Trois jours.
C'était le temps que j'allais passer à New York, éloigné d'Heather. Tout ça pour de l'argent, comme d'habitude. Rien de bien nouveau à l'horizon, sauf pour elle. Elle me serrait fermement dans ses bras, refusant que je m'en aille, comme une gamine dont les parents s'en allaient pour un long moment.
— Tu ne peux pas faire ça ici ? couina-t-elle sur mon épaule.
— Ça ne marche pas comme ça, lui murmurai-je. Je dois les voir en personne pour m'assurer que tout se passe bien.
Ses doigts s'enfoncèrent dans mon dos et ses paupières n'étaient pas près de s'ouvrir.
— Heather, ce n'est que pour trois jours...
— Oui... Mais j'ai peur, souffla-t-elle avec difficulté.
Je caressai tendrement sa chevelure et me détachai de son emprise. Prenant son visage entre mes mains, je la regardais profondément dans les yeux.
— Cesse de t'inquiéter pour un rien, la rassurai-je du mieux que je pouvais avec mes mots dénués de sens. Ce n'est que pour le travail.
— Je n'ai pas envie que tu fasses n'importe quoi, s'inquiéta-t-elle. Je veux que tu m'appelles chaque soir... et à ton arrivée... et avant ton départ...
Je soupirai. Devoir l'appeler autant de fois en l'espace de trois jours allait me sembler très long. Ce qui allait me sembler le plus long à supporter était le sexe. Trois jours sans sexe.
Elle mordit sa lèvre inférieure et je savais exactement ce dont à quoi elle pensait. Elle envisageait sûrement le pire.
— Je t'appellerai, cédai-je.
Un court appel n'allait rien changer, je le savais, mais si c'était tout ce qu'il lui fallait pour être rassurée, je ferais avec.
— Tu vas me manquer, lâcha-t-elle d'une mine boudeuse.
— Je pense plutôt que tu vas apprécier ces trois jours sans moi, mais s'il te plaît, ne va pas claquer tout mon argent au centre commercial.
Même si c'était plus pour rire, il y avait néanmoins une pointe de sérieux dans mes propos. Je ne regrettai pas le temps que j'avais perdu à la banque pour demander d'autres cartes de crédit. Être prévoyant ça avait du bon.
— Même pour de la lingerie ? me provoqua-t-elle en arquant un sourcil.
— Tu me poses une vraie colle Heather, capitulai-je.
Elle déposa un bref baiser sur mes lèvres, enjouée d'avoir pris le dessus.
— Tu vas vraiment me manquer.
— Tu te répètes, lui fis-je constater.
Elle en sourit et j'appréhendais de plus en plus le moment où j'allais franchir le seuil de la maison. Ce n'était que trois pauvres misérables jours. Pourtant, ça en semblait presque une éternité et si le temps ne me faisait pas défaut, je la prendrais une dernière fois pour lui faire l'amour convenablement. Je dus me contenter de la laisser sur un baiser langoureux. Jamais je ne l'avais embrassée aussi longtemps.
— J'ai hâte que tu rentres, murmura-t-elle en plaquant son front contre le mien.
— Moi aussi.
J'éloignai mon visage du sien et passai ma main une dernière fois dans sa longue chevelure cuivrée, poussant quelques mèches derrière ses oreilles.
Elle m'adressa un bref sourire puis jeta un coup d'œil à mon unique valise.
— Ça va te suffire ça pour trois jours ? s'inquiéta-t-elle.
— Je n'ai pas besoin d'autant d'affaires que toi devrais-je te rappeler.
Elle colla ses lèvres aux miennes et tenta de me donner un baiser bien plus passionné que le mien. Posant ses mains au creux de ses reins, je plaquai son corps contre le mien tandis qu'elle monta ses mains jusqu'au haut de mon cou.
— En fait, tu ne vas absolument pas manquer, tu peux t'en aller maintenant, lâcha-t-elle pour se jouer de moi.
Mon regard dut s'assombrir suffisamment pour qu'elle se morde soudainement la lèvre inférieure.
— Mais tu vas quand même me manquer, même pour trois jours, lâcha-t-elle en me serrant une énième fois dans ses bras.
— Que fera-t-on le jour où je devrais partir bien plus longtemps ? demandai-je en songeant sérieusement à cette éventualité.
— Je n'en sais rien, répondit-elle bien que cherchant une meilleure réponse.
Jamais elle ne m'avait semblé aussi fragile. J'avais comme l'impression de l'abandonner alors qu'elle était dans un moment de faiblesse. Cette pauvre poupée que j'étais en train de briser. Je ne pus m'empêcher de la prendre encore une fois dans mes bras, mais en me retenant tout de même de pleurer.
— Il faudrait que j'y aille, lui rappelai-je.
Elle acquiesça avec difficulté puis me donna un doux baiser de départ alors que je ne partais que pour trois jours. Que trois jours. Un si court temps pour certains mais que j'appréhendais déjà.
Trois jours...
*
Cinq heures.
D'habitude, les trajets aériens ne me semblaient pas aussi détestables. Une brève sieste ou un journal faisait généralement l'affaire. Je ne faisais que tapoter l'accoudoir du siège en espérant que le temps s'accélère.
J'avais feuilleté le journal une dizaine de fois, mais jamais je ne m'étais attardé sur un article. Que des banalités et des faits divers dont on n'avait cessé de nous rabâcher les oreilles. Je finis par seulement fixer le ciel à travers le hublot. Les nuages mouvaient ensemble, se mêlant à une danse. Certains fusionnaient, d'autres se séparaient...
Je fus bien rapidement interrompu dans mes pensées par une voix féminine m'interpellant. Me tournant vers elle, je pus apercevoir son chariot rempli d'alcool, prête à me proposer une de ses nombreuses bouteilles. L'avantage de la première classe : l'alcool. En moins de deux, elle me servit un verre de bourbon que je bus aussitôt d'un coup sec.
Puis je m'affalai sur mon siège, constatant enfin la présence d'une femme à mes côtés, me regardant d'un œil intrigué.
— Ça n'a pas l'air d'aller.
— Ce ne sont pas vos affaires, répliquai-je d'un ton sec.
Je compris alors l'utilité de ce journal qui n'avait cessé de me torturer jusqu'à là : détourner l'attention. Prenant une page au hasard, je fis semblant de m'intéresser à un article. Je ne le lisais aucunement mais espérais juste que ceci lui éviterait de me parler.
— Je me doute que cet article sur l'allaitement soit vraiment votre genre, lâcha-t-elle d'un ton moqueur.
Cette femme voulait jouer. J'ignorais ce dont elle attendait de moi, mais elle ne m'adressait pas la parole pour seulement discuter. Quelque chose l'attirait en moi, l'argent, la gloire ou mon côté malsain.
— Vous me croyez si je vous dis que ma femme est enceinte et que je prévois d'être un bon père en me renseignant ? prétendis-je.
Moi-même je n'y croyais pas, pourtant certains pouvaient tomber dans le panneau assez facilement.
— Vous ne portez pas d'alliance, indiqua-t-elle en jetant un bref regard vers mon annulaire gauche. Un bon père garderait son alliance pour prouver sa fidélité. Donc vous n'êtes pas mariés et encore moins sur le point d'avoir un enfant.
Je n'avais jamais porté d'alliance de ma vie. Ça n'aidait pas pour mentir. En même temps, personne ne s'intéressait à un mec marié.
Je finis par reposer le journal. Échec et mat.
— Sérieusement, vous voulez qu'on s'encule dans les chiottes pour passer le temps ? suggérai-je sans en avoir vraiment envie plutôt pour plaisanter.
Elle leva un sourcil. Encore une femme intéressée par l'argent pensant que j'étais un homme comme un autre dénué de tout cerveau. Parfois, c'était quand même le cas, mais pas cette fois-ci.
— Je suis fiancé, l'arrêtai-je aussitôt. Je pense que tromper ma fiancée n'est pas une excellente idée.
— Dommage, lâcha-t-elle avec un brin de déception.
Je n'avais aucune idée pourquoi je refusais encore une fois une coucherie aussi évidente. Pourquoi toutes les femmes que je croisais avaient soudainement envie de coucher avec moi quand j'étais sur le point de me marier ? Ne pouvaient-elles pas se manifester avant ? Et pourquoi je tenais vraiment à cette notion de fidélité que je ne comprenais qu'à peine ?
— Tu n'aurais pas un numéro ?
— Je crois que je vais continuer de lire ce putain d'article dans ce journal de merde pour éviter de te parler, lançai-je en espérant mettre fin à cette discussion.
— Vraiment dommage, insista-t-elle.
— Ok, au revoir ! m'exclamai-je pour mettre vraiment fin à cette discussion.
Je me levai de mon siège tentant de m'éloigner de cette femme. Hors de question de supporter ces balivernes davantage.
Je tentai de négocier de changer d'endroit avec cette même femme qui m'avait précédemment servi, mais selon elle, elle ne pouvait rien faire et je n'avais pas envie de dire qu'elle me harcelait. Ce n'était pas du harcèlement, juste une femme qui ne m'écoutait pas.
Apparemment, j'allais devoir la supporter cinq heures. Certainement pas. Je finis enfermé dans une des toilettes en prétendant avoir le mal des transports, ce qui n'arrivait jamais. Assis au sol et la tête contre le mur, ces cinq heures me semblaient une éternité.
Finalement, je commençais à avoir envie de vomir. San Francisco me manquait... Ma maison me manquait... Ma vie me manquait... et peut-être bien Heather... Ça faisait bien trop longtemps qu'un voyage ne m'avait pas fait un tel effet.
Bientôt l'atterrissage, je dus finalement retourner auprès de cette femme qui ne cessait de me lancer des regards aguicheurs. Elle finit par me lâcher son numéro, inscrit sur un mouchoir, en le glissant dans ma poche.
— Si jamais ta fiancée ne te satisfait plus, sache que ce ne sera jamais mon cas, me susurra-t-elle à l'oreille en prenant appui sur mon bras.
Sûrement un des pires trajets en avion. D'habitude, je les supportais assez bien, sauf cette fois-ci. Le temps avait pris une autre dimension.
Cinq heures...
*
Deux heures.
Des bagages qui se font attendre, un chauffeur incapable de se dépêcher... J'avais eu droit à la totale en arrivant à New York et tout ce dont j'avais envie en ce moment même était une foutue clope. Malheureusement, ce stupide chauffeur m'en interdit dès qu'il me vit la cigarette à la bouche en tapotant sur le petit insigne bien en évidence. J'avais juste fait semblant de ne pas le voir. J'avais tenté de l'amadouer avec de l'argent, quitte à augmenter son tarif. Mais rien n'y faisait. Encore un trop proche de la loi. Je dus me raviser de céder à cette pulsion passagère.
Si seulement le trafic avait été meilleur, cette envie ne serait pas revenue soudainement. Encore une fois, le temps me semblait très long, en particulier quand on tentait d'ouvrir une discussion qui ne m'intéressait pas.
— Vous venez souvent à New York ? me demanda-t-il comme s'il avait oublié que j'avais précédemment tenté de le soudoyer.
— On va dire ça comme ça, éludai-je.
Je pris le journal que j'avais consciemment embarqué après cet épuisant vol, faisant encore une fois semblant de le lire. Cette fois-ci, je fis bien attention à ne pas lire les mêmes pages. La politique ferait l'affaire. Tout le monde lisait la politique. Finalement, ce journal commençait à me plaire.
Il abandonna alors toute tentative de discussion. Tant mieux, j'en avais marre de perdre mon temps. Je préférais me contenter du silence ou des articles au contenu plus que douteux durant tout le trajet, jusqu'à ce que j'ai l'idée de contacter Heather.
Je m'emparai de mon téléphone en espérant qu'elle décroche. Il était encore tôt à San Francisco et je savais qu'elle attendait impatiemment ce coup de fil. Au bout de quelques sonneries, elle répondit, avec une légère pointe d'inquiétude. Je fus submergé de questions allant des plus banales aux plus tordues.
Oui, tout s'était bien passé, du moins, je le prétendais. Non, je n'étais pas encore à mon hôtel étant donné ces affreux bouchons. Non, je n'avais pas touché à la nourriture de l'avion parce que je n'avais pas faim. Non, je n'avais rien acheté comme cadeau à deux balles parce que je les prévoyais toujours pour le retour.
— Tu me manques Cole, souffla-t-elle.
— Moi aussi, répliquai-je. J'ai hâte de rentrer à la maison...
Peut-être pas forcément pour la voir en particulier, mais pour tout. J'avais une vie plus ou moins stable là-bas, j'y connaissais mes repères.
— Je suppose que tu auras une longue journée demain, dit-elle d'une douce voix.
— En quelque sorte...
Le conducteur jeta un bref regard de mon côté par le rétroviseur. Je semblais bien trop amical avec Heather contrairement à la manière dont je l'avais traité.
— J'ai tellement envie que l'on soit mercredi, murmura-t-elle rêveuse.
J'en avais tellement envie de mon côté, mais je me retins de le dire. Je prétendis devoir mettre fin à la discussion contre mon gré.
Le chauffeur ne me quittait pas du regard. Visiblement, je l'intriguais, mais pas d'une bonne manière. Je n'avais pas envie de parler à quiconque finalement. Le journal ferait l'affaire pour le peu de temps qu'il me restait.
Deux heures.
*
Une heure.
Je tentais de récupérer le temps perdu, mais à vingt heures, ça semblait presque improbable.
J'avais laissé ma valise dans un coin, n'ayant aucune foi de l'ouvrir maintenant et je pus examiner cette luxueuse suite. Comme d'habitude, un hôtel bien au-dessus des moyens de tout le monde. Je n'avais pas besoin d'autant, mais la routine était plus forte que tout.
Le décor était le même. Du marbre, de l'or, des matériaux assez coûteux... Du vrai luxe. Mais bizarrement, il me semblait plus étranger que jamais.
Peu importe. Je finis par m'allonger sur le lit, exténué, sans même me changer. Je ne voulais pas dormir, mais malheureusement, celui-ci s'imposa de lui-même, comme toujours.
Et voilà que tout allait reprendre depuis le début, comme d'habitude, pour ne rien changer.
Une heure.