Lorsque j'étais petit, j'aimais bien observer les fourmis. Je leur trouvais un sens de l'organisation sans faille. Elles réussissaient à bâtir des colonies d'une taille phénoménale, avec une pièce dédiée à chaque activité : réserve de nourriture, incubateur, chambre royale, etc...
Un jour, j’aperçus une fourmi isolée, c'était la seule sur la table sur laquelle je travaillais. Elle cherchait visiblement son chemin. Cependant, elle transportait dans ses mandibules le corps inerte d'une de ses camarades de colonie.
La question du "Pourquoi ?" me hanta pendant des jours. Considérait-elle le corps comme de la nourriture potentielle ? Attendait-elle que sa copine se réveille ? Transportait-elle sa compatriote vers la colonie pour qu'elle puisse y être enterrée ? Y recevoir une quelconque sépulture ? Je ne sais pas moi, peut être que les fourmis mangent leurs défuntes camarades dans l'intérêt de la tribu afin de leur rendre hommage ?
Toujours est-il que cette fourmi qui cherchait les siennes supportait un poids qui la ralentissait. Tout ce qu'elle pouvait souhaiter, c'était que sa copine se réveille.
Et voir cela en vrai, même si l'on s'y attendait, cela fait toujours plaisir.
Même la Gamine, aussi lugubre soit-elle, versa un torrent de larme en serrant son frère sans ses bras.
Ce dernier semblait tout penaud et rendit le câlin affectueusement mais il ne semblait pas vraiment savoir ce qui se passait autour de lui.
Puis il nous vit, moi et Théo, et là quelque chose dans sa tête s'enclencha. Son visage se déforma en une grimace grotesque où régnait la terreur et la confusion. Il ouvrit la bouche pour hurler mais aucun son n'en sortit. Alors il se cacha derrière sa sœur, en nous pointant du doigt, en tremblant.
Wouah. Dans le passé il n'a pas dû avoir de très bonne expérience avec les noirs qui portent des coupes afro. Mais je suis d'accord avec lui, cette coupe est indécente. Heureusement son propriétaire est innocent et d'une grande bonté, alors il ouvrit le dialogue, ce qui me permit d'observer la scène de loin.
« Allons petit, du calme » déclara Théo en levant les mains en l'air et en montrant qu'il ne gardait aucune arme sur lui. « Tu n'as rien à craindre ici ». Comme le Gamin ne changeait pas de position, Théo pointa la Gamine du doigt. « Demande à ta sœur. Dis-lui petite, il n'y a aucun danger ici. »
« Si vous le dites, Homme Noir. Mais il a raison mon frère, il n'y a rien qui puisse t'arriver tant que je suis avec toi. »
« Même si tu n'es pas là petite, ça ira, il n'y a rien à craindre. Comment tu t'appelles petit ? » demanda Théo en s'approchant des deux enfants.
Jusqu'à ce que la Gamine ne sortît un couteau de sa poche et le brandit violemment en direction de la gorge de notre hôte.
Elle montra les dents et menaça dangereusement : « Ne t'approche pas étranger ! Ou je vous promets de faire sortir vos tripes avant de vous les faire manger ! »
« GAMINE ! » hurlai-je furieux. Elle détourna le regard des yeux horrifié de Théo et me fixa. « Déjà tu ranges ça ! Je t'interdis de le sortir devant mes amis. Ou je te jure : je vous fous dehors, toi et ton frère. Je n’accueille pas les psychopathes, surtout pas ceux qui n'ont pas un minimum de savoir vivre. »
« Vous voulez rire Vieil Homme ! J'ai eu ce que je voulais, mon frère est sain et sauf. Vous pouvez tous mourir maintenant ! »
« Ah oui ? Et puis quoi ? Tu vas encore le traîner dans la forêt ? On voit que tu sais t'en occuper de ton frère et lui apporter un avenir radieux. File-lui une gangrène que tu reviennes pleurer à ma porte, je lui couperai la jambe. Vas-y, fais, j'attends ! »
Cela la choqua, et pas qu'un peu, Théo aussi était choqué, mais lui ne me regardait pas comme s'il voulait me tuer. Elle avait les yeux noirs de rage, mais elle finit par ravaler sa fierté et remit son couteau dans sa poche. Puis elle serra son frère dans ses bras. Toujours en nous fixant.
« Il s'appelle Gamin, c'est le Vieux qui l'a appelé comme ça. Ce sera son nom pour l'instant. Et il ne peut pas répondre. Il est muet. »
...Bien ! Ça va tellement me faciliter les choses...