Chapitre 26 - Le restaurant des débauchés

Mélanie et moi prîmes le tram pour rentrer, mais je descendis avant elle dans le centre-ville où j’avais envie de flâner un peu. Je ressentais de plus en plus un désir de changement. J’avais débuté ma métamorphose depuis un mois et j’avais déjà l’impression de ne plus être la même fille. Quelque part il fallait qu’il en soit ainsi. Que ce ne soit pas vraiment moi qui accumule les éjaculations et les séances érotiques, telle que celle que je venais de livrer à Axel en compagnie de Mélanie. Tout le monde avait senti que je changeais. Mes camarades de fac, mes parents, Charlotte… Et les petites touches concrètes que j’avais volontairement ajoutées à mon physique, comme le piercing ou le rouge à lèvres, ou des tenues plus féminines, n’étaient que des balises qui me servaient d’une part à guider l’exploration de ma féminité, et d’autre part à encadrer la mutation de Lola, pour éviter peut-être qu’elle ne dévore complètement son hôte.

J’étais plus ou moins consciente de tout cela. Et j’aimais la Léa que je me sentais devenir, plus sûre d’elle, plus affirmée, plus fière de son corps, de cette capacité nouvelle à en accepter les défauts et à jouer sur ses atouts. Je sentais en moi une profonde envie de plaire, en particulier à Éric, de le surprendre, de provoquer son désir. J’étais seulement Léa, en face de lui. Le rendre fou de moi était une façon de penser que Léa gardait le contrôle sur Lola et ça me rassurait autant que ça flattait mon orgueil et alimentait mon narcissisme.

 

Je vagabondai aux Galeries Lafayette, arpentant l’étage dédié à la beauté. Au stand Chanel, je fus attirée par la célèbre teinte « rouge-noir » de la maison française. Je l’avais souvent trouvée intense et capiteuse chez les femmes qui savent la porter, mais n’avais jamais vraiment imaginé que je pourrais être de celles-ci. Ma curiosité et le sens commercial de la vendeuse me conduisirent à essayer. Totalement prise en charge, je laissai la grande brune tartinée de fond de teint me démaquiller les lèvres puis y poser délicatement le rouge-noir, d’un geste sûr, avant de me tendre un miroir. Ça n’avait plus rien à voir ! Une touche de mystère enveloppait ma bouche. Lèvres fines, teinte sombre, peau pâle, le mariage improbable fonctionnait comme un miracle. Des images d’enfance surgirent. Celles insouciantes des étés où je m’écorchais les genoux à grimper dans les cerisiers, quand les chaleurs du mois de juin sonnaient le glas d’un printemps qui s’évaporait dans les premières canicules, délivrant aux gourmands de tous âges ses saveurs ensoleillées sous forme de baies rouges croquantes et acidulées dont les liqueurs sucrées envahissaient les papilles, à peine cueillies de l’arbre, le jus nacré tapissant la langue, délivrant ses divins arômes, puis laissant sur les lèvres cette coloration si particulière qu’il me semblait retrouver dans le miroir.

Sous le charme de mes souvenirs et du reflet flatteur, je fus prête à oser. La vendeuse me proposa le vernis assorti, que j’achetai mais dont je refusai la pose qu’elle proposait d’entreprendre. Je n’en mettrais que sur mes orteils. Mon envie de transformation restait sous la pondération quelque part entre sensualité et préciosité.

Rentrée chez moi vers 20 heures, je me fis un plateau télé et picorai en regardant des séries toute la soirée. Une copine de fac à qui j’avais avoué mon ignorance, m’avait passé l’intégrale de « Lost » en DVD et je goûtai aux joies du bintje watching en dévorant dix épisodes d’un coup. Je me couchai vers 3 heures du matin, épuisée et intriguée par ces débuts prometteurs.

 

Samedi, j’émergeai à midi. Ne sachant si je devais petit-déjeuner ou déjeuner, je décidai de bruncher, et visionnai quatre épisodes en avalant une omelette, du jambon, des tartines, du jus de pamplemousse et un immense bol de café. J’avais hâte d’être au soir. Éric m’avait envoyé un sms en me disant qu’il avait réservé dans un « joli restaurant » et qu’il fallait que je me fasse belle. J’avais répliqué en lui demandant si un tel objectif nécessitait vraiment un effort particulier et il m’avait répondu « encore plus belle que d’habitude, si c’est possible ». Nous devions nous retrouver à 20 heures dans cet endroit mystérieux dont il m’avait communiqué l’adresse en même temps que ses conseils de beauté. Je renonçai à regarder sur internet, et préférai garder la surprise.

 

Je me sentais impatiente et excitée. Au-delà du mystère sur le nom du resto, ça allait être notre premier moment intimiste en tête à tête, et ça me plaisait. J’avais envie de transformer cette soirée en un long préliminaire pour les amants que nous serions ensuite. Je pris une douche, et formai une queue de cheval haute. Mes cheveux blonds seraient lissés sur ma tête, et déborderaient derrière moi en cascade, reprenant leurs ondulations naturelles pendant qu’ils sécheraient. Je mis un peignoir et me passai deux épisodes de « Lost », complètement dépendante de l’énigme qui tressait sa toile dans mon pauvre cerveau devenu accro. J’en profitai pour poser le sublime vernis « rouge-noir » sur mes orteils, tout en me demandant avec une pointe de culpabilité combien d’étudiantes pouvaient se payer du vernis à ongles Chanel. A la fin de l’épisode 16, il était désormais 18h15 et je commençai à me préparer. J’avais décidé d’étrenner ma robe noire aux pans de crêpe gris et blancs asymétriques. J’avais bien vu la petite flamme dans les yeux d’Éric quand je l’avais essayée en sa présence. Je sortis le grand jeu et allai chercher mes bas noirs auto-fixant. Leur voilure légère toute en transparence habillait les jambes avec volupté. La robe très courte couvrirait les jarretières, mais une fois assise, les jambes croisées, il n’était pas impossible qu’un œil avisé et indiscret puisse deviner quel parement hautement féminin se dissimulait sous la table et sous la robe. J’enfilai mon ensemble bleu marine en dentelle, le shorty ayant l’une des plus jolies coupes de tous les éléments de lingerie présents dans mon armoire. Le soutien-gorge poussa mes seins vers le haut, trichant sur la réalité, mais Éric connaissait la réalité… L’image dans le miroir de mon armoire m’autorisa à ne pas être modeste. J’ignore si c’est elle qui me plut, ou plutôt la différence de plus en plus marquée avec la Léa que j’étais il y a un peu plus d’un mois. Parfois c’est davantage ce que l’on cesse d’être que ce que l’on est vraiment, qui induit une certaine estime de soi.

Soulagée, je me dirigeai vers la salle de bains. Quelques volutes de mon parfum « Very irresisitble » débutèrent le travail qui se poursuivit en maquillage léger. De mes habitudes d’avant, je n’avais finalement rajouté que le rouge à lèvres à mon quotidien. Je restais une fille peu maquillée et ne comptais pas changer cette simplicité-là. Je n’avais jamais mis de fond de teint ou de fard à joues. Le smokey-eye qu’avait réalisé Silia pour les photos coquines m’avait énormément plu, mais j’étais consciente de ne pas avoir le coup de main pour me lancer seule dans ce geste technique. Je me contentai donc de mon mascara noir pour entourer mes yeux bleus, et passai à la pose méticuleuse du rouge-noir sur ma bouche. Compte-tenu de la couleur plus sombre que celle de mon bâton habituel, je m’y repris à trois fois pour être totalement satisfaite. Tout en voyant ma bouche se parer de cette teinte occulte et séductrice, je m’amusai de ce rituel, cliché féminin par excellence, et auquel je n’avais que si rarement succombé. Pour une fois, j’étais ravie de cette petite heure de superficialité, cadeau personnel à elle-même de l’étudiante en master, s’autorisant à faire valoir uniquement son apparence physique qu’elle prenait enfin la peine de soigner autant qu’elle nourrissait son cerveau depuis toutes ces années universitaires.

 

Il était 19h15. Il me faudrait une grosse demi-heure de trajet d’autant qu’un changement de tram était nécessaire. Le maquillage terminé, je passai la robe et choisis des boucles d’oreilles de taille moyenne, en or, qui viendraient rehausser ma nuque. J’étais heureuse d’avoir craqué pour cette robe magnifique. Les épaules nues étaient dans la continuité de la sensualité des courbures dévoilant la nuque, et je trouvais ça plus sexy encore qu’un décolleté audacieux. Pour le reste des bijoux, je gardai les ornements quotidiens sans en rajouter, ne quittant jamais la magnifique bague que Charlotte m’avait offerte pour mes vingt ans, et un bracelet très fin en or en « grains de café ». Il ne restait plus que la cerise sur le gâteau. Je sortis les nouveaux escarpins noirs et blancs achetés en même temps que la robe et les chaussai. La zébrure bicolore faite de bandes obliques et parallèles alternées blanches et noires était d’une folle originalité, bien que l’idée de base fût extrêmement simple. C’était exactement ce que j’aimais. Les neuf centimètres de talons n’étaient pas excessifs et je sentis que je pourrais marcher jusqu’au restaurant avec eux, les pauses tram étant les bienvenues. Au cas où, je pliai une paire de ballerines dans mon sac à mains. Je choisis enfin le magnifique manteau anthracite qui m’avait été offert comme cadeau familial le jour de mes 18 ans. Cela datait déjà de quatre ans et demi, mais le manteau était en parfait état. Je le portais peu car il était extrêmement élégant, trop pour le quotidien, la longue ceinture à la taille dessinant la silhouette avant que le bas du manteau ne s’écarte en corolle comme les désormais très à la mode jupes patineuses. Il était exactement ce qu’il me fallait pour rejoindre Éric au restaurant tout en dissimulant la tenue sexy.

Je sortis enfin, grisée par l’impression d’être soit déguisée, soit quelqu’un d’autre, vaguement consciente que plusieurs regards se détournaient sur moi, le bruit sexy de mes talons sur l’asphalte précédant les coups d’œil. J’avais hâte d’observer la réaction d’Éric face à tant de nouveautés.

 

Le restaurant était au bout d’une petite impasse du centre-ville, pas très loin des ruelles pavées du bar dans lequel nous nous étions rencontrés. Derrière une devanture discrète se cachait une salle aux tons feutrés et aux couleurs chaudes, parmi lesquelles dominaient le orange, le fuschia et le mauve. Éric était arrivé et m’attendait à une table. La patronne du restaurant m’accueillit et prit mon manteau, dévoilant ma tenue. Éric s’était levé et tenta vainement de me regarder dans les yeux tandis que je me dirigeai vers lui. Nous échangeâmes un baiser et sa main glissa le long de mon bras. La patronne se replia en souriant, amusée par les retrouvailles émues de ce jeune petit couple. Je m’assis en face de lui. La table était dans un recoin, contre les vitres qui donnaient sur l’impasse, ce qui nous isolait de la salle divisée en deux rectangles par l’entrée du restaurant. Les différents emplacements, suffisamment éloignés les uns des autres, garantissaient l’intimité nécessaire aux soirées amoureuses. Le cadre était absolument parfait. Éric rompit la glace.

 

-Quand je te disais de te faire belle, je ne pensais pas à ce point-là.

-Beau parleur.

-Je me trompe ou c’est la robe de l’autre fois dans la boutique ?

-En effet.

-Je suis impressionné. T’as gagné au loto ?

-Non, j’ai fait chanter la vendeuse. Elle employait des nains hydrocéphales dans son sous-sol en les payant un mois sur quatre.

-L’un d’eux a donc confectionné cette robe.

-Juste avant qu’on l’envoie faire le con avec des clés plus grandes que lui sur une île en face de La Rochelle.

-J’ai envie de toi.

-C’est la robe, qui fait ça.

-Non, c’est toi.

-On mange d’abord ?

-S’il le faut.

-Ce serait idiot d’être venu ici pour repartir faire l’amour tout de suite.

-Je t’aurais au moins vue dans cette robe.

-Charlotte m’a toujours dit que j’avais réponse à tout. Aurais-je trouvé mon maître ?

-M’appelle pas comme ça, je vais bander sous la table.

-Tu bandes déjà.

-Comment tu le sais ?

 

Je lui fis un petit clin d’œil.

 

Nous prîmes un cocktail excellent à base de crémant et de liqueur d’orange, accompagné de petits amuse-bouche pendant que, cartes en mains, nous choisissions notre repas à venir. Le restaurant proposait une cuisine du marché, qui changeait régulièrement selon les trouvailles et les produits disponibles. Quatre entrées, autant de plats et de desserts, le choix était court mais pertinent et varié, traduisant aussi bien l’imagination du chef que la volonté de tout cuisiner sur place au dernier moment. Mon repas se composa de papillotes croustillantes de gambas au basilic accompagnées d’un guacamole au piment fumé, d’un médaillon de veau cuit en basse température et de cannellonis farcis de morilles et d’une crème à l’estragon, et enfin d’un soufflé au chocolat servi avec un sorbet au cacao. Un Chablis suivit notre repas du début à la fin, ajoutant au sublime de l’ensemble. Mais mon vrai repas était en face de moi. Si chaque plat fut un ravissement, il ne se passa pas une seconde sans que tous mes sens, éveillés et maintenus dans un état de grâce par la perfection du dîner, ne me hurlent que la seule chose vraiment indispensable ce soir, était de faire l’amour, des heures et des heures, jusqu’à épuisement.

Nous discutâmes de beaucoup de choses, Éric et moi. Je m’étais enfin livrée à lui, quarante-huit heures plus tôt, et continuai ce soir de parler de moi. De Léa, en tout cas. Il était évident que ma franchise et ma volonté de lui faire partager ma vie passée et présente, mes souvenirs joyeux et mes blessures enfouies, n’allait pas jusqu’à dévoiler l’existence de Lola. Mais sans cesse, nos regards appuyés, nos mains qui se cherchaient, les effleurements de nos doigts, les tics qui trahissaient nos émotions, nous ramenaient au désir palpable qui croissait entre nous au fil du repas.

Entre les entrées et les plats, il s’approcha de moi, au-dessus des verres à vin blanc, et posa en chuchotant l’une des questions qui le hantait. Sa voix était chaude et le timbre bas lui donnait une coloration sensuelle, quelque part entre la respiration et le crépitement de sa salive sur ses lèvres. Quelques inflexions trahissaient une émotion qui me toucha autant que cette voix charnelle, dont la fréquence était en train d’entrer en résonnance avec mon corps tout entier.

 

-Ce sont des bas ou des collants, sous la robe ?

-Réponse ce soir si tu es sage.

-Je pense à des bas, mais la robe est très courte, je ne sais pas si tu aurais osé.

-Sûrement pas…

 

Mon pied s’était défait de l’étau de l’escarpin, et il effleura sa jambe. Une fois n’est pas coutume, et n’en déplaise à Johnny, ce fut dans des yeux masculins que le ciel cessa d’être pur.

 

Dans cette soirée idéale, nos sens exaltés échappaient peu à peu à notre contrôle. Je ne me rendais même plus compte des successions de gestes évocateurs que mon corps envoyait malgré-lui, messages ô combien explicites. Mon pied continua régulièrement son petit jeu, sans remonter trop haut, se contentant de rappeler son existence avec délicatesse, dans une fausse innocence, alors qu’Éric crevait d’envie de le prendre, de tirer dessus pour que la jambe vienne aussi, et que toute la fille au bout de ce pied effronté glisse sur sa chaise et finisse empalée sur son pénis dressé. Nos doigts jouaient négligemment l’un contre l’autre, chaque effleurement envoyant une décharge d’impatience. Une fois les assiettes débarrassées, je tirai sur l’élastique qui maintenait la queue de cheval dans mes cheveux, et les laissai détachés tomber sur mes épaules. Éric ne fit pas de commentaire, mais ses expressions exprimèrent à sa place ce que taisaient les mots inutiles. Je l’écoutai parler en jouant nonchalamment avec quelques boucles blondes, totalement consciente de la délicieuse cruauté de la situation. J’allumais mon homme, prête à éteindre l’incendie moi-même dès que nous serions rentrés.

Bien évidemment, j’étais la victime collatérale de mon propre jeu coquin. Je me sentais de plus en plus enivrée, mon bas-ventre pulsait au rythme des battements de mon cœur, et mes seins hypersensibles commençaient à me faire presque mal dans le push up, réclamant leur libération et que caresses s’ensuivent. Nous attendions notre dessert, et je brûlais d’être le dessert.

 

J’avais dit à Mélanie que Lola savait mettre à exécution les idées érotiques qui lui passaient par la tête, mais à ce moment-là je m’emparai de cette caractéristique de mon double pour me l’approprier.

Je me levai pour aller aux toilettes du restaurant. Je sentis le regard d’Éric me suivre jusqu’à la porte, pendant toute la traversée de la courte salle, essayant de répondre à sa question en scrutant le voile sur mes cuisses, laissant ses yeux trainer sur les courbes de la robe, sur le dessin de ma taille, et sur la longueur émouvante de mes jambes qui, au rythme de mes pas en équilibre sur les féminines aiguilles, envoyaient de voluptueuses ondulations vers mes hanches. Je restai peu de temps. Juste celui qu’il me fallut pour passer à l’acte de mon idée folle. Être spontanée, enfin. Une fois la chose effectuée, je remis un trait de rouge à lèvres et sortis. Je vis notre table et les desserts qui avaient été servis. Mais j’étais le dessert. J’étais son dessert. L’air bourdonnait autour de moi, et peut-être que tous les yeux convergèrent vers moi, peut-être que tous les mâles de l’assemblée surent ce que je venais de faire. Mon cœur battait fort, pourtant je marchai lentement, essayant de garder une démarche légère. Éric me regardait, ses yeux incapables de conserver leur bienséance fixaient mes jambes comme pour leur exprimer toute l’envie insatiable qui était la sienne de les ouvrir et de venir en moi, maintenant, sur l’épais tapis crème. En arrivant à la hauteur de ma chaise, je fis un pas de plus, ma hanche frôla son bras, et je me penchai vers lui. La robe remonta de quelques minuscules centimètres. Ma bouche irisée se colla tout contre son oreille et mes lèvres s’entrouvrirent pour laisser échapper les décibels provocateurs qui glissèrent en lui pour remonter jusqu’à son cœur.

 

-Tiens, un cadeau.

 

Joignant le geste à la parole, ma main gauche se glissa très discrètement sous la table et vint déposer dans la sienne mon shorty bleu marine.

 

La fin du repas fut interminable, chaque seconde supplémentaire étant un bonheur pour les papilles mais une torture pour nos libidos à feu et à sang. Anticipant notre bouillonnement, Éric demanda à la patronne de nous appeler un taxi pendant qu’elle préparait l’addition. Il m’invita et paya, gentleman provisoire avant que la bête ne hurle enfin. Le taxi mit vingt longues minutes avant de nous déposer devant mon immeuble, et nous luttâmes contre nos pulsions pour ne pas tester en étreinte passionnée le moelleux de la banquette arrière.

 

N’omettant aucun détail dans ma panoplie d’allumeuse, j’enlevai mon manteau que je tins à la main, puis précédai Éric dans l’escalier, passage obligé puisque l’ascenseur était en panne, pour gravir les quatre étages en lui offrant la plus sublime des vues. Se balançant sur les fins talons, mes jambes se croisèrent et décroisèrent au rythme des paliers, le voile des bas noirs glissant sur mes mollets et sous ses yeux, la robe dévoilant les ombres des motifs des jarretières qui encerclaient mes cuisses au-dessus desquelles plus aucun sous-vêtement ne faisait barrage.

Entre le troisième et le quatrième étage, le jeu cessa. Éric s’avoua vaincu et abandonna la lutte à quelques dizaines de mètres de la porte de mon appartement. Il me stoppa dans l’escalier et me tira contre lui. Nos langues se retrouvèrent enfin, et notre nature intensément animale, que nous avions défiée trois heures durant, prit le dessus. Il n’y eut aucun mot. L’heure de la parole était enfin achevée, et nous retournâmes à l’âge de pierre.

Je sentis une main glisser sous ma robe, s’arrêter quelques secondes sur le haut de mes cuisses, hurlant leur victoire au contact des bas. Puis elle glissa sur mon sexe. Elle voulut l’entrouvrir, mais c’était inutile. Il y a bien longtemps que j’étais grande ouverte.

Oubliant où j’étais, je défis la ceinture de son jean, et m’accroupis pour baisser le pantalon ainsi que le boxer sur ses chevilles. Profitant de l’aubaine, je mis son pénis dans ma bouche après l’avoir décalotté. Le ventre d’Éric se creusa contre mon front et j’entendis sa bouche émettre des sons sans signification. Ma langue lécha le gland luisant comme pour le laver, petit bain préparatoire à l’exploration qui l’attendait. Mes lèvres rouges pressèrent son contour comme pour y laisser leur trace cerise, et firent quelques succions qui déclenchèrent des tressaillements prometteurs, comme si j’avais voulu faire monter une sève qui pourtant débordait déjà. Je tirai Éric vers le bas, il s’assit comme il put, les jambes prisonnières du jean et du boxer à ses pieds, et se retrouva les fesses sur une marche, le dos contre la colonne de l’escalier en colimaçon qui gravissait les étages, et les jambes allongées sur la marche. C’est au-dessus d’elles que je vins me positionner, m’accroupissant une deuxième fois, en équilibre très instable sur mes talons hauts, les mains vissées derrière le cou de mon amant. Mon bassin descendit, et mon sexe rencontra le gland de la verge, qui implorait qu’on ne le laisse pas dans cet état. Je descendis encore, et je fis l’amour à Éric.

Jamais il se ne rendit compte à quel point il me fallut être souple. Les muscles de mes cuisses m’aidèrent à pousser vers le haut, créant le va-et-vient qui nous bascula dans la plus salvatrice sauvagerie. A chaque fois que je retombais, je me retenais pour que la chute soit douce et soyeuse, comme au ralenti, et que nous ayons le temps de prendre conscience de cette pénétration que nous avions tant attendue. Une fois empalée sur lui, avant de donner l’impulsion pour le mouvement inverse, je contractai tous mes muscles afin que mon vagin se serre et emprisonne l’objet fabuleux, lui donnant l’impression d’une étroitesse plus exquise encore. Les doigts d’Éric couraient hystériques sur mes jambes, honorant cette partie de mon corps qu’il aimait tant et qu’il avait là, à portée de mains, des chevilles jusqu’au haut de mes cuisses nues, petite bande de chair pâle à la lisière entre le voile noir et mon sexe qui tamponnait le sien. Ivre de cette passivité, ses beaux yeux noisette me fixèrent et je vis l’orgasme arriver au fond de ses pupilles. Je descendis une dernière fois et me laissai choir en position assise, mon corps pesant contre son bassin. La pénétration se fit profonde, mes seins se collèrent à son torse, seulement séparés par la viscose de la robe, mes bras serrèrent de toute leur force autour de son cou, et il comprit mon besoin d’étreinte. Il m’enlaça tendrement et les dernières vibrations que j’avais envoyées en engloutissant son sexe au fond de mes entrailles firent le reste. Je sentis de la sueur couler dans mon dos et s’insinuer entre mes deux fesses. Des tressautements incontrôlables parcoururent mon torse et se concentrèrent sur mon pubis et mon ventre. Je jouis dans ses bras, vaguement consciente qu’une fontaine opalescente m’envahissait de l’intérieur.

 

Nous aurions eu besoin d’un peu de temps pour nous remettre d’un tel moment abrupt et cru. Mais nous étions dans la cage d’escalier ! Nous avions déjà eu de la chance de ne pas être surpris en plein ébat. Je me relevai, enlevai mes escarpins pour ne pas risquer de dégringoler quatre étages, retrouvai l'équilibre, et aidait Éric à se redresser à son tour sur la petite estrade de béton où nous venions de nous laisser aller. J’attrapai mon manteau, et nous gravîmes les cinq dernières marches qui nous séparaient de mon quatrième étage. Nous avions vraiment craqué au bord de la ligne d’arrivée. Enfin à l’abri dans mon studio, nous nous déshabillâmes à la hâte, envoyant valser chaussures et vêtements, et nous tombâmes nus l’un contre l’autre sur mon lit, achevant notre union dans un câlin plein de douceur, patientant quelques minutes en attendant que monsieur retrouve la raideur nécessaire pour recommencer. Tous mes sens me confirmaient leur message reçu toute au long de la soirée : faire l’amour encore et encore jusqu’à épuisement.

 

Quand on a fait l’amour

Comme d’autres font la guerre

Quand c’est moi le soldat

Qui meurt et qui la perd

 

Que je t’aime, que je t’aime, que je t’aime

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