle de cette affaire embarrassante, depuis, elle cuisine d'Hozier jusqu'à lui faire monter la moutarde au nez ! Il refuse de se laisser convaincre et a écrit une note dans laquelle il relatait la contestation de notre noblesse par le syndic des États du Languedoc !
Elle tourna la tête, ravala des larmes et poursuivit, démunie :
— Vous comprenez mon désarroi maintenant. Si ces racontars étaient des racontars rien que des racontars, ma foi en moi-même et en ma famille serait moins ébranlée... Mais le doute s'invite en moi comme une voix perfide et me murmure que je suis dans une position d'imposteur. Ce d'Hozier, je sais qui il est, c'est le généalogiste du roi ! Celui-ci même qui travaille avec son frère en tant que juge d'armes(2) !
Elle s'arrêta, la voix chargée d'affliction, reprit son souffle et poursuivit avec désespoir :
— Si jamais au cours de ses recherches qui entremêlent le vrai et le faux, il s'avère que notre famille était roturière... je n'ose y songer, j'en tremble, j'en meurs... Tout s'écroulerait jusqu'à mon nom ! Je n'existerai plus... le néant sera ma face...
Anne posa la lettre sur le lit et se leva. Elle vint prendre les mains d'Édith et lui assura, convaincue :
— Je suis persuadée que vous êtes d'ascendance noble Édith, et le sieur d'Hozier s'en apercevra vite, gardez foi en vous et dans les paroles de votre père. Il semble si las de guerroyer dans cette affaire et priez pour que Dieu vienne à votre secours.
— Oh Anne, murmura-t-elle, les doutes percent en moi... ce sont des souillures qui se collent à ma peau dénudée de tous boucliers et j'ai peur... Ces souillures ne partent pas... elles reviennent chaque fois en nombre et en groupe, c'est folie que cela. C'est folie que d'essayer de les chasser, mon âme était pure avant de venir ici et je la retrouve barbouillée de maintes nuances... Ces souillures sont mes doutes, je le sais, ce sont ma faiblesse, car enfin je doute d'une sage parole qu'est celle de mon père... Anne, ces souillures sont la défaite de mon courage parce que j'ai peur... si peur dans ce monde que je ne connais pas bien... Si je tombe, m'en relèverai-je ?
Anne pressa ses mains dans les siennes encore une fois et hocha la tête, troublée par les paroles de son amie.
— Oui vous vous relèverez parce que vous êtes plus forte que vous ne le croyez et point aussi seule que vous ne le pensez. Vous avez une armée à vos côtés, même si elle n'est pas grande, elle se battra avec vous. Édith, je vous en fais le serment, quoiqu'il se passe, quoiqu'il advienne, je serai des vôtres.
— Merci, merci, répondit-elle en la prenant dans les bras.
À cet instant, on toqua à la porte et Jacquemine entra.
— Mademoiselle de Meslay, Mademoiselle souhaite votre présence pour assister à la collation à la Ménagerie.
— Très bien, je descends.
Jacquemine ressortit aussitôt et Anne donna ses derniers encouragements à Édith qui la regarda partir avec une triste expression sur le visage. Elle était de nouveau seule. Elle ramassa la lettre de son père qui était tombée au sol et la replaça dans le meuble où elle l'avait prise et rampa jusqu'à son lit pour s'y effondrer, l'esprit en proie à milles angoisses.
Comment allait-elle réussir à prouver au roi sa noblesse avant le cinquième jour du Grand Divertissement...
Des larmes s'échappèrent de ses yeux, elle les laissa abonder, l'engloutir, la tirer dans un sommeil épuisé et lorsqu'elle se réveilla, la journée avait avancée. Un petit vent froid s'engouffrait par la fenêtre ouverte et elle se leva pour aller la fermer. Elle entendit alors les rires, la musique et les voix des comédiens qui jouaient Le Malade imaginaire de monsieur Molière à la grotte de Thétys.
C'était ce jourd'hui, le troisième jour du Grand Divertissement... et ce constat lui noua le ventre. Jamais elle n'aurait pensé être écartée comme une pestiférée...
Le 28 juillet,
Quatrième jour du Grand Divertissement... et sa situation n'avait pas évolué d'un pouce... Absente, la fortune n'avait décidément point pitié d'elle...
On toqua à sa porte et Édith donna la permission d'entrer, léthargique.
Se dessina sous le chambranle Carlotina qui lui tendit un billet en lui disant : « On m'a missionné pour vous porter ceci en grande discrétion. » Édith arqua les sourcils, déconcertée. Curieuse, elle ouvrit le billet et fut bien attrapée par le nom du destinataire en signature sur le bas du mot qu'on lui adressait.
« Mademoiselle de Montgey,
Rendez-vous à la grotte de Thétys dans une heure trente. J'ai des choses de la plus haute importance à vous communiquer.
Charles d'Astérie de Val-Griffon. »
GLOSSAIRE :
(1) Charles René d'Hozier, (1640-1732).
(2) Celui qui était établi pour juger des armoiries et des titres de noblesse.